LES MARTYRS DE CONSTANTINOPLE, MARIE ET DIX COMPAGNONS, GRÉGOIRE, SPATHAIRÈ, JULIEN, MARCIEN, JEAN, JACQUES, ALEXIS etc.

(en l'année 730)

fêtés le 30 mars

En la neuvième année de son règne, l'empereur Léon l'Isaurien forma le projet d'abolir le culte des saintes et vénérables icônes. Dès que le pape de l'antique Rome, saint Grégoire II (715 -731) connut les entreprises sacrilèges de l'empereur, il défendit à ses sujets de l'Italie et de Rome de lui payer le tribut, et lui adressa personnellement une lettre décrétale par laquelle il lui rappelait qu'un empereur n'a pas le droit de statuer sur les vérités de la foi, ni de changer ou d'attaquer les dogmes de l'Église, approuvés et sanctionnés par les saints pères et par l'autorité ordinaire ... Mais les menaces de la colère divine ne firent que rendre l'empereur plus acharné contre les saintes icônes ...
Il commença par mander en son palais le bienheureux Germain, archevêque de Constantinople, et essaya, par des paroles doucereuses, de lui faire partager ses vues : «Le culte des icônes, dit-il en terminant, est une forme d'idolâtrie aussi je ne permets à aucun de mes sujets de s'y livrer. Quiconque enfreindra ma défense peut s'attendre à une prompte mort ...» Le patriarche s'efforça de montrer à l'empereur qu'il n'y avait aucune ombre d'idolâtrie dans le culte des icônes tel que l'entendait l'Église; que ce culte, tout relatif, ne s'arrêtait pas à la matière dont était formée la statue, mais s'adressait directement à la personne sacrée qu'elle représentait. L'Isaurien ne voulut rien entendre et, résolu à perdre la patriarche, il profita de toutes les occasions pour le vexer, faisant en même temps observer toutes ses démarches pour y trouver matière à condamnation en qualité de séditieux. Mais la sagesse de Germain ne donnait aucune prise à la malignité. L'empereur, impatient de s'en défaire, fit assembler le sénat le 7 janvier 730, et, ayant fait venir le patriarche, lui présenta son édit avec ordre d'y souscrire sur-le-champ. Le hiérarque, se dépouillant alors de son omophore, fit la réponse suivante : «Sire, si je suis Jonas, jetez-moi à la mer , mais sur un point qui intéresse la foi, je ne puis céder qu'à l'autorité d'un concile général.» Il renonça alors à l'épiscopat et se retire dans un monastère où il acheva paisiblement ses jours ...
Le tyran s'abandonna alors à des excès inconnus aux plus cruels persécuteurs ... Dans sa fureur, il ordonna de briser et de brûler le grand crucifix qui se trouvait au-dessus de la porte Chalcé, et défendit de laisser subsister aucune statue dans les frontières de son empire. Les ministres du tyran s'empressèrent d'exécuter ses ordres et appliquèrent des échelles pour atteindre le crucifix.
À cette vue, la sainte martyre Marie, qui était d'illustre naissance et appartenait même à la famille impériale, prenant avec elle le protospathaire saint Grégoire et d'autres saints illustres eux aussi par leur naissance et leurs fonctions, s'avance vers la porte Chalcé. Saisis par un saint enthousiasme, les martyrs renversent les échelles, précipitent à terre l'officier impérial qui atteignait déjà l'image sacrée, le tuent, maudissent le tyran persécuteur et se déclarent attachés inébranlablement à la foi catholique. Un tumulte indescriptible s'élève dans la ville, toute la multitude épouvantée accourt à la porte Chalcé, et quand les habitants ont reconnu la cause du trouble, ils s'écrient tous Kyrie eleison, se proclament chrétiens, témoignent de leurs respect pour les saintes icônes, et se déclarent prêts à mourir pour défendre leur honneur.
À cette nouvelle, le tyran devint furieux et envoya sur-le-champ cinq cents soldats avec ordre d'empoigner tous les coupables et de les tuer tous, à la réserve des saints qui avaient commis l'attentat. Les soldats accomplirent l'ordre du barbare et sabrèrent la foule massée devant la porte Chalcé. Le nombre des martyrs fut considérable; Dieu seul sait combien de femmes, d'hommes, de prêtres et de lévites, de jeunes filles et de nonnes, de magistrats et de plébéiens, périrent dans la mêlée; quant à nous, nous ne pouvons pas essayer de les compter. Ils reçurent la couronne le 19 du mois de janvier, et leurs corps, sur l'ordre de l'infâme tyran, furent jetés pêle-mêle dans les fosses où l'on précipitait les cadavres des suppliciés.
Le lendemain matin, Léon fit comparaître devant lui la vénérable martyre Marie et ses saints compagnons : «Vous auriez dû avoir honte, leur dit-il, vous qui êtes distingués par votre naissance et vos dignités, de vous mêler ainsi à des gens vils et abjects, de fomenter des séditions et de vous révolter contre mon autorité. Mais puisque vous avez poussé l'audace jusqu'à désobéir à l'empereur en adorant les idoles, et en mettant votre espérance en des ossements desséchés comme en Dieu lui-même, je vous déclare que si vous ne changez immédiatement de sentiment, je vais vous faire endurer toutes sortes de supplices et trancher la tête.
