ACTES DE SAINT BASILE D'ANCYRE

fêté le 22 mars


Basile, appliqué sans relâche à enseigner aux hommes les vérités chrétiennes et à les détromper de l'erreur et du mensonge, s'efforçait de les conduire dans les voies de Jésus Christ et de les détourner de celles du démon. Il leur prêchait sans cesse que des jours mauvais approchaient; que les principaux chefs de la milice des enfers en étaient sortis, et semaient partout des pièges, des périls et des scandales; que parmi les ministres de Jésus Christ il se trouvait des ministres du démon revêtus de peaux de brebis, mais qui n'étaient que des loups cruels et ravissants, avides de se rassasier d'âmes, et qu'il ne fallait marcher qu'avec de grandes précautions. Il criait de toute sa force et avec toute l'intrépidité et toute l'assurance d'un prophète :
«Suivez-moi, vous tous qui voulez arriver au bonheur éternel, je vous montrerai la voie qui y conduit, et je vous marquerai en même temps celle qui mène à un malheur éternel. Je vous ferai voir dans quel abîme se précipitent ceux qui abandonnent le Dieu vivant pour courir après des idoles sourdes, muettes et aveugles.
Quel avantage pensez-vous qu'ils tirent d'un changement si peu sensé ? de brûler dans un feu qui ne s'éteindra jamais ? C'est pourquoi, tous autant que nous sommes, qui désirons conserver le trésor inestimable de la foi, ne craignons pas de fouler aux pieds toute cette pompe vaine et ridicule avec laquelle le démon amuse, surprend et engage les esprits qu'il a séduits; méprisons ces niaiseries dont il occupe les yeux et le cÏur de ses misérables esclaves; que la difficulté de l'entreprise ne nous rebute point. Jésus Christ sera avec nous nous soutiendra, il nous défendra, il nous récompensera.»
Basile parcourait chaque jour toute la ville d'Ancyre, semant de pareils discours, exhortant, pressant, menaçant chacun, encourageant les uns par l'espérance des biens à venir, intimidant les autres par la crainte des peines futures, inspirant à tous le mépris des tourments et de la mort. Cependant Eudoxe, Macaire, Eugène et quelques autres évêques ariens, assemblés à Constantinople, lui défendirent de prêcher ainsi au peuple des vérités qui leur déplaisaient; mais en même temps deux cent trente évêques, qui tenaient un concile dans la Palestine, l'exhortaient à continuer, à ne rien craindre, à agir toujours avec confiance, et enfin à se ressouvenir qu'étant un des principaux officiers du palais de l'empereur, il devait donner l'exemple d'une plus parfaite fidélité envers Jésus Christ. Ainsi ce saint homme, marchant en la présence de Dieu, annonçait hardiment la doctrine irrépréhensible de la foi, et la régularité de sa vie, jointe à la force de ses paroles, retirait chaque jour de l'erreur plusieurs chrétiens qui s'y étaient malheureusement laissés engager. L'Église était alors dans une horrible agitation. On déféra Basile à l'empereur Constance comme un homme inquiet, séditieux, et qui par ses prédications emportées fomentait le trouble et la division.
Le prince l'interrogea lui-même; mais il fut toujours invariable dans ses réponses, toujours ferme et inébranlable dans la foi et dans la tradition des Pères, défendant avec beaucoup de talent et de zèle la croyance orthodoxe. Ce qui enleva bien des sujets à l'hérésie.
