LES ACTES DE SAINT TIMOTHÉE, LECTEUR, ET DE SAINTE MAURE, SON ÉPOUSE

(L'an de Jésus-Christ 286)

fêtés le 3 mai


À l'époque des persécutions, on faisait la recherche des chrétiens. Un jour, on amena au président Arianus un homme appelé Timothée; il faisait la fonction de lecteur dans le, bourg des Pérapéens. Le président lui dit : «Qui es-tu ? quelle est ta condition ?» Timothée répondit : «Je suis chrétien, et j'ai reçu l'ordre de lecteur.» Le président : «Tu es donc le seul qui n'ait point entendu parler des édits de lÕempereur, qui ordonnent de faire un mauvais parti à quiconque ne sacrifiera pas aux dieux ?» Timothée : «L'esprit de Jésus Christ demeure en moi; c'est pour cela que je ne sacrifie point.» Le président : «N'aperçois-tu point ces instruments de supplice amassés autour de toi ?» Timothée : «Et toi, ne vois-tu pas les anges de Dieu qui m'assistent et me fortifient ?» Le président : «Donne-moi tes livres, afin que j'en connaisse la vertu.» Timothée : «Insensé, toi qui te délectes à inventer tout ce qu'il y a de plus mauvais, quel homme a jamais livré ses fils à la mort ? Tu ne comprends donc pas que mes livres, ce sont mes enfants, et que, tandis que j'en fais usage, les anges de Dieu m'environnent ?» Le président : «Ce sont des prétextes pour ne point sacrifier et ne point me montrer tes livres. Fais attention à toi, et prends garde que ton audace ne te soit funeste.» Timothée : «Je ne sacrifie point, parce que je suis chrétien.»
Le président indigné ordonna d'apporter des stylets brûlants, et de les lui enfoncer dans les oreilles. Aussitôt l'ardeur du feu et de ce fer incandescent firent sortir les yeux du martyr de leurs orbites. Les soldats du président lui dirent : «Voilà que tu as perdu les yeux pour n'avoir pas voulu sacrifier.» Timothée leur répondit : «Mes yeux corporels, il est vrai, accoutumés à voir bien des choses vaines, souffrent ce tourment; mais les yeux bienfaisants de mon Seigneur Jésus Christ illuminent mon âme.» Le président, entendant cela, en fut courroucé, et donna l'ordre de l'attacher à la roue par les talons, lui disant : «Sacrifie, et tu seras délivré du supplice.» Timothée répondit au contraire : «Je ne sacrifie point, car j'ai le Seigneur qui me protège.» Le président dit alors : «Détachez-le de la roue, et après lui avoir lié les mains, mettez-lui un masque sur le visage, puis suspendez-le à la colonne la tête en bas, et attachez-lui une pierre au cou.» Les satellites hésitaient, et voulaient voir si le président ne reviendrait point sur sa sentence; car ce supplice était horrible. Mais le bienheureux Timothée, regardant vers le ciel, dit : «Il y a dans les cieux un Dieu qui me délivrera de ces angoisses.» Les soldats s'approchèrent du président et lui rapportèrent les paroles du martyr, ajoutant que, à ce qu'il leur semblait, il le ramènerait bien mieux par des procédés humains que par de tels tourments. «C'est un nouveau marié, disaient-ils; il y a vingt jours à peine qu'il a célébré ses noces, et il a une femme assez jeune.»