La sainte martyre répondit : «Tu es fou, sire. Comment peux-tu dire que nous rendons un culte aux idoles quand nous vénérons les icônes de notre Seigneur, de sa sainte et immaculée Mère et de tous les saints ? Toi, tu es plus insensible que les idoles et les statues; tu as moins de cÏur que les pierres inanimées, misérable, infortuné, inventeur de machinations infernales, ennemi de toute justice et précurseur de l'Antichrist. Ton cÏur, dépourvu de vie et dur comme la pierre, n'a donc pas en horreur de lancer le venin de ta langue maudite sur le Dieu Très Haut, sa Mère immaculée et ses saints ? Fol et orgueilleux, nous n'offrons nullement à la matière notre vénération, mais notre culte, notre amour s'adresse aux personnes sacrées qui sont représentées par cette matière. Est-ce que ceux qui se regardent dans un miroir agissent ainsi parce qu'ils croient que le miroir a la faculté de rendre beaux les hommes ? Nullement, mais c'est pour contempler en lui l'image de la vérité. De même encore, quand avec le sceau on imprime dans la cire l'image de l'empereur, on ne se figure point que le sceau et la cire sont lĠempereur en personne, mais on vénère l'empereur lui-même dans son image. Cesse donc de pervertir les voies droites du Seigneur, cesse d'attaquer et de persécuter l'Église catholique et apostolique. Sinon Dieu, du haut de son sanctuaire, fera éclater sur toi sa puissance à laquelle personne ne peut résister, et les calamités s'abattront sur toi. Nous ne te souhaitons pas ces maux; nous voudrions au contraire te voir revenir au Dieu Sauveur, dont tu t'es éloigné en suivant les conseils d'un maître misérable et impie. »
L'empereur rugit à l'instar d'un lion, et, lançant sur les martyrs des regards furibonds, il ordonna de rompre leurs ceintures et de les fouetter avec des nerfs de bÏuf tout crus. Quant à sainte Marie, il la fit reconduire en son palais — car il ne pouvait châtier en publie un membre de la famille impériale, vénéré de tous les habitants non seulement à cause de sa noblesse, mais encore et surtout à cause de la sainteté de sa vie. Les martyrs furent battus pendant longtemps, mais sans se laisser vaincre; alors le tyran, de plus en plus exaspéré contre eux, se leva de son tribunal et ordonna de les emmener en prison, en prenant soin de lier chacun d'eux avec une chaîne double.
En s'acheminant vers la prison, les martyrs chantaient en chÏur : «Seigneur, nous avons mis en vous notre espérance, ne permettez pas que nous tombions dans une confusion éternelle en faiblissant; car c'est vous seul, Seigneur, qui êtes notre défense, vous seul notre espérance, puisque nous endurons la mort pour vous, Seigneur, qui êtes l'unique soutien de notre vie. Nous avons confiance, Seigneur, car la domination et le pouvoir vous appartiennent dans les siècles des siècles. Amen.» L'empereur ordonna au geôlier de leur administrer chaque jour cinq cents coups de nerf de bÏuf.
Huit mois après, le tyran, ayant fait dresser son tribunal devant la porte Chalcé, se fit amener les saints martyrs. LorsquĠils furent arrivés, il leur ordonna de se tenir debout sur l'estrade et leur parla en ces termes : «Jusque à quand, ô misérables, persisterez-vous dans l'idolâtrie, vous entêtant à vous prosterner devant des ossements inanimés et refusant de vous soumettre au joug de la vérité ?» Les saints répondirent : «Détestable scélérat, officier de satan, ne cesseras-tu jamais de blasphémer, en appelant idoles les saintes et vénérables icônes ? Tu es parqué dans lĠerreur et, comme ton père le diable, tu veux feindre de posséder la vérité.» Le tyran les fit étendre sur le chevalet et battre violemment de verges, jusqu'à ce que quatre bourreaux se furent successivement lassés sur chacun d'eux. Durant tout le temps que dura le supplice, les saints martyrs, tenant les yeux fixés au ciel, ne firent entendre que ces paroles : Kyrie eleison. — Le cruel empereur, remarquant que les licteurs n'en pouvaient plus, fit cesser la flagellation; mais il ordonna de brûler le visage des martyrs avec des lames de fer rouge, puis de les décapiter au Cynégée et de jeter leurs cadavres à l'égout.
Dès que la martyre Marie apprit que la sentence de mort avait été portée contre les saints, elle courut aussitôt au lieu de l'exécution. Les saints martyrs, en la voyant, la saluèrent par des acclamations de joie; tous s'embrassèrent fraternellement et furent exécutés, Marie comme les autres, le 9 du mois d'août (730).
L'impie tyran avait ordonné de jeter à l'égout le corps de la noble Marie et de ses dix compagnons; mais de pieux fidèles réussirent à les en retirer. Le jour où les bienheureux endurèrent le martyre, le ciel se chargea de nuages, et vers le soir éclata un orage si violent, accompagné d'épouvantables coups de tonnerre, que tous croyaient que la ville allait être submergée et détruite. Les fidèles zélés dont nous venons de parler, obéissant aux invitations de leur conscience, et voulant honorer la noblesse royale de la martyre Marie, se rendirent, sous la protection de Dieu, au lieu infect où les pores avaient jeté les perles (les martyrs). Ils descendirent dans la fosse, en remontèrent les saintes reliques qu'ils placèrent sur des montures comme autant d'étoiles resplendissantes, et les conduisirent dans l'oratoire du célèbre thaumaturge Anianus. Après avoir nettoyé les saints corps et les avoir revêtus de riches ornements, ils les déposèrent dans le temple du glorieux martyr Démétrius.