Après la mort de Constance, Julien étant parvenu à l'empire, et ayant renoncé ouvertement au christianisme, il entreprit de gagner à ses dieux le plus grand nombre d'âmes qu'il pourrait. Il se fit le docteur de l'idolâtrie, il publia ses dogmes impies touchant le culte qu'il voulait qu'on rendît à ces divinités inanimées et insensibles, et il l'établit dans la Galatie où l'on vit, durant quinze mois, fumer les autels des dieux de Julien. Basile, sensiblement affligé du malheur de l'Église, et craignant pour Ancyre sa patrie, fit publiquement cette prière à Jésus Christ : «Sauveur du monde, lumière qui ne peut être obscurcie, soleil qui dissipez les ténèbres de l'erreur, trésor immense des richesses infinies de la divinité : Seigneur tout-puissant, jetez les yeux, je dis ces yeux qui sont quelquefois allumés d'une sainte et redoutable colère, ces yeux qui lancent sur les pécheurs la foudre et la mort, jetez-les sur ces cérémonies abominables, et dissipez-les avec ceux qui les pratiquent. Ne permettez pas qu'elles prévalent sur la vérité que vous nous avez enseignée : renversez ces autels et leurs ministres. Rendez leurs projets inutiles, qu'ils ne puissent jamais séduire les âmes de ceux qui croient en vous.» Cette prière fut entendue de quelques adorateurs des idoles. Ils frémirent de rage contre son auteur, à tel point que l'un d'eux, nommé Macaire, se jeta sur Basile et le maltraita. «Méchant homme, lui dit-il, tu mets toute la ville en rumeur par tes discours séditieux; as-tu bien l'audace d'attaquer une religion que l'empereur a si sagement rétablie ?» Basile lui répondit : «Que le Seigneur t'arrache cette langue, misérable esclave du démon. Ce n'est pas moi qui détruis ta religion, mais ce sera celui qui règne dans le ciel, celui-là même qui l'a déjà renversée; celui-là, dis-je, saura bien encore le moyen de l'exterminer une seconde fois. Il saura bien faire évanouir tous les desseins chimériques de ton empereur, jusqu'à ce qu'il le réduise aux dernières extrémités, où il ne trouvera plus que la mort seule, qui lui sera alors donnée comme la juste punition de son insolente révolte contre Dieu.»
Cette réponse ne fit qu'irriter encore davantage les esprits. On entraîna Basile chez le proconsul. (Saturnin) «Cet homme, s'écriaient cent personnes à la fois, met le trouble et la confusion dans toute la ville. Il enseigne au peuple une doctrine dangereuse; il dit qu'il faut renverser les autels des dieux, et il parle d'eux et de l'empereur en de fort méchants termes : le peuple l'écoute, et il en a déjà perverti plusieurs. Le proconsul lui demanda son nom et comment il avait la hardiesse d'agir de la sorte.
— «Je suis chrétien,» répondit Basile.
Le proconsul : «Puisque tu es chrétien, que ne fais-tu donc ce qu'un chrétien doit faire ?»
— «Je le fais; car un chrétien doit faire toutes ses actions à la vue de tout le monde.
— «Pourquoi excites-tu le tumulte dans la ville, en parlant de l'empereur avec impertinence, et en le faisant passer pour un prince qui viole impunément les lois les plus saintes, en blasphémant contre sa personne sacrée et contre sa religion ?»
— «Tout cela est faux. Je n'ai blasphémé ni contre l'empereur ni contre sa religion. Mais cet empereur dont je parle est le Dieu du ciel et de la terre, qui règne souverainement sur tous les hommes, et que nos pères ont adoré. C'est lui qui peut en un moment vous confondre, vous et vos dieux.»
— «À votre compte, elle ne serait pas véritable, la religion que notre prince a rétablie ?»
— «Comment le serait-elle ? Toi-même, seigneur gouverneur, la crois-tu véritable ? Une religion qui, plus vorace que ne sont des chiens affamés, va dévorant des chairs à demi crues, pousse comme ces animaux des hurlements devant les autels des démons, et répand le sang autour de ces mêmes autels, est-ce là une religion pour des hommes ? La raison peut-elle supporter un pareil culte ?»
— «Tu ne dis que des sottises, Basile; tais-toi et obéis à l'empereur.»
— «J'ai obéi jusqu'à présent à l'empereur du ciel, je ne lui manquerai jamais de fidélité.»
— «De quel empereur parles-tu ?»
— «De celui qui réside dans le ciel, et qui voit et considère toutes choses. Pour cet autre dont tu veux m'obliger de recevoir les ordres, il ne commande que dans un coin de la terre, et bientôt il n'y commandera plus; n'étant qu'un homme, il tombera à son tour comme les autres hommes au pouvoir du grand roi, qui lui fera rendre compte de ses actions.»
Le proconsul, mécontent de ces réponses, fit mettre le saint sur le chevalet. Pendant qu'on le tourmentait, il disait : «Seigneur, Dieu de tous les siècles, je te rends grâces de ce que tu m'as jugé digne de marcher dans le chemin des souffrances en le suivant, je suis sûr, Seigneur, d'arriver à la vie, et de me trouver dans la compagnie de ceux que tu as faits héritiers de tes promesses et qui en jouissent déjà.»
— «Que t'en semble-t-il ? interrompit le proconsul; crois-tu maintenant que l'empereur de la terre peut, quand il lui plaît, punir ceux qui refusent d'obéir à ses ordres ? Si tu l'ignores, l'expérience est une grande maîtresse, elle pourra te l'apprendre. Veux-tu m'en croire, sacrifie, Basile.»
