LE MARTYRE DE LA VIERGE SAINTE FLAVIA DOMITILLA ET DES SAINTS NÉRÉE ET ACHILLÉE

(Vers l'an de Jésus Christ 95)

fêtés le 12 mai


Voulant imiter la pieuse sollicitude de nos ancêtres dans la foi, j'ai recueilli tous les actes des martyrs de notre province et les ai traduits du grec. Puisse cet essai provoquer des travaux pareils dans les autres parties de l'empire; nos martyrs seraient mieux connus, et les peuples, en vénérant ceux qui ont souffert pour le Nom de notre Seigneur Jésus Christ, apprendraient par quels généreux combats s'achètent les triomphes de la victoire. Ce recueil est donc entrepris uniquement pour l'édification de ceux qui n'ont d'autre ambition que de plaire à Dieu. Nous le commençons par Flavia Domitilla, noble vierge, nièce de l'empereur Domitien.
Domitilla, qui était chrétienne, avait été, fiancée a Aurélien, fils d'un consul. À l'approche du jour de ses noces, elle préparait ses riches ornements pour la fête, ses diamants et ses robes tissues d'or et de pourpre. Or, elle avait attaché à sa personne deux serviteurs, Nérée et Achillée, que le bienheureux apôtre de Dieu Pierre avait gagnés à Jésus Christ. Ceux-ci, témoins de ces préparatifs, en prirent occasion pour enseigner à leur maîtresse l'excellence de la virginité, qui réjouit les cieux et que le Seigneur aime, parce qu'elle nous rend semblables aux anges. «Les vierges chrétiennes, ajoutaient-ils, ont un époux qu'aucun prince ne saurait égaler en beauté, en richesses et en puissance. C'est le Seigneur Jésus Christ, le Roi de gloire, le Fils du Tout-Puissant, qui leur offre et son amour et sa foi. Dès ici-bas, il les comble de ses divines caresses et les revêt du riche manteau de ses vertus, en attendant qu'un jour Il les couronne Lui-même de sa Gloire, au sein d'éternelles délices.»
Domitilla, en vierge très prudente, leur répondit : «Oh ! si cette science de Dieu était venue plus tôt jusqu'à moi, jamais je n'aurais admis de fiancé, et j'aurais pu prétendre à ce beau titre de sainteté que vous m'apprenez aujourd'hui à connaître. De même que dans le baptême j'ai renoncé au culte des idoles, mieux instruite, j'eusse méprisé aussi les voluptés sensuelles. Mais puisque Dieu, en ce moment, vous a ouvert la bouche pour obtenir mon amour, j'ai la confiance qu'Il vous inspirera aussi sa Sagesse, et que je pourrai par vous obtenir un bonheur que je désire désormais uniquement.»
Aussitôt Nérée et Achillée se rendirent auprès du saint évêque Clément, et lui dirent :«Vous avez mis toute votre gloire en notre Seigneur Jésus Christ, et pour Lui vous avez foulé aux pieds les honneurs de ce monde. Cependant nous savons que le consul Clément était le frère de votre père. Or, sa sÏur Plautille nous avait pris à son service; et quand le bienheureux apôtre Pierre lui fit connaître la parole de vie et la baptisa, nous deux avec elle, ainsi que sa fille Domitilla, nous reçûmes en même temps le saint baptême. La même année, le bienheureux apôtre Pierre alla recevoir des mains du Christ la couronne du martyre, et Plautille le suivit au ciel, laissant à la terre sa dépouille mortelle. Cependant Domitilla sa fille était fiancée à un illustre Romain, nommé Aurélien. Tout chétifs que nous sommes, nous lui avons, appris la parole sainte que nous avions nous-mêmes recueillie, des lèvres de l'apôtre : que la vierge qui, pour l'amour du Seigneur, garde la virginité, mérite d'avoir le Christ pour époux, et qu'elle vivra avec Lui dans cette heureuse union pendant l'éternité, comblée de bonheur et de gloire. Domitilla, dès qu'elle a connu cette promesse, a demandé à être consacrée vierge, et à recevoir de vos mains le voile saint de la virginité.» L'évêque Clément leur répondit : «Dans le jours où nous vivons, une telle demande m'assure que Dieu nous appelle à Lui, et que vous et moi et la noble vierge nous touchons à la palme du martyre; mais le Seigneur Jésus nous a ordonné de ne pas craindre ceux qui tuent le corps, de mépriser au contraire lÕhomme mortel, et de nous efforcer, quoi qu'il arrive, d'obéir au Prince de la vie éternelle.» Le saint évêque Clément vint donc trouver Domitilla, et la consacra vierge du Christ.
