fêté le 16 mai
Aux temps de Valérien et de Gallien, la rage des barbares exerçait de toutes parts ses affreux ravages, en même temps que les décrets des princes portés contre les chrétiens les contraignaient à offrir sans différer des sacrifices aux dieux. Ces lois si rigoureuses ayant donc été publiées, il se trouva très peu de gens qui s'avouassent chrétiens. Mais lorsque cette pernicieuse folie des empereurs eut fait irruption dans les Gaules, les chrétiens les plus fidèles en donnèrent avis au pape
Sixte, évêque de la ville de Rome, le priant en même temps de leur envoyer un homme capable qui, par ses prédications, fût en état de rallumer la lampe de la foi presque éteinte, et qui, aidé du secours d'en haut, pût amortir l'infidélité des barbares. Cédant à leurs prières, le pape Sixte, homme d'une haute sainteté, ordonna évêque un grand et célèbre serviteur de Dieu nommé Pérégrin, qui était citoyen romain; puis il conféra la prêtrise à Marsus, le diaconat au lévite Corcodémus, et le sous-diaconat à Jovien. Il leur adjoignit le lecteur Jovinien, homme très éloquent et qui était merveilleusement versé dans la science des saintes Écritures; plus tard, ce dernier fut mis à mort dans la persécution, et consomma son martyre à Autricum, lieu qui, à cette époque, n'était pas encore ceint de remparts. Le bienheureux Sixte, pape de la ville de Rome, adorateur du Dieu très-haut, les conduisit jusqu'au port de mer, leur recommandant dune manière toute spéciale de prêcher hardiment jusqu'à la mort la Parole de Dieu, afin de ramener dans la voie du salut et de soutenir, par l'antidote de ce divin breuvage, ceux que l'auteur d'un germe maudit avait voulu perdre par l'amertume de sa vénéneuse ivraie.
Ils adressèrent ensuite tous ensemble une pieuse prière à Dieu; et la mer, comme secondant leurs vux et favorisant leur entreprise, les porta en peu de temps au port désiré. Après qu'ils furent débarqués sur la terre ferme, ils dirigèrent leurs pas vers la ville de Lyon; mais il ne leur fut pas possible de s'y arrêter et d'y prendre leur retraite; car ils craignaient de ne plus trouver ensuite les moyens de se rendre au lieu qui leur était destiné, parce que tous ces lieux étaient livrés aux dévastations interminables des barbares, ou à la persécution continuelle que l'on faisait aux chrétiens. Les fidèles les ayant donc priés de se retirer de cette ville, ils s'acheminèrent intrépides, d'après un avertissement céleste, vers la cité d'Autricum. Ce lieu était habité par un grand nombre de personnes notables qui observaient le vain culte des dieux.
Mais les athlètes de Dieu, qui désiraient être lavés dans leur propre sang pour le Nom du Christ, ne cessèrent de prêcher ce nom sacré. Interrogés par ces païens, ils répondirent qu'ils étaient chrétiens, et qui'ils étaient venus en ce lieu pour prêcher la Parole divine. 0n vit alors les premiers personnages de la ville, touchés des excellentes prédications des bienheureux prêtres et des miracles que la Puissance divine opérait par leur moyen, rechercher avec empressement la grâce du christianisme. Le saint évêque Pérégrin, qui leur apportait ainsi la parole divine, fit construire une église de peu d'étendue, qu'il consacra au Nom du Christ. La vigueur de son éloquence attira au baptême une grande multitude de peuple. Et c'est ainsi que la ville fut délivrée de tout culte des dieux.
Sur le territoire de la même cité, au lieu appelé Intéramnum, un certain Éolercus avait autrefois consacré des temples à Jupiter, à Apollon et a beaucoup d'autres infâmes divinités. Mais entre tous ces lieux dits sacrés, les païens honoraient d'un culte tout particulier le temple qu'Éolercus avait dédié sous le propre nom de Jupiter, parce que la magnificence de sa construction le rendait plus célèbre. Un jour que le peuple s'y était assemblé en foule pour en solenniser la fête, notre saint pontife, qui en avait été informé, se sentant animé d'un zèle tout divin, laissa à Autricum tous ses ministres, pour continuer et affermir l'uvre qu'il avait lui-même commencée; puis il prit en très grande hâte la route d'Intéramnum, et se précipitant avec une vive ardeur au milieu des groupes des païens, il se mit à prêcher, d'une voix forte et élevée, le Seigneur Jésus Christ. Tandis qu'il prêchait ainsi, le peuple saisi de fureur alla le dénoncer au tribunal. «Comme nous étions tous, dirent-ils, occupés indistinctement, hommes et femmes, à rendre aux dieux le culte qu'ils exigent, selon la prescription des princes, tout à coup survient un homme à la tête rasée et déjà avancé en âge, lequel cherche à répandre dans le peuple une très grave erreur et à établir un nouveau dogme. Si Votre Sérénité le trouve bon, nous allons vous le présenter de suite, de crainte que si l'on différait, une partie du peuple venant à se laisser endoctriner, il n'en résulte des dissensions dans la foule.» Le bienheureux Pérégrin ayant donc été amené devant le juge, celui-ci, plein d'une colère qu'il dissimulait par des soupirs, lui dit : «Puisque, à ce que j'apprends, tu es possédé d'une si grande audace, que tes discours ampoulés et téméraires répandent le blasphème dans les âmes de ceux qui honorent nos grands dieux, nous voulons savoir de toi de quel lieu tu es citoyen, et quelle est l'origine de ta famille; dis-nous cela en présence du peuple.» Pérégrin répondit : «Je n'ai point d'autre patrie que le Christ, ni d'autre nom que celui de chrétien. Je confesse encore que je suis, bien qu'indigne, évêque et serviteur du Christ; et c'est pour annoncer son Nom aux gentils que je suis venu en ce pays.» Le président lui dit : «Sache bien que, conformément à notre religion, il faut que tu rendes aux dieux l'honneur qui leur est dû; sinon, je te ferai subir de cruels tourments.» Comme le saint évêque refusait de sacrifier, et que même il confondait par les divines Écritures les dieux et leurs adorateurs, le proconsul donna l'ordre de le tenir enchaîné dans une prison très obscure et de l'y tourmenter en mille manières. Or, cette prison était située en un lieu nommé Baugiacum. Le saint, au milieu de si cruelles souffrances, ne cessait de prêcher aux soldats le Seigneur Jésus Christ. Une multitude de peuple se rendait à ses instructions, parce qu'on voyait briller en lui l'éloquence et la vertu. Après qu'il eut passé un grand nombre de jours dans les tourments d'une infecte prison, sans qu'une sentence capitale eût été prononcée contre cet homme d'une si haute sainteté, on résolut de le laisser dans ce cachot ténébreux en attendant l'arrivée du César (Aurélien).
