LES ACTES DE SAINT PRISQUE ET DE SES COMPAGNONS

(L'an de Jésus Christ 274)

fêtés le 26 mai

Sous le règne de l'empereur Aurélien, alors que le culte des idoles allait s'affaiblissant, tandis que les dogmes de la religion chrétienne se répandaient et s'affermissaient de plus en plus, la fureur des persécuteurs en devint si acharnée, que les empereurs, ne se fiant plus aux satellites de leurs crimes, se mirent à parcourir eux-mêmes chaque province, dont ils sondaient les réduits les plus cachés. En ce même temps, en effet, l'empereur Aurélien, homme très cruel, quitta la ville de Rome pour se rendre dans le pays des Gaules. En arrivant dans la ville de Sens, il donna l'ordre aux compagnons de sa férocité de se disséminer par toute la Gaule pour rechercher les chrétiens. Les satellites, ayant donc pris congé du cruel empereur, se mirent à parcourir les villes et les bourgades, et à explorer même les plus épaisses forêts; et afin que chacun d'eux pût jouir du fruit de ses crimes, ils se partagèrent les bourgs qu'ils soumettaient à leurs perquisitions. Or, il arriva que la cité d'Auxerre échut en partage au très impie Alexandre, protecteur ou garde du corps. On appelait ainsi celui dont l'office était de garder la personne de l'empereur, dans la crainte qu'il ne fût subitement attaqué ou blessé en quelque manière que ce fût. Un grand nombre de chrétiens de différents endroits, suivant le précepte du Seigneur, par lequel Il dit : «Lorsqu’on vous persécutera en une ville, fuyez dans une autre» abandonnant leurs propres demeures, s'étaient réfugiés sur le territoire d'Auxerre, parce que, à cette époque, il était en grande partie couvert d'épaisses forêts. Ce qui n'échappa pas à la vigilance d'Alexandre. Il se mit donc à la recherche des chrétiens, se montrant partout avec un visage terrible et comme écumant de rage, semblable à un sanglier furieux qui fuit la poursuite des chasseurs, et il se disposait à sévir contre les saints martyrs de Dieu.
Lorsqu’il fut arrivé au lieu nommé Cociacus, il y trouva un chrétien nommé Prisque, qui chantait des psaumes avec une multitude de personnes de la même religion. Prisque était de la plus haute noblesse : il était venu en ce lieu du territoire de Besançon, et y avait le commandement de plusieurs cohortes. Alexandre, se jetant avec une féroce impétuosité sur l'assemblée des chrétiens, leur dit : «Pour quelle sédition êtes-vous venus vous attrouper en ce lieu ? Quelle est votre religion ? À quoi bon différer de le déclarer ?» La sainte assemblée répondit : «Ce n'est point la sédition qui nous a amenés en ce lieu, mais la très vénérable religion : car dans nos réunions, nous offrons au Christ les libations de nos prières, Lui qui par son Sang nous a réunis, de dispersés que nous étions.» Alexandre leur dit : «Et d'où vous vient une telle et si insolente audace, que, même en présence des envoyés impériaux, vous confessez que vous êtes chrétiens ?» Ces saints hommes lui répondirent : «Celui-là nous fortifie par la miséricorde de sa Grâce, qui donne les secours de la vie à vos empereurs et à vos rois.» Alexandre : «Donc vous appartenez à notre culte; car les empereurs et les rois, et nous-mêmes leurs sujets, ne sommes vivifiés par nul autre que par Jupiter, le créateur et le souverain des cieux.» Les chrétiens : «Tu te trompes, malheureux, qui prétends qu'un homme ivrogne et luxurieux puisse donner la vie. N'est-ce pas ce Jupiter, l'incestueux de sa propre sœur, qui pour assouvir sa lubricité, revêtait diverses formes d'animaux ?» Alexandre, outré de colère, s'écria : «Comment, vous gens exécrables, séduits par les mensonges de je ne sais quel crucifié, vous blasphémez le grand Jupiter, le conservateur du monde entier ?» La sainte assemblée répondit : «Tu prétends qu'il est le conservateur de l'univers, celui qui, par un motif des plus honteux, pénètre à travers le toit d'autrui sous la forme d'une pluie ?» Alexandre leur dit : «J'en jure par le salut de l'empereur, vous êtes tous des sacrilèges, et vous méritez, en sortant d'ici, d'être livrés aux plus cruels tourments.» Ces saints hommes répondirent : « Qui, de nous ou de toi, profère le sacrilège d'une bouche exécrable ? Est-ce nous, qui confessons le vrai Dieu, Créateur des choses visibles et invisibles; ou toi, qui affirmes que le détestable Jupiter est dieu ?» Alexandre leur dit : «Assez longtemps vous avez abusé de ma patience : maintenant donc, reconnaissez en offrant des libations que Jupiter est le dieu tout-puissant; sinon, les ordres de l'empereur vont à l'instant vous faire périr.» Ils répondirent tous unanimement : «Fais ce qui t'est commandé; quant à nous, nous n'abandonnons point le Créateur pour servir la créature; car c'est un crime.»
L'impie Alexandre, entendant cette réponse, dit à Prisque : «Es-tu du même avis ?» Prisque lui répondit : «Dis à tes satellites de sortir un instant d'ici; et, après que j'aurai délibéré avec ces frères, je m'empresserai de te donner réponse.» Ce qu'il disait, non point parce qu'il craignait les tourments, mais afin de consoler les frères, de les fortifier, et de les animer à une plus ferme constance dans les tribulations. Alexandre donc, trompé par un vain espoir, ordonna aux satellites impériaux de se retirer, dans la persuasion que Prisque, qui, était le chef et le maître de cette sainte multitude, chercherait une heureuse issue à cette affaire, et finirait par consentir à sacrifier. Tous étant donc sortis, Prisque dit aux frères : «Voici, mes frères, voici notre Seigneur Jésus Christ portant l'étendard de sa croix et Se tenant au milieu de nous; Il nous dit : «Qui Me sert Me suive.» Après qu'il eut ainsi parlé, tous s'écrièrent d'une voix unanime : «O père, nous embrassons ton salutaire conseil, et nous désirons ardemment que la Volonté de Dieu s'accomplisse en nous.» Alexandre entra brusquement et avec grand bruit, et fit entourer la multitude des saints par une troupe de soldats qui, par leur visage, leur langage et leurs épées menaçantes, offraient un aspect effrayant. Alexandre ayant demandé à Prisque ce qu'il avait résolu, et ce qu'il était décidé à faire pour sauver sa vie, le martyr répondit : «Pourquoi t'arrêter plus longtemps par des paroles ? De même que nous adorons un seul Dieu, ainsi nous nous sentons tous pressés de mourir pour Lui.» Alexandre alors ordonna de punir Prisque par le glaive; et après avoir porté la même sentence contre tous les autres, il ordonna de jeter le corps de Prisque dans un puits.
L'un des frères qui survécut, nommé Cottus, enleva furtivement la tête du martyr et gagna les lieux écartés de la forêt. Les persécuteurs s'en étant aperçus, fouillèrent tous les réduits des alentours, et, à près de trente stades de là, ils découvrirent le fugitif avec la tête de Prisque, sur le bord de la route de Vésocisius, non loin de la ville d'Auxerre, et là ils le décapitèrent. C’est en ce lieu que les chrétiens ensevelirent avec allégresse le bienheureux Cottus et la tête de Prisque. Pour les saints martyrs qui furent mis à mort le même jour avec lui, les chrétiens s'emparèrent secrètement de leurs corps et les inhumèrent dans une citerne située à peu de distance du puits dans lequel on avait jeté son corps.