LES ACTES DE SAINTE MARCIENNE, VIERGE

(L'an de Jésus Christ, 303)

fêtée le 25 mai


La bienheureuse Marcienne, vierge d'une grande beauté et issue d'une famille noble, naquit dans la ville Rusuccur, en Mauritanie, et se consacra dès son enfance au Dieu tout- puissant. Méprisant les richesses et les vanités du monde, elle se rendit à Césarée, capitale de la province, où, pour mieux garder la chasteté, elle vivait renfermée dans une étroite cellule, évitant les agréments et les dangers que présente le commerce du monde. Un jour cependant, elle sortit pour visiter la ville, et, inconnue de tous, se mêla à la foule nombreuse qui parcourait sans cesse les rues de la cité. Arrivée près de la porte Typasitane, elle vit au milieu de la place une statue de Diane faite d'un marbre précieux, sous les pieds de laquelle une fontaine jaillissait dans un magnifique bassin de pierre. La bienheureuse Marcienne ne put souffrir que cette idole restât plus longtemps debout. Elle la frappa violemment, fit tomber d'abord la tête, et renversa ensuite le tronc mutilé de la statue qui se brisa sur le pavé.
À cette vue, tous les citoyens irrités de l'injure faite à leur déesse, s'attroupèrent autour de la vierge, la saisirent, la frappèrent avec fureur, et couvrirent de plaies livides ses membres délicats. Mais réfléchissant ensuite qu'elle pouvait être assez âgée pour qu'on la fit périr juridiquement, ils la tramèrent avec violence, sans cesser de la frapper, jusqu'au tribunal du juge.
Alors les bourreaux la saisirent, et firent les apprêts de la torture. Mais elle, avant même que l'interrogatoire fût commencé, confessa hautement sa foi et flétrit énergiquement l'erreur de ces idolâtres. «Gardez-vous, leur dit-elle, de rendre hommage à ces dieux de bois, de marbre, d'argent et d'or, ou de toute antre espèce de métal. Vos dieux ont été faits de la main des hommes; et les hommes eux-mêmes qui les ont faits les adorent. Convertissez-vous au Dieu vivant qui est le Créateur de toutes choses; méprisez les vains simulacres des fausses divinités; car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu te serviras lui seul.
Le juge , irrité d'un si ferme langage, fit souffleter la vierge par les questionnaires, et commanda qu'elle fût enfermée dans le lieu où s'exerçaient les gladiateurs. «Qu'elle leur soit livrée, dit-il; et qu'elle serve de jouet à l'un d'entre eux ou même à plusieurs, afin que son corps et son âme soient punis en même temps par la perte de cette vertu, sur laquelle elle paraît fonder son orgueil et son obstination.» Or la bienheureuse Marcienne, tandis qu'on la conduisait dans cette ignoble prison, faisait paraître une grande joie; car elle ne craignait rien de la fureur des hommes, elle qui avait mis sa chasteté sous la garde de Dieu. Elle fut livrée pour la première nuit à un des gladiateurs nommé Flamméus; mais quand tout s'endormit aux environs, elle, sans se laisser aller au sommeil, priait ardemment le Seigneur de protéger son innocence. Flamméus vient an milieu des ténèbres : il cherche en vain le lit de Marcienne une haute et solide muraille de pierre vient de s'élever miraculeusement entre lui et la vierge; il tâtonne jusqu'au lendemain matin, sans pouvoir trouver aucune issue qui lui permette d'avancer. Le jour étant venu , il demanda pardon avec larmes à la vierge, et la pria instamment d'obtenir de Dieu pour lui la grâce d'être mis hors du rang des gladiateurs. La sainte lui répondit avec bonté : « Le Seigneur mon Dieu, qui a préservé de toute atteinte la pureté de sa servante, te donnera la liberté le jour même où je recevrai la couronne.»
