LES ACTES DE SAINT HESPÉRUS ET DE SAINTE ZOÉ

(Sous Adrien)

fêtés le 2 mai


Histoire du martyre de sainte Zoé, de son époux Hespérus, et de ses deux fils Cyriaque et Théodule, où l'on voit comment, après avoir vécu en pèlerins sur cette terre ainsi qu'Abraham, père de tous les croyants, ils sont devenus citoyens de la patrie céleste.
Originaires de Phrygie, ils furent vendus comme esclaves à un certain Catlus, lequel, après avoir habité Rome, s'était venu fixer en Pamphylie, où il demeurait dans la ville d'Attalie. Zoé et toute sa famille, issus de parents chrétiens, étaient pleins d'une foi vive, qui leur faisait mettre en Dieu toute leur espérance. Aussi marchaient-ils dans la voie droite, tandis que les païens qui les avaient achetés s'abandonnaient à d'impures superstitions, et sacrifiaient à des idoles qu'ils appelaient leurs divinités. Ces pratiques vaines et impies étaient odieuses à Zoé, à son époux et à ses deux fils. Aussi ne goûtaient-ils point des mets exquis qu'on leur donnait, crainte qu’ils n’eussent été offerts aux idoles dont il y avait plusieurs dans la propre maison de leurs maîtres.
Que faisait donc la sainte ? Après avoir reçu sa nourriture elle se rendait à l’entrée de la maison et disait au portier : «Je sais que tu es contraint de travailler toute la nuit, à cause du grand nombre de ceux qui viennent trouver notre maître pour adorer ici la Fortune, séduits qu'ils sont par une fausse religion; repose-toi donc maintenant qu'il fait jour, et, s'il en est besoin, je t'éveillerai.» Le portier, sur cette assurance , entrait dans le vestibule et s'y reposait. Mais l'abord était, défendu par des chiens enchaînés au dehors et toujours prêts à se jeter sur quiconque se présentait, à moins qu'ils ne le reconnussent pour quelqu'un des habitués de la maison venant recevoir des ordres. Quand donc la sainte voyant approcher des pauvres et des voyageurs, elle jetait aux chiens quelques morceaux, et, par ce moyen, les ayant fait taire, elle donnait aux pauvres le reste de sa nourriture, leur persuadant de se faire chrétiens, et leur faisant considérer leur venue en ce lieu comme l'occasion de leur salut. En outre, elle nourrissait les oiseaux domestiques quand elle recevait chaque mois sa portion, donnant aux uns du blé, aux autres des légumes, selon la nourriture habituelle de chaque espèce. Enfin, vers le coucher du soleil, elle prenait son repas avec sa famille, se souvenant de cette parole de Dieu : «Considérez les oiseaux du ciel; ils n’ensemencent point et ne font point d'amas dans des greniers, et le Père céleste les nourrit.»
Or, les fils de sainte Zoé lui dirent : «Nous ne pouvons demeurer avec ces païens. Ne nous l'apprends-tu pas toi-même quand tu nous enseignes les divines Écritures , où l'Apôtre nous dit : Ne contractez aucun lien avec les infidèles. Retirons-nous donc d'avec eux, par respect pour la sainte Écriture, par soumission aux ordres de Dieu : autrement nous serons compris dans leur nombre et nous partagerons leur sort.» À quoi la sainte répondit : «Mes enfants, quel prétexte trouverez-vous pour quitter nos maîtres ? car ils ont pouvoir sur nos corps, qui leur appartiennent légitimement ?» « Eh bien ! répondirent Cyriaque et Théodule, puisque le Christ S'est livré pour nous aux mains des Juifs impies, qu'Il a été crucifié et enseveli, et qu'Il est ressuscité le troisième jour, livrons de même nos corps à l'impie Catius; qu'il nous torture, qu'il nous mette à mort; nous savons que nos âmes vivront éternellement. Ainsi donc , ô mère, conduis-nous devant notre maître impie, et nous lui dirons ce que le Seigneur nous inspirera.»
Lors donc que Catlus vint pour prendre son repas, les enfants étaient prêts au combat comme de généreux athlètes, et se disaient l'un à l'autre : «Si Dieu nous fait la grâce de mourir pour son saint Nom , nous irons certainement jouir de sa Présence.» La mère cependant craignait qu'effrayés par les tourments ils ne fussent entraînés à sacrifier; car leurs maîtres ne savaient pas encore qu'ils étaient chrétiens. Elle ne voulait donc point les exposer. Mais ils lui répondirent : «Ô mère, pourquoi craindre cet impie ? As-tu oublié qu'il est écrit : Seigneur, j'ai proclamé votre loi en face des princes de la terre, et je n'ai point été confondu ?»
Cyriaque et Théodule sortirent pour aller au-devant de Catlus et lui dirent : «Sois le bienvenu, toi qui es le maître temporel de nos corps; le seul maître de nos âmes est le Seigneur Jésus Christ qui règne au ciel.» Catlus répondit : «Ces enfants ont perdu l'esprit; quel est cet étranger, ce Jésus qu'ils appellent Dieu et Seigneur ? Faites-moi venir ici leur père et leur mère, afin qu'ils m'expliquent ces propos insensés.»
