LE MARTYRE DE MAR-BASSUS DANS LE VAL DE GÉHENNE, EN PERSE, LE 11 MAI DE L'AN 362
AU NOM DE DIEU NOUS TRANSCRIVONS LE DISCOURS SUR LE MARTYR MAR-BASSUS, SUSANNE, SA SÎUR, MAR-ÉTIENNE ET MAR-LONGIN, SES MAÎTRES, QUI FURENT COURONNÉS DANS LA VALLÉE DE GÉHENNE
(Sur le rythme de Mar-Jacques le Docteur de Batna-Saroug)
Grande lumière, envoyée d'auprès du Père, qui as lui sur la terre et illuminé l'univers de tes rayons;
Splendeur du Père qui habitas dans le sein de la Bienheureuse (Vierge) et vins sur la terre chasser les ténèbres de l'idolâtrie;
Rejeton de vie qui fus enfanté par la fille de David et, sur le Golgotha, donnas tes fruits à ceux qui avaient faim;
Source abondante ouverte par la lance, à laquelle le peuple altéré s'est abreuvé et dans laquelle il a étanché sa soif;
Premier martyr dont le sang fut versé sur la croix d'ignominie et qui tuas la mort qui avait tué notre père Adam;
Hostie vivante qui t'immolas au Père caché, et qui délivras de la captivité le troupeau (des créatures) raisonnables;
Agneau pur et sans tache qui pris sur toi, pour l'effacer, le péché du monde que tu as sanctifié et purifié sur le sommet de la croix;
Victime agréable qui t'es offerte toi-même en sacrifice à ton Père, et qui as, par ton sacerdoce, réconcilié le Père avec les créatures;
Porte spacieuse qui t'es ouverte spontanément devant ceux qui entrent, afin qu'ils prennent sans crainte les richesses de la maison paternelle;
Soleil radieux qui as chassé en tous lieux les ténèbres et dissipé dans les âmes la tristesse de la mort;
Symbole de paix qui t'es exalté sur le Golgotha et qui as réuni et rassemblé toutes les nations auprès de toi;
Grand Roi qui as foulé aux pieds la mort, qui as renversé sa couronne, détruit, dissous et réduit à néant son empire;
Chasseur intrépide qui t'élevas de la région des morts, sauvas et délivras les captifs que la mort tenait emprisonnés;
Vaillant soldat qui donnas la victoire à l'humanité et humilias le diable, oppresseur de toutes les générations;
Fils du Riche qui, étant riche toi-même, t'appauvris volontairement et, pour donner tes biens aux pauvres, vécus dans le besoin;
Fils éternel qui, sur ton char, resplendissais de gloire dans le sein du Père, et t'es anéanti toi-même pour nous élever;
Éternel qui pris naissance dans le temps d'une fille du temps
afin de faire des (créatures) temporelles les enfants de l'Éternel;
Océan immense dont les flots de miséricorde sont incommensurables;
Trésor sublime, jamais amoindri par ceux qui y puisent;
Je t'en prie, Seigneur, répands sur moi tes miséricordes et donne-moi une petite parcelle de ton souffle, afin que je te célèbre.
Verbe du Père, fait homme de la fille de l'homme, afin de rendre la parole au genre humain privé de la parole (divine), donne-moi la parole afin que je t'exprime par la parole, toi qui es la Parole, car ce n'est que par le Verbe que l'on peut parler du Verbe.
Ce n'est pas pour définir, sonder et scruter ta divinité que
j'ai tenté de prendre la parole, tu le sais. Ton amour m'a aiguillonné (en me disant :) Ne méprise pas la vérité pour les louanges.
Je tresserai une couronne par laquelle ton saint nom sera glorifié : envoie-moi de ton paradis les fleurs variées de ton amour. Ornes-en le discours de ton serviteur, et il ne sera point un objet de dérision.
Fils de Dieu qui t'es abaissé à notre petitesse, qui t'es revêtu de chair et as pris un corps de la Fille de David; qui as souffert les douleurs, les fouets cruels des pervers; qui as supporté les crachats et les soufflets des Juifs; qui as opéré des miracles, des guérisons, toute sorte de prodiges, et qui as accompli dans le monde l'Ïuvre de la Rédemption; qui, dans ton amour, t'immolas toi-même pour nous et indiquas la route aux martyrs bénis afin qu'ils marchassent à ta suite; dispensateur et distributeur de tous les biens, enrichis ma lyre de tes dons vivifiants pour que je proclame et raconte l'histoire de Bassus le martyr béni, que je le fasse connaître et que je le révèle à quiconque professe la foi.
Écoutez attentivement, auditeurs, l'histoire de cet élu. Soyez tout oreilles et voyez-en avec complaisance la resplendissante beauté. Son histoire est un sujet d'admiration et pour ceux qui la racontent et pour ceux qui l'écoutent; elle ne peut être définie ni par ceux qui sont près, ni par ceux qui sont éloignés.
Celui qui a abandonné la maison de ses pères et son royaume, qui a renié et délaissé sa famille, ses parents, sa fortune; celui qui a méprisé l'idolâtrie et le magisme et, sans craindre le feu ni le glaive, a adoré la croix; celui qui a regardé et aperçu le lieu de repos dont le Roi a fait hériter le peuple immense qu'il a délivré par son sang; ce martyr qui contempla la hauteur céleste fut transporté de l'amour de notre Seigneur et courut à sa suite; ce martyr, dès l'origine, naquit dans la région appelée Beth-Zabdé.
Son père était un des officiers du roi de Perse; il vint habiter dans la région bénie des bords du Tigre.
Mais le moment est venu de raconter publiquement son histoire, dont mes auditeurs désirent se délecter.
LÕan six cent quatre-vingt-dix-neuf des Macédoniens, la
soixante-seizième de Sapor le Grand, roi de Perse, le magisme et l'idolâtrie triomphaient avec les idoles et les statues sculptées, Ïuvres des mains (de l'homme). C'était principalement en Orient et dans la région de la Perse que le magisme avait dressé la tête et s'enorgueillissait.