Le président Arianus, entendant cela, se fit amener cette femme; et quand elle fut en sa présence, il lui dit : «Quel est ton non ?» Elle lui répondit : «Maure.» Le président lui dit : «J'ai compassion de ton malheur; car il nÕest pas agréable à une jeune femme de devenir veuve. Je veux donc que tu mettes tes plus beaux habits, et que tu te pares de tout ce que tu as de plus séduisant, pour ensuite te rendre auprès de ton mari Timothée, et lui persuader, si tu le peux, de changer de sentiments et de sacrifier; autrement, tu seras bientôt veuve malgré ta jeunesse.» Elle fit comme lui avait dit le président : après s'être parée de ses plus beaux atours, elle alla trouver son mari, et s'efforça de lui persuader de sacrifier aux dieux. Mais Timothée ne pouvait lui répondre, empêché qu'il était par le masque qu'on lui avait mis. Maure pria alors le, président de lui faire ôter ce masque : ce qu'on fit incontinent. Maure étant donc revenue vers Timothée, dès que celui-ci sentit les parfums qui s'exhalaient des vêtements de sa femme, il s'écria : «Où est mon père, le prêtre Poccilius ?» Celui-ci étant venu : «Que veux -tu, heureux enfant ?» lui dit-il. Timothée lui répondit : «Je te prie, mon père, de me rendre un service, apporte-moi un vêtement et couvre-m'en le visage, afin que j'échappe à la peste de ces parfums enivrants : car ces exhalaisons odoriférantes sont mortelles, elles entraînent les hommes à la mort et allument les feux de l'enfer; cette femme est la mère de la convoitise, la compagne du diable, l'ennemie des saints, l'abomination des justes.»
Après qu'il eut ainsi parlé, Maure lui dit : «Mon frère Timothée, pourquoi me charges-tu ainsi d'injures, sans que je t'aie offensé ? Il y a à peine vingt jours que nous sommes mariés, et tu n'as pas encore eu le temps de me connaître; moi, de mon côté, je ne connais même pas encore toutes les dépendances de ta maison; bien moins ai-je été en relations avec qui que ce soit, ni à table ni même en paroles. Et maintenant je suis pénétrée d'affliction en te voyant dans les tourments, je compatis cordialement à tes souffrances que tu n'as point méritées; et j'avoue qu'une des causes de ma douleur, c'est que tu vas me jeter dans le veuvage, moi si jeune ! Peut-être t'es-tu laissé aller à des prodigalités qui t'ont obéré; et ton créancier t'aura fait prendre et amener ici pour payer ces dettes, avant que tu en vinsses jusquÕau suicide. Eh bien ! voyons, du courage; lève-toi, mon frère; allons à la maison, et vendons nos meubles pour payer tes dettes. Si au contraire tu as été saisi par les licteurs à cause des impôts, et que, n'ayant pas de quoi les payer, tu te sois ainsi livre toi-même à de telles angoisses, tu vois sur moi toutes mes parures de noces; prends-les, va les vendre et paie le tribut à lÕempereur.»
Après qu'elle eut ainsi parle, Timothée lui dit : «Ma sÏur Maure, quand je t'ai vue venir de la maison, j'ai aperçu à ta droite un démon qui tenait à la main une petite vrille, avec laquelle il cherchait à tourner ton cÏur vers le monde.» Maure lui répondit : «Mon frère Timothée, si je te cherche après cela, où te trouverai-je ? Tu ne saurais croire combien je te porte de compassion. Lorsque viendra le samedi ou le dimanche, qui est-ce qui dorénavant fera la lecture de tes livres ?» Timothée lui repartit : «Maure, répudie les choses vaines et passagères de ce monde, et viens avec moi, pour soutenir vaillamment ce combat si beau, afin qu'ainsi nous méritions de recevoir la couronne de Dieu, notre Sauveur : car, si nous allons à lui spontanément, Il ne nous imputera point nos péchés.» Maure lui répondit : «Je désirais vivement être avec toi; mais je pensais que mon cÏur était plein de ruse et d'iniquité. Or, depuis que tu m'as parlé, l'Esprit de Dieu est entré en moi, et à cause de toi, mon frère, j'ai acquis la justice. Sache donc que je mets au-dessus de tout les choses que tu aimes.» Timothée lui dit : «Si tes sentiments sont d'accord avec tes paroles,va-t'en reprendre le président de ce qu'il fait.» Elle répondit : «J'ai peur, mon frère Timothée, qu'en voyant le président en colère, et en considérant ensuite la grandeur des tourments, je ne vienne à manquer de courage; car, tu le sais, je suis d'un âge tendre, n'ayant que dix-sept ans.» Timothée repartit : «Espère en notre Seigneur Jésus Christ, et les tourments, les supplices du président, seront pour ton corps comme une huile qu'on y répandrait, et pour les ossements comme une douce rosée, qui te récréera et t'affranchira de toute douleur. Et vous, ô Dieu de toute grâce, qui avez secouru les trois enfants dans la fournaise ardente, qui avez délivré Daniel de la gueule des lions, qui avez envoyé des aliments à un prophète par un prophète, pour récompenser leur justice, et pour donner des preuves de, votre bonté qui a su faire d'un captif un martyr et un prophète; maintenant donc Seigneur, Seigneur, jetez les yeux sur Maure, votre servante, et vous qui nous avez unis par le mariage, ne nous séparez pas, dans ce combat, du chÏur sacré, de vos martyrs; mais faites-nous la grâce, je vous en supplie, d'endurer courageusement pour vous les tourments et la mort même, pour la confusion de notre adversaire, qui rugit de n'avoir pu nous enlever cette union que nous avons en Jésus Christ notre Seigneur, avec qui soit à vous, Père tout-puissant, et au saint Esprit, gloire et honneur dans les siècles. Amen.»
