LE MARTYRE DE SAINT CONON ET DE SON FILS

(L'an de Jésus Christ 275)

fêtés le 5 mars

Sous le règne du tyran Aurélien, un officier de cet empereur, nommé Domitien, fut envoyé dans les provinces pour contraindre tout le monde à honorer les idoles. Lorsqu'il fut arrivé à Scone, ville de la province d'Isaurie, on lui présenta un homme nommé Conon, qui s'attirait le respect par la vie sainte qu'il menait devant Dieu. C'était un ami de Dieu, un cohéritier du Christ, qui conversait avec les anges; il était l'ennemi déclaré des idoles, et il secourait et consolait les saints martyrs. Il avait été marié; mais après la mort de sa femme qui lui avait donné un fils, il garda la continence; et bientôt après il se retira avec son fils dans la solitude.
Il marcha sur les traces de Moïse dans l'observance des commandements de Dieu, et il commanda aux flots. Près de ce lieu était un torrent que la crue des eaux rendait infranchissable. Le peuple vint trouver Conon, et le pria d'ouvrir un passage sur ce torrent. Le saint commanda à l'eau, l'arrêta, et, frayant une voie à travers les eaux, il les fit passer. Étant retourné à son monastère, sans avoir permis aux eaux de continuer leur cours, celles qui étaient au-dessus se répandirent çà et là et inondèrent les villages voisins. Le bienheureux Conon, voyant ce qui était arrivé, revint vers le fleuve et lui ordonna de reprendre son cours ordinaire; quant à l'exubérance de ses eaux, il voulut qu'elle se partageât en plusieurs ruisseaux qui allassent fertiliser d'autres contrées. C'est pour cela que jusqu'à présent son nom est en vénération chez ces peuples, qui jouissent de ses bienfaits et glorifient en lui celui de qui dépendent non seulement les eaux, mais la terre entière. Ainsi s'accomplit ce qui est écrit : «Si vous avez de la foi comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne : Retire-toi; et elle se retirera.» C'est ainsi que le juste ne commande pas seulement aux eaux, mais encore à toutes les créatures, qui obéissent à sa voix. «Abraham crut à Dieu, et il lui fut réputé à justice.» Saint Conon crut aussi à Dieu, et non seulement il fut appelé l'ami de Dieu, il devint encore le cohéritier du Christ; car les amis de Dieu commandent dans les cieux comme sur la terre.
Lorsque le ministre du diable, le comte Domitien, eut aperçu Conon, il lui dit : «Ta chevelure blanche et ta vieillesse m’inspirent de la vénération pour toi; vois donc comme l'empereur et tous les honnêtes gens sont dans la joie. Dès lors, pourquoi voudrais-tu t'abuser toi-même, en demeurant dans cette habitation?» Conon répondit : «Ceux qui vivent avec Dieu se conforment à cette manière de vie, comme je tâche de faire; car il faut qu'ils entrent par beaucoup de tribulations dans le royaume des cieux. Quant à ceux qui vivent en présence des hommes, ils se distinguent par leurs beaux habits. Moi je me dirige vers la croix du Christ, afin qu'en cette vie Il me remette mes péchés, Lui qui doit les juger.», Le comte Domitien dit : «Tu veux donc en finir avec la vie ?» Conon répondit : «Je voudrais voir la fin de cette vie humaine pour demeurer avec le Christ.» Le comte Domitien dit : «Je crois que tu es impie envers les dieux; pourquoi es-tu ici ? fais d'abord honneur à ta religion. Es-tu prêtre ou diacre ?» Conon répondit : «Je vis en la présence de Dieu, adorant le Christ et rempli de joie dans le saint Esprit; mais je ne suis qu'un indigne laïc : ceux qui sont honorés de la dignité dont tu parles se réjouissent dans le Christ.» Domitien dit : «As-tu été marié ?» Conon répondit : «Oui; mais ma femme a vécu peu de temps avec moi; elle est maintenant avec le Christ.» Domitien dit : «Je veux avoir une plus ample connaissance de ta vie. As-tu eu des enfants ?» Conon répondit : «J'ai un fils, et il faut que je le mette sous tes yeux.» Domitien dit : «Est-il, lui aussi, impie envers les dieux ?» Conon répondit : «Telle racine, telles branches. Donne l'ordre de l'amener devant toi.»
