LES ACTES DES SAINTS HILAIRE, ÉVÊQUE, TATIEN, DIACRE, FÉLlX, LARGUS ET DENYS
(L'an de Jésus Christ 283)
fêtés le 16 mars
Avec le secours de Dieu le Père et de son Fils notre Seigneur Jésus Christ, frères très chers, nous vous faisons part d'un grand mystère, qu'il a daigné lui-même accorder aux hommes, par son éternel royaume des cieux, Lui qui ne veut pas que personne périsse. Mais ce qu'il a fait Lui-même de ses propres Mains au commencement du monde, Il le garde et le conserve, et Il a dit : «Je ne veux pas la mort dit pécheur, mais plutôt qu'il se convertisse et quil vive.» C'est Lui aussi qui donne à ses serviteurs la grâce dentendre aujourdhui de quelles consolations le Seigneur comble ceux qui croient en Lui.
Le bienheureux Hilaire, instruit dès son enfance, saisit de bonne heure les armes de la foi, et se fit dès lors remarquer par sa douceur et sa bienveillance. Ayant renoncé au commerce du monde, il s'adonna à l'étude des divines Écritures, afin de les imprimer si fortement dans sa mémoire qu'il neût plus ensuite besoin de livres. Cette louable conduite lui gagna les suffrages du peuple, qui le fit ordonner diacre, malgré ses jeunes ans; et même quelque temps après, sur les instances réitérées des habitants, il fut consacré évêque. Revêtu de cette
dignité, il s'appliqua à accomplir les préceptes du Seigneur, ne supportant aucunement les adulations de qui que ce fût, et ne faisant jamais acception des personnes, ainsi que font communément les hommes qui ont placé leurs espérances, en ce monde. Aidé du secours d'en haut, il gouverna avec sagesse et prudence le troupeau qui lui était confié. Il avait un disciple nommé Tatien, à qui il conféra les honneur du diaconat, à cause de sa bonne conduite; plus tard même, il le fit archidiacre.
Vers la même époque, le césar Numérien ayant envoyé, par tout l'empire, l'ordre aux chrétiens de sacrifier aux idoles, on nomma Béronius président en la ville d'Aquilée. Ayant pris possession du tribunal, il ordonna de lui présenter les chrétiens qui étaient détenus dans la prison, afin qu'ils brûlassent de l'encens. Il y avait là un certain Monofantus, prêtre des idoles, plein de malice; il s'approcha du président, et lui dit : «Ce que tu veux faire n'est pas prudent; ordonne plutôt qu'on amène devant toi Hilaire, l'évêque des chrétiens, afin que les tourments que tu lui infligeras les effraient et les convertissent.» Le président, suivant ce conseil, commanda qu'on fit venir Hilaire. Monofantus eut à peine entendu cet ordre, qu'il courut chercher le bienheureux Hilaire. Il le trouva occupé à lire avec son archidiacre Tatien, et il leur dit : «Venez, le président vous demande : à quoi bon différer ?» Le bienheureux Hilaire, jetant les yeux sur lui, lui dit : «Qu'y a-t-il, mon ami ?» Monofantus repartit : «Je l'ai déjà dit, le président vous demande.» Hilaire dit alors : «Allons, au nom de notre Seigneur Jésus Christ.» Et ils se rendirent au prétoire.
Y étant entré, il salua le président, laissant paraître sur son visage la joie de son âme. Le président, le voyant ainsi tout joyeux, fut saisi d'admiration; il lui dit : «Comment t'appelles-tu ?» Hilaire répondit : «On m'appelle Hilaire, et je suis l'évêque des chrétiens.» Le président lui dit : «Puisque tu confesses que tu es chrétien, sacrifie aux dieux, conformément aux ordres des empereurs; car ils veulent que les chrétiens offrent des sacrifices aux dieux; ceux qui refuseraient de leur obéir doivent subir divers supplices; ceux au contraire qui sacrifieront seront comblés de biens et d'honneurs. Sois donc assez sage pour faire ce qu'on désire, et sacrifie aux dieux.» Hilaire répondit : «Dès mon enfance jai appris à sacrifier au Seigneur Dieu vivant, et je ne cesse doffrir, d'un cur pur, mes adorations à Jésus Christ son Fils; mais pour ces démons, aussi vains que ridicules, qu'on appelle des dieux et qui ne sauraient l'être, je ne leur sacrifie point.» Le président : «Le Christ que tu honores, dis-tu, a été crucifié par les Juifs.» Hilaire : «Si tu connaissais la vertu de cette croix, tu renoncerais l'erreur des idoles et tu adorerais ce Christ, afin de guérir les blessures de ton âme. En effet, le Fils unique de Dieu, pour obéir à son Père, et avec une pleine volonté, a daigné S'abaisser jusqu'à prendre la nature humaine pour donner la vie au monde, dans le dessein de racheter par son précieux Sang ceux qui étaient détenus captifs dans les filets du diable; mais aussi le jugement de sa Toute-Puissance condamnera aux supplices d'une mort éternelle les impies qui, comme toi, rendent un culte à la folie et à la vanité.»