Il y avait alors, dans une ville de l'Orient, un homme célèbre, et de grand renom chez les Perses, que ceux de sa tribu et de sa religion écoutaient, et qui les surpassait tous en cruauté. Sa bouche vociférait et blasphémait contre Dieu, le roi Jésus et tout son troupeau.
Abouzard était son nom. Il était orgueilleux et se glorifiait au-dessus de tous. Sapor régnait alors sur ces pays. Il rassembla ses troupes et alla combattre les Romains. Il s'empara de captifs sans nombre parmi les chrétiens et les fit conduire en captivité dans son territoire. Les loups, (c'est-à-dire) les mages de la Perse, tombaient alors sur les brebis du Fils de Dieu, et, sans pitié, les mettaient cruellement en pièces. Aux uns ils brisaient les membres, sans qu'ils eussent commis de faute; ils torturaient les autres comme s'ils étaient les fauteurs de tous les vices. Ils en firent descendre d'autres dans la terre et les enfouirent vivants. Ils en envoyèrent et firent conduire en Perse enchaînés. En un seul jour, le roi Sapor massacra neuf mille d'entre ceux qui portaient le nom de chrétiens. Des femmes et des hommes, des jeunes gens et des vieillards, même des enfants furent couronnés (de gloire) et obtinrent la palme du martyre.
Sapor, après être demeuré quelque temps en repos dans le Beth-Arabâyé et le Beth-Zabdé, fut rappelé en Perse par un messager. Il remit le gouvernement de Nisibe et des pays qui en dépendent à son frère, avec ordre de surveiller toute la frontière de l'empire romain et de maintenir soigneusement la paix entre les peuples. Celui-ci ordonna à Abouzard de se rendre dans le Beth-Arabâyé et le Beth-Zabdé. À la réception de cet ordre, transmis par Zamasaf, Abouzard se mit en route, parcourut le pays et fut très satisfait. Ce Mobed établit sa résidence d'hiver dans les faubourgs qu'avait construits Zamasaf, frère de Sapor, et sa résidence d'été à Pirrin, château fort dans le Bethzabdé, afin de pouvoir surveiller de près les frontières.
Abouzard exerçait ce commandement depuis quelque temps, lorsqu'il lui naquit, dÕune seule couche, deux enfants jumeaux. Il en fut transporté de joie et donna un festin aux nobles et aux guerriers du royaume. On appela le garçon, dès sa naissance, du nom de Bassus, et la fille semblablement, selon la coutume.
À cause de l'amour maternel qui ne connaissait pas de limites, on surnomma encore le fils, Fruit désiré, Fleur (Abolo), et la fille, remarquable par ses charmes divins, Chouchaneta, ce qui signifie : Lis miraculeux.
Après avoir grandi sous la discipline paternelle, ils parvinrent à l'âge de quatre ans et cinq mois. On les fit alors étudier la doctrine du magisme et ils devinrent particulièrement chers à leur maître. Or ils avaient comme serviteur dans leur maison un captif originaire de l'Arzanène, qui avait été emmené en captivité par les Perses. C'était un homme solidement éprouvé dans la foi qui avait reçu au baptême le nom d'Étienne. Son office consistait à demeurer auprès de ces enfants chéris pour les servir, selon l'ordre qu'il avait reçu de leur père.
Ils avaient déjà appris un peu la doctrine du magisme, lorsque Étienne les détourna de cette étude. Il leur dit : «Écoutez-moi et quittez lÕerreur à laquelle vous êtes attachés»; et il récita devant eux le symbole de la foi orthodoxe des trois cent dix-huit Pères. Il dirigea ces agneaux, les retira de l'erreur et les fit entrer dans le troupeau du Fils de Marie. Il les perfectionna dans la voie du Seigneur et leur enseigna tous les mystères de l'Église. Dieu répandit sur eux ses miséricordes et ils furent éclairés sur tous les mystères de la sainte Église. Au lieu des paroles, des incantations et du magisme, étienne leur apprit les chants du fils d'Isaïe (les psaumes). Ils méditaient les paroles vivifiantes et ils étaient constamment appliqués aux oraisons et aux veilles prolongées, au jeûne pur et au nazirat de la sagesse. Ils attendaient le moment de revêtir l'armure du baptême. Parce qu'ils étaient tout embrasés et enflammés de l'amour du Seigneur, ils avaient été choisis pour devenir les vases de l'Esprit saint; c'est pourquoi ils montèrent s'élevèrent au degré supérieur à grands pas et se mêlèrent spirituellement aux anges.
Ces enfants dirent (un jour) : «Nous embrassons cette doctrine; dès maintenant nous n'avons plus d'autre maître que le Christ. Nous abjurons nos parents, leurs dieux et leurs sacrifiées, nous n'adorerons plus leurs statues muettes, Ïuvres des mains (de l'homme). Voici le moment de recevoir le baptême : Mar-Étienne, il y a de l'eau, qu'attends-tu ? Nous sommes prêts.» Mar-Étienne leur répondit : Il n'en est point ainsi, ô fidèles ! Vous désirez le baptême et vous en avez soif, je le sais, mais notre Seigneur a voulu que le baptême fût donné par les prêtres, et quiconque n'est pas baptisé par la main d'un prêtre n'est point parfait. Le Seigneur a donné à Simon Pierre les clefs dit royaume des cieux, il a aussi remis entre ses mains la puissance souveraine. Simon Pierre la communiqua aux prêtres, et maintenant elle se transmet entre leurs mains jusqu'à la fin du monde. Comment est-il possible que celui qui ne possède point ce pouvoir, ni les clefs pour ouvrir, reçoive la vertu de l'Esprit saint ? Comment celui qui a besoin d'être consacré pourrait-il consacrer ce qui ne peut être consacré que par l'Esprit saint ? Attendons donc l'arrivée d'un prêtre en ces parages. Nous lui demanderons le baptême, et il sera fait selon votre désir.» Bassus reprit : «Mais l'église n'est pas près d'ici, le prêtre est éloigné, et il ne nous est pas possible d'aller près de lui. La crainte de nos parents ne nous le permet pas, et nous ne trouverons pas l'occasion d'aller près des saints (chrétiens).»
