HISTOIRE DE VARTAN ET DE LA GUERRE DES ARMÉNIENS

ÉCRITE À LA DEMANDE DE DAVID MAMIGONIN

fêté le 2 juin


J'ai terminé l'ouvrage que tu m'as commandé d'écrire. Tu m'as ordonné de raconter les guerres des Arméniens, dans lesquelles le plus grand nombre combattit avec vaillance. Je les ai écrites en sept chapitres : le premier traite des époques; le deuxième, des faits accomplis par le prince de l'Orient (Sezdedjerd II, roi de Perse); le troisième, de l'union du clergé; le quatrième, de la défection de ceux qui se séparèrent de l'Église; le cinquième, de l'invasion des Orientaux; le sixième, des prouesses des Arméniens dans les combats; le septième, de la longue durée de cette lutte désastreuse.
Dans ces sept chapitres, j'ai disposé et consigné avec des détails circonstanciés l'origine, la marche et la fin des événements, pour que, par une lecture assidue, tu connaisses les actes d'héroïsme des braves et la faiblesse des lâches, non point tant pour satisfaire le désir d'une âme avide de s'instruire des choses terrestres, que pour méditer sur les vues de la céleste Providence qui, dans sa prescience, fait à chacun une égale compensation d'avantages et de revers, et se manifeste visiblement, pour faire comprendre l'éternité.
Mais toi qui es profondément versé dans la connaissance des choses divines, pourquoi demandes-tu, plutôt que de te laisser demander et que tu pourrais donner meilleur que tout ce que je puis donner moi-même ? Toutefois, et autant que nous pouvons le comprendre, et avec nous tous ceux qui se sont occupés de la science, c'est de ta part une preuve d'amour pour Dieu et non d'ambition pour les choses de ce monde, comme l'ont avancé quelques historiens illustres.
La concorde engendre le bien, et la discorde, le mal. Ainsi donc, considérant la charité de ta demande, nous ne nous sommes pas laissé rebuter par notre ignorance. Quoi qu'il en soit, il n'est pas douteux que la sainteté est un secours pour la faiblesse, de même que la prière en est un pour la science, et le saint amour pour le bien publie.
Nous nous résignons volontiers à cet ordre que tu nous as imposé, pour la consolation des fidèles, pour le zèle de ceux qui espèrent et pour l'encouragement des braves qui surent mourir en voyant devant eux Celui qui commande la victoire, qui ne se réjouit pas, comme un ennemi, de la défaite des autres, mais qui leur enseigne son invincible vertu. Quiconque le désire est admis par lui comme un brave champion, et, puisque le nom de cet héroïsme se multiplie, il a donné à chacun de nombreuses grâces; nous savons que la plus grande est le saint amour qui règne dans un coeur sincère. Cette simplicité ressemble à la simplicité suprême, et, l'ayant découverte en toi, nous en avons oublié notre misère. Nous voici prenant avec toi notre essor, ainsi que les oiseaux qui planent au delà de la région orageuse, et, nourris de l'air céleste et incorruptible, nous acquérons la science, en vue du salut des âmes et de la gloire de l'Église toujours victorieuse. C'est ainsi que beaucoup de saints ministres remplissent leur ministère avec félicité, pour la gloire du Père de tous, en bénissant la sainte Trinité qui tressaille d'allégresse dans sa glorieuse essence.
Puisque nous avons reçut la tâche honorable que ta bienveillance nous a imposée, nous débutons par ce qui convient pour un commencement, bien qu'il nous soit pénible de raconter les malheurs de notre pays. C'est donc malgré nous et en pleurant que nous raconterons les malheurs sans nombre qui nous ont assaillis et que nous avons ressentis nous-mêmes.


CHAPITRE PREMIER


LES ÉPOQUES

Lors de l'extinction de la race des Arsocides, la famille de Sassan le Perse s'empara de l'Arménie. Ce prince étendait son pouvoir avec la loi des mages et il avait guerroyé à différentes reprises contre ceux qui ne se soumettaient pas à leurs doctrines. Il commença ses attaques au temps du roi Arsace (III), fils de Diran (II), petit-fils de Tiridate, et il combattit jusqu'à la sixième année du règne d Ardaschès (IV), fils de Vramschapouh (Sdahr Schabouh). Lorsqu'il eut détrôné ce prince, le pouvoir passa aux mains des satrapes arméniens, et, bien que les impôts fussent envoyés en Perse, cependant toute la cavalerie arménienne était placée, durant la guerre, sous le commandement de satrapes. Aussi le culte divin, levant librement la tête, brilla en Arménie depuis le règne du roi des rois Sapor (Schabouh) jusqu'à la seconde année du règne d'Iezdedjerd (II), (Azguerd) roi des rois, fils de Baliram (V) (Vram). Satan en fit son instrument, par le moyen duquel il lança tout son fiel, et il le remplit de son venin comme un vase de choix. Le roi commença à menacer avec colère, et, en rugissant, souleva la poussière aux quatre coins du monde; il regarda les fidèles comme ses ennemis et ses adversaires, et, furieux, la paix troublait son repos. Avisant la discorde, assoiffé de sang, il cherchait sur qui répandre son venin et choisissait le pays qu'il pourrait cribler de ses flèches. Pour comble de folie et ainsi qu'une bête féroce, il se jeta sur le pays des Grecs et s'avança jusqu'à Nisibe (Medzpin), dévastant, saccageant plusieurs villes romaines. Il brûla les églises, fit du butin, emmena des esclaves et sema l'épouvante parmi les troupes de la province.