Le président Béronius : «Tu me fatigues les oreilles avec toutes tes paroles de séduction, comme si tu pouvais me persuader d'abandonner le glorieux culte de nos dieux pour adorer ce crucifié, après avoir séduit les autres qui t'ont fait leur évêque. Sacrifie donc aux dieux; autrement des supplices t'attendent qui corrigeront tes adeptes.» L'évêque Hilaire : «Celui que je n'ai cessé d'adorer jusqu'à présent comme mon bienfaiteur, le Père tout-puissant et notre Seigneur Jésus Christ, je veux continuer de L'adorer toujours. Pour toi, qui sembles être le ministre des démons, tu seras aussi tourmenté par des supplices qui ne seront pas légers.» Le président : «Parce que j'ai bien voulu te laisser la liberté de parler, tu blasphèmes les dieux, et de plus tu oses dire que je suis possédé du démon. Il faut donc que j'abatte ton orgueil en te faisant tourmenter comme blasphémateur, et en te contraignant à honorer les dieux qui gouvernent le monde et qui protègent cette cité.» Hilaire : «Que tu es aveugle et malheureux de ne pas connaître Dieu, Créateur et Gouverneur de ce monde, et de croire que l'univers est régi par des démons immondes semblables à toi !» Béronius : «Sacrifie aux dieux, te dis-je, sinon je te ferai couper la langue.» Hilaire : «Si c'est ton habitude d'en imposer par la terreur, ne t'arrête point à des menaces superflues; mais de suite ce que tu as résolu, parce que j'ai un protecteur qui m'assiste, auquel j'offre toujours un sacrifice de pureté.»
À ces paroles, le président, outré de colère, entra dans le temple, lequel était fort somptueux, orné dun autel d'argent, et plein d'idoles du même métal. Il y fit venir Hilaire, et lui dit : «Sacrifie au grand Hercule; vois sa gloire et sa puissance.» Le saint évêque lui répondit : «Malheureux, tu es dans l'erreur, et tu ne sais ce qui doit tarriver. Ces dieux sont de pierre, de bois, de fer ou d'airain; ils sont sortis de la main des hommes qui les ont ornés d'or et d'argent, pour vous séduire le cur et vous engager à suivre, par un travers d'esprit, des dieux qui ne voient ni n'entendent, qui ne peuvent ni parler, ni marcher, ni s'aider en rien, ni se défendre si quelqu'un voulait les mettre en pièces.» Le président Béronius, entendant cela, fut transporté de fureur, et donna l'ordre de dépouiller le saint évêque et de le battre de verges. Durant ce long et cruel supplice, Hilaire leva les yeux au ciel et dit d'un ton de voix élevé : «Voyez Seigneur, et secourez votre serviteur.» Béronius ordonna de le flageller encore plus vivement, et fit remplacer les trente centurions par d'autres à qui on donna de nouveaux instruments de flagellation. Mais sa fureur n'en devint que plus ardente, et il ordonna de suspendre le martyr au chevalet, et de lui déchirer les flancs jusqu'à ce que les entrailles fussent mises à nu. Hilaire conservait un visage joyeux; il chantait des hymnes au Seigneur, et disait : «Délivrez-moi, mon Dieu, de mes ennemis et de la main de ceux qui s'élèvent contre moi; sauvez-moi de ceux qui opèrent l'iniquité et de ces hommes de sang.» Et tout le peuple était dans l'admiration en le voyant couvert de plaies, et gardant un visage serein et une âme intrépide.
Le président lui dit alors : «Sacrifie maintenant, et je te relâcherai.» Hilaire ne répondit rien. Le président, frémissant de colère, ordonna de lui brûler le dos avec des charbons ardents et d'y verser du vinaigre et du sel, puis de frotter ses plaies ave une étoffe en poils de chameau. Tandis quon exécutait ces ordres barbares, Hilaire, regardant le ciel, dit : «Seigneur, qui par le feu avez consumé, détruit et réduit en solitude la terre des habitants de Sodome, en punition de leurs iniquités et de leur désobéissance à votre loi, montrez maintenant par mon entremise un signe de votre puissance, afin que ce juge impie soit confondu avec toutes ses idoles et tous ceux qui les honorent.» Et faisant le signe de la croix sur ses lèvres, il souffla sur les images des dieux, qui au même instant furent brisées et réduites en poudre. Et le saint de Dieu dit aux assistants : «Vous voyez, malheureux, quelles sont les choses que vous vénérez; où est leur puissance ? pourquoi n'ont-elles pu se défendre ?» Les prêtres des idoles, irrités de ce qu'ils vivaient, s'écrièrent tous et dirent au président : «Fais disparaître le magicien, tue ce maléficier dont l'art magique a détruit nos dieux.» Le président, outré de dépit, commanda de le jeter en prison, et dit : «Je ne veux pas lui faire subir une mort ordinaire.» Et lorsqu'on le jetait dans la prison, le saint de Dieu chantait au Seigneur, disant : «Vous nous avez sauvés, Seigneur, de ceux qui nous assiègent, et vous avez couvert de confusion ceux qui nous haïssent.»
