LE MARTYRE DE SAINT CALLIOPIUS

(L'an de Jésus-Christ 303)

fêté le 7 mai


Une femme pieuse du nom de Théoclia, qui craignait le Seigneur, ainsi que toute sa famille, faisait de grandes aumônes aux pauvres, et menait en toute chose une vie irréprochable. Unie depuis longues années à son époux issu lui-même d'une race sénatoriale, elle n'avait pas d'enfants, parce qu'elle était stérile. Plus tard cependant elle conçut, selon la promesse qui lui avait été faite; mais elle vint à perdre son époux pendant qu'elle portait encore son enfant, et demeura seule, en possession de grandes richesses. Bientôt elle mit au monde un fils qu'elle appela Calliopius, et qu'elle fit instruire très soigneusement dans les divines Écritures; car il était par sa naissance patricien de la ville de Perge en Pamphylie. Or en ces temps-là l'erreur de l'idolâtrie était si générale, qu'elle obscurcissait la vérité elle-même; et la foule était bien grande de ceux qui offraient des libations aux faux dieux. Quant au bienheureux Calliopius, il passait toutes ses journées dans la prière et le jeûne.
Bientôt ou vint dénoncer ce jeune homme au juge, en disant qu'il était chrétien. La vénérable Théoclia donna alors à soit fils de lÕor, des vêtements, des serviteurs, et le fit embarquer sur l'heure, afin qu'il échappât aux poursuites du tribunal de Perge. Calliopius navigua ainsi jusqu'à Pompéiopolis de Cilicie. L'impur Maxime y célébrait à cette époque les fêtes de ses dieux immondes, par des orgies infâmes et des danses superstitieuses. Le saint adolescent, étant témoin de ces abominations, se demandait ce que cela, pouvait être; car il ne connaissait que le jeûne et la prière. Il interrogea les assistants, et leur dit : «Qu'est-ce que tout cela ?» Ils lui répondirent : «C'est la grande fête des dieux; viens avec nous, et participe à la joie de nos festins.» Il leur dit : «Je suis chrétien, et c'est par les jeûnes que je fête le Christ; il est donc impossible à une bouche consacrée à la louange du Christ de participer aux libations de vos dieux immondes.»
Ces paroles de Calliopius furent rapportées au préfet Maxime, qui, rempli de fureur, ordonna de l'arrêter. Quand on l'amena devant son tribunal, Maxime lui dit : «Quel est ton nom ?» Calliopius répondit : «Je suis chrétien, et l'on m'appelle Calliopius.» Le préfet Maxime reprit : «Comment, lorsque tout l'univers célèbre par des festins la grande solennité de nos dieux, peux-tu persister dans de semblables folies ?» Calliopius répondit : «C'est vous qui êtes dans l'erreur et dans les ténèbres : car vous avez abandonné le Dieu vivant, le Créateur du ciel et de la terre, celui qui a fait toutes choses d'une seule parole, pour adorer un bois insensible, une pierre polie, que vos mains ont façonnés.» Le préfet Maxime dit : «L'ardeur de la jeunesse te rend insolent, et demande que l'on te fasse subir des tourments peu ordinaires. Dis-moi donc quelle est ta famille et ta patrie ?» Calliopius répondit : «Je suis né dans la Pamphylie, de race sénatoriale et patricienne; mais je porte un titre, le plus noble de tous, le titre de chrétien.» Maxime dit : «Réponds à ma demande : As-tu encore tes parents ?» Calliopius répondit : «Ma mère vit encore; mais mon père est mort depuis longtemps.» Le préfet Maxime dit : «Si tu veux sacrifier aux dieux et te montrer religieux à leur égard, je le jure par le grand Apollon et par tous les dieux, je le donnerai en mariage ma fille unique.» Calliopius répondit : «Si je voulais me marier, ce serait un honneur pour toi d'épouser ta fille, ce que je ne ferais cependant pas avant d'avoir obtenu le consentement et l'approbation de ma mère; mais sache que je me suis donné au Christ si entièrement, que je veux préserver vierge et sans souillure à soit tribunal suprême ce corps terrestre que Dieu a formé à son image; fais donc ce qui te plaira; car pour moi, je suis chrétien.»