Pendant que ces saints (jeunes gens) étaient ainsi embrasés du désir d'être baptisés, le moment pour eux de revêtir l'armure du baptême et de descendre elle au milieu du combat. Il leur vint la pensée, certes noble, d'aller voir leurs troupeaux et leurs pasteurs. Arrivés presque au milieu des montagnes, dans un endroit célèbre désigné par un nom propre, car on l'appelle la vallée de Géhenne, et situé près des villages de leur père, ils descendirent humblement de leurs chevaux et montèrent tranquillement sur les montagnes dont ils firent l'ascension. Ils gagnèrent le sommet d'une roche escarpée en face de la montagne où les pasteurs faisaient paître. Ces jeunes gens étaient montés en ce lieu pour y être tranquilles, et, par la volonté de Dieu notre Seigneur, leur esprit fut éclairé.
Tandis qu'ils s'amusaient çà et là sur le sommet, un chamois rapide se mit à fuir devant eux. Ces illustrés enfants s'appelèrent mutuellement et lui donnèrent la chasse à travers les montagnes. Comme ils couraient de tous côtés pour le débusquer, ils aperçurent une petite caverne dans le flanc de la montagne; ils approchèrent, entrèrent avec empressement et trouvèrent un vieillard illustre et très pur. Il était vêtit du grossier (habillement de) poil des prêtres et était solitaire de sa profession. Il s'était exercé longuement aux pratiques de l'ascétisme qu'il supportait depuis vingt-sept ans. Pendant ce long espace de temps, ses yeux n'avaient point vu visage d'homme; son regard était constamment fixé sur l'amour de notre Seigneur.
Ces enfants lui étaient envoyés par Dieu pour qu'il les revêtit du baptême divin. Dès que l'ascète les vit, Dieu lÕinstruisit à leur sujet.
Ces innocents agneaux avaient été troublés et effrayés en apercevant ce vénérable vieillard paré de la victoire. Sa couleur était noire, sa chair desséchée, son aspect effrayant, car son corps était émacié par les exercices de l'ascétisme. Comme ces beaux enfants étaient retenus par leur frayeur, le Seigneur changea l'aspect du vieillard qui devint resplendissant comme le soleil. Aussitôt il s'empressa de se lever, les encouragea et leur montra qu'il était un homme séparé du monde. Quand ces nobles enfants connurent ce qu'était ce veillard, ils se précipitèrent vers lui et le saluèrent. Il les bénit, et quand ils eurent reçu la bénédiction de l'homme de Dieu, celui-ci les interrogea soigneusement sur leur conduite. Les innocents agneaux joignirent les mains et, se prosternant devant lui, révélèrent leur secret et firent connaître à l'homme juste tout ce qui leur était arrivé, leur conduite et l'humilité à laquelle ils étaient parvenus.
Le vieillard reconnut qu'ils étaient les temples de la Divinité
et que pour l'amour du Fils de Dieu ils avaient préparé leur âme et même leur corps aux flagellations cruelles et aux supplices; qu'ils ne seraient point lâches dans leurs combats, mais qu'ils s'y conduiraient comme des héros, parce que l'amour du Seigneur s'était fixé avec délices dans leurs âmes. Ils demandèrent à ce vieillard illustre et très pur de leur donner le signe vivifiant du baptême, de les adjoindre aux agneaux élus de la maison de Dieu et de les faire héritiers bénis du royaume céleste. Dès que cet ascète vit la foi de ces enfants, il fut rempli d'une grande et ineffable joie. Il se mit à prier avec ferveur et les baptisa. Ils récurent de lui le vêtement glorieux du baptême et il les fit participer au corps et au sang du Fils de Dieu, afin qu'il fût, pour eux, le gage de la vie (éternelle) au jour du jugement. Alors Dieu leur envoya le don de vie et par lui ils furent solidement armés contre l'erreur.
Ils revinrent dans une grande allégresse près de leur famille, se réjouissant avec leur maître Étienne qui, depuis qu'ils avaient reçu le baptême vivifiant, les exhortait constamment à ne point faiblir. Les enfants se mirent à aller et venir régulièrement près de ce très chaste vieillard Longin.
Alors le jeune Étienne vint, plein de respect, trouver Longin, l'élu (de Dieu) paré de la victoire. Il s'entretint avec lui dans une joie mêlée de crainte, car il était fort inquiet au sujet des enfants.
«Je t'en prie, seigneur,» disait-il à Longin, exhorte et confirme les agneaux que tu as baptisés, afin qu'ils n'abandonnent point lâchement le bouclier qu'ils ont reçu de tes mains. Je sais, en effet, qu'un dur jugement a été prononcé contre eux par les Perses qui sont méchants et cruels.»
Dès lors ce glorieux vieillard Longin fortifia ces innocents agneaux comme des héros. Il les avertissait constamment et sans trêve de leur martyre et des supplices qui leur étaient réservés.
«Écoutez, maintenant, leur disait-il, et apprenez de moi ce que j'ai à vous dire : n'ayez pas de rapport avec les Perses à partir de ce moment. Vous êtes des agneaux, séparez-vous des loups et demeurez fidèlement dans le troupeau du Fils de Marie. Faites en sorte, mes bien-aimés, que vos esprits ne défaillent pas. Préparez-vous aux mauvais traitements et aux injures. Souffrez la mort pour le Maître au nom duquel vous avez été baptisés; tendez sans crainte votre cou au glaive. Petite est la porte et étroite est la route, a dit notre Seigneur, et le courage est nécessaire à celui qui y marche».