Il serait trop long de raconter en détail les fureurs d'Aurélien, et toutes les persécutions qu'il fit endurer à Domitilla. Enfin, il obtint de l'empereur Domitien que, si elle refusait de sacrifier, elle serait envoyée en exil dans l'île Pontia. Il se flattait d'ébranler la constance de la noble vierge, par les ennuis de l'exil. Or, pendant qu'elle était ainsi reléguée dans cette île, et, avec elle, ses deux serviteurs Nérée et Achillée il se trouva que deux malfaiteurs, disciples de Simon subissaient au même lieu la peine de leurs crimes; l'un se nommait Furius, et l'autre, Priscus. Ces hommes, par leurs opérations magiques, avaient séduit presque tous les habitants de l'île, leur faisant adorer Simon le Magicien pour le Fils de Dieu, et leur persuadant que Pierre s'était déclaré son ennemi sans motif. Nérée et Achillée sÕopposèrent à eux et furent protégés dans leur zèle par une foule assez nombreuse. À la fin ils dirent au peuple : «Vous connaissez Marcellus, le fils de Marcus, préfet de la ville.» Le peuple répondit : «Et qui ne le connaîtrait pas ?» Nérée et Achillée continuèrent : «Admettriez-vous son témoignage au sujet de Simon et de Pierre ?» Le peuple reprit : «Il serait bien insensé celui qui refuserait de croire à un tel personnage.» «Eh bien ! alors, dirent les deux serviteurs de Domitilla, consentez à la démarche que nous vous proposons; il y va du salut de vos âmes. Jusqu'à ce que Marcellus ait reçu nos lettres et nous ait répondu ce qu'il faut penser du bienheureux apôtre Pierre et de Simon le Magicien, suspendez votre jugement. Nous allons écrire la lettre, et nous voulons qu'elle vous soit communiquée; vous choisirez parmi vous quelqu'un pour la porter; et la réponse sera lue de même devant tout le peuple.» On applaudit à cette proposition; et le peuple fit partir un homme de son choix avec la lettre des saints Nérée et Achillée.
Cette lettre était ainsi conçue : «Nérée et Achillée, serviteurs de Jésus Christ, à Marcellus leur frère, qui fut avec eux disciple du même maître, salut éternel. Exilés dans l'île Pontia, pour le Nom de notre Seigneur Jésus Christ, nous sommes heureux de nos souffrances; mais notre bonheur est troublé par deux disciples de Simon, Furius et Priseus, exilés avec nous, à cause des crimes de leur magie. Ils disent que Simon était innocent,et que l'apôtre Pierre l'avait maudit sans raison. Nous, en répétant au peuple qu'il ne devait pas croire à ces mensonges, nous lui avons assuré qu'il trouverait en nous une personne honorable et digne de foi, capable de manifester ce quÕétait ce magicen et quelle a été sa vie. Nous vous conjurons de ne pas tarder à nous répondre, afin que nous puissions arracher des innocents à la séduction dont ils sont les victimes. Que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec vous.» (On croit qu'à cette lettre les saints en ajoutèrent une autre, dans laquelle ils priaient Marcellus de leur donner des détails sur la mort de Pétronille, la fille spirituelle du bienheureux apôtre Pierre; car Marcellus, à la suite de la réponse, donne sur la sainte une courte notice que Nérée et Achillée, dit-il, lui avaient demandée.)