Mais le bienheureux empereur Théodose, ami de la paix dans le Christ, ne fit pas résistance. Il envoya beaucoup d'argent par un personnage appelé Anatole (Anadol), son général en Orient. Celui-ci arrêta la marche des Perses qui avaient envahi et pris la ville impériale et remit au roi les trésors; il en passa par toutes ses exigences et apaisa ainsi son implacable colère. Le roi rentra à Ctésiphon (Dizpou).
Lorsque ce prince indigne vit les progrès de son iniquité, il voulut l'accroître par un autre moyen, comme lorsqu'on jette du bois sur du feu. Partout où il soupçonnait, il frappait. Il détourna beaucoup de chrétiens de la sainte religion, les uns par des menaces, les autres par la prison et les tortures. Plusieurs subirent une mort affreuse, tous furent ignominieusement persécutés. Ayant vu qu'ils s'étaient dispersés de tous côtés, il manda ses conseillers. Ceux-ci étaient indissolublement attachés à l'idolâtrie; ils brûlaient d'ardeur comme une fournaise et voulaient réduire en cendre la foi de la sainte Église.
Ils étaient plongés dans d'horribles ténèbres et leur esprit assoupi dans leur corps ressemblait à un être vivant enfermé dans le sépulcre, sans qu'aucun rayon de la sainte lumière du Christ vînt les éclairer. Ainsi, au moment d'expirer, les ours combattent avec rage, et les sages s'enfuient en les évitant, de même la domination de ces hommes. Quand ils sont vaincus, ils ne le sentent pas; et quand ils sont vainqueurs, ils ne le comprennent pas. Lorsqu'ils n'ont pas d'ennemi extérieur, ils se battent et font la guerre à eux-mêmes. C'est à eux que le prophète s'adresse : «L'homme affamé se traîne et dévore la moitié de lui-même». Le Seigneur a dit aussi : «Toute maison et tout royaume divisés contre eux-mêmes ne peuvent subsister.»
Mais pourquoi tant de peines ? Pourquoi ces combats ? Pour appeler au conseil ceux qui ont égaré ton esprit, ont changé l'incorruptible en corruption et entraînent ton corps que la mort corrompra, comme un cadavre que l'on rejette loin de soi ? Tu le veux ainsi pour dissimuler tes iniquités; mais quand tes forfaits seront dévoilés, tu verras quel en sera le dénouement.
Les mages dirent : «Ô roi valeureux ! les dieux t'ont donné la puissance et la victoire; ils n'ont pas besoin en retour des hommages terrestres; ils exigent seulement que tu réunisses sous une seule loi tous les peuples qui vivent dans ton empire. Le pays des Grecs lui-même se soumettra à tes lois. C'est pourquoi, Sire, exécute promptement ton projet. Lève des troupes, rassemble des soldats, marche sur le pays des Kouschans, réunis tous les peuples, et établis-toi au delà des portes. Quand ils seront tous retenus et confinés dans des contrées reculées et inhospitalières, tes projets et ta volonté seront accomplis, et, comme nous l'apprend notre religion, tu régneras sur les Kouschans et les Grecs ne se révolteront plus contre ta puissance. Mais surtout anéantis la secte des chrétiens.»
L'avis plut au roi et aux grands qui pensaient ainsi. On rédigea un décret que des courriers portèrent dans toutes les parties de l'empire. Il était ainsi conçu :
«À toutes les nations de mon empire, aux Arik et aux Anarik, salut et bienveillance de notre part. Soyez heureux, car nous le sommes aussi à l'aide des dieux.
Sans rien exiger de vous, nous sommes allé envahir le territoire des Grecs, et là, sans tirer l'épée, mais par l'amour et la clémence, nous avons soumis tout le pays à notre autorité. Vous, soyez heureux et dans l'allégresse, et exécutez promptement ce que nous vous ordonnons. Nous avons conçu le projet formel de nous rendre dans les contrées de l'Orient, et de reconquérir, avec l'aide des dieux, l'empire des Kouschans. Dès que vous aurez reçu ce décret, réunissez sans retard la cavalerie et venez me rejoindre dans la province d'Abar.»
Cet édit fut promulgué dans les pays des Arméniens, des Ibères (Virk), des Aghouank, des Lephin, des Dzotek, des Gortouk, des Aghdznik et dans beaucoup d'autres régions éloignées, qui anciennement n'étaient pas tenues de se rendre dans cette contrée. Dans la Grande-Arménie, on fit une levée de nobles et de fils de nobles, d'hommes libres et de personnes de sang royal, on en fit également chez les Ibères, les Aghouank, les Lephin, dans toutes les autres régions méridionales voisines du pays des Dadjik (Dadjgasdan) et du pays des Romains, des Gortouk, des Goths (Ket), des Dzotek et des Arznarz, qui tous étaient fidèles à la seule Église catholique et apostolique.
C'est alors qu'en pleine sécurité, ignorant les intentions perfides du roi, ces peuples se rendirent promptement à son appel et quittèrent leurs territoires avec une grande joie et avec des sentiments de fidélité pour le souverain, en maintenant avec une ardeur infatigable leur valeur militaire. Ils apportèrent avec eux les Livres saints et se firent accompagner par beaucoup de religieux et de prêtres, après avoir réglé les affaires du pays, sans compter sur la vie : mais, en attendant la mort, ils recommandaient tour à tour (à Dieu) leur âme et leur corps. Mais bien que les projets du roi ne leur fussent pas connus, tous concevaient des soupçons, surtout lorsqu'ils virent la puissance des Grecs abattue devant lui; alors ils s'affligèrent intérieurement et furent saisis de découragement.