Mar-Bassus, le martyr béni, et la chaste Susanne, revêtus de l'armure du saint Esprit, répondirent et sÕécrièrent : «Ô nos
docteurs, nos maîtres et nos frères dans la vérité, soyez sans
inquiétude : nous ne faiblirons pas, non ! (nous le jurons par)
Celui qui, étant grand, s'est abaissé lui-même pour notre salut : non ! (par) Celui qui s'est anéanti lui-même pour nous
enrichir de sa divinité; non ! (par) cet Esprit qui a revêtu un
corps, s'est fait homme! (par) ce (Maître) suprême (lui a abaissé
sa nature divine, est mort sur la croix, fut enseveli, ressuscita
et tua la mort : non ! (par) Celui qui descendit des demeures
mystérieuses de son Père et vécut parmi les êtres terrestres
pour grandir l'homme : nous ne renierons point le baptême
dont vous nous avez revêtus, et nous ne mentirons point à la parole que nous avons donnée devant votre majesté. Nous ne
reconnaissons plus aujourd'hui d'autre maître que le Christ, son Père et son Esprit, de qui dépend toute créature. Et si on
nous prépare le glaive et la mort à cause de lui, nous ne fuirons pas les tourments et les supplices à venir. Nous affronterons tous les combats pour notre Seigneur, car la vie hors du sein de son Église, c'est la mort. De plus, ils amenaient continuellement des païens, des adorateurs du feu et des idoles
muettes, au baptême vivifiant et divin, de sorte quÕils se multiplièrent et devinrent un peuple innombrable.
Ces nobles enfants persévérèrent dans cette voie pendant tout l'été de cette aimée, car l'impie Abouzard, leur père, était descendu en Perse pour y vénérer le temple du feu. Il avait été retenu par le roi, l'insensé Sapor, pendant environ neuf mois. Après avoir été congédié par Sapor, il revint dans Beth-Arabâyé, (et arriva) à Beth-Kélat.
Quand ses serviteurs connurent son retour, ils sortirent à sa rencontre afin de recevoir leur maître selon leur coutume, Abouzard arriva à Pirrin, le château-fort qui est dans le Beth-Zabdé, et entra dans sa maison plein de joie et de contentement. Il prit ses enfants avec un empressement paternel, les embrassa, et son âme fut délicieusement transportée d'allégresse.
Bientôt vint le jour de faire une solennité en l'honneur des idoles. Il se rendit au temple des faux dieux, disposa et offrit de l'encens à ses (statues) muettes, puis il ordonna d'appeler ses nobles enfants, ainsi que leur maître, pour adorer avec lui les idoles, Ïuvres des mains (de l'homme). Quand Bassus, l'élu (de Dieu), la chaste Susanne, et Étienne leur maître et directeur furent réunis, Abouzard leur parla avec douceur et leur demanda de sacrifier. Alors ces vaillants retournèrent tranquillement à la maison sans répondre à Abouzard une seule parole inutile. L'esprit du païen en fut troublé. Il s'enquit chez lui du motif du mépris dont il avait été l'objet. Sa femme le lui fit connaître sur-le-champ : «Mon seigneur et maître tout-puissant, lui dit-elle, écoute-moi. Depuis que tu es parti pour aller en Perse dans la capitale, ils vont continuellement à la montagne près du troupeau. Et quand je m'informais de leurs intentions, ils me répondaient : Nous apprenons là le magisme. Comme l'administration de nos villages nous occupe et nous donne du travail, nous aimons avec passion la tranquillité de la montagne».
Aussitôt ce païen maudit pour son impudence se mit à s'informer diligemment de cette affaire. Le malheureux, exaspéré, fit saisir un de ses serviteurs et le tortura longuement dans de cruels supplices. Celui-ci, vaincu par la douleur, révéla ce qui s'était passé : «Ô Mobed, puissant guerrier, notre maître ! laisse-moi respirer et je t'éclairerai sur l'histoire de tes enfants. Les enfants de ton Altesse sont devenus chrétiens (en vivant) avec Étienne, ce captif à qui ils étaient confiés. Ils ont reçu le baptême et la foi, et je connais même le vieillard qui les a baptisés; crois, seigneur, à ma véracité, et n'en doute pas. Ce vieillard habite là, sur le sommet de la montagne, dans une caverne. Si tu veux examiner avec soin mes faibles paroles, tu trouveras qu'elles sont l'expression de la vérité.»
Dès que le maudit païen Abouzard eut tout appris, il entra dans une violente colère (et devint) semblable à un lion. Le loup cruel s'apprêtait à dévorer les agneaux innocents. Mais le jeune Bassus avait revêtu l'armure de l'Esprit saint, et il répondit à son père, en face, sans trouble : «Écoute, ô vieillard, lui dit-il., et ne sois point ému (par mes paroles). Maintenant je suis inscrit comme serviteur de Jésus, le fils de Marie.» Quand son Père entendit (ces mots), il entra en fureur, commença à le frapper, à le mettre en pièces et à le fouler aux pieds en présence de toute lÕassemblée. Ceux qui étaient présents se
mirent à dire à ce vieillard insensé : «Calme-toi, frère, laisse-le, car c'est aujourdÕhui grande fête, que notre solennité ne soit pas troublée à cause de lui; nous tÕen supplions, que la réjouissance pour laquelle nous sommes venus ici ne se change pas en deuil. C'est un enfant auquel l'erreur a fait perdre l'esprit; laisse-le donc, pour qu'il n'ait point à s'affliger pendant la fête.» Puis ils s'assirent et invitèrent (le jeune homme) à adorer avec eux; ils le cajolaient et essayaient de le séduire par des paroles persuasives. «Ne vous faites point illusion, leur répondait le jeune Bassus, je suis maintenant chrétien et même nazirén, et je ne me mêlerai plus jamais avec les Perses, car ils sont impurs, parce qu'ils sont idolâtres.» Quand son père l'entendit, il fut exaspéré et se leva pour le frapper.