Voici donc la réponse de Marcellus : «Marcellus, serviteur du Christ, aux saints confesseurs Nérée et Achillée. La lecture de vos lettres m'a rempli de joie; car j'y ai vu combien vous étiez fermes dans la foi, et avec quel zèle vous combattiez pour la vérité. Et puisqu'on vous objecte, me dites-vous, l'innocence de Simon, je veux vous raconter un trait de sa vie, par lequel seul vous pourrez juger de tout le reste; car moi-même j'ai dÕabord été son disciple, et ce n'est qu'après l'avoir reconnu pour un scélérat, un infanticide, un cruel artisan d'infâmes maléfices, que je l'ai abandonné, pour m'attacher au saint apôtre Pierre mon maître.» (Ici Marcellus décrit au long comment saint Pierre confondit l'orgueil de Simon, en ressuscitant un mort. Nous ne répétons point tous ces détails déjà donnés dans le martyre du bienheureux apôtre.) Puis Marcellus continue : «Le magicien ne put souffrir la honte d'une telle humiliation, et il ne repartit pas durant toute une année. Mais ensuite il trouva quelqu'un qui le fit rentrer dans les bonnes grâces de Néron; c'était le méchant qui se liait d'amitié avec un plus méchant que soi. Dans ce même temps, le Seigneur apparut en vision à l'apôtre Pierre et lui dit : «Simon et Néron, tous deux possédés par de nombreux démons, se sont réunis pour te perdre; mais ne crains pas, Je suis avec toi, et Je te donnerai pour consolation et pour appui l'apôtre Paul, mon serviteur, qui demain doit arriver à Rome. Vous combattrez ensemble contre lui pendant sept mois; et quand vous l'aurez chassé, vaincu et précipité dans l'enfer, tous deux vainqueurs, vous viendrez à Moi. Or tout arriva comme le Seigneur avait dit; car le lendemain Paul entra dans la ville. Maintenant, la rencontre des deux apôtres, leur vie à Rome durant sept mois et leurs luttes contre Simon, vous en avez été les témoins; car vous étiez alors Avec nous, et vous avez tout vu de vos yeux. J'ai donc cru inutile de vous répéter des faits que vous connaissez.
«Quant à Pétronille, la fille de mon maître le bienheureux
apôtre Pierre, je vous dirai avec exactitude et en peu de mots
quelle a été sa mort, puisque vous me le demandez. Vous savez déjà qu'elle était retenue dans un état de paralysie, par la
volonté expresse de Pierre; car je me rappelle que vous étiez avec nous, un jour que nous étions réunis un grand nombre
de disciples à la table de notre maître, et que Titus s'adressant au bienheureux apôtre lui dit : «Puisque tous les infirmes reçoivent de vous la santé, pourquoi laissez vous Pétronille paralytique ?» L'apôtre répondit : «C'est qu'il est mieux
pour elle qu'il en soit ainsi. Et pour que vous ne croyiez pas
que je veuille couvrir par mes paroles mon impuissance à là
guérir : «Pétronille, lève-toi, lui dit-il, et sers-nous.» Et aussitôt des liens de la maladie, elle se leva; mais quand elle
eu achevé de nous servir, Pierre lui ordonna de retourner à son lit. C'est là, au milieu des souffrances endurées avec une sainte frayeur des jugements de Dieu, qu'elle s'éleva à une haute perfection.