Le jour suivant, un des officiers prévint le président qu'il y avait un diacre avec l'évêque; il se le fit aussitôt amener et lui dit : «Dis-moi ton nom et ton pays.» L'archidiacre Tatien répondit : «Mon nom charnel, c'est Tatien; mon nom spirituel est chrétien; je suis diacre de l'Église d'Aquilée, ayant été ordonné par mon seigneur et père l'évêque Hilaire.» Le président : «Sacrifie aux dieux; autrement, je te ferai tourmenter, comme jai fait à ton évêque; et je vous ferai subir à vos deux dautres supplices plus cruels encore, afin que, succombant à la douleur, vous renonciez le Crucifié.» Le bienheureux Tatien répondit : «Insensé que tu es ! Je ne saurais sacrifier à tes dieux, qui ont été anéantis par la prière de mon père l'évêque Hilaire; tu n'en rougis donc pas ?» Le président le fit pareillement étendre sur le chevalet et frapper de verges. Après qu'il l'eut fait ainsi déchirer durant un temps considérable, il fit cesser le supplice et lui dit : «Si vous ne m'obéissez en exécutant les ordres des empereurs, vous serez tous deux réciproquement témoins de vos tourments; puis je vous ferai mourir.» Tatien répondit : «C'est ainsi que la sainte Écriture nous avertit que les fils doivent aller au royaume des cieux avec leurs pères, et les pères avec les fils.» Le président le fit conduire dans la prison où se trouvait le bienheureux Hilaire.
Le saint évêque, en le voyant, rendit grâces au Dieu tout-puissant de ce qu'il avait daigné lui associer son archidiacre. Et se mettant aussitôt à genoux, ils prièrent le Seigneur, en disant : «Seigneur Dieu tout-puissant, qui régnez avec votre Fils et le saint Esprit, exaucez nos prières pour la gloire de votre Nom, et pour la confusion de tous ceux qui adorent les idoles et se glorifient en ces simulacres : faites voir à tous ceux qui croient en vous quelle est votre Puissance que nous révérons. Étendez, Seigneur, votre Main du haut du ciel, et renversez ce temple où sont déposées les images de leurs dieux, afin que toutes les nations sachent qu'il n'y a point d'autre Dieu que vous.» Aussitôt on entendit gronder un tonnerre, dont les éclats étaient si forts que les fondements de la ville en furent ébranlés; tous les païens de la ville d'Aquilée, saisis d'épouvante, se jetèrent par terre, et plusieurs en moururent de frayeur. Le temple d'Hercule fut renversé de fond en comble, de telle sorte quon ne peut même plus retrouver son emplacement.
Les prêtres des païens, témoins de ce spectacle, se mirent à crier et dirent au président : «Que fais-tu donc ? L'édit de nos maîtres les empereurs porte que si l'on trouve quelque chrétien, on le punisse; et toi, pour t'en faire accroire, tu les épargner; aussi voilà tous nos dieux détruits, et en outre le temple renversé; et tu sais que, si cette nouvelle parvenait aux oreilles de César, tu serais exposé au plus grand péril.» Le président Béronius, effrayé de ce discours, donna lordre de décapiter les saints martyrs, et de leur plonger le glaive dans le sein. Et c'est ainsi qu'ils rendirent leurs bienheureuses âmes.
On associa à leur martyre d'autres chrétiens, qui étaient enchaînés dans la prison pour le nom du Christ; ils se nommaient Félix, Largus et Denys. Ils souffrirent le 17 des calendes davril. La nuit suivante, des clercs de la sainte Église, avec d'autres fidèles, se présentèrent à la prison, et après avoir donné aux gardiens une riche récompense, ils enlevèrent les corps saints, et les inhumèrent honorablement hors des murs de la ville, pour la gloire du nom du Christ. Et le Seigneur permit que de ce martyre rejaillit une grande gloire sur les fidèles, et une grande confusion sur les païens et les adorateurs des idoles. Au roi éternel notre Seigneur Jésus Christ honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.