La prière de Timothée étant terminée, Maure se leva, et, conduite par le saint Esprit, alla trouver le président, se tint devant lui et lui dit : «Ô chef d'iniquité, tu as ordonné de me donner de l'or et de l'argent, pour entraîner mon âme à sa perte; car tu n'as rien plus à cÏur que de tuer les âmes en les corrompant par l'argent. Mais ta ruse fallacieuse n'obtiendra rien de moi, parce que je me présente ici devant toi revêtue de l'armure de mon Sauveur Jésus Christ.» Le président Arianus dit alors aux siens : «Ne vous avais-je pas dit que Timothée est magicien ? Vous voyez qu'il a tellement fasciné sa femme, qu'elle partage maintenant sa folie.» Puis, se tournant vers elle, il lui dit : «Et toi donc aussi, Maure, tu préfères la mort à la vie ? Considère bien que par les tourments et les supplices tu seras privée de la vie présente si douce et si agréable. Serait-ce que, prévoyant la mort de ton mari, et songeant que dans ton veuvage tu nÕaurais aucun agrément, tu aimes mieux mourir avec lui ? Mais ne tourmente pas ton cÏur, tu ne seras pas veuve; je te marierai à l'un de mes centurions qui a déjà douze campagnes; tu jouiras avec lui des délices de la vie, et cette seconde alliance sera beaucoup plus noble que la première.» Maure lui répondit : «J'ai renoncé à toutes les choses du siècle; ainsi je ne veux m'unir à aucun de tes centurions : mais tiens pour certain ce que je te dis, que j'ai contracté, alliance avec l'époux céleste, Jésus Christ, Fils de Dieu; et c'est parce que j'ai mis en Lui ma confiance que je me suis présentée à toi avec cette hardiesse, sans redouter aucunement ton injuste tribunal.» Le président irrité ordonna de lui arracher les cheveux. Après cela il lui dit : «Voilà qu'on t'a enlevé ta chevelure : je te conseille maintenant de le soustraire aux tourments qui t'attendent nombreux et cruels.» Maure lui répondit : «Je sais maintenant, ô président, due le Christ a bien voulu me recevoir, sans m'imputer le péché, que j'ai commis par ignorance et à ta persuasion; car tu m'as fait couper ces cheveux que ta fourberie m'avait fait orner avec tant dÕart pour séduire mon mari; mais Dieu m'a pardonné ce grand crime; et désormais nul des assistants ne sera scandalisé en voyant ce qui se passe.»
Le président, irrité d'une telle réponse, donna l'ordre de lui couper les doigts et de les jeter à terre. Maure dit alors : «Et pour cela encore, je t'avoue que je te dois des remerciements; car tu m'as fait couper ces doigts dont je m'étais servie dans un but coupable, en y ajustant ces ornements de déception. Sache donc bien que tu ignores ce que tu fais en mon endroit; car c'était là mon second péché et par ce supplice tu as fait qu'il mÕa été pardonné. C'est pour cela que je me tiens joyeusement devant toi, disposée à endurer tous les autres tourments que tu pourras inventer.» Arianus, voyant l'invincible constance de Maure à souffrir les tortures, en était tout hors de lui. Le prêtre Poccilius, témoin de la fermeté de la martyre, car il n'était pas éloigné de là, lui dit : «Ô Maure, ma fille, toi jeune femme pleine de courage et de vertu, que penses-tu maintenant, en voyant tes doigts coupés et gisant à terre ?» Maure lui répondit : «Tu as vu souvent les jardiniers, dans un jardin bien arrosé, couper les plantes près de leur racine; moi de même, je voyais trancher mes doigts, et je ne le sentais pas.»