«Le Seigneur enfin lui rendit la santé, et même accorda à ses prières la vertu de guérir un grand nombre de malades. Mais comme elle était d'une grande beauté, un officier, nommé Flaccus, vint avec ses soldats dans le dessein de lÕenlever et d'elle faire son épouse. Pétronille lui dit : «Tu viens avec des soldats armés chez une jeune fille sans défense. Si ta veux que je devienne ton épouse, envoie-moi dans trois jours des matrones et de nobles vierges, afin qu'elles me conduisent à ta demeure.» Flaccus consentit à ce délai, et la vierge passa les trois jours dans les jeûnes et la prière, avec une autre pieuse jeune fille, Félicula, sa sÏur de lait, et parfaite, comme elle, dans la crainte de Dieu. Le troisième jour, le saint prêtre Nicomède vint chez elle et célébra les mystères du Christ; mais à peine la sainte eut-elle reçu le sacrement du Seigneur, qu'elle s'étendit sur son lit et expira. Ainsi la foule nombreuse des matrones et des nobles vierges que Flaceus envoya pour lui amener Pétronille, ne se trouva là que pour donner plus de solennité aux funérailles de la vierge chrétienne.
«Flaccus, alors, rejetant sa passion sur Félicula, lui dit : «Sois mon épouse, ou sacrifie aux dieux; choisis.» Félicula lui répondit : «Je ne serai point ton épouse, parce que je suis consacrée au Christ; et je ne sacrifierai point aux idoles, parce que je suis chrétienne.» Flaccus, après cette réponse, la remit à son lieutenant, avec ordre de la tenir enfermée dans une salle obscure, durant sept jours, sans lui donner de nourriture. Or, dans cette prison, les femmes des gardes venaient lui dire : «Pourquoi t'obstines-tu à vouloir mourir d'une mort cruelle ? Prends Flaccus pour époux; il est noble, riche, jeune et bien fait; c'est un officier ami de lÕempereur.» Mais à ces conseils Félicula se contentait de répondre : «Je suis vierge du Christ, et je ne donnerai jamais ma foi à un autre.» Au bout des sept jours, on la fit sortir et on la conduisit aux vierges de Vesta, auprès desquelles elle resta sept jours encore, sans prendre de nourriture; car jamais on ne put la faire consentir à rie accepter des mains de ces prêtresses. Suspendue ensuite sur le chevalet, elle répétait à haute voix : «C'est maintenant que je commence à voir le divin amant de mon cÏur, le Christ à qui j'ai donné tout mon amour.» Tout le monde, ses bourreaux même l'exhortaient : «Puisque tu n'es pas chrétienne, et tu seras renvoyée.» Mais Félicula répondait : «Moi ! non, je ne renie pas mon divin amant, qui pour moi a été nourri de fiel, abreuvé de vinaigre, couronné d'épines et attaché à une croix.» On la détacha enfin dit chevalet et on la précipita dans un cloaque.
«Mais le saint prêtre Nicomède, qui avait tout observé, enleva le corps secrètement, et pendant la nuit le transporta, sur un chariot, dans la petite habitation qu'il avait sur la voie Ardéatine, à sept milles de Rome, et l'y ensevelit. Les fidèles ont toujours continué depuis dÕaller prier au tombeau de Félicula, et leurs prières sont récompensées par dÕéclatants prodiges. Cependant Flaccus apprit ce qu'avait fait Nicomède; il le fit arrêter et conduire au temple pour y sacrifier aux idoles. Le saint prêtre disait :«Je ne sacrifie qu'au Dieu tout-puissant qui règne dans le ciel mais non à ces dieux qu'on tient enfermés dans des temples, comme dans une prison.» Pour punir ces courageuses paroles et beaucoup d'autres semblables, il fut longtemps frappé avec des fouets armés de balles de plomb, et, au milieu de ce supplice, son âme s'envola dans le sein de Dieu. Son corps fut jeté dans le Tibre; mais un de ses clercs, qui méritait par ses Ïuvres saintes le nom de Juste qu'il portait, recueillit le corps, le plaça sur un chariot, et le conduisit à son petit jardin, près des murs, sur la voie Nomentane, et l'y ensevelit. Là aussi les prières des fidèles sont
exaucées par l'intercession de ce saint martyr, qui a souffert
pour le Nom de notre Seigneur Jésus Christ.»