Les mages de la Perse ne le lui permirent. «Lève-toi, enfant, lui disaient-ils, nous passons sous silence (tes injures), laisse-toi maintenant persuader, adore avec nous,ne résiste plus.» L'enfant leur répondait avec courage : «C'est à Jésus de Nazareth que j'offrirai mon adoration.»
Les mages de la Perse étaient stupéfaits de cette résistance de l'enfant. Ils pensaient qu'il avait eu une vision : «Viens chez lui, dirent-ils, raconte-nous donc ce que tu as vu, comment était ta vision et ce qui t'a été dit.»
Son père, en entendant ces paroles, s'était arrêté en silence et sans mot dire, pour voir comment tout cela finirait; (les mages) ajoutèrent : «Enfant, fais-nous connaître ta profession de foi; que nous écoutions ton discours, nous ne connaissons pas ce qui est caché, révèle et explique-le-nous» Le saint répondit et, par la vertu de l'Esprit saint, il leur parla avec une animation inexprimable : «Il m'a été donné de voir que celui que les Juifs ont traité avec insolence, qu'ils ont crucifié en Judée, était le Seigneur de toutes choses. C'est lui l'Agneau vivant de la divinité qui a effacé le péché du monde, qu'il a délivré de l'erreur. Tous ceux qui croient et sont baptisés en son nom adorable ont la vie et posséderont le bonheur dans son royaume; tous ceux qui demeurent dans l'erreur de l'idolâtrie s'exposent au châtiment et au supplice éternel. Et vous, maintenant que j'ai placé les paroles de vérité dans vos cÏurs, croyez et faites-vous baptiser, sinon vous serez poursuivis (comme responsables) de son sang (versé).
Quand les mages entendirent (ces paroles), tous ensemble grincèrent des dents et se mirent à exciter le père insensé pour qu'il fit périr l'enfant. Les serviteurs, voyant sa perte résolue, lâchèrent la main et lui donnèrent le moyen de fuir. Le père, ayant saisi son épée, s'élança à sa poursuite, semblable à un loup qui a soif du sang d'un pur agneau.
L'enfant courait dans le chemin du crucifiement, et parce quÕil y avait vu son maître (souffrir) il se rendit semblable à lui par les tourments qu'il supporta. Il appela sa sÏur pour qu'elle entrât avec lui dans le paradis de la lumière, ainsi qu'Étienne, qui lui avait enseigné la foi. Il parvint près du vénérable prêtre de qui il avait reçu le signe vivant du baptême divin, et le conduisit au vrai martyre, afin que tous ses compagnons entrassent avec lui dans la salle du festin. Il appela sa sÏur, il appela son serviteur, il appela son maître, afin de les inviter au repas de vie. Il appela son père, ce bourreau, pour les conduire rapidement au banquet qui les attendait.
Lorsque le serpent maudit sentit (venir) les martyrs du Fils (de Dieu), il chercha dans sa haine à les faire périr d'une manière cruelle. Le ravisseur enragé poursuivit les agneaux et les déchira sans pitié. Le bourreau courait détruire leurs corps purs et chastes parce qu'ils avaient confessé le Fils de Dieu devant les idolâtres.
Le tyran, dans sa fureur, tira le glaive contre les saints, et les mouvements de sa colère étaient ardents comme (ceux) d'un dragon. Il brandit entre les montagnes, en la faisant étinceler, l'épée avec laquelle il devait verser le sang opprimé des serviteurs du Seigneur. Les serviteurs de Dieu tendirent le cou et affrontèrent la mort. Ils livrèrent leur corps au bourreau, la joie dans le cÏur.
Le loup maudit était sorti à la recherche des agneaux innocents pour déchirer les corps purs des amis de Dieu. Il atteignit d'abord le captif son serviteur qui s'était réfugié contre la paroi de la montagne élevée. Le méchant tyran rugissait contre l'agneau innocent. Les genoux (du serviteur) tremblèrent de frayeur, et il tomba devant son maître. Celui-ci frappa du glaive le cou du martyr Étienne et coupa sans pitié son corps eu morceaux. Ce tyran teignit de sang le captif Étienne et le revêtit comme d'une tonique du pourpre du sang qui coulait de son cou.
Bassus et sa sÏur avaient tourné leurs regards vers celui qui les avait baptisés et dirigés, l'illustre vieillard Longin. L'agneau et la brebis, l'aigle et la colombe fuyaient ensemble de devant le loup, le maudit oiseau de proie Abouzard.
Ces tendres enfants avaient été élevés au milieu des plaisirs et des délices dans le royaume terrestre. Les Perses excitèrent
contre eux une violente persécution parce qu'ils n'avaient pas adoré leurs statues muettes, Ïuvres des mains (de l'homme).
Tandis que les frères innocents étaient poursuivis à travers la montagne, la jeune colombe avait faibli dans sa course. À cause de l'aspérité de la montagne et de son escarpement, les pieds de cette brebis pure étaient ensanglantés. Vaincue par la douleur, la chaste brebis tomba sans pouvoir se relever.
Faible colombe ! ses ailes agiles lui avaient été coupées et elle n'avait point jusqu'alors été accoutumée à marcher pieds nus. Chaste et pudique, sur le modèle de Thècle et de Fébronie, elle avait pris le vêtement de la force et du courage.
Le cruel Abouzard, leur père, volait vers eux, enflammé par l'ardeur de sa colère.
Quand l'innocent agneau vit le loup venir avec impétuosité, il commença à exhorter la brebis sur la foi : «Le moment est venu de recevoir la couronne du martyre et d'entrer en possession de la vie avec les vierges sages.»