Maxime dit : «Scélérat, tu veux donc par ces paroles insolentes exciter ma colère, afin que je te fasse périr plus tôt dans un prompt supplice ? Eh bien ! je ne le ferai pas; mais après avoir torturé toutes les parties de ton corps, je le livrerai aux flammes.» Calliopius répondit : «Plus les tourments que tu me prépares seront longs et violents, plus aussi la couronne qui récompensera ma constance sera riche et précieuse, car, comme parle l'Écriture, nul ne sera couronné s'il n'a généreusement combattu.» Le préfet Maxime dit : «Étendez-le, et brisez tous ses os avec des laitières garnies de plomb, puisqu'il semble se donner de grands, airs et affecter un langage solennel.» Pendant qu'on le frappait, Calliopius s'écriait : «Ô Christ, je vous rends grâces, de ce que vous m'avez jugé digne d'être flagellé pour la gloire de votre nom.» Le préfet Maxime dit : «Crois-moi, sacrifie aux dieux, afin de retourner dans ta patrie et de conserver tes richesses; tu vois bien que l'on te tourmente horriblement.» Calliopius répondit : «Je pressens déjà la suavité du repos que le Christ me prépare, selon sa promesse; et la torture ne fait aucune impression dans mon corps. Quoique je sois encore sur la terre de mon pèlerinage, je sais cependant que le Seigneur est le maître de cet univers et de tout ce qu'il renferme. Je vois même d'ici ma mère et ma patrie; car ma mère, c'est l'Église orthodoxe du Christ; ma patrie, c'est la Jérusalem céleste, puisque, comme parle l'Apôtre, notre vie est dans le ciel. Tu m'as rappelé que j'ai aussi une mère selon la chair; mais il a été dit : ÒCelui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de me servir.Ó Pour les richesses, je les méprise, et je préfère souffrir avec le Christ crucifié, plutôt que d'obtenir par le péché les jouissances de ce monde trompeur.»
Le préfet Maxime dit aux bourreaux : «Maintenant qu'il est étendu, frappez-le, sur le ventre avec des nerfs de bÏuf en lui criant : «Impie, ne dit pas une chose pour une autre, mais réponds à ce que lÕon te demande.» Calliopius repartit : «Homme insensé et plus cruel que les bêtes féroces, étranger aux affections célestes et chrétiennes, je te découvre la vérité; et toi, fermant les yeux de l'esprit et les oreilles de l'entendement pour ne pas voir ni ouïr la parole du Seigneur, tu ne crains pas de me traiter comme un homicide, contre toutes les règles de la justice ! «Le préfet Maxime dit : «Dressez le chevalet, placez au-dessous un feu ardent, et tournez fortement la roue jusqu'à rompre ses membres.» Le bienheureux adolescent, en proie aux atroces douleurs causées par ce supplice, s'écria : «Ô Christ ! venez à mon secours, afin que votre nom soit glorifié dans votre serviteur jusqu'à son dernier soupir, et que tous apprennent que ceux qui espèrent en vous ne seront pas confondus.» Aussitôt l'ange du Seigneur parut à ses côtés, étendit les charbons ardents, et rendit inutiles les efforts des bourreaux qui voulaient tourner encore la roue du chevalet; mais les membres délicats du jeune martyr, déchirés et tout couverts de sang, pendaient çà et là, montrant leurs os à découvert; car la roue était armée de tout côté, de fers à deux tranchants, qui la faisaient ressembler à une scie d'énorme dimension.
Le préfet ordonna alors de l'enlever du chevalet; et il gisait à terre dans un état si pitoyable, que tous les assistants criaient : «Ô le juge inique, le pauvre jeune homme, comme il périt misérablement !» Le préfet Maxime disait de son côté : «Ne t'avais-je pas annoncé que ta jeunesse te rendait trop insolent, et qu'elle tÕattirerait de terribles supplices ?» Calliopius répondit : «Chien impudent, oses-tu bien me parler ainsi, comme si tes tourments me faisaient peur ?» Maxime dit : «Malheureux, crois-tu donc par ces injures obtenir la mort ? Cela n'arrivera pas. Ainsi donc, approche de l'autel pour sacrifier aux dieux, et tu éviteras les tortures que tu as encore à subir.» Calliopius répondit : «Je me confie en mon Christ, il ne permettra pas que tu parviennes à souiller la pureté de ma résolution; mon corps est dans tes mains, tourmente-le à ton gré, Dieu se charge au jour du Jugement de te rendre la pareille car tu seras mesuré de la même manière que tu as mesuré les autres.» Le préfet Maxime dit : «Enchaînez-le, et jetez-le ensuite dans la prison intérieure; et que personne ne vienne le soigner; écartez tous ses amis profanes et ennemis des dieux, qui ne manqueraient pas d'appeler bienheureux cet impie, cet adversaire de nos divinités, à cause de la résistance qu'il nous a opposée et de sa constance à souffrir.» Aussitôt les soldats chargèrent le bienheureux Calliopius de chaînes de fer, et le jetèrent dans le cachot le plus profond de la prison.
