LA CONFESSION DE SAINT ACACE


(vers l’an de Jésus Christ 250)

fêté le 6 mars


Toutes les fois que nous racontons les actions glorieuses des serviteurs de Dieu, nous rendons des actions de grâces à Celui qui soutient le patient dans les souffrances, et couronne le vainqueur dans la gloire.
Martianus, personnage consulaire, très ennemi de la loi chrétienne, avait reçu de l'empereur Décius le titre de préfet. Il se fit amener Acace, qu'on lui avait dit être le refuge et comme le bouclier de tout le pays d'Antioche. Quand on l'eut introduit, le préfet dit : «Tu dois aimer nos princes, puisque tu vis sous les lois romaines.» Acace répondit : «Est-il quelqu'un plus attaché à l'empereur que les chrétiens, ou qui l'aime davantage ? Toujours et sans relâche nous prions pour lui; afin qu'il lui soit donné de jouir ici-bas d'une longue vie, qu'il gouverne ses peuples avec justice, et surtout que son règne s'écoule dans la paix; ensuite nous prions pour le salut de l'armée et pour le maintien de l'empire et du monde.» Martianus dit : «Je loue ces pratiques; mais pour que l’empereur connaisse plus parfaitement ton dévouement il sa personne viens avec nous lui offrir un sacrifice.» Acace répondit : «J'ai mon Dieu, le seul grand et le seul vrai; c'est Lui que je prie pour le salut du prince. Mais des sacrifices, ni l'empereur n’en peut exiger, ni nous ne pouvons lui en offrir. Qui donc en effet offrirait un sacrifice à un homme ?» Martianus dit : «Réponds : quel est le Dieu à qui tu adresses tes prières, afin que nous aussi nous lui offrions des sacrifices ?» Acace répondit : «Je demande à mon Dieu de te faire connaître ce qu'il te serait souverainement utile de savoir, de t'apprendre quel est le Dieu véritable.» Martianus dit : «Dis-moi quel est son nom ?» Acace répondit : «Le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob.» Martianus dit : «Sont-ce là des dieux ?» Acace répondit : «Non, ce ne sont pas des dieux; mais celui qui leur a parlé est le vrai Dieu, celui que nous devons craindre.» Martianus dit : «Quel est-il donc ?» Acace répondit : «Soit nom est Adonaï, le Très-Haut, qui est assis sur les chérubins et sur les séraphins.» Martianus dit : «Qu'est-ce qu'un séraphin ?» Acace répondit : «C'est un ministre du Très-Haut, qui se tient devant son trône.»
Martianus dit : «Par quels vains systèmes de philosophie t'es-tu laissé séduire ? Laisse là des choses qui ne se voient pas, et reconnais plutôt comme vrais dieux ceux que tes yeux peuvent voir.» Acace répondit : «Quels sont ces dieux à qui tu veux que je sacrifie ?» Martianus dit : «Apollon, notre dieu tutélaire; il éloigne de nous la famine et la peste, il conserve et régit le monde entier.» Acace répondit : «Lui ? mais vous dites qu'il est mort ? Lui, ce malheureux insensé, qui dans son amour aveugle poursuivait une jeune fille, et ne savait pas qu'il allait perdre sa proie , avant d'avoir pu l’atteindre ! Il est donc évident qu'il n'était pas devin, puisqu'il n'avait pas prévu ce triste, dénouement, et aussi qu'il n'était pas dieu, puisqu'il a pu être trompé par une enfant. Mais ce ne furent pas là se seuls chagrins; la fortune lui préparait des épreuves plus cruelles. Vous savez comment il était dominé par ses passions intimes, et comment