Le jeune homme alerte laissa sa sÏur au milieu des rochers, profondément affligé sur son sort. L'enfant vigoureux gravit les pentes de la montagne en priant, profondément troublé : «Dieu de l'univers, disait-il, viens au secours de ta servante ne l'abandonne point aux mains du pervers qui a soif de sa perte.»
Quand le maudit oiseau de proie eut rejoint la tendre colombe
il la prit dans ses mains et la flatta avec astuce. Le misérable lui demandait d'abjurer le Seigneur et de confesser ses idoles; mais elle n'abandonna pas sa foi. Le malheureux insensé essayait de détourner cette âme droite et de la séduire
par des paroles impies. Mai la sainte lui répondait sans rougir : «Je nÕadjurerai pas le Dieu Créateur. C'est lui que je confesse. J'adore son nom dans la foi, et il me délivrera de l'enfer qui t'est réservé. On doit abjurer tes dieux, idoles muettes et
inanimées, Ïuvres de la main des hommes terrestres. Je ne
vénérerai jamais des pierres inertes; je nÕadorerai pas le feu
dont la puissance est détruite par lÕeau. J'adore, comme, il convient, le Père éternel, je suis baptisée et je vis en son Fils qui n'a pas eu de commencement mon âme est marquée du sceau de lÕEsprit saint Consolateur : la Trinité des personnes qui ne forment qu'un seul Dieu. Celui qui est descendu des demeures élevées de son Père et a supporté les douleurs et les soufflets de la part des Juifs, me délivrera du lieu de supplices qui t'est réservé, et me comblera de délices parmi les vierges sages.»
Dès que le détestable et maudit Abouzard comprit qu'il ne pourrait vaincre son courage et l'amener à adorer les idoles muettes, il brandit le glaive qu'il tenait à la main et lui trancha la tête. Son corps sacré tomba sur le rocher. Le maudit oiseau de proie frappa l'hirondelle de son bec et dissémina son plumage parmi les pierres de la vallée.
Les corbeaux, (c'est-à-dire) les mages de la Perse étaient venus se joindre au vieillard insensé et l'exciter à la perte et à la mort de ses enfants. Ces loups enragés entouraient la bienheureuse, la tournant en dérision et la molestant à l'envi. Ces oiseaux de mauvais augure excitaient le père : «Atteins promptement le misérable qui a tourné en ridicule ton Altesse, qui a fait de toi un sujet de dérision et de fable pour les générations futures, qui a méprisé nos dieux et qui s'est surtout moqué de leurs fêtes.»
Et ainsi, peu à peu, il fut enflammé de colère, et il s'avançait
sur le versant de la montagne à la poursuite du jeune homme.
Il gravissait le rocher près de lÕendroit où se trouvait Longin Avant qu'il entrât dans l'intérieur de la caverne, le vieillard se présenta au-devant de lui sur le seuil de la porte. Le tyran furieux, avec le glaive qui tenait à la main, trancha la tête du mine, sans l'interroger, ni le questionner. Le cadavre du saint tomba en bas du rocher, et cette colline fut sanctifiée par le martyre de l'élu de Dieu. Quand l'aspic Abouzard pénétra à l'intérieur de la caverne pour mettre son fils à mort par le glaive, comme ses compagnons, le Seigneur opéra un prodige extraordinaire : la pierre se fendit depuis le haut jusqu'en bas et il ordonna à l'enfant de sÕy placer, semblable à un grain de froment semé, (sous la terre), il germa, poussa et monta sur le sommet de la montagne comme un palmier.
Agenouillé en prière sur le bord de la crevasse, il suppliait Dieu pour lÕinstant du couronnement. Il était humble, patient, pur, magnifique, fort, placide, calme et tranquille, noble et serein, chaste et pudique. Décoré de tous les ornements de la sainteté, il allait recevoir une autre parure, celle du martyre.
Abouzard leva les yeux et vit des bergers sur le sommet de la montagne. Il monta près d'eux et les questionna insolemment au sujet de l'enfant dont il voulait verser le sang comme celui de ses compagnons. L'un des bergers s'avança et lui jura avec assurance qu'il n'avait pas vu son fils depuis un intervalle de vingt jours. Mais un autre berger (digne) d'un vilain nom, homme stupide et insensé, renseigne Abouzard et lui dit : «J'ai vu à l'instant ton fils dans un crevasse du rocher. Si tu ne m'en crois pas, approche-toi de cet endroit et tu verras.» Aussitôt Bassus maudit le berger qui était du territoire de Qâqouna, qui est proche de cet endroit. À l'instant même la chevelure, de ce pervers tomba, son corps fui couvert de lèpre, et il devint l'objet de la risée de tous ceux qui le connaissaient. Quant an berger qui avait fait le serment et avait caché Bassus, le martyr le bénit, lui et son village, et pria pour lui.
Lorsque le cruel maudit vit Bassus qui se tenait sous la crevasse du rocher, il se précipita vers lui avec fureur. Le martyr choisi entra dans le combat des tourments de la chair, l'âme réjouie et le corps content en face de la mort. Le bourreau courait saisi d'une vive agitation. L'assassin leva la main contre lÕinnocent. Alors l'enfant commença à pleurer amèrement. Il suppliait vivement son père : «Je t'en prie, disait-il, calme ta haine et ta fureur contre moi. Ne t'égare pas dans les sacrifices impurs de l'idolâtrie.» Le tyran menaçait : l'enfant livra son corps à la mort. Abouzard s'empressa d'offrir l'agneau en sacrifice. Arrivé à l'autel sur lequel il acheva son combat, l'enfant pria le Seigneur, et le glaive mit fin à sa prière. Cet enfant s'engageait courageusement dans la lutte et invitait ses maîtres à venir à son secours : «Où êtes-vous, ô mes docteurs et mes guides ? Venez, assurez-vous que je n'ai jamais transgressé vos préceptes. Puisse-t-on vous faire connaître la pénible lutte que je soutiens ! Puisse-t-on vous dire le terrible combat dans lequel je suis engagé ! Voici le moment pour les vrais amis de montrer leur affection, car le véritable ami montre son amitié dans le temps de l'épreuve. Venez, mes maîtres, soyez mes paranymphes en ce jour de mon festin nuptial. Réjouissez-vous avec moi dans les noces qui me sont préparées. Le jour qui se lève n'amène point la tristesse, et l'angoisse n'en sortira pas pour tout le monde, car c'est le gué qui fait passer les peines de la vie, et le pont qui conduit des ténèbres à la pleine lumière. Un jour de festin ne s'accomplit pas sans perte et, si celui qui m'aime n'éprouve pas de perte, celui-là n'aura jamais de jouissance. Et moi, maintenant que mon Sauveur m'appelle dans son royaume, si j'épargnais mon sang pour qu'il ne coulât pas, je serais coupable. Si je méprise une petite perte corporelle, je posséderai, avec les saints, les biens promis; c'est donc vrai et parfaitement exact ce que je dis que ce jour me prépare la vie et la royauté.»