Ici se termine la lettre de Marcellus à Nérée et à Achillée. Commencent ensuite les actes du martyre de ces deux saints, tels qu'ils furent adressés à ce même Marcellus.
«Eutychès, Victorinus et Maro, serviteurs de notre Seigneur Jésus Christ, à Marcellus. Lorsque tes lettres aux bienheureux Nérée et Achillée sont arrivées ici, il y avait déjà trente jours qu'ils avaient reçu la couronne. Ils avaient enseigné à leur maîtresse, la très illustre vierge Flavia Domitilla, l'excellence de la virginité; c'est pourquoi Aurélien, son fiancé, qui se vit rejeté par elle, l'avait fait reléguer dans cette île, sous prétexte d'attachement à la religion chrétienne. Ill y vint lui-même peu après, et chercha à gagner par des présents Nérée et Achillée, espérant par leur moyen ébranler le cÏur de la noble vierge. Mais les deux saints, ayant rejeté de telles offres avec horreur, et fortifié encore davantage Domitilla dans sa fidélité, Aurélien les condamna à une cruelle flagellation, puis les fit conduire à Terracine, où ils furent remis aux mains du consulaire à Memius Rufus. Celui-ci employa le chevalet et les torches ardentes pour les forcer à sacrifier aux idoles; mais tous deux répétaient qu'ayant été baptisés par le bienheureux apôtre Pierre, ils ne pourrait les faire consentir à ces sacrifices impies. On finit par leur trancher la tête.
«Leurs corps furent enlevés par Auspicius, un de leurs disciples, et qui avait servi de père nourricier à la sainte vierge Domitilla. Il les transporta sur une barque, et vint les ensevelir dans l'arenarium de la maison de campagne de Domitilla, sur la voie Ardéatine, à un mille et demi des murs de la ville, non loin du tombeau de Pétronille, la fille de l'apôtre Pierre. Nous avons su tous ces détails par Auspicius lui-même. Nous prions votre charité de ne point nous oublier et de vouloir bien nous envoyer quelqu'un qui nous donne de vos nouvelles et console notre exil. C'est le quatre des ides de mai que les deux martyrs sont nés à la vie bienheureuse du ciel.»
Quand Marcellus eut reçu cette lettre, il envoya dans l'île Pontia un de ses parents, qui resta une année entière avec les confesseurs du Christ, et lui fit connaître, à son tour, les faits qui vont suivre. Après le martyre de Nérée et d'Achillée, on vint dire à Aurélien, qui cherchait toujours à obtenir le consentement de Domitilla, que Eutychès, Victorinus et Mato possédaient l'affection et la confiance de l'illustre vierge, plus encore que n'avaient fait Nérée et Achillée. Il demanda donc à lÕempereur Nerva de lui abandonner ces trois chrétiens, s'ils ne voulaient pas sacrifier aux idoles. Eutychès, Victorinus et Maro résistèrent avec courage aux séductions et aux menaces d'Aurélien, qui les enleva de l'île, les sépara et les envoya
servir, comme esclaves, dans ses terres; Eutychès à seize milles de la ville, sur la voie Nomentane; Victorinus à soixante milles, et Maro à cent trente milles; ces cieux derniers sur la voie Salaria. Durant tout le jour, ils creusaient la terre, et le soir seulement ils recevaient une nourriture grossière. Mais le Dieu tout-puissant, dans ces durs séjours de leur exil, leur donna sa grâce; Eutychès délivra du démon la fille d'un conducteur des esclaves; Victorinus guérit par ses prières un intendant que la paralysie retenait sur le lit depuis trois ans, et Maro rendit la santé au gouverneur de la ville de Septempeda, qui était hydropique.
