LES ACTES DES SAINTS CANTIUS, CANTIANUS, CANTIANILLA ET PROTUS

(L'an de Jésus Christ 290)

fêtés le 31 mai


Celui qui voudra s'appliquer avec soin à la recherche des actes des saints, y trouvera pour lui-même et pour les autres des fruits d'édification : ainsi un bon arbre porte en soi la preuve qu'il n'occupe pas inutilement le terrain, lorsqu'on le voit chargé de fruits qui sont agréables à ceux qui s'en nourrissent. Nous allons rapporter, tel que nous le trouvons dans leurs actes, ce qu'ont fait les saints, ce qu'ils ont dit, ce qu'ils ont souffert. On s'aperçoit aisément que vous êtes catholiques, lorsqu'on vous voit lire assidûment ou entendre avec joie le récit des victoires du Christ. Je vous le demande, à vous qui voudriez ranger ces histoires parmi les apocryphes et les faire oublier : de qui avons nous reçu le canon des divines Écritures ? n'est-ce pas de la main de ceux qui ont mieux aimé être mis à mort pour ce même canon, que de céder ? Quoi donc ? les martyrs ont soutenu la foi orthodoxe qui est contenue dans les volumes sacrés fixés à un nombre certain. Ces saintes lettres leur doivent leur conservation; car c'est par leur persévérance qu'elles se sont fidèlement maintenues. Il est donc à propos d'écrire les gestes de ces saints, afin quĠils reçoivent des louanges qui leur sont dues en présence de Dieu et des hommes, eux qui ont enduré, devant les incrédules, des tourments inouïs pour la défense de ces livres sacrés. Comme nous n'admettons rien d'inspiré en dehors des écritures canoniques, nous avons tracé ces lignes pour montrer seulement que les martyrs ont gardé le dogme catholique : nous voulons simplement laisser un exemple à la postérité, un sujet d'édification aux croyants, et enseigner par des exemples l'art de la milice du Christ à ses soldats. Il est certain que celui-là n'est pas disposé à combattre, le cas échéant, qui ne veut pas lire les actes de ceux qui ont combattu. Qu'ils soient donc spectateurs de la lutte des athlètes du diable, puisqu'ils refusent d'assister aux combats des soldats du Seigneur : pour nous, nous parlons, nous écrivons, nous publions les merveilleux effets de la puissance divine. Que la jalousie cherche à détourner les fidèles de cette lecture, que la timidité cherche à leur imposer silence, qu'on les blâme même des larmes qu'ils répandent, et qu'on les traîne devant les tribunaux; rien ne saurait lasser leur patience. Les blessures reçues au service de l'empereur sont glorieuses pour les soldats qui en portent les cicatrices; nous donnerions volontiers nos vies pour lui. Nous allons tirer de l'oubli et mettre en lumière les sanglants labeurs par lesquels le Christ a procuré à ses armées de martyrs le triomphe et la victoire. Les récits des combats qu'ils ont livrés excitent notre courage, tandis qu'ils font de vives blessures à ceux que la négligence rend lâches. Donc, avant de prendre les armes, considère les combattants; fais-en une étude, afin que l'ennemi commence à le redouter.