Cependant, en observateurs fidèles de la loi de Dieu, ils se souvinrent des paroles de Paul : «Serviteurs, obéissez à vos maîtres temporels, non pas faussement et en apparence, mais de bon coeur, comme si vous serviez Dieu et non un homme, car c'est Dieu qui vous récompensera de votre labeur.» Alors ils quittèrent docilement leur pays et, s'étant recommandés au saint Esprit, ils vinrent auprès du roi, accomplissant exactement ses ordres et faisant tout selon sa volonté. Mais le roi commença à mettre à exécution les avis que lui avaient suggérés les complices de sa cruauté.
Voyant l'organisation et la multitude de barbares venus volontairement renforcer son armée, le roi se montra très satisfait en présence des grands et des soldats. Il cachait au dehors ses desseins perfides, et, malgré lui, il les comblait de présents. Tout à coup il envahit les terres des Huns (établis à l'est de la mer Caspienne) et qui s'appelaient aussi Kouschans.
Il guerroya contre eux pendant deux ans et ne parvint à les soumettre. Il licencia alors les troupes et en appela d'autres pour poursuivre la campagne. De cette manière, d'une année à l'autre, il implanta cette pratique et il fit bâtir une ville pour y établir sa résidence, depuis la quatrième année de son avènement jusqu'à la onzième de son règne.
Quand le roi vit que les Grecs tenaient l'alliance qu'ils avaient conclue avec lui et que les Khaïlentourk ne faisaient plus d'invasion par le défilé de Djor, que leur pays jouissait d'une paix profonde et qu'en outre il avait réduit à l'extrémité le roi des Huns, en dévastant beaucoup de ses domaines, tandis que sa puissance avait prospéré d'autant, il en donna avis à tous les temples du feu de son empire. Il fit immoler au feu des taureaux blancs et des boucs à l'épaisse toison, et rendit plus fréquents les sacrifices de l'abomination. Il conféra des dignités et des couronnes aux mages et aux chefs des mages, et ordonna qu'on confisquât aussi les richesses et les biens des chrétiens qui se trouvaient dans le royaume de Perse.
De cette manière, le roi s'enorgueillit et s'en imposa tant à lui-même, en se croyant un être supérieur à la nature humaine, non seulement à cause de ses victoires sur la terre, mais encore parce qu'il s'imaginait appartenir à l'ordre surnaturel. Aussi il dissimulait hypocritement ses prétentions orgueilleuses; mais, en présence des sages, il se rangeait parmi les dieux. Il se mettait en fureur contre le nom du Christ, lorsqu'il entendait qu'il avait souffert, qu'il avait été, crucifié, qu'il était mort et avait été enseveli.
Dans son délire, il en parlait chaque jour, lorsqu'un des plus jeunes satrapes arméniens lui dit : «Sire, d'où as-tu appris ces détails sur le Seigneur ?» Le roi répondit : «On m'a lu les livres de votre secte.» Le jeune homme reprit : «Pourquoi. Sire, n'as-tu fait lire que jusqu'à ce point ? Fais poursuivre ta lecture et tu apprendras sa résurrection, son apparition à un grand nombre de personnes, son ascension au ciel, où il est assis à la droite du Père; la promesse d'une seconde apparition en vue d'opérer pour tous une résurrection miraculeuse et la rétribution définitive de son arrêt équitable.» À ces mots, le roi partit d'un éclat de rire et dit : «Mensonge !» Le champion du Christ répondit : «Si les souffrances corporelles te semblent croyables, crois encore davantage à sa seconde et redoutable apparition.»
Là-dessus le roi s'enflamma de colère comme le feu de la fournaise de Babylone, et ceux qui l'entouraient, et les Chaldéens furent exaspérés. Le roi fit tomber sa colère sur le bienheureux jeune homme, qui se nommait Karékin. On lui lia les pieds et les mains, on lui fit endurer pendant deux ans de cruels supplices, et, après lui avoir enlevé sa dignité, on le livra à la mort.


CHAPITRE DEUXIÈME


DES FAITS ACCOMPLIS PAR LE PRINCE DE L'ORIENT1

Ceux qui montrent du refroidissement pour les vertus célestes sont pusillanimes; ils tremblent de tout, se troublent des moindres choses, tournent à tout vent; leur vie passe comme un songe, et au moment de la mort, ils prennent la voie de l'irréparable perdition. Comme il a été dit autrefois : «La mort qu'on ne comprend pas est bien la mort; mais la mort qu'on comprend, c'est l'immortalité. Celui-là craint la mort qui ne la connaît pas, mais celui qui la connaît, ne la craint pas».
Tous les maux sont entrés dans l'esprit de l'homme par l'ignorance. L'aveugle est privé des rayons du soleil et l'ignorant est privé de la vie parfaite. Il est préférable d'être privé de la vue que de la lumière de l'intelligence. De même que l'esprit est supérieur au corps, la vie de l'esprit est aussi supérieure à celle du corps. Si quelqu'un possédait en abondance des richesses terrestres et qu'il fût pauvre d'esprit, il serait bien à plaindre, comme on le voit non seulement chez les hommes vulgaires, mais encore chez celui qui est plus grand que tous les autres. Le roi qui, sur le trône, ne possède point la sagesse n'est pas digne de son rang. S'il en est ainsi des choses terrestres, il en est bien autrement des choses spirituelles. L'âme est la vie du corps, et l'esprit est le régulateur du corps et de l'âme. Ce qu'on dit d'un individu se dit aussi de tout le monde. Le roi non seulement est responsable de lui-même, mais aussi de ceux dont il a amené là perdition. Bien qu'il ne soit point permis de médire du prince, cependant nous ne pouvons adresser des louanges à celui qui combat contre Dieu; c'est pourquoi je raconte les événements accomplis, qui, à cause de lui, frappèrent la sainte Église : je le fais sans plus tarder, non pas dans l'intention de murmurer; mais je romprai le silence et j'exposerai avec sincérité le résultat des événements, sans être provoque par des opinions ou des récits brillants. J'ai été moi-même témoin de ces événements, j'ai vu, et j'ai entendu le son de sa voix qui prononçait d'insolentes paroles. De même qu'un vent déchaîné s'abat en haute mer, de même il excitait e ébranlait la multitude de ses troupes. Il étudiait et comparait toutes les religions de son empire avec le magisme, l'art de la divination, et y comprenant hypocritement le christianisme, il disait en colère : «Interrogez, examinez, observez ! nous choisirons ce qui nous paraîtra le meilleur.» Et il s'empressait d'exécuter ses résolutions.