la beauté du jeune Hyacinthe lui avait égaré l'esprit; il fut à la fois assez ignorant de l'avenir et assez malheureux pour tuer d'un coup de disque celui qu'il aimait si passionnément. Et puis il a servi autrefois avec Neptune, il a gardé les troupeaux d'un et c'est là celui à qui tu m'ordonnes de sacrifier ? Faudra-t-il ajouter encore des sacrifices en l’honneur d'un Esculape frappe de la foudre, d'une Vénus adultère et d'autres monstres pareils ? Quoi ! pour conserver cette vie, j'adorerais ceux que j'aurais honte d'imiter, que je méprise, que j'accuse, que j'ai en horreur, et dont enfin personne ne pourrait reproduire les actions, sans attirer sur soi toute la sévérité de vos lois ! Mais vous-mêmes, vous adorez donc dans vos dieux ce que vous punissez dans les hommes ?» Martianus dit : «C'est la coutume des chrétiens d'inventer beaucoup de calomnies contre nos dieux. C'est pourquoi je t'ordonne de venir avec moi au temple de Jupiter et de Junon afin que célébrant ensemble un joyeux banquet, nous rendions à ces dieux les honneurs qui leur sont dus.» Acace répondit : «Comment offrirais-je un sacrifice à un homme dont on sait que le tombeau est en Crète ? Est-il donc ressuscite d'entre les morts ?» Martianus dit : «Ou sacrifie, ou meurs.» Acace répondit : «Ainsi font les Dalmates, ces habiles artisans du brigandage. Dans leur fureur de nuire, ils assiègent les chemins écartés, les défilés de leurs montagnes. Là, ils épient le passage des voyageurs, et sitôt qu'ils voient quelqu'un engagé dans leurs pièges, ils lui posent sans pitié cette condition : Ou la bourse ou la vie. Il ne s'agit pas alors de répondre à des raisons; c'est la question du plus fort qui est posée. Or, il en est de même de ta sentence contre moi; tu ne me laisses pas de choix entre commettre un crime et mourir. Mais je n'ai pas peur, je ne crains rien. Les lois punissent la fornication, l'adultère, le vol, les vices infâmes, les maléfices et l'homicide. Si je suis coupable de quelqu'un de ces crimes, sans attendre ton jugement, je me condamne moi-même; si, au contraire, c'est parce que j'adore le vrai Dieu qu'on me conduit au supplice, alors ce n'est plus la loi qui me condamne, mais la volonté arbitraire du juge. Le prophète continue de crier : «il n'est personne qui fasse le bien; ils se sont détournés de la voie, ils sont tous devenus inutiles.» Et toi tu n'auras pas d'excuse, car il est écrit aussi : «Le jugement que l'homme aura porté, sera la règle sur laquelle, il sera jugé lui-même.» Et ailleurs : «Comme tu juges les autres, tu seras jugé; ce que tu fais, on te le fera.» Martianus dit : «Je n'ai point reçu l'ordre de te juger, mais de te contraindre; c'est pourquoi, si tu méprises mes conseils, sois sûr que tu n'échapperas pas à la peine.» Acace répondit : «Et moi aussi j'ai ma loi qui me défend de renier mon Dieu. Si tu peux servir un homme mortel, formé d'un peu de boue, et qui va bientôt quitter ce monde pour devenir la pâture des vers, combien plus suis-je obligé d'obéir au Dieu tout-puissant, qui règne sur les siècles, et qui a dit : «Celui qui M'aura renié devant les hommes, Je le renierai devant mon Père qui est dans les cieux, lorsque Je viendrai dans ma Gloire et ma Puissance juger les vivants et les morts ?»