Le président Arianus commanda alors à douze soldats de faire chauffer une grande chaudière et d'y jeter Maure. Or, la chaudière bouillonnait à un tel degré de chaleur, qu'on croyait entendre les coups du tonnerre. Après qu'on y eut jeté la martyre, ou la vit s'y tenir debout au milieu, sans en être incommodée; puis elle parla ainsi au président : «J'ai à te rendre de nouvelles actions de grâces; car tu as donné l'ordre de me laver et de me purifier des péchés dont je me suis souillée autrefois, et de ceux que je venais de commettre plus récemment. Maintenant donc je m'approcherai de Dieu avec un cÏur pur, pour recevoir la couronne de vie; car tout ce que tu me fais souffrir profite à mon salut dans le Christ. Mais tu t'es trop hâté de me faire jeter dans une chaudière qui n'était pas encore chauffée, et dont l'eau est très fraîche, je n'en sens pas la chaleur, pas plus que je n'ai senti tes autres tourments.» Le président, outré de dépit à ce discours, soupçonna que les soldats, de connivence avec Maure, avaient remplacé l'eau bouillante par de l'eau froide, afin que cette jeune femme sortant de là saine et sauve, ils la prissent avec eux pour assouvir sur elle leurs honteuses passions. Dans cette pensée, il descend de son siège et court vers la chaudière pour sÕassure quÕelle en était vraiment froide, et il dit a la sainte: «Si, à cause de ton insensibilité, tu ris de cette eau, voyons, prends-en un peu et mets-en dans ma main, afin qui, je m'assure qu'elle est froide, ainsi que tu le dis. «Maure lui répondit : «Elle est tellement froide que je n'y éprouve pas le moindre degré de chaleur. Du reste, si tu manques de bois pour chauffer ta chaudière, envoie chez mon père; il en fait le commerce; il t'en donnera un chariot tout plein.» Ce qu'elle disait pour se moquer du président et de ses inventions cruelles. Le président lui dit : «Tu as donc froid au point de ne pas sentir l'eau bouillante ? je te j'ai déjà dit, donne-moi de cette eau dans ma main.» La sainte eu répandit sur les mains dÕArianus, qui en furent soudain toutes brûlées, tant était ardente la chaleur de la chaudière. Le président saisi d'admiration pour l'héroïque patience de Maure, dit à haute voix son éloge, et s'écria : «Béni soit le Seigneur Dieu de Maure ! il n'y a point d'autre Dieu que celui en qui elle se glorifie.» Et disant cela, il la fit mettre en liberté.
Mais, au même moment, le diable s'empara de nouveau du cÏur d'Arianus, et y réveilla toutes les mauvaises passions. LÕimpie magistrat fit donc rappeler la martyre, et lui dit : «Maure, cesse enfin de mettre ton espérance dans le Christ, et sacrifie aux dieux à l'instant même.» Maure répondit : «Je ne sacrifie point, et j'ai le Seigneur qui me protège.» Le président : «Si tu ne consens à sacrifier, je te ferai remplir la bouche de charbons ardents.» Maure : «Tu es si déraisonnable, que tu ne sais ce que tu fais; tu ne vois pas que si tu ordonnes de remplir ma bouche de charbons ardents, par ce supplice, je serai entièrement purifiée des péchés que j'ai commis par la langue et par les lèvres. Et c'est ainsi que mon Christ, lorsqu'Il révéla sa gloire an prophète Isaïe, et lui fit entendre le concert des esprits célestes, comme celui-ci se disait encore souillé de pêchés, il envoya vers lui un des séraphins qui le servent, lequel, tenant à la main un charbon embrasé qu'il avait pris avec des pincettes sur le saint autel, approcha ce charbon des lèvres du prophète, et lui dit : «Voici que le feu a touché tes lèvres; et maintenant toutes tes iniquités sont pardonnées, et tu es purifié de ton péché.» Si donc, au moyen d'un charbon, le prophète a eu le bonheur de recevoir la rémission de ses péchés et de ses fautes, je te prie non seulement de remplir ma bouche de charbons enflammés, mais encore d'en faire couvrir mon visage et tout mon corps pour qu'il s'en exhale une suave odeur agréable au Christ; en sorte que Dieu descende en moi, comme, Il descendit autrefois dans le prophète, et qu'il me délivre de tous mes péchés.»