Cependant, de tous côtés, les chrétiens qui étaient à l'armée soupçonnèrent le feu caché qui devait incendier en même temps les montagnes et les vallées. Ils se réchauffèrent alors au feu inextinguible et se préparèrent courageusement aux épreuves qui les attendaient. Ils se mirent à pratiquer leur religion ostensiblement, à expliquer leur foi, à chanter à haute voix des psaumes et des cantiques spirituels. Dépouillant toute crainte, ils enseignaient ceux qui s'adressaient à eux; le Seigneur les favorisait par des miracles et des prodiges, et même beaucoup de soldats païens malades furent guéris.
Lorsque le prince impie se sentit découvert et sa trame éventée par les fidèles, il se sentit troublé intérieurement; son corps et son âme furent mortellement blessés. Tantôt il se tordait comme un serpent venimeux, tantôt il rugissait comme un lion en fureur, il se roulait et se terrassait dans (les combats) de ses stériles pensées et s'efforçait d'exécuter ses desseins. Sa main ne pouvant atteindre les objets de sa haine, puisqu'ils n'étaient pas rassemblés auprès de lui, il commença à favoriser le peuple au détriment des nobles, les gens méprisables plus que ceux qui avaient droit au respect, les ignorants plus que les savants, et les lâches plus que les braves. À quoi bon les énumérer ? Il élevait les indignes, abaissait les hommes de valeur, au point d'éloigner petit à petit le père du fils.
Pendant ce temps il s'acharnait principalement contre l'Arménie dont il voyait (les habitants) fort attachés à leur religion; les familles de satrapes en particulier qui observaient fidèlement les saintes prescriptions des apôtres et des prophètes. Il en acheta quelques-uns à prix d'or, d'autres au moyen de présents; il donnait aux uns des terres et de riches villages, aux autres des honneurs et un grand pouvoir, et il prodiguait les vaines promesses. De cette manière, il les excitait et les flattait sans cesse en leur disant : «Si vous confessez seulement les lois du magisme et si, de toute votre âme, vous vous convertissez de votre secte au culte de nos dieux, je relèverai votre rang et votre autorité, vous deviendrez égaux à mes satrapes bien-aimés et vous serez ici en grand nombre.» Il s'humiliait ainsi hypocritement en présence de tous, leur parlait d'une manière affectée afin de pouvoir les tromper traîtreusement suivant les avis de ses conseillers. Il se conduisit de la sorte depuis la quatrième jusqu'à la onzième année de son règne.
Voyant l'échec de ses ruses, la conduite opposée des Arméniens et l'expansion universelle du christianisme, il se découragea, se répandit en plaintes et en gémissements. Il fut contraint de livrer son secret et ordonna «que tous les peuples et toutes les langues de l'empire abandonnent leurs fausses doctrines religieuses, viennent adorer le Soleil et lui sacrifient comme à leur unique et seul Dieu, qu'ils rendent également un culte au feu. Qu'ils gardent en outre les lois du magisme, afin qu'elles soient toujours observées.» Il donnait ensuite des ordres menaçants à l'armée et expédiait en toute hâte des messagers à toutes les nations lointaines en leur imposant le même commandement. Au début de la douzième année de son règne, il fit une grande levée de troupes et entra sur le territoire (des Kouschans), dont le roi n'osa lui livrer bataille. Fuyant dans les régions les plus impénétrables du désert, il échappa avec son armée. Quant au roi (Iezdedjerd II), il envahissait les provinces et les campagnes, prenant des châteaux et des villes, entassait les prisonniers et le butin et les expédiait dans son empire. Son plan ayant échoué, il s'obstinait et disait aux ministres du culte idolâtre : «Qu'offrirons-nous aux dieux en échange de cette grande victoire qui prouve que personne n'ose nous combattre ?»
À ce moment, mages et Chaldéens élevèrent ensemble la voix et dirent : «Les dieux qui te donnèrent la victoire et la domination sur tes ennemis, n'ont pas besoin de te demander des biens spirituels, mais (ils désirent) que tu détruises toutes les sectes et que tu les convertisses à la religion de Zoroastre». L'avis plut au roi et aux grands, surtout aux principaux ministres du culte; ils tinrent conseil, l'avis fut adopté. On fit aussitôt éloigner de la porte de la montagne (on nommait ainsi le défilé des portes du Caucase) la nombreuse cavalerie des Arméniens, des Ibères et des Aghouank, et tous les fidèles. On donna une consigne rigoureuse aux gardiens du défilé pour qu'ils laissassent entrer ceux qui venaient de l'Orient, mais qu'ils fermassent le chemin à ceux qui se rendaient du côté de l'Occident. Lorsqu'ils furent internés dans l'enceinte fortifiée et imprenable, - et je le dis en vérité, car il n'y avait pas d'endroit pour se cacher ou pour fuir, les ennemis étant groupés à l'entour, - on les saisissait, ensuite on les torturait cruellement, et on les réduisait à une telle extrémité qu'on força beaucoup d'entre eux à renier le vrai Dieu et à adorer les éléments. Cependant les vaillants disaient : «Nous prenons à témoin le ciel et la terre que jamais nous n'avons été négligents dans le service du roi, que la lâcheté ne s'est jamais mêlée à nos actes, nous ne méritons donc aucunement ces persécutions.» Le bruit de leur plainte se fit si grand qu'il arriva jusqu'au roi qui jura et dit : «Je ne vous laisserai pas en paix tant que vous n'aurez pas accompli mes ordres.»