Martianus dit : «Ce que je désirais savoir de vos croyances et de votre loi, tes aveux viennent de me l'apprendre. Ainsi donc, Dieu, selon toi, a un fils ?» Acace répondit : «Oui, c'est ma foi.» Martianus dit : «Quel est ce fils de Dieu ?» Acace répondit : «Le Verbe de grâce et de vérité.» Martianus dit : «Est-ce là son Nom ?» Acace répondit : «Tu ne m'avais pas demandé quel était son nom, mais quelle était sa puissance.» Martianus dit : «Eh bien ! dis-moi son Nom ?» Acace répondit : «Il se nomme Jésus Christ.» Martianus dit : «De quelle femme a-t-il été conçu?» Acace répondit: «Dieu n'a pas engendré son Fils à la manière des hommes. Quand Il a créé le premier homme, Il n'a pas eu besoin de s'assujettir aux lois d'une génération grossière. Il forma de ses Mains avec un peu de boue les membres de son corps, et, après l'avoir achevé, Il lui donna l'âme et la vie. De même, et avec combien plus de raison, faut-il croire que le Fils de Dieu, le Verbe de vérité, procède du Cœur de Dieu; c'est pour cela qu'il est écrit : «Mon cœur a produit le Verbe qui est la Bonté.» Martianus dit : «Dieu a donc un corps.» Acace répondit : «Lui seul Se connaît; pour nous, nous ne connaissons pas sa Forme invisible; mais nous adorons sa Vertu et sa Puissance.» Martianus dit : «S'il n'a pas de corps, il n'a pas de cœur capable de connaître et de sentir; car, où il n'y a pas de membres, il ne peut y avoir de sentiment.» Acace répondit : «La sagesse ne naît pas dans nos membres; c'est Dieu qui la donne. Quel rapport y a-t-il donc entre le corps et l'intelligence.» Martianus dit : «Vois les Cataphryges; ces hommes dont la religion était ancienne ont renoncé à leur culte pour embrasser le nôtre, et sacrifier avec nous à nos dieux. Hâte-toi d'obéir comme eux. Rassemble tous les chrétiens de la loi catholique, et avec eux imite la religion de notre empereur.» Acace répondit : «Mais tous les chrétiens, ce n'est pas à mon commandement, c'est à la loi de Dieu qu'ils obéissent. Ils m'écouteraient, si je leur conseillais la justice; si au contraire, je cherchais à les entraîner dans une voie pernicieuse et coupable, ils me mépriseraient.»
Martianus dit : «Donne-moi tous leurs noms. «Acace répondit : «Leurs noms sont écrits au ciel sur les pages divines du livre de vie. Comment donc des yeux mortels pourraient-ils lire ce qu'a écrit la Puissance du Dieu immortel et invisible ?» Martianus dit : «Où sont les magiciens que tu as initiés aux secrets de ton art et les docteurs de vos criminelles impostures.» Acace répondit : «Nos péchés, sans doute, ont mérité et méritent encore tous les châtiments de Dieu; mais nous avons en horreur toute secte qui cultive la magie.» Martianus dit : «Vous êtes magiciens , parce que vous introduisez je ne sais quel nouveau genre de religion.» Acace répondit : «Nous détruisons ces dieux, que vos mains d'abord façonnent et qui ensuite nous font trembler, quand vous les avez faits; car vous n'auriez pas de dieux, s'il n'y avait pas de pierre pour l'ouvrier, ni d'ouvrier pour la pierre. Quant à nous, nous craignons non le Dieu que nous avons fait, mais Celui qui Lui-même nous a faits , Celui qui, Seigneur tout-puissant, nous a créés, qui nous a aimés comme un père, et qui, comme un bon pasteur, nous a arrachés à la mort éternelle.» Martianus dit : «Donne les noms que je te demande, si tu veux échapper aux supplices.» Acace répondit : «Je suis devant ton tribunal et tu veux que je te livre des noms! Mais si moi seul je confonds ta puissance, espères-tu triompher en face de nombreux athlètes ? Cependant, puisque tu as à cœur de connaître des noms, on m'appelle Acace; mon nom propre , si c'est celui-là que tu demandes, est Agathange; quant à mes deux compagnons, celui-ci est Pison, évêque des Troyens, et celui-là est un prêtre nommé Ménandre. Maintenant fais ce qu'il te plaira.» Martianus dit : «Tu vas être reconduit en prison, afin que l'empereur sache ce qui s'est passé et qu'il lui plaise d'ordonner ce qu'il faut faire de toi.» L’empereur en effet prit lecture de toute la relation du procès; il admira la vivacité des réponses de l'accusé et ne put s'empêcher d'en rire. Il donna aussitôt à Martianius la préfecture de Pamphylie; pour Acace, il commença depuis à l'estimer et le rendit à la libre profession de sa foi.
Ceci se passa devant le tribunal de Martianus, personnage consulaire, le quatrième jour des calendes d'avril, sous l'empire de Décius.