Le comte Domitien dit alors : « Qu'on me présente aussi le fils.» L'officier répondit : «Il est sous tes yeux.» Domitien dit : «Quel âge a ton fils ?» Conon répondit : «Il a douze ans; et comme il est habile dans les lectures, il a été fait lecteur; renonçant ensuite à la vie séculière, il a mérité de recevoir l'ordre du diaconat. Mais nous te prions de ne point abréger notre affaire, et de rendre de suite la sentence; hâte-toi de nous faire passer par chacun des tourments et des supplices accoutumés, afin que je sois digne d'entrer dans le royaume des cieux.» Domitien dit : «Quoi donc ? voulez-vous, oui ou non, croire aux dieux et leur offrir des sacrifices ? car j'ai l'ordre de l'empereur de condamner ceux qui ne veulent point sacrifier aux dieux.» Conon reprit : «0 insensé et le plus impie de tous les hommes, ne t'ai-je pas dit : Fais ce que tu voudras ? Soit que ton empereur l'ordonne, ou que ta propre cruauté te l'inspire, imagine tous les genres de supplices que tu pourras et tourmente-nous tant que tu voudras; mais sache à n'en pouvoir douter que ni tes menaces ni tes caresses ne pourront jamais nous faire renier le Nom du Seigneur notre Dieu.»
Le comte Domitien dit à ses satellites : «Chauffez au rouge les lames de fer et appliquez-les sur leurs corps.» Conon lui dit : «Montre tes instruments de supplice, et tu verras la Puissance du Christ.» Domitien dit : «Je vous dompterai au moyen du feu.» Conon répondit : «Fais ce que tu voudras.» Domitien dit aux bourreaux : «Faites rougir le gril, mettez de l'huile aux quatre coins, allumez des charbons par-dessus, et jetez ces hommes sur le gril.» Conon répondit : «Je te l'ai déjà dit, déploie tous les genres de tortures qui sont en ton pouvoir.» Domitien dit aux bourreaux : «Retournez-les sur le ventre, afin qu'ils soient brûlés devant et derrière.» Conon dit : «Crois bien que nous ne pensons pas même à ton feu.» Domitien dit alors aux bourreaux : «Faites rougir le poêle, et mettez-les dedans : peut-être que le feu les y saisira.» Conon répondit : «Qu'est-ce que cet instrument ? tes satellites se moquent de toi; ils n'ont pas bien chauffé le poêle ?» Domitien dit aux bourreaux : «Retirez-les du poêle, et suspendez-les séparément par les talons; puis allumez sous leurs têtes un feu si ardent, qu'ils expirent à l'instant.» Conon dit : «Ton feu ne nous fait aucun mal, et nous ne sentons point ta fumée.» Domitien dit aux bourreaux: «Apportez un maillet de bois, et broyez-leur les mains.» Après ce supplice, Conon dit : «N'as-tu pas honte de voir que deux serviteurs de Dieu ont brisé tout ton orgueil et ont empêché la victoire de Satan ?»
Comme il parlait ainsi, une voix du ciel se fit entendre, qui leur disait : «Allez, vaillants athlètes du Christ, vous dont la vie a été pure, les combats pleins de vigueur et vos rapports avec les hommes animés par la charité. Maintenant, couronnés de roses et glorieux de vos victoires sur le démon, venez habiter les cieux.» Les saints martyrs de Dieu, entendant cette voix, levèrent les yeux au ciel, et, après avoir prié longtemps en cette posture, ils rendirent leur esprit au Seigneur devant le tribunal. Le comte Domitien, épouvanté, se leva de son siège et s'enfuit. Les frères vinrent ensuite, enlevèrent les corps des saints martyrs plus précieux que l'or et les pierreries, et les ensevelirent en louant le Seigneur.
Saint Conon fut martyrisé avec son fils à Scone, dans la province d'Isaurie, sous le comte Domitien et sous le règne de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartiennent l'honneur et la gloire, dans les siècles des siècles. Amen.