Or, les perfides serviteurs du roi obtinrent la permission de torturer quatre des principaux champions. Ils les rouèrent de coups en public, puis les enchaînèrent et les mirent en prison. Le roi parut pardonner à quelques-uns, en rejetant la faute sur ceux qui étaient incarcérés, et il agissait de la sorte par une inspiration de Satan.
Douze jours plus tard, il fit préparer un banquet plus somptueux que de coutume et y invita beaucoup de soldats chrétiens. Au moment de prendre place, il désigna à chacun d'eux et en grande pompe, le rang (qu'il devait occuper à table). Il leur parla doucement et affectueusement, comme autrefois, afin qu'ils mangeassent la viande immolée dont les chrétiens ne pouvaient se nourrir. Nul n'y consentit; il insista peu et ordonna qu'on leur servît leur nourriture accoutumée; il augmenta la gaieté du festin en faisant servir plusieurs vins. Ensuite, les ayant fait passer dans la chambre royale, on en arrêta plusieurs à qui ou lia les mains derrière le dos avec des courroies et on y mit un scellé. On les garda ainsi pendant deux ou trois jours et on leur fit endurer bien d'autres, châtiments infâmes que nous ne croyons pas nécessaire de raconter. Puis on en éloigna plusieurs, après les avoir dégradés, comme indignes de conserver leur rang dans la noblesse.
Après cela, on en déporta par bandes en pays lointain, dans un désert impraticable, pour y guerroyer contre les ennemis du roi; beaucoup furent passés par les armes; on réduisit le salaire de tous; on les faisait souffrir de la faim et de la soif, on les faisait habiter l'hiver dans des lieux très froids, et ils étaient signalés aux yeux de tous pour lâches et infâmes. Cependant, fortifiés par l'amour du Christ, ils souffraient joyeusement pour son nom et pour la sublime espérance qui est préparée aux patients observateurs de ses commandements. Plus la méchanceté se faisait cruelle, plus ils se fortifiaient dans l'amour du Christ, d'autant plus que beaucoup parmi eux avaient, dans leur jeune âge, appris les saintes Écritures; ils se consolaient et consolaient leurs compagnons et pratiquaient publiquement leur culte. C'est pourquoi les païens, à qui leurs paroles semblaient agréables et consolantes, les exhortaient et les encourageaient, (en leur disant) qu'il valait mieux souffrir jusqu'à la mort que de renier une telle religion. Mais bien que, par l'amour du Christ, ils fussent intérieurement joyeux, leur existence matérielle ne laissait pas d'être très misérable dans cet exil. De si braves soldats étaient tombés dans la plus vile condition et leur patrie gémissait asservie par un oppresseur qui répandant le sang, violait les lois des païens et ne croyait pas qu'il y eût au ciel un vengeur de son iniquité. Il ne tenait aucun compte du mérite personnel, et il tourmentait de préférence les satrapes arméniens dont les mères avaient nourri les frères (du roi).
Il imagina encore un autre moyen; il envoya en Arménie un de ses fidèles serviteurs appelé Tenschatpouh, afin que, porteur d un ordre royal, il offrît les salutations du grand roi et en simulant la douceur il fit le dénombrement de toutes les possessions des Arméniens, pour les exempter des tributs et diminuer le contingent de la cavalerie.
Malgré sa finesse on découvrit son dessein. Premièrement, il frappa d'un impôt la liberté de l'Église; secondement. il engloba dans, cette taxe les religieux, des monastères; troisièmement, il augmenta les tributs; quatrièmement, il mit la division parmi les satrapes, jeta le trouble dans toutes les familles. Il agissait de la sorte afin de détruire l'union, disperser le clergé, chasser les moines et opprimer les agriculteurs, et pour que dans leur détresse, ils vinssent, malgré eux, demander un refuge auprès des mages. Le cinquième moyen fut encore plus fâcheux. L'intendant général du pays était regardé comme un père pour les chrétiens. On excita et on accumula contre lui des accusations; on le dépouilla de sa charge, on le remplaça par un Persan comme gouverneur et par un chef des mages comme juge du pays, afin de troubler la paix de l'Église. Malgré la perfidie de cette conduite, personne ne molestait ouvertement l'Eglise aussi ne fit-on pas d'opposition, bien que les tributs fussent lourds et que de ceux qui payaient cent tahégans on en exigeât le double. On mettait des impôts sur les évêques et les prêtres, non seulement des contrées prospères, mais des contrées dévastées. Qui racontera cette charge des taxes, des impôts, des tributs, des exactions sur les montagnes, les, campagnes et les bois ? On ne les exigeait pas suivant la convenance royale, mais suivant la coutume des assassins. Eux-mêmes s'étonnaient que le pays pût être encore florissant après qu'on en avait tiré tous les trésors.
Voyant que rien ne lassait notre constance, on ordonna secrètement aux mages et aux chefs de mages de rédiger un édit suivant les doctrines de leur fausse religion. Le voici :
«Mihr-Nersèh, gouverneur suprême de l'Iran et de l'Aniran, aux habitants de la Grande-Arménie, salut !