— «Je ne t'en croirai pas, répliqua Basile, je ne sacrifierai pas».
Le proconsul l'envoya en prison. Comme on l'y conduisait, il rencontra un certain Félix, un débauché de profession, qui lui dit : «Où vas-tu te perdre, mon pauvre Basile ! que ne te fais-tu plutôt ami des dieux, tu le serais bientôt de César ? Autrement tu peux t'attendre à souffrir terriblement, et l'on peut dire que ce sera avec justice.» Basile, lui jetant un regard foudroyant, lui répondit : «Ne m'approche pas, misérable, homme pétri de vices, esprit impur; cĠest bien à toi de pénétrer les motifs qui me font agir ! comment, environné de ténèbres, pourrais-tu entrevoir le moindre rayon de vérité ?»
Et disant cela, il entra dans la prison.
Cependant le proconsul ayant informé Julien de toute cette affaire, le prince envoya sur les lieux Elpidius et Pégase, ses deux âmes damnées, pour perdre d'autres âmes : ils prirent en passant à Nicomédie un autre scélérat nommé Asclépius, qui était prêtre d'Esculape. Étant donc arrivés tous trois à Ancyre, ils se firent d'abord rendre compte de l'affaire qui les y amenait. Ils apprirent que Basile était en prison, où il ne cessait de louer et de glorifier Dieu. Le lendemain de leur arrivée, Pégase s'y rendit seul, dans le dessein de conférer avec lui. Dès qu'il l'aperçut, il lui cria : «Je suis très humble serviteur de Basile». Le saint répondit : «Et Basile n'est pas le tien, méchant prévaricateur, infâme déserteur de la milice de Jésus Christ. Te souvient-il, traître, de tes premières années, de ces heureux temps où tu puisais dans les sources toujours pures, toujours claires de la parole divine ? Et maintenant tu ne te remplis que d'eaux bourbeuses. Alors tu participais aux mystères sacrés de la table de Jésus Christ, aujourd'hui tu manges à celles des démons. Dans ces jours heureux, tu étais le docteur et le maître de la vérité, et tu es devenu le chef des persécuteurs de la vérité. Tu célébrais avec des saints des fêtes toutes saintes, et tu n'en connais plus que de profanes que tu solennises avec les ministres de Satan. Misérable ! comment t'es-tu laissé enlever de si grandes richesses ? Comment as-tu renoncé à de si beaux droits ! Que feras-tu, que répondras-tu lon; que tu paraîtras devant le tribunal de Dieu ?» Il se mit ensuite à prier ton haut : «Seigneur, disait-il, soyez glorifié; vous qui aimez à vous découvrir à vos serviteurs, à ceux qui désirent sincèrement vous connaître; vous qui répandez une partie de votre gloire sur ceux qui espèrent en vous, et couvrez de confusion ceux qui méprisent vos saintes lois; vous enfin qui êtes glorifié dans le ciel et adoré sur la terre, ne permettez pas, ô Dieu tout bon, que votre serviteur tombe dans les pièges du démon; accordez-lui toujours la grâce de haïr ceux qui haïssent la sainteté de votre loi, de résister à leurs attaques, de mépriser leurs menaces, de triompher de leurs forces.»
Pégase, outré au dernier point d'un discours qui le ménageait si peu, sortit de la prison, jurant par tous ses dieux qu'il s'en vengerait. Il redit la chose à ses deux compagnons, et il n'eut pas de peine à les faire entrer dans son ressentiment. Ils allèrent tous trois trouver le proconsul, et lui portèrent leur plainte contre Basile. Le proconsul, voulant satisfaire Pégase qui faisait le plus de bruit, commanda qu'on lui amenât le saint. Lorsqu'il fut arrivé, il se signa, et dit au proconsul sans s'émouvoir : «Vous pouvez maintenant faire ce qu'il vous plaira.» Elpidius, l'entendant parler de la sorte, dit au proconsul : «Cet homme-là est un franc scélérat, ou un fou achevé. Je suis d'avis qu'on lui donne la question extraordinaire; s'il se rend, à la bonne heure, sinon on renverra l'affaire à l'empereur.» Le proconsul le fit étendre par les pieds et par les mains; en sorte que les nerfs, les muscles et les tendons s'allongeaient à mesure que les roues de la machine tiraient les cordes avec lesquelles il était attaché. Mais lui, cria au proconsul : «Je te défie avec toute ton impiété,et tes trois compagnons avec toute leur puissance. Ni toi ni eux ne pourrez rien contre moi, parce que Jésus Christ est pour moi.» Alors le proconsul dit : «Qu'on apporte les fers les plus pesants qu'on pourra trouver, qu'on les lui mette au cou et aux mains, afin que je l'envoie à l'empereur. Qu'on l'enferme cependant jusqu'à ce que je le fasse partir.»