En même temps ils parlaient au peuple et enseignaient à un grand nombre la loi du Christ. Bientôt tous trois furent ordonnés prêtres, et ils multiplièrent encore davantage le nombre des fidèles. Alors le diable souleva la colère d'Aurélien, qui envoya des bourreaux avec ordre de les faire périr chacun dans des supplices différents. Eutychès fut arrêté au milieu d'un chemin et accablé de coups, jusquÕà ce qu'il expirât; son corps fut enlevé, par les chrétiens et enseveli avec honneur. Pour Victorinus, il fut pendu, la tête en bas, auprès du lieu appelé CotiliÏ, d'où coulent des eaux sulfureuses d'une odeur méphitique; son supplice dura trois jours, au bout desquels il alla rejoindre, dans les cieux, le Seigneur, pour le Nom duquel il avait souffert. Aurélien avait ordonné que son corps ne fit point enseveli, et il resta un jour entier à terre sans sépulture; mais les chrétiens d'Amiternum vinrent l'enlever et le transportèrent sur leur territoire, où ils lui rendirent les derniers honneurs. Enfin Turgius, ami d'Aurélien, avait ordre d'écraser Maro sous le poids d'un énorme quartier de roche. On laissa donc tomber sur les épaules du martyr une pierre que soixante-dix hommes avaient eu peine à remuer. Mais le saint la souleva sans effort, comme il eût fait dÕune paille légère, et n'en souffrit même aucune contusion. À ce spectacle, tout le peuple de la Province, saisi dÕadmiration, crut à Jésus Christ et demanda le baptême. Cependant le consulaire Turgitis, qui avait tout pouvoir d'Aurélien, fit périr le saint martyr. Les fidèles creusèrent son tombeau dans la pierre même sous laquelle on avait voulu l'écraser.
Aurélien, après avoir ainsi enlevé à Domitilla tous les serviteurs de Dieu qui étaient sa consolation et son appui, dit à Sulpitius et à Servilianus, jeunes Romains de grande naissance : «Je sais que vous êtes fiancés à des vierges d'une haute sagesse, Euphrosine et Théodora, toutes deux sÏurs de lait de Domitilla. Mon dessein est de faire transporter Domitilla de son île en Campanie; que vos deux fiancées viennent alors la visiter et qu'elles usent de leur influence pour lui persuader de me rendre son affection.» En effet, Domitilla ayant été conduite de l'île Pontia à Terracine, Euphrosine et Théodora vinrent les visiter; et ce fut une grande joie pour les trois sÏurs. Cependant, vint l'heure du repas, et Domitilla, tout entière à la prière et aux jeûnes, ne mangeait pas. Ses sÏurs lui dirent : «Nous qui allons dans les festins et qui avons été fiancées, nous ne pouvons plus honorer ton Dieu.» Domitilla leur répondit : «Vous avez pour fiancés des personnages illustres; que feriez-vous si des hommes grossiers et de la lie du peuple voulaient vous enlever à leur amour pour vous épouser ?» Elles dirent : «Dieu nous préserve d'un tel malheur.» — «Qu'il délivre donc aussi mon âme, reprit Domitilla; car j'ai un noble fiancé, le Fils de Dieu, qui est descendu du ciel. Il a promis à celles qui aiment la virginité et qui la gardent pour son Amour, d'être leur époux et de leur donner la vie éternelle. Au sortir de ce monde, il introduira leurs âmes au ciel et pour toujours, dans le palais nuptial; là, partageant le bonheur des anges, au milieu des fleurs dont les délicieux parfums embaument le paradis, dans un festin dont les douceurs se renouvelleront sans cesse, elles rediront éternellement les hymnes de la joie et de la reconnaissance. Lorsque le Fils de Dieu fit ces promesses, personne nÕy voulut croire. Mais bientôt on Le vit rendre la vie aux aveugles et la santé, à tous les malades, guérir les lépreux et même ressusciter les morts. Il se montrait à tous véritablement Dieu. Tous alors reçurent ses divins enseignements et crurent en Lui.»