Sachez que tout homme qui habite sous le ciel et ne suit pas la religion du Mazdéisme est sourd, aveugle et trompé par les dev d'Arimane. En effet, tant que les cieux et la terre n'existaient pas, le grand dieu Zétouan fit des sacrifices pendant mille ans et dit : «Si par hasard il me naît un fils du nom d'Ormizd, il créera les cieux et la terre.» Or il arriva qu'il enfanta deux fils, l'un pour avoir fait des sacrifices, l'autre pour avoir dit : Si par hasard. Il dit alors : «Je donnerai mon empire à celui qui viendra le premier.» Alors celui qui était né sous la parole du doute se présenta. Zérouan lui demanda : «Qui es-tu ?» Il répondit : «Je suis ton fils Ormizd.» Zérouan lui répliqua : «Mon fils est éclatant et répand une odeur agréable, et toi tu es ténébreux et puant.» Tout en se lamentant amèrement, il lui accorda l'empire pendant mille ans. Quand son autre fils naquit, il le nomma Ormizd, enleva la royauté à Arimane et la donna à Ormizd, en disant : «Jusqu'à présent je t'ai offert des sacrifices, dorénavant c'est toi qui m'en offriras». Alors Ormizd créa le ciel et la terre, et Arimane au contraire enfanta tous les maux; en sorte que les créatures se divisent ainsi : les anges appartiennent à Ormizd et les dev à Arimane. De même tout ce qu'il y a de bien sur la terre, c'est Ormizd qui le créa, et tout ce qui est mauvais est la création d'Arimane. Ormizd créa l'homme, et Arimane, les peines, les maladies et la mort. Toutes les misères, les malheurs, les guerres meurtrières sont l'oeuvre du créateur du mal; mais le bonheur, la puissance, la gloire, les honneurs, la santé du corps, la beauté du visage, l'éloquence du langage et la longévité sont l'oeuvre du créateur du bien. Tout ce qui n'est pas ainsi a été produit par l'auteur du mal.
«Les hommes qui disent que c'est l'auteur de la mort et que le bien et le mal proviennent de lui, sont dans l'erreur : surtout les chrétiens qui affirment que Dieu est jaloux et que, pour une seule figue détachée d'un arbre, il a créé la mort et condamné les hommes à la subir. Une telle jalousie n'existe point entre les hommes et encore moins entre Dieu et l'homme. Donc ceux qui disent cela sont sourds et aveugles, et trompés par les dev d'Arimane. Les (chrétiens) professent encore une autre erreur; ils disent : Dieu, qui a créé le ciel et la terre, vint
au monde et naquit d'une vierge nommée Marie, dont l'époux s'appelait Joseph; (mais la vérité est qu'il était fils de Phantour, par suite d'un commerce illicite). Il s'en trouva beaucoup qui furent séduits par cet homme. Si le pays des Grecs (Romains), par comble d'ignorance, fut grossièrement trompé et s'éloigna de notre culte parfait, ils sont la cause de leur perte. Pourquoi partageriez-vous leur erreur ? Vous devez professer la religion que suit votre maître, d'autant plus que, devant Dieu, nous devons rendre compte de vous.
Ne croyez pas à vos supérieurs spirituels que vous nommez Nazaréens, car ils sont trompeurs. Ce qu'ils enseignent en paroles, ils le démentent en actions. Ils disent que ce n'est point péché de manger de la chair, et eux refusent d'en manger; qu'il est permis de prendre femme, et eux ne veulent point les regarder; que celui qui amasse des trésors pêche, et ils exaltent au plus haut degré la pauvreté. Ils aiment les tribulations et méprisent la prospérité; ils dédaignent la fortune et considèrent la gloire comme le néant; ils aiment les vêtements pauvres et estiment les choses communes au-dessus des choses précieuses; ils louent la mort et méprisent la vie; ils blâment la naissance des enfants et regrettent la stérilité; si vous les écoutez, vous ne vous approcherez plus des femmes, et la fin du monde arrivera bientôt. Je n'ai pas voulu vous décrire chaque chose en détail, quoiqu'il y ait encore bien d'autres choses qu'ils disent.
Ce qui est encore plus grave que tout le reste, c'est qu'ils prêchent que Dieu a été crucifié par les hommes, qu'il est mort, qu'il a été enseveli et qu'ensuite il est ressuscité et monté au ciel. Ne devriez-vous pas vous-mêmes faire justice de semblables doctrines ? Les dev, qui sont méchants, ne sont pas emprisonnés, ni tourmentés par les hommes, encore moins le Dieu créateur de toutes choses. C'est une honte pour vous de dire de pareilles choses, et pour nous c'est tout à fait incroyable.
C'est pourquoi je vous soumets deux questions : ou réfutez tout ce qui est contenu dans mon édit; ou levez vous, venez à la Porte et présentez-vous devant le tribunal suprême.»

Noms des évêques qui firent réponse à cet édit.

Joseph, évêque d'Ararot; Sahag, évêque de Daron, Melidon, évêque de Manazguerd; Eznig, évêque de Pakévand; Sournag, évêque de Peznouni; Dadjad, évêque de Daïk; Tatig, évêque de Pasèn; Kasou, évêque de Douroupéran; Jérémie, évêque de Martasdan; Eulalius, évêque de Martaghi; Anania, évêque de Siounie; Mousché, évêque des Ardzrouni; Sahag, évêque des Reschdouni; Basile, évêque de Mog; Kat, évêque de Vanant; Elisée, évêque des Amadouni; Eghpaïr, évêque des Antzévatzi; Jérémie, évêque des Abahouni.