Sur ces entrefaites, Julien vint à Ancyre. Les prêtres d'Hécate allèrent au-devant de lui, portant leur déesse sur un brancard: il leur fit de grandes largesses. Le lendemain, comme il assistait aux spectacles, Elpidius lui parla de Basile; l'empereur le voulut voir au sortir de l'amphithéâtre. Le saint parut devant lui avec un air tout plein de majesté.
— «Qui es-tu ? lui dit Julien, ton nom ?»
— «Je vais te l'apprendre, répondit Basile : premièrement je m'appelle chrétien : ce nom est grand, et il est glorieux de le porter. Car celui de Jésus Christ est un nom éternel, qui ne périra jamais, que la suite des siècles ne pourra jamais effacer, un nom qui surpasse toute la grandeur, toute la gloire, toute l'intelligence humaine. Outre ce nom de chrétien, je porte encore celui de Basile; et c'est sous celui-là que je suis connu dans le monde. Mais si je conserve sans tache le premier, je recevrai de Jésus Christ l'immortalité bienheureuse pour récompense.»
— «Tu te trompes, Basile, répliqua Julien; tu sais que j'ai quelque connaissance de vos mystères; je te dis que celui en qui tu mets ton espérance n'est pas tel que tu penses; il est mort, crois-moi, et bien mort. Pilate était alors gouverneur de la Judée.»
— «Je ne me trompe pas, Sire, repartit Basile; c'est toi qui t'abuses, toi qui as renoncé Jésus Christ, dans le moment même quĠil te donnait l'empire; mais je t'avertis qu'il te l'ôtera sous peu avec la vie; et tu connaîtras alors, mais trop tard, quel est celui que tu as abandonné.»
— «Tu en auras menti, faux prophète, dit Julien; la chose nĠarrivera pas ainsi.»
— «Je dis vrai, reprit Basile : saches que comme tu as bien voulu perdre la mémoire des bienfaits que tu as reçus de lui, de même il oubliera sa bonté quand il voudra te punir. Tu n'as eu aucun respect pour ses autels, tu les as renversés — il te renversera du trône; tu as pris plaisir à violer sa loi, cette loi que tu as tant de fois annoncée au peuple; tu l'as foulée aux pieds, ton corps restera sans sépulture, il sera foulé aux pieds, après que ton âme en sera sortie par l'effort des plus violentes douleurs.»
— «Je voulais te sauver, reprit Julien; mais puisque, sans aucun respect pour mon rang, non seulement tu rejettes les conseils que je te donne, mais aussi tu ne crains pas de me parler avec la dernière insolence, je dois venger la majesté de l'empire si horriblement outragée en ma personne. Je veux donc que chaque jour on lève sur ton corps sept aiguillettes de chair.»
Il commit à cette exécution le comte Frumentin, chef des écuyers du palais. Après que le saint eut enduré avec une patience admirable ces cruelles incisions : «Je voudrais, dit-il, parler à l'empereur.» Frumentin, ravi de joie, et s'imaginant que Basile était enfin résolu de sacrifier aux dieux, courut chez l'empereur : «Seigneur, lui dit-il tout hors d'haleine, Basile se rend : il demande à avoir l'honneur de parler à Votre Majesté.» Julien sortit aussitôt de son palais et se rendit au temple d'Esculape, où il fit venir le saint.
Dès qu'il fut devant l'empereur : «Où sont, lui dit-il, tes sacrificateurs et tes devins ? T'ont-ils dit ce qui m'a fait te demander audience ?»
— «J'ai cru, répondit Julien, que c'était pour M'assurer que tu étais prêt à reconnaître les dieux, et à te joindre à moi dans les sacrifices que je leur offre.»
— «Je n'y songe même pas, reprit Basile. Ceux que tu appelles des dieux ne sont rien moins que des idoles sourdes et aveugles.» En disant cela, il prit un des morceaux de chair qu'on lui avait coupés ce jour-là, et le jetant au visage de Julien : «Tiens, Julien, lui dit-il, manges-en, puisque tu l'aimes ! Je te déclare, au reste, que la mort est pour moi un gain, que c'est pour Jésus Christ que je souffre, qu'il est mon refuge, mon appui, ma vie.» Quand le récit de cette entrevue se répandit parmi les chrétiens, on n'hésita pas à qualifier de saint le héros d'une telle confession.