Les bienheureux martyrs du Christ Cantius, Cantianus et Cantianilla, de la race des Anicius, et parents de l'empereur Carin, de bonne mémoire, naquirent à Rome dans la quatorzième région, et ils y furent élevés. Ils eurent pour gouverneur Protus, qui les instruisit pleinement dans la foi catholique. En ce temps-là, Dioclétien régnait à Rome, Maximien en Illyrie, et Carin dans les Gaules, où il avait de grands égards pour les chrétiens : mais peu de temps après, il mourut. Après sa mort, les exécrables empereurs Dioclétien et Maximien tirent publier dans toutes les provinces de l'empire des édits qui enjoignaient de punir de diverses peines les chrétiens qui refuseraient de sacrifier. Lorsque les bienheureux Cantius, Caritianus et Cantianilla eurent connaissance de ces édits, comme ils habitaient la ville de Rome, après avoir pris conseil du bienheureux Protus, ils vendirent et distribuèrent aux pauvres tous leurs biens et les maisons, qu'ils possédaient dans l'enceinte des murs, afin de se soustraire à une injuste sentence. Quant aux esclaves de l'un et l'autre sexe qu'ils avaient au nombre d'environ soixante-dix, ils leur donnèrent la liberté, après les avoir fait baptiser au nom du Père et du Fils, et du saint Esprit. Ils résolurent ensuite de parcourir les biens ruraux qu'ils possédaient aux environs de Rome, sous prétexte de les visiter; et profitant de cette occasion qui s'offrait à eux, ils sortirent de la ville et dirigèrent leurs pas vers Aquilée, par amour pour l'illustre martyr Chrysogone : ils avaient aussi des biens considérables dans le territoire de cette ville. Mais, comme la lumière ne saurait se cacher dans les ténèbres, il était nécessaire que le Seigneur les couronnât pour la gloire de son nom.
Lors donc que les saints martyrs Cantius, Cantianus et Cantianilla furent entrés, avec leur gouverneur Protus, dans la ville d'Aquilée, ils s'aperçurent incontinent que la persécution y sévissait avec encore plus de fureur qu'à Rome. Il y avait, en effet, dans les prisons un si grand nombre de martyrs et de confesseurs enchaînés pour le nom du Christ, qu'on ne pouvait plus les compter. Nos saints martyrs, après leur arrivée en cette ville, se présentèrent, au milieu de la nuit, à cette prison, et demandèrent aux chrétiens qui y étaient détenus, s'ils avaient au milieu d'eux le très saint martyr du Christ, Chrysogone. Les saints martyrs de la prison leur répondirent : «Voilà trente-six jours que Chrysogone a reçu la palme du martyre par la décapitation, sur l'ordre de princes iniques. Il a été mis à mort non loin de cette ville, en un lieu appelé «aux Eaux de Prade,» et il y a été inhumé par le très saint prêtre Zoïle. Les martyrs Cantius, Cantianus, Profits et Cantianilla, pleurèrent de joie avec ceux qui étaient en prison : puis, au moyen de quelque argent qu'ils donnèrent aux gardiens, ils purent passer toute la nuit avec les confesseurs. Le matin étant venu, ils quittèrent la prison et se mirent à annoncer notre Seigneur Jésus Christ , au nom duquel ils opéraient
beaucoup de miracles, illuminant les aveugles, purifiant les lépreux, chassant les démons, et, par lĠimposition des mains,
guérissant ceux que leurs infirmités retenaient sur leur grabat.
En ce même temps et dans cette même ville d'Aquilée, le très impie Dulcidius partageait la charge de président avec son collègue Sisinnius. Les juges iniques apprenant que les saints de Dieu Cantius, Cantianus, Protus et Cantianilla étaient venus de Rome en cette ville, ordonnèrent aux appariteurs de se saisir de leurs personnes, pour leur faire offrir de lĠencens aux dieux. Les bienheureux martyrs, levant les yeux au ciel, répondirent : «Nous ne sacrifions point aux démons, car est écrit : «Tous les dieux des gentils sont des démons; mais c'est le Seigneur qui a fait les cieux.» Et encore : «Qu'ils leur deviennent semblables, ceux qui les fabriquent et tous ceux qui se confient en eux.» Allez donc dire à votre inique président que nous voulons mourir pour le nom du Christ plutôt que de nous éloigner de ses commandements; car depuis le berceau nous confessons le Seigneur Jésus Christ.» Les satellites retournèrent vers le président et lui rendirent compte de ce qui s'était passé. Alors le président Dulcidius et son collègue Sisinnius, piqués de ce refus, écrivirent en ces termes aux empereurs Dioclétien et Maximien : «Très pieux empereurs, venez au secours des lois pour lesquelles votre bras victorieux sait faire ployer les têtes superbes des ennemis; prêtez votre assistance aux dieux tout-puissants, qui ne reçoivent que du mépris de la part des chrétiens. Ou vient de voir arriver de la ville de Rome trois frères germains qu'on sait être membres de la famille de l'empereur Carin, accompagnés de leur gouverneur Protus. Ils se sont concertés pour résistera nos ordres et pour prêcher le Christ, celui-là même que les Juifs crucifièrent sous Ponce-Pilate, président de la Judée, et en son nom ils font beaucoup de merveilles surprenantes. CĠest à vous de voir ce que vous avez à ordonner.» Les exécrables Dioclétien et Maximilien, saisis de fureur, rendirent cette sentence, que, s'ils refusaient de sacrifier, ils devaient être mis à mort.