Tandis que Bassus s'entretenait dans ces pensées, son père l'atteignit, semblable à un lion qui répand sa bile; (le jeune homme) inclina sa tête contre le rocher d'où il était sorti et, élevant ornement la voix, il s'écria : «Seigneur Jésus, reçois mon esprit et garde-le par ton nom, car j'ai espéré en toi et je meurs maintenant pour toi.»
Il étendait les mains vers Dieu en suppliant; il ouvrit la bouche pour glorifier le Seigneur avant de mourir : «Ô toi qui connais
les choses cachées et les choses manifestes, fortifie ton serviteur qui marche à ta suite avec confiance. Seigneur Jésus,
par la grâce qui t'a envoyé pour notre salut, exauce ma faiblesse et réponds favorablement à ma supplication. Guéris les maladies. Panse les blessures. Console les affligés. Chasse les démons. Répands l'amour. Pardonne les fautes. Sanctifie les corps. Purifie les esprits et les âmes. Fais cesser les guerres. Apaise les tempêtes. Empêche les persécutions. Écoute favorablement, Seigneur, tous ceux qui célébreront ma mémoire avec foi et recourront à moi dans leurs peines. Entends ma faiblesse qui t'implore, ô (Dieu) miséricordieux. Ouvre les yeux des aveugles et accorde la lumière à leurs prunelles, car pour toi j'ai livré mon âme à l'immolation; j'ai abandonné mes parents, ma famille tout entière, et j'ai marché il ta suite.» L'enfant persévérait depuis quelques instants dans cette prière, lorsque le tyran s'approcha avec cruauté et sans pitié. Il brandit le glaive, coupa les deux mains, et ensuite trancha la tête du jeune homme qui s'en alla dans le paradis; puis il jeta le cadavre sacré dans la crevasse du rocher sur le bord de laquelle le saint se tenait en prière devant Dieu.
Quel est le cÏur qui ne serait pas saisi d'une vive douleur en voyant ce père cruel massacrer ses enfants ? Ô prodige souverainement admirable pour tout homme sensé, que dans une si tendre jeunesse il ait été immolé ! On sÕétonne de dire, mes amis, on tremble en entendant combien ce père cruel était privé de toute affection. Que les cieux tressaillent, que la terre frémisse devant un père tellement cruel et un tel manque de pitié pour ses enfants. Qui n'admirera le lutteur, le prince des athlètes qui grandit, s'enrichit et possède les ornements de la sainteté ? Qu'il fut beau, vaillant et courageux contre le tyran dont il humilia la force par la force qu'il avait reçue de Dieu ! Qui n'admirerait un enfant qui engage le combat et censure sans crainte le peuple païen ? Quine s'étonnerait en le voyant jugé avec iniquité, tandis que lui, comme une brebis devant le tondeur, se tenait calme et silencieux ? Qui ne l'admirerait se tenant en face de son père ? Le glaive s'avance et ne l'émeut pas. Qui n'admirerai, la constance du courageux martyr, joyeux et serein en face des tourments et des supplices ? Qui ne serait
dans l'admiration en voyant les Mages de la Perse réunis pour contempler l'aspect effrayant du sang répandu ? Ils sont coupés et jetés à terre ces rameaux chéris qui avaient été nourris dans le même sein et étaient parvenus à la fleur de la jeunesse ! Qui ne pleurerait sur ces tendres agneaux persécutés et torturés cruellement par les Mages de la Perse ? Qui ne laisserait couler de ses yeux des larmes abondantes et amères en voyant leurs corps jetés à terre, comme si c'étaient des bêtes ? Qui ne pleurerait avec gémissements ces frères chéris ? Qui n'inonderait ses paupières de larmes au milieu de ses soupirs ? Ces martyrs étaient enflammés de l'amour du Fils (de Dieu), ils ont engagé le combat sans crainte, ils ont vaincu et triomphé ! Que toutes les bouches se répandent en gémissements sur le meurtre (commis) par Abouzard, le cruel tyran qui massacra ses enfants ! Que tous les enfants de la sainte Église glorifient le Fils premier-né qui embrasa les martyrs de la ferveur de son amour !