Le comte Frumentin, craignant l'indignation de l'empereur, que cette action de Basile rendait furieux, se déroba promptement. Cependant il songeait de quelle mort il punirait un si sanglant outrage fait à son maître, qui s'en prenait à lui, et semblait l'en vouloir rendre responsable. Il monta sur son tribunal et ordonna qu'on redoublât les tourments du saint, qu'on lui fit de plus profondes incisions, jusqu'à ce qu'on vît les entrailles. Pendant qu'on obéissait à Frumentin, Basile priait. «Seigneur, disait-il, sois béni, toi l'espérance des chrétiens, qui relèves ceux qui tombent, et qui soutiens ceux qui chancellent, qui préserves de toute corruption ceux qui espèrent en toi, et qui guéris les blessures que nous nous sommes faites par impudence ou par malice. Dieu tout bon, Dieu tout miséricordieux, qui souffres avec nous, qui souffres en nous, abaisse tes yeux du haut de ta gloire sur ton serviteur. Accorde-moi la grâce, ô mon Dieu, d'achever heureusement ma course, de persévérer dans la foi de mes pères et de mériter par cette fidèle persévérance d'être reçu dans ton royaume.» Le soir étant venu, le comte renvoya le saint en prison. Julien partit le lendemain d'Antioche sans vouloir voir le comte. Cet officier, craignant donc pour sa fortune et pour sa propre personne, fit les derniers efforts pour obliger Basile à se soumettre à faire la volonté de l'empereur. «Lequel aimes-tu mieux enfin, lui dit-il, ou de sacrifier ou de mourir ?» — «Tu sais, répondit Basile, combien tu fis lever hier de morceaux de chair de dessus mon corps ; il n'y avait pas un des assistants qui ne donnât des larmes à mes souffrances. Regarde aujourd'hui mes épaules, vois mes côtés, et dis-moi s'il y paraît. Sache que Jésus Christ m'a guéri cette nuit; tu peux le mander à ton Julien; oui, tu peux lui faire savoir quel est le pouvoir du Dieu qu'il a quitté pour se donner au démon qui le séduit et le trompe. L'ingrat qu'il est, il ne se souvient plus que les prêtres de ce Dieu lui sauvèrent autrefois la vie en le cachant sous l'autel, cet autel qu'il a depuis renversé. Mais mon Dieu me fait connaître qu'il sera dans peu renversé à son tour, et sa tyrannie éteinte dans son sang.»
— «Tu déraisonnes, imbécile, reprit Frumentin; l'invincible Julien, le maître du monde, n'est pas un tyran. Coquin, n'as-tu pas éprouvé toi-même sa douceur, sa clémence, son humanité et son incroyable patience ? Lui, au contraire, n'a-t-il pas essuyé de ta part un affront sensible, et qu'on ne peut assez punir ? Ne m'as-tu pas aussi voulu engager dans ton crime ? ne me trouvé-je pas à cause de toi dans la disgrâce du prince ? Tu peux donc t'attendre à recevoir le châtiment que tu mérites. Je vais, pour te guérir de ta folie, te faire enfoncer par tout le corps des pointes de fer rougies au feu.»
Basile lui répondit froidement : «Ton empereur ne m'a pas fait peur, crois-tu me faire trembler ?» Frumentin donna ses ordres pour qu'on piquât le corps de Basile avec des lames brûlantes, et pendant ce temps le saint, étendu à terre, priait à haute voix, et disait : «Jésus ma lumière, Jésus mon espérance, je te rends grâces, Dieu de mes pères, de ce que tu retires enfin mon âme du séjour de mort. Ne permets pas que je profane ton nom sacré que je porte, afin que, vainqueur et achevant ma course en toi, j'entre en possession du repos éternel promis à mes pères par le pontife suprême Jésus Christ notre Seigneur. Reçois en son nom l'esprit de celui qui meurt en te confessant, parce que tu es patient, miséricordieux, toi qui vis et règnes dans les siècles des siècles. Amen.» Comme il finissait de parler, Basile parut s'assoupir et son corps transpercé rendit l'esprit.
Basile est mort sous Julien, apostat, le 280 jour du mois de juin. Que son martyre nous fortifie dans la foi de Jésus Christ notre Seigneur, par qui la gloire et l'empire soient rendus au Père dans tous les siècles : Amen.