Ces paroles de la sainte consternèrent le président; mais se livrant aussitôt à sa colère, il ordonna d'apporter une lampe remplie de soufre et de poix pour la répandre sur son corps. Cependant, la foule qui assistait à ce spectacle, sÕécria tout dÕune voix : «Quand donc cesseras-tu, ô président, d'inventer des supplices nouveaux, et cela pour tourmenter cette jeune femme ? Mets enfin un terme à ta cruauté; car nous ne pouvons quÕadmirer tant de patience.» Maure, si, tournant vers la foule, dit aux assistants : «Que chacun de vous s'occupe de ce qui le regarde, que les hommes vaquent à leurs affaires, et les femmes à leurs travaux avec sagesse et honneur. Pour moi, je n'ai nul besoin de votre protection; car j'ai pour protecteur le Seigneur Dieu en qui j'espère.» Comme elle parlait ainsi, le président donna l'ordre d'approcher la lampe pour lui brûler les membres. Maure, voyant la lampe, dit au président : «Tu crois donc m'effrayer avec cette misérable lampe ? On dirait vraiment que tu n'as nul souvenir des tourments par lesquels tu m'as éprouvée jusqu'à présent. Quel supplice pourrais-tu inventer qui soit plus atroce que cette chaudière d'eau bouillante, dans laquelle j'ai été plongée tout entière, et au fond de laquelle je n'ai trouvé qu'une eau rafraîchissante ? Tu en as été toi-même témoin, lorsque tes mains ont été brûlées par quelques gouttes que j'y ai jetées. D'ailleurs, cette lampe ne peut toucher à la fois qu'une partie de mon corps. Si donc tu as quelque pouvoir, ordonne de chauffer une fournaise, et fais-y-moi jeter, afin d'avoir une nouvelle preuve de ma constance : je suis la servante du Christ; et Il ne m'abandonnera pas, ce Dieu de bonté qui m'a appelée par mon bienheureux mari à soutenir ce rude combat. Quant à cette lampe dont tu crois me tourmenter, elle est pour moi comme la rosée du matin, qui, descendant du ciel sur la terre, fait germer les arbres et produire les fruits.»
Le président, vaincu par les réponses de Maure qui s'accordaient si bien avec ses Ïuvres, et ne sachant plus quels tourments il pourrait encore lui infliger, se livra à une vive agitation. À la fin, il se décida à la faire crucifier avec son mari, en face l'un de l'autre. Comme ils se rendaient au lieu du supplice, Maure rencontra sa mère qui, se saisissant d'elle, lui dit avec de grands cris : «Maure, ma fille, est-ce ainsi que tu abandonnes ta mère ? Et qui désormais fera usage de tes parures, de ton argent, de ton or, et de tous tes autres biens ? qui en jouira, après que ma fille aura cessé de vivre ?»
Maure lui répondit : «L'or périt, ô ma mère, et les teignes dévorent les vêtements; la beauté du corps se flétrit par l'âge et par le temps; mais la couronne que promet Jésus Christ est impérissable, et l'éternité tout entière la verra toujours aussi belle.» Et comme sa mère ne pouvait rien lui répliquer, ni faire aucune opposition, Maure s'échappa de ses mains, et lui dit en s'avançant résolument vers la croix : «Pourquoi veux-tu m'empêcher de jouir promptement de mon Seigneur, par l'imitation de sa mort ?» On crucifia donc les deux époux vis-à-vis l'un de l'autre. Ils demeurèrent neuf jours et autant de nuits sur la croix, et ils s'exhortaient mutuellement dans leur martyre.