Théodora répondit à ce discours : «J'ai un jeune frère, Hérodes, que tu connais. Voilà un an qu'il a perdu la vue; si ce que tu dis est vrai, au Nom de ton Dieu, guéris-le.» Euphrosine s'adressant à Théodora, lui dit : «Toi, ton frère aveugle est resté à Rome; mais moi j'ai ici la petite fille de ma nourrice qu'une grave maladie a rendue muette; elle a conservé l'ouïe, mais elle a perdu complètement la parole.» Alors Domitilla, se prosternant la face contre terre, pria longtemps avec larmes; puis se levant, elle étendit ses mains vers le ciel et dit : «Seigneur Jésus Christ, qui avez dit : Voilà que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles, montrez que le témoignage que je rends à ma foi est véritable.» Après cette prière, elle fit le signe de la croix sur les lèvres de la petite muette, en disant : «Au Nom de Jésus Christ, mon Seigneur, parle.» Aussitôt l'enfant dit en jetant un grand cri : «Il est le vrai Dieu, celui que tu adores, Domitilla; et toutes les paroles sorties de tes lèvres sont véritables.» À ce cri, Euphrosine et Théodora se jetèrent aux pieds de la sainte, firent profession de leur foi aux mystères du Christ et furent consacrées. Cependant, on amena l'aveugle, le frère de Théodora; ses yeux s'ouvrirent à la prière de Domitilla, et en même temps son intelligence fut éclairée des lumières de la foi. Tous les païens, hommes et femmes, esclaves et libres, qui étaient accourus en grand nombre de la ville, crurent au Christ, à la vue de ces miracles, et furent baptisés. La maison où demeurait Domitilla devint comme une église.
Sur ces entrefaites Aurélien vint avec les deux fiancés. Il amenait aussi avec lui trois musiciens, espérant faire célébrer en un même jour le mariage des trois vierges. Mais Sulpitius et Servilianus voyant la muette qui parlait, et le frère de Théodora, Hérodes, dont les yeux sÕétaient ouvert à la lumière, et apprirent en même temps tout ce qui s'était dit et fait, embrassèrent la foi. En vain Aurélien redoubla ses exhortations et ses prières, pour leur faire épouser le même jour leurs deux fiancées. Sulpitius et Servilianus, en hommes sages et prudents, lui dirent : «Rends gloire au Dieu dont nous voyons la Puissance dans cette muette qui parle, et dans cet aveugle qui voit.» Aurélien, insensible à ces conseils, fit enfermer Domitilla dans une salle, espérant triompher d'elle, par la violence, plus facilement et sans danger. En attendant, les musiciens, après le repas, jouirent de leurs instruments, et Aurélien tout joyeux ouvrit la danse, selon la coutume au jour des noces. Mais à peine avait-il commencé, qu'il fut saisi dans tous ses membres d'une violente agitation, dont il mourut au bout de deux jours. Un châtiment si visible du ciel fit embrasser la foi à tous ceux qui en furent les témoins.
Cependant le frère d'Aurélien, nommé Luxurius, obtint de l'empereur Trajan un plein pouvoir pour contraindre tous ces chrétiens à sacrifier aux idoles, ou pour les faire périr dans des supplices de son choix, s'ils refusaient. En conséquence il fit livrer Sulpitius et Servilianus au préfet de la ville, Anianus. Celui-ci, après avoir entendu leur profession de foi et fait de vains efforts pour les amener à sacrifier aux idoles, leur fut trancher la tête. Les chrétiens ensevelirent leurs corps dans un terrain qui leur appartenait, à deux milles de la ville, sur la vole Latine; et Dieu honore tous les jours leur tombeau par de nouveaux miracles.
Luxurius se rendit ensuite à Terracine, auprès des vierges du Christ; sur leur refus de sacrifier aux dieux, il ferma la chambre où elles étaient réunies et y fit mettre le feu. Le lendemains, un saint diacre nommé Cæsirius trouva les corps des trois vierges intacts; la flamme les avait respectés. Prosternées la face contre terre, elles avaient rendu leurs âmes au Seigneur dans la prière. Cæsarius enferma leurs corps dans un sarcophage qui n'avait point encore servi, et l'enfouit profondément dans la terre.