Lorsque la sentence fut connue des bienheureux martyrs Cantius, Cantianus et Cantianilla, ils prirent un char et sortirent de la ville avec leur gouverneur Protus, afin de se rendre en toute hâte au tombeau du saint martyr Chrysogone, se souvenant de cette divine parole : «Venez, les bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été, préparé dès lĠorigine du monde.» Or, dans la nuit précédente, le Seigneur avait daigné visiter les bienheureux martyrs, et leur avait dit : «Paix à vous. Hâtez-vous de vous rendre auprès de mon bien-aimé Chrysogone; car c'est là que j'ai préparé vos couronnes, c'est là que vous devez être couronnés, pour aller ensuite vous réjouir sans fin dans mon royaume avec Chrysogone. Ne vous affligez point; car il est écrit : Si on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre; et qui vous persécute, me persécute moi-même.» Le matin on annonça aux juges que les saints de Dieu s'étaient enfuis. Le comte Sisinnius, pour exécuter les ordres des empereurs, se mit aussitôt a leur poursuite, accompagné d'appariteurs.
Les bienheureux martyrs continuaient précipitamment, leur route sur leur char. Mais, a peu de distance de la ville, une des mules du char tomba subitement au lieu nommé «Les Eaux de Prade,» là même où saint Chrysogone avait souffert le martyre; afin quĠainsi sĠaccomplit ce que le prophète David avait dit par l'inspiration du saint Esprit :«Comme il est bon, comme il est doux que des frères demeurent dans lĠunion !» Et encore : «Le seigneur a fait un commandement, et il ne sera point transgressé.» Les saints martyrs se trouvant donc au lieu où avait souffert le saint martyr Chrysogone, se mirent à genoux et adressèrent au ciel cette prière : «Seigneur Jésus Christ, Dieu tout-puissant, envoyez votre saint ange à notre secours, pour la confusion de tous ceux qui adorent les idoles. Nous vous prions donc, Seigneur, de daigner nous rendre persévérants en cette sainte vocation, pour la gloire et la louange de votre nom, et pour raffermir les cÏurs de ceux qui croient en vous; afin que tous ceux qui honorent les idoles sachent qu'il nĠy a point d'autre Dieu que vous seul qui avez les anges pour serviteurs.» Comme ils priaient ainsi le comte Sisinnius survint avec ses appariteurs, qui se saisirent aussitôt des saints martyrs.