Tous ces évêques, beaucoup de chorévêques, de vénérables prêtres de différents lieux, d'un commun accord avec le clergé, et réunis ensemble à Ardaschad, avec le consentement des grands satrapes et de tout le peuple, firent cette réponse à l'édit :
«Joseph, évêque, du consentement de tous les fidèles, des plus grands aux plus petits, à Mihr-Nersèh, grand intendant des Arik et des Anarik, ami sincère de la paix; salut à toi et à tous les officiers supérieurs des Arik.
Suivant les préceptes divins, nos ancêtres nous ont transmis la coutume de prier pour le roi, de demander sans cesse à Dieu pour lui une longue vie, afin qu'il gouverne avec bonté l'empire que Dieu lui a confié; car c'est dans la paix qu'il nous accorde de passer notre vie dans la santé et dans le service divin.
Relativement à l'édit que tu nous as adressé, il fut un temps où un des chefs de vos mages - des plus instruits dans votre religion, et que vous teniez pour plus qu'un homme - crut an Dieu vivant, créateur du ciel et de la terre, réfuta dans le détail et fit voir l'erreur de votre culte. N'ayant pu le réfuter, ou le lapida par ordre du roi Ormizd. Si tu ne nous en crois pas, lis les livres de ce mage qui sont répandus en divers lieux de ton pays, et tu en auras la preuve.
En ce qui concerne notre religion, elle n'est pas invisible, elle n'est pas prêchée dans un seul coin du monde, mais elle est universellement répandue sur toute la terre, sur les mers, sur les continents, dans les îles; non seulement en Occident, mais en Orient, au Nord et an Midi; enfin elle est pratiquée partout. Elle n'a été fondée par l'homme, ni imposée par des chefs de ce monde; mais sa force est en elle-même. Elle n'est pas seulement supérieure, si ou la compare aux autres religions, mais son institution infaillible lui vient du ciel, non par convention, puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu, et il n'y a personne en dehors de lui qui lui soit supérieur ou inférieur. Car il n'a pas eu de commencement pour être Dieu, il est éternel en lui-même; il n'est pas contenu dans tel ou tel lieu, mais il est contenu en lui-même; il n'est pas soumis au temps, mais le temps n'existe pas pour lui. Non seulement il est supérieur aux cieux, mais encore à la raison humaine et à celle des anges. Il ne prend aucune forme et reste invisible; non seulement la main ne peut le toucher, mais nulle pensée ne peut le concevoir, je ne parle pas pour nous qui avons un corps, mais pour les anges incorporels. Cependant, s'il le veut, il se manifeste aux siens qui en sont dignes, sans qu'ils le voient avec leurs yeux; et non pas à ceux qui ont l'esprit du monde, mais à ceux qui croient véritablement en Dieu.
Son nom est : Créateur du ciel et de la terre. Mais comme il existait par lui-même avant le ciel et la terre, c'est lui-même qui est son nom. Il est éternel. Quand il voulut que les créatures eussent un commencement, il les tira, non de ce qui existait, mais du néant, car il est le seul être et toutes choses ont reçu de lui l'existence. Il ne les créa pas après les avoir réfléchies, mais avant de les créer il les voyait dans sa prescience. Comme maintenant aussi, Dieu connaît les actions humaines avant leur exécution, et lorsque l'homme agit bien ou mal; ainsi, avant l'existence des choses, il ne connaissait aucun objet incréé qui fût confus; mais, devant lui, toutes les espèces de chaque genre, les races des hommes et des anges s'offraient à lui en ordre et par catégories, ainsi que tout ce qu'il y aurait dans chaque espèce.
Puisque sa vertu a tout créé, notre malignité ne pouvait empêcher sa bonté, comme cela eut lieu, et nous avons pour juge la main du Créateur. Les mains qui affermirent les cieux et la terre gravèrent sur des tables de pierre un commandement qui comprend des lois pacifiques et salutaires, afin que nous connaissions le seul Dieu, créateur des choses visibles et invisibles, et non tantôt celui-ci et tantôt celui-là, comme si l'un était bon et l'autre mauvais; mais lui seul est parfaitement bon.
Et s'il te semble qu'il y ait quelque chose, de mauvais dans les créations de Dieu, dis-le sincèrement, et tu verras peut-être que c'est un bien. Tu as dis que les dev mauvais, il y en a aussi de bons que nous appelons anges. S'ils l'avaient voulu, les dev même auraient été bons et les anges eux aussi seraient devenus mauvais. Cela se voit chez les hommes, et aussi chez les enfants d'un même père, dont l'un est docile et soumis et l'autre pire que Satan. Même on distingue parfaitement deux hommes dans un même individu; quelquefois il est méchant, quelquefois il est bon, et celui qui est bon devient méchant et de nouveau il redevient bon, bien qu'il n'y ait en lui qu'une seule nature.
Quant à ce que tu dis que Dieu, à cause d'une figue, inventa la mort, (je réponds) : un petit morceau de parchemin est moindre qu'une figue; pourtant, si on inscrivait dessus les paroles du roi, et que quelqu'un le déchirât, il mériterait la mort; et pourrait-on blâmer le roi ? Que Dieu nous en garde. Quant à moi, je ne l'oserais pas et j'engagerais même les autres à ne point le faire. Dieu aurait été jaloux s'il n'avait pas défendu de toucher à cet arbre; mais l'avant défendu et ayant montré la douceur de son amour, l'homme qui n'en a pas tenu compte a mérité la mort.
De plus, tu as dit que Dieu était né d'une femme tu ne dois en éprouver ni horreur, ni mépris. En effet, Ormizd et Arimane naquirent d'un père et non d'une mère; si tu y réfléchis, tu ne peux accepter cela. Il y a plus étrange encore, le dieu Mihr naissant d'une femme, comme si quelqu'un pouvait avoir commerce avec sa propre mère.