Dès que sa mère Théoclia eut appris tout ce qui était arrivé, elle dressa son testament, gratifia de la liberté deux cent cinquante esclaves, auxquels elle laissa leur pécule, et ayant distribué aux pauvres tout ce qu'elle avait d'or, d'argent, de vêtements précieux, elle fit don à la sainte Église de toutes ses autres possessions, et vint trouver, en Cilicie son bien-aimé fils Calliopius. Étant entrée dans le lieu ou il était enchaîné, elle se prosterna à ses pieds par vénération, et se mit à panser ses plaies encore ouvertes. Le saint martyr ne put se lever et aller à la rencontre de sa mère, à cause de ses chaînes, et parce que tout son corps était brisé par la torture; il se contenta de lui dire : «Mère, sois la bienvenue; car tu seras témoin de la passion du Christ en moi.» Théoclia, voyant le corps de son fils tout déchiré, lui dit : «Bienheureuse suis-je aujourd'hui ! Bienheureux est le fruit de mes entrailles, puisqu'il m'a été donné de te consacrer au Seigneur comme un trésor de grand prix, ainsi que la vénérable Anne son fils Samuel; puisque j'ai pu tÕoffrir à Dieu en holocauste d'un agréable parfum, comme Sara son enfant Isaac !» Elle demeura ainsi la nuit tout entière aux pieds de son fils, et tous deux ils priaient et glorifiaient le Très-Haut. Vers le milieu de cette nuit, une vive clarté illumina tout à coup l'obscur cachot, et une voix se fit entendre qui disait : «Vous qui avez abandonné votre patrie et vos richesses pour souffrir avec le Christ, vous êtes les élus du Seigneur, les confesseurs de Jésus Christ, les vainqueurs des idoles.»
Quand le jour fut venu, le préfet assis sur soit tribunal dit : «Que l'on appelle Calliopius, qui observe les rites des chrétiens.» Le centurion Démétrius répondit : «Il est présent.» Le préfet lui dit : «Je te prie de me faire savoir si tu as résolu d'abandonner ces folies, et d'obéir aux édits des Augustes, en sacrifiant aux dieux, ou si te sacrifiant toi-même, tu préfères périr misérablement par le même supplice que ton maître ?» Calliopius répondit : «Ton impudence m'étonne. Comment, tu as déjà plusieurs fois entendu de ma bouche ces paroles : «Je suis chrétien, je mourrai chrétien, je vivrai toujours dans le Christ; et tu ne crains pas de combattre encore la vérité de mes sentiments ! Maintenant, je te le dis, j'ai hâte de mourir du supplice de mon maître.» Le préfet, entendant cette réponse, comprit qu'il ne pourrait changer lÕinvincible résolution du martyr, et ordonna qu'il fût crucifié le cinquième jour avant le samedi de Pâque. Sa mère, voyant ce qui allait arriver, donna cinq pièces d'argent aux bourreaux qui devaient mettre son fils en croix, afin qu'il y fût attaché d'une autre manière que notre Seigneur Jésus Christ, c'est-à-dire la tête en bas. Le bienheureux Calliopius fut donc crucifié le cinquième jour avant le samedi de pâques, et rendit l'âme le jour de la Paracève, à la troisième heure. À ce moment une voix du ciel se lit entendre, elle disait : «Viens habiter avec Jésus Christ, et partager lÕhéritage des anges.» La vénérable mère du martyr, recevant ensuite son corps entre ses bras, l'embrassa par trois fois très étroitement, en glorifiant le Seigneur, et aussitôt elle rendit lÕâme. Les frères vinrent alors emportèrent ces corps sacrés, et les déposèrent dans un lieu convenable, en chantant tes louanges du Père, du Fils et du saint Esprit, à qui appartiennent la gloire et la puissance dans tous les siècles. Amen.