Et ici nous devons faire remarquer combien ce fait est glorieux, et comment il avait été ménagé par la divinité. Dieu rend toujours victorieux ceux qu'il a élus, pour ensuite les transporter, par une ascension sublime , dans la cour du royaume céleste. Car de même qu'Élie monta au ciel sur unchar, ainsi ces saints parvinrent au martyre portés sur un char; et si un véhicule conduisit le prophète en un lieu de repos, un autre véhicule porta nos martyrs au séjour de la gloire : et, bien que le premier fut tout de feu, le second ne lui est point inférieur; car l'un portait un prophète, et lĠautre était chargé de trois martyrs. Mais, dira quelqu'un, il est plus glorieux d'être porté sur un char de feu que sur un char tout terrestre. Eh bien ! cette gloire même ne manqua point à ces saints hommes; car, tout ainsi qu'Élie était enlevé sur un char de feu, (de même pareillement une foi brûlante transportait ces saints martyrs : le Christ, dis-je, les portait, lui qui est feu et lumière, lui de qui il est écrit : «Notre Dieu est un feu consumant.» Lors donc que le persécuteur menaçait vivement les bienheureux dont nous parlons, ils montèrent sur un char. Pour quel motif ? pour prendre la fuite ? Non, sans doute, mais pour arriver plus tôt au martyre ; non pour se cacher, mais au contraire pour montrer à tous les passants quĠils étaient chrétiens. Certes, il leur était facile de se cachés dans une ville aussi populeuse : mais ils en sortirent afin que les cÏurs de tout ce peuple, en apprenant leur fuite, fussent enflammés de l'amour du Christ. Lorsque quelquĠun sort par la voie publique dans un char préparé et orné dĠavance, il ne faut pas appeler cela une fuite, mais un départ. Et ces saints, hommes, en prenant ce parti, et comme placés sur un char de triomphe, disaient hautement : «Voici le persécuteur; nous partons, nous vous précédons. Pourquoi restez-vous ? À quoi bon ce retard ? Suivez nos traces car nous ne voulons pas avoir l'air dĠêtre menés par la violence au supplice, nous qui désirons si ouvertement vous précéder à la gloire.»
Le comte Sisinnius, avant écouté ces paroles, fit saisir les saints martyrs; puis il les exhorta à brûler de l'encens à lĠhonneur de Jupiter. Les bienheureux serviteurs de Dieu, remplis d'indignation, dirent que jamais ils ne sacrifieraient aux démons, mais seulement à Dieu qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qui y est contenu : «Car, ajoutèrent-ils, toutes les idoles et tous ceux qui les révèrent iront ensemble au feu éternel.» L'impie Sisinnius, irrité, de ce langage, dit à ses appariteurs que si ces hommes n'offraient de l'encens à Jupiter, ils nĠavaient quĠà les décapiter. Les bienheureux martyrs Cautius, Cantianus et Cantianilla, avec leur précepteur Protus, avant refusé dĠobtempérer, ou les conduisit plus loin. En se rendant au lieu du supplice, ils chantaient joyeusement des psaumes. En y arrivant, ces bienheureux serviteurs de Dieu levèrent les mains au ciel et dirent : «Seigneur Jésus Christ, qui avez promis dĠêtre un père et une mère pour ceux qui persévèrent dans la confession de votre nom, et vous êtes engagé à rendre pour des choses temporelles des récompenses célestes, pour des objets périssables d'autres qui sont éternels, pour des richesses terrestres une vie éternelle avec une félicité ineffable, nous vous prions, vous qui aimez la pureté de la conscience, de nous regarder, à cette heure, du haut des cieux, de recevoir nos âmes dans la paix et de nous donner place au milieu de vos saints et de vos élus, avec lesquels vos glorieux martyrs se conduisent; car vous êtes le Dieu unique et béni dans les siècles des siècles.» En terminant leur prière, ils dirent : «Amen.» Et après sĠêtre mutuellement donné le baiser de paix, ils se mirent à genoux, présentèrent leur tête au glaive et reçurent ainsi des couronnes immortelles. Mais, ô prodige ! leur sang apparut aux spectateurs comme du lait; on en voit encore les traces, de nos jours, sur la pierre placée au lieu de leur martyre. En ce même temps, le vénérable prêtre Zonus recueillit les corps de ces bienheureux martyrs, les embauma avec des aromates de prix, et les déposa dans un tombeau de marbre près de celui de saint Chrysogone.
Les bienheureux martyrs Cantius, Cantianus et Cantianilla, avec leur précepteur Protus, subirent le martyre la veille des calendes de juin, au douzième milliaire de la ville d'Aquilée, au delà de la rivière Hysonce, au lieu nommé les Eaux de Prade.