L'empereur étant donc survenu quelques jours après, il demanda publiquement devant tout le peuple au proconsul d'où lui venaient ce chagrin et ces préoccupations qui se remarquaient jusque sur les traits de son visage. Le proconsul lui répondit : «Conformément à tes injonctions, tout est dans l'ordre, par la protection des dieux. Mais il y a ici un homme qu'on appelle Pérégrin, qui cherche à donner aux peuples de nouvelles lois; il exècre les cérémonies de nos grands dieux, il s'en déclare même publiquement l'ennemi, ajoutant toujours qu'il est chrétien. Je l'ai fait saisir et renfermer dans une très obscure prison, pour le soumettre au jugement de ta Clémence.» Sur l'ordre de lempereur, un officier alla tirer l'homme de Dieu de sa prison, et le présenta à César qui lui dit : «On m'apprend sur ton compte bien des choses détestables : on dit même que tu t'efforces d'anéantir nos ordonnances et de détruire le vénérable culte que nous rendons aux dieux. Dis-nous si tout cela est vrai ou faux.» L'évêque Pérégrin répondit : «Si la dureté de ton cur pouvait admettre les vérités que j'annonce, elles ne te paraîtraient ni vaines ni superflues; mais celui qui atteste que le Christ est le Fils de Dieu et la Vertu de Dieu, et le Seigneur de toutes les créatures, celui-là est condamné comme un grand coupable, contre toute justice.» Après que l'homme de Dieu eut fait entendre ces paroles et d'autres semblables, le tyran lui dit : «L'air de dignité empreint sur ton visage empêche notre Clémence de sévir contre toi pour le seul fait de la doctrine que tu prêches. Mais si tu veux renoncer à ces vaines superstitions et sacrifier à nos dieux, tu jouiras auprès de nous de grands honneurs.» Le bienheureux Pérégrin répondit : «Tes honneurs sont une source de perdition, et tes présents conduisent au feu éternel. Pour moi, j'invoque Jésus Christ Fils de Dieu et le Rédempteur de tous, et je Le prêcherai, sans rien craindre, jusqu'à la mort. Quant à tes dieux, ce sont des statues muettes, faites avec des métaux d'or et d'argent; elles n'ont pas de voix, elles ne peuvent marcher; ces idoles sont des démons; elles ont le diable pour père; et vous-mêmes, si vous ne vous convertissez au Seigneur Jésus et si vous n'êtes lavés dans les eaux du baptême, vous serez condamnés avec elles au feu éternel et à des tourments sans fin. Quant à nous, nous endurons, il est vrai, les supplices temporels que vous nous faites subir; mais nous sommes assurés des récompenses promises par le Roi éternel.»
Tandis que le saint évêque Pérégrin disait ces choses, César était saisi d'une grande fureur, et il dit : «Cet homme-là non seulement refuse de sacrifier à nos dieux, mais en outre, par le venimeux sifflement de ses paroles, il nous a adressé beaucoup d'injures; il est donc de toute justice qu'il soit mis à mort comme rebelle et comme insolent.» À peine la sentence était-elle prononcée, que les soldats accablèrent le martyr de coups de poing et de pied; et après qu'on leut enlevé de la présence du tyran, on le livra aux bourreaux. Et c'est ainsi que le saint évêque Pérégrin fut confié aux mains des licteurs, pour subir les plus cruels tourments. Après que presque tous ses membres eurent été disloqués, les bourreaux voyant qu'ils ne pouvaient rien obtenir de lui, un misérable soldat saisit une épée et lui trancha la tête. 0n dit que peu après les chrétiens dérobèrent furtivement son corps, craignant la rage des païens persécuteurs et barbares, et lui donnèrent la sépulture. Le bienheureux évêque Pérégrin fut martyrisé le dix-sept des calendes de juin, par la Grâce de notre Seigneur Jésus Christ, à qui est gloire, empire et puissance dans les siècles des siècles. Amen.