Mais ce fut en vain qu'on chercha partout Hespérus. On amena donc Zoé toute seule, et Catlus lui dit : «Où est ton mari ?» — Elle répondit : «N'as-tu pas ordonné qu'il irait demeurer à Tritonium ?» « Plût au ciel, repartit Catlus, que vous fussiez vous aussi, vous ne me troubleriez point l'esprit par votre prétendu Dieu que je ne connais point et dont jamais personne n'a ouï parler. Pour moi, je suis occupé tout entier de la joie que me donne votre maîtresse Tertia. Sans doute, c'est à ma religion envers la Fortune que je dois les bienfaits de cette puissante divinité. Je ne veux donc pas m'occuper davantage de tout ce que vous m'avez dit. Quand un fils me sera né, et que j'aurai adoré la Fortune, notre grande déesse, alors je vous entendrai.» Il leur ordonna donc de s'en aller à Tritonium; et pendant qu'on les y menait, ils se réjouissaient en chantant avec allégresse : «Le Seigneur prend soin de moi, rien ne pourra me manquer; il m'a placé dans de fertiles pâturages.» Et cet autre cantique : «Seigneur, vous nous avez sauvés de l'enfer, et vous nous avez arrachés du pouvoir de la mort.» Ils regardaient en effet comme un enfer la maison de leurs maîtres; Catlus lui-même, comme la mort; les idoles, comme un feu qui brûle et tue les âmes.
Catlus eut donc un fils, dont on célébra la naissance par d'impies sacrifices à la Fortune de la cité. Tous se réjouissaient à l'occasion de cet enfant. Notre sainte, pendant ce temps-là fortifiant son cœur par la prière, demandait à Dieu de n'être point induite en tentation, ni elle, ni son époux, ni ses enfants. Après que Catlus eut fini son festin, il dit à son épouse Tertia : «Il faut que tous se réjouissent de la naissance de notre fils.» «Oui, répondit-elle, que tous se réjouissent.» En conséquence, ils envoyèrent à Zoé du vin dans une amphore et un plat des viandes du repas. Zoé voyant venir de loin le messager qui apportait ce fatal présent, pria avec larmes, disant : «Seigneur, qui voyez sans vous tromper les plus secrètes pensées des hommes , assistez-nous dans cet exil; nous n'avons point d'autre Dieu que vous, confirmez-nous dans la confession de la vraie foi.» Et courant à l'esclave, elle jeta les viandes aux chiens, et répandit par terre le vin qu'il apportait.
Celui-ci s'en retourna aussitôt pour annoncer à Catlus ce qui s'était passé. Un tel récit l'enflamma de colère, et il ordonna de ramener aussitôt la famille chrétienne dans sa maison. Or, pendant tout le trajet, la sainte exhortait son époux et ses fils, en leur disant : «Ne craignons point les tourments de l'impie Catlus; supportons-les plutôt patiemment, afin d'entrer avec Jésus Christ et ses saints dans la radieuse cité du ciel.
Quand ils furent arrivés devant Catlus, celui-ci leur dit : «Qui donc a pu vous donner l'audace d'agir de la sorte ? Je m'inquiète moins de mon injure personnelle que de votre offense envers la Fortune, notre grande divinité.» Zoé lui répondit : «Notre espérance est notre Seigneur Jésus Christ, Fils du Dieu vivant; ceux que vous appelez des dieux ne sont pour nous que des démons.» «Eh bien repartit le maître barbare, je vais faire torturer tes fils, afin de voir si ce Christ que tu appelles Dieu leur pourra venir en aide.»
On s'empare donc des enfants , on les suspend, on les déchire avec des ongles de fer, et, pendant tout ce temps, leur mère, présente auprès d'eux, ne cessait de les encourager. «Combattez vaillamment, leur disait-elle, et ne craignez pas les tourments de Catlus.» Ils répondirent : «Que sont ces tourments ? Dis à cet impie de nous faire souffrir encore davantage, afin que notre patience obtienne une plus belle couronne.» Zoé dit alors au tyran : «Pourquoi as-tu fait suspendre mes enfants, si ce n'est pour les torturer ? Ils ne sentent pas les coups des bourreaux.»
À ces paroles, Catlus ordonna d'allumer un grand feu et d'y jeter les serviteurs de Dieu en faisant bonne garde alentour. Ils furent donc précipités tous les quatre dans la fournaise, à savoir: la sainte, son époux et ses deux fils. Mais du milieu même des flammes ils chantaient les louanges de Dieu.
Leur maître barbare les ayant entendus, cherchait dans son esprit quelque moyen plus cruel de les faire périr. Mais l'Esprit saint leur fit entendre ces paroles dans la fournaise : «Prenez courage; car voici que Catius cherche à inventer de nouveaux tourments pour vous ôter la vie.» Ce qu'entendant, ils priaient et disaient : «Seigneur Jésus, recevez nos âmes, et incontinent ils s'endormirent en paix. C'était le second jour du mois de mai.
Le lendemain Catlus, venant avec les siens, trouva les corps des martyrs intacts, tournés vers l'Orient. Déjà leurs âmes étaient jointes aux chœurs des saints martyrs, des anges et des archanges. On entendit une voix du ciel qui disait : «Entrez, âmes justes, dans la gloire du ciel. Pour toi, Catlus, persécuteur impie, regarde comme ton partage une place dans l'enfer où les flammes ne s'éteignent point, pendant que les justes seront dans la joie du paradis, durant toute l'éternité, avec Jésus Christ notre Seigneur, à qui soit gloire et puissance dans tous les siècles des siècles. Amen.»