L'insensé Abouzard s'en retourna à sa maison et entra dans le temple de ses idoles pour y sacrifier et comme pour les apaiser par (lÕoffrande du) meurtre de ses enfants. Et le Seigneur Sabaoth, celui qui couronna les martyrs bénis, pour la glorification des chrétiens qui s'étaient approchés, envoya sur ces (païens) de devant son trône, des charbons embrasés; il consuma le temple des idoles, dans lequel ils offraient de l'encens, et tous les mages qui s'y trouvaient. L'impie fut ainsi puni par un cruel châtiment en ce monde, et lÕenfer lui est réservé dans le monde futur. Les fidèles, ayant vu ce qui s'était passé, glorifièrent le Seigneur pour le prodige qu'il venait d'opérer en ce lieu. Le berger qui avait caché Bassus à son père sÕen alla à son village et raconta ce qui était arrivé. Aussitôt les habitants de ce lieu s'assemblèrent en foule et allèrent en grande pompe recueillir les corps des martyrs. Ils placèrent le corps du solitaire Longin, l'illustre vieillard couvert de triomphe et ayant revêtu Dieu, avec celui de madame Susanne, la brebis glorieuse, la courageuse martyre, sous le rocher dans lequel habitait ce moine. Ils déposèrent le corps du martyr Bassos dans un lieu voisin du sommet le plus élevé de la montagne, et ils bâtirent là avec empressement une grande basilique qu'ils mirent à tout jamais sous le vocable du martyr Bassus. Quant aux mains du martyr choisi, ces hommes de Hidil les emportèrent dans leur région. Elles opèrent des miracles et des prodiges merveilleux en faveur de quiconque recourt avec foi au martyr Bassus.
Le jour dans lequel les martyrs bénis ont été couronnés était le vendredi onze du mois de Yar, dans l'année six cent quatre-vingt-dix-neuf des Grecs, selon leur manière de compter depuis le commencement du règne du fils de Philippe. Le saint martyr Bassus était âgé de douze ans et trois mois en chiffres ronds.
C'est pourquoi, mes frères, il convient de louer le martyr dans nos chants et nos cantiques. Disons donc :
Gloire à toi, Bassus ! car tu as méprisé le monde et la gloire du temps, tu as aimé les tourments, en échange desquels tu as hérité du paradis.
Gloire à toi, Bassus ! car tu as renié le monde qui ressemble à un songe, pour aimer le monde véritable qui ne périt point.
Gloire à toi, Bassus ! car par toi les mages de la Perse ont été humiliés; tu as vaincu dans ton combat toutes les doctrines de l'idolâtrie.
Gloire à toi, Bassus ! car par toi le démon a été confondu et est devenu à jamais un objet de dérision pour toutes les générations.
Gloire à toi. «Bassus ! car les mages de la Perse n'ont pu te vaincre partout où ils ont combattu contre toi.
Gloire à toi, Bassus ! au moment où la couronne est placée sur ta tête, parce que tu l'as inclinée devant ton Seigneur dans les prières.
Gloire à toi, Bassus ! car les mages de la Perse ne t'ont point ébranlé lorsque leur puissance tyrannique a engagé le combat avec ta jeunesse.
Gloire à toi, Susanne ! car ton chaste corps n'a pas été souillé par les passions de la chair et les désirs passagers.
Gloire à toi, Susanne ! car tu n'as point été dépouillée de ta perle par l'aspic rusé qui veille dans lÕair.
Gloire à toi, Susanne ! car ton âme resplendissante n'a point été ternie par la souillure de ce monde plein de tristesses.
Gloire à toi, Susanne ! car tu as paré ton âme comme une fleur aux jours du printemps, et ton parfum est agréable comme (celui de) la rose.
Gloire à toi, Susanne ! car, par amour pour ton frère Bassus, tu as souffert la mort pour jouir avec lui dans le paradis de lumière.
Gloire à toi, Susanne ! virile martyre, car, dans ton enfance, tu as foulé aux pieds la tête de l'adversaire qui combattait contre toi.
Gloire à toi, Susanne ! de qui sÕexhale le parfum de la myrrhe, car tu as conservé ta sainte virginité.
Gloire à toi, Bassus ! car le jour de ta fête est maintenant et pour toujours célébré dans les églises et les monastères.
Gloire à toi, Bassus ! quand le Fils du Roi apparaîtra dans sa gloire pour rendre la justice et donner à tous les saints leur récompense.
Gloire à toi, Bassus ! au temps où tu reçois de Dieu, pour récompense de tes labeurs, le royaume des cieux.
En ce moment prie pour nous, martyr choisi, afin que par tes prières notre Seigneur nous juge dignes du pardon de nos fautes.
Maintenant, mes frères, venez. Approchons-nous et réfugions-nous près de lui. Implorons-le par nos prières et disons :
Étends ta main droite et bénis le monastère de ceux qui t'honorent, dans lequel repose la relique de ton corps sacré.
Que la croix de ton Maître soit un mur en dehors de son mur : qu'elle en éloigne les fléaux et les verges de colère !
Que la croix de ton Maître le protège et que tous ceux qui habitent dans ce monastère où repose le tabernacle de ton corps soient délivrés par elle !
Que la croix de ton Maître soit pour nous tous un compagnon fidèle qui nous conduise au paradis de lumière rempli de joie ! Que la croix de ton Maître, que tu as aimée dès ton enfance, nous rende dignes de courir à sa rencontre le jour où il nous apparaîtra ! Supplions-le et disons : Seigneur ! Seigneur ! Qu'avec toi nous nous rendions vers celui qui t'a envoyé, si tu le permets. Quant aux défunts morts dans la foi, en espérant en toi, comble-les de joie dans lÕÉglise des premiers-nés qui est dans les cieux; comble-les de joie dans l'Éden, séjour de tous les saints, car la sainte Église les a élevés, et ils sont devenu tiens. Comble-les de joie, Seigneur, dans le lieu où ta volonté est connue, car ils ont reçu le gage véritable de ton corps et de ton sang. Que nous et eux poussions avec confiance ce cri de joie : Béni le Christ qui par sa grâce nous fait entrer dans son royaume. Et là, d'une voix forte, nous ferons monter une nouvelle louange vers toi, Seigneur, vers ton Père et l'Esprit saint, pendant toute l'éternité. Amen. Amen.
Fin du discours sur Mar-Bassus, et sur Susanne sa sÏur. Mar-Étienne, son maître, Mar-Longin qui lÕa baptisé, et qui furent mis à mort et couronnés avec lui. Que leur prière soit avec nous.