Le jour suivant, il n'était question partout que du prodige par lequel Marcienne avait été préservée. Le bruit en parvint jusqu'aux oreilles du juge, qui, rempli de colère, ordonna que la nuit suivante un autre prendrait la place de Flamméris. Mais, cette fois encore, le même miracle se renouvela en faveur de la vierge de Jésus Christ. La troisième nuit, on la livra à un gladiateur connu entre tous par sa violence et sa cruauté, homme de race barbare, dont le noir visage et les membres vigoureux semblaient propres à inspirer de l'effroi. Mais lui aussi fut arrêté tout à coup par ce mur infranchissable que la puissance du Seigneur faisait naître autour de la vierge; il ne put donc en aucune manière exécuter son brutal dessein; en sorte que le juge lui-même, effrayé par l'évidence de l'intervention divine, s'abstint désormais de toute autre tentative de ce genre. La sainte, assurée du secours de Dieu, se prépara dès lors d'une manière plus prochaine à souffrir le martyre. Un jour qu'on avait amené un nouveau gladiateur, les autres l'exerçaient au combat avec des armes inoffensives dans l'arène qui était jointe à leur maison. Dans leur cruauté, ils prirent la sainte pour but de leurs coups, et ils montraient au nouveau venu où il fallait frapper pour faire une blessure mortelle; lorsque d'une maison voisine où demeurait un chef de synagogue, la fille de cet homme avec plusieurs autres juifs firent entendre des blasphèmes affreux contre Dieu, et des insultes grossières contre la vierge du Christ. Elle fut contrainte ultérieurement de rendre une sentence prophétique contre ceux qui l'insultaient si lâchement. «Celle maison, dit-elle, sera détruite par le feu du ciel il n'en demeurera pas pierre sur pierre; et jamais il ne sera possible de la relever.» Enfin le cinq des ides de janvier fut le jour de la consommation de son martyre, qu'elle désirait depuis si longtemps. Le matin, comme les gladiateurs descendaient tout armés dans l'arène pour le combat, Flamméus, selon la promesse de la vierge, fut rendu à la liberté par le suffrage du peuple réuni dans l'amphithéâtre. Mais aussitôt cette multitude, qui s'était rassemblée de tous côtés pour les jeux, demanda à grands cris que Marcienne fût exposée aux bêtes. Elle fut amenée et liée à un poteau. Puis on lâcha dans l'arène un lion furieux qui s'élança d'abord contre elle avec rage, se dressa sur les pattes de derrière, et lui posa celles de devant sur la poitrine; mais aussitôt se calmant, dès qu'il eut flairé le corps de la vierge, il se laissa retomber à l'instant, et s'éloigna sans lui faire aucun mal. Le peuple, saisi d'admiration, voulait que la fidèle servante du Christ fût mise en liberté; mais aussitôt Budarius avec sa famille et une foule d'autres juifs, poussant des cris séditieux, exigèrent du magistrat qu'il fût lancer contre Marcienne un taureau indompté. Cette bête féroce s'élance le front baissé contre la vierge et lui enfonce une de ses cornes dans le sein; le sang jaillit avec force, et la vierge, s'affaissant sur elle-même, tombe évanouie. On la relève néanmoins, et par une compassion perfide, on la traîne à l'intérieur des portes, on étanche le sang de sa blessure; mais ce n'est que pour la ramener et l'attacher une troisième fois au poteau fatal. Alors, animée d'une joie céleste, elle s'écrie : «Ô Christ, je te vois, je te suis, reçois l'âme de ta servante tu as été avec moi dans la prison tu as daigné préserver de toute atteinte ma pureté.» Le juge s'irrite de plus en plus il ordonne de lancer contre la sainte un léopard d'une taille effrayante, qui d'un bond s'élance sur elle, et d'une seule morsure la met en pièces. Ainsi l'âme de la glorieuse martyre sortit de son corps pour monter aussitôt au ciel.
Au même instant la maison de l'impie Budarius fut incendiée par la foudre. Lui-même y périt, avec tous ceux de sa race qui avaient blasphémé contre Dieu et contre la vierge du Christ. Souvent depuis on tenta de rebâtir cette maison, sans pouvoir jamais y réussir; car ceux qui voulaient y porter des pierres étaient à l'instant frappés de mort. Ainsi se vérifie encore aujourd'hui la sentence portée par la bienheureuse Marcienne contre ces impies. Quant à elle, elle a passé de l'arène du combat au trône de la gloire, de la terre au ciel, où elle vit à jamais dans la société des anges. Amen.