Sainte Maure disait au bienheureux Timothée : «Ne nous laissons pas aller au sommeil, de peur que le Seigneur ne vienne, et nous trouvant endormis, Il ne S'irrite contre nous. La lampe allumée dans la maison du père de famille qui veille empêche le voleur d'y pénétrer; mais si elle est éteinte, celui qui veut dérober y trouve un accès facile. Soyons donc vigilants et continuons la prière, afin que notre Seigneur nous trouve à toute heure constamment occupés à l'attendre, et de peur que l'ennemi ne nous tende secrètement des pièges jusque sur la croix.» Elle lui dit encore : «Réveille-toi, mon frère, chasse la somnolence, et sois vigilant. Car jÕai vu, comme dans une extase, un homme se tenir devant moi, portant à la main un vase plein de lait et de miel, et il me disait : «Prends cela, et bois.» Et je lui dis : «Qui es-tu ?» Il me répondit : «Je suis l'ange de Dieu.» Je lui repartis : «Lève-toi et prions.» Il me dit alors : «Je suis venu ici par compassion pour toi, parce que, comme tu as jeûné jusqu'à la neuvième heure, tu dis que tu as faim.» Et moi je lui répondis : «Quel est celui qui le porte à me parler ainsi ? ou d'où vient que tu es si animé contre ma patience et mon abstinence ? Ne sais-tu pas que Dieu accorde même l'impossible à ceux qui le prient ?» Et comme je me mettais en prière, je le vis détourner son visage, et je reconnus aussitôt que c'était un stratagème qui voulait nous perdre jusque sur la croix. Et sur-le-champ il disparut. Et voilà que j'en vis venir un autre, qui me conduisit sur les bords d'un fleuve qui roulait des flots de lait et et de miel, et il me dit : «Bois.» Je lui répondis : «Je l'ai déjà dit, je ne boirai ni eau ni quoi que ce soit, jusqu'à ce que je prenne le breuvage du Christ, que la mort me procure pour mon salut et pour gagner l'immortalité de la vie éternelle.» Et il se mit à boire; et comme Il buvait, le fleuve changea d'aspect; et aussitôt cet ennemi se retira aussi. Il en survint un troisième vêtu d'un habit convenable, et dont le visage resplendissait comme le soleil. Il me prit par la main, me conduisit dans le ciel et me montra un trône préparé sur lequel on avait déposé une robe blanche et une couronne. Étonnée de ce que je voyais, je lui dis : «Pour qui sont ces choses, seigneur ?» Il me répondit : «C'est le prix de victoire; c'est pour toi que ce trône a été préparé, et la couronne aussi.» Il me conduisit ensuite en un lieu un peu plus plus élevé et il me montra un autre trône sur lequel j'aperçus une robe blanche et une couronne comme sur le premier. Et comme je mÕinformais pour savoir à qui elles étaient destinées, il me dit : «Elles sont pour ton mari Timothée.» Je le priai alors de me dire pourquoi les trônes étaient si distants l'un de l'autre; il me répondit : «Entre toi et ton mari il y a une grande différence. Ne sais-tu pas que c'est par lui et par ses exhortations que tu recevras la couronne ? Va donc et retourne à ton corps jusqu'à la sixième heure; car demain les anges viendront pour recevoir vos âmes et les conduire au ciel. Cependant, soyez vigilants, de peur que l'ennemi ne vienne encore vous attaquer.»
Le dixième jour avait commencé à luire depuis que les martyrs étaient sur la croix, lorsque, à la sixième heure, un ange vint pour recevoir leurs âmes. Maure cria alors au peuple : «Frères, souvenez-vous que nous avons vécu eu ce Monde, et que nous avons aussi accompli ce que Dieu demandait de nous; et maintenant allons recevoir la couronne immortelle des mains de notre Seigneur Jésus Christ. Vous donc aussi vivez dans le monde comme il convient; faites ce que Dieu attend de vous, et vous recevrez pareillement une couronne de ce même Seigneur Dieu; car tous ceux qui reçoivent sa couronne, ont obtenu le pardon de leurs péchés.» Dès qu'elle eut cessé de parler, ils rendirent tous deux l'esprit en paix. Et ainsi fut consomme leur martyre par un bon et parfait combat, en Jésus Christ notre Seigneur, à qui soit gloire et puissance avec le Père et le saint Esprit, dans les siècles des siècles ! Amen.