Si tu déposais ton royal orgueil et que, tu vinsses discuter amicalement, je suis certain que, comme tu es savant en toutes choses, tu ne trouverais rien d'exagéré touchant notre Seigneur né de la sainte Vierge; tu reconnaîtrais que cette rédemption est supérieure à la formation de l'univers, du néant, tu attribuerais à là délivrance de l'homme du péché et à la miséricorde de Dieu le terme de la servitude.
Quant à comprendre que Dieu a tiré l'univers du néant, sache qu'il a créé les êtres par sa parole. Dieu ayant créé le corps exempt de souffrances, l'aime comme un père, et étant lui-même incorruptible, il créa les êtres exempts de corruption. Adam s'étant volontairement perdu se corrompit, et ne put se relever lui-même. Il était poussière, et, s'étant tué lui-même, il retourna en poussière. Le châtiment ne lui vint pas d'une force étrangère de quelque méchant, mais de sa propre désobéissance à ne pas observer le commandement divin, et sa désobéissance fut punie par la mort à laquelle il fut soumis.
Mais si la mort a été créée par un Dieu méchant, connaît-on l'essence de la mort ? En aucune façon ! On sait seulement qu'elle détruit la créature de Dieu. Et, s'il en était ainsi, ne pourrait-on pas dire que son oeuvre n'est pas bonne, mais imparfaite et corruptible ? Et le Dieu dont les créations seraient imparfaites et corruptibles, ne pourrait s'appeler incorruptible. Laissez donc ces folies. Il n'y a pas deux gouverneurs par province ni deux dieux en une personne; car s'il y avait deux gouverneurs qui eussent la hardiesse de devenir rois d'un même pays, la province serait divisée et les royaumes ne pourraient exister.
Ce monde est composé d'éléments divers et opposés les uns aux autres. Mais il n'y a qu'un créateur de ces éléments opposés, qui les oblige à se combiner spontanément. Donc, en les divisant, on adoucit la chaleur par les brises de l'air, de même (on diminue) l'intensité du froid par la chaleur. Ainsi, il pétrit avec l'humidité de l'eau les plus petits atomes; l'eau, liquide de sa nature, se solidifie en se combinant avec la terre. Si tous les éléments étaient de même nature, un ignorant pourrait les considérer comme un Dieu incorruptible, et, en négligeant le Créateur, il adorerait les créatures. Celui qui les créa voulut d'abord que les hommes, en observant le contraste de ces éléments corruptibles, ne reconnussent qu'un seul modérateur du monde, un seul et non pas deux, le même créateur des quatre éléments, d'où sont sortis tous les autres par son ordre. Les quatre saisons qui s'accomplissent tour à tour, forment la période annuelle, et toutes les quatre observent les ordres de leur Créateur; unies sans le savoir pour lé bien général, elles n'intervertissent point entre elles l'ordre établi.
Voici une explication facile et à portée de tout le monde. Le feu, par substance et par force, est encore mêlé aux trois autres éléments; il y a plus de chaleur dans les pierres et dans le fer et moins dans l'air et dans l'eau; et il ne s'y montre pas par lui-même. L'eau possède une autre qualité; elle est mêlée également aux trois autres éléments; il y en a une très grande quantité dans les végétaux, moins dans l'air et le feu. L'air pénètre dans l'eau (il entre) dans les éléments nutritifs. Ces éléments sont ensuite mêlés et combinés en un seul corps, sans jamais rien perdre de leur propre nature, et sans se détruire par leur opposition, parce qu'ils obéissent à un Maître simple par essence qui en dispose les composés pour la conservation de tous les vivants et pour le maintien de l'univers.
Maintenant, si Dieu prend tant de soin des choses dépourvues de raison, il en prend bien davantage de l'homme, créature raisonnable. Un de nos grands savants l'a dit : «Le dieu Mihr était né d'une mère parmi les hommes; il est souverain, fils de Dieu et vaillant auxiliaire des sept dieux.» Si l'on en croit ce mythe que vous admettez dans votre religion comme un fait réel, nous autres, nous n'y croyons pas, nous sommes disciples du grand prophète Moïse à qui Dieu parla dans le buisson et sur le Sinaï, devant qui il traça la loi et à qui il la donna. Il lui montra ce monde matériel qui est sa création, et son essence immatérielle, qui a tiré du néant la matière; il lui montra que la terre avec les créatures terrestres et le ciel avec les corps célestes sont l'ouvrage de ses mains; que les anges sont les habitants du ciel et les hommes ceux de la terre; qu'il n y a que l'homme et l'ange qui soient raisonnables, et que Dieu seul est supérieur aux cieux et à la terre.
Toutes les créatures, sans le savoir, lui obéissent, sans jamais franchir les bornes prescrites. Il laissa à l'homme et à l'ange le libre arbitre parce qu'ils ont l'intelligence : en observant les commandements, ils deviennent immortels et enfants de Dieu. Il créa toute chose pour leur service, la terre pour les hommes et le ciel pour les anges. Mais, en désobéissant, en violant les préceptes et en se révoltant contre Dieu, ils obtiennent le mépris au lieu de la gloire, afin que la puissance soit irréprochable et que les coupables subissent la honte de leurs fautes.
Si tu es dans l'ignorance, moi qui le sais fermement, je ne puis te suivre. Si je devenais le disciple de ton erreur, nous irions ensemble à la damnation éternelle, et moi encore plus que toi, parce que j'ai pour guide la parole même de Dieu : «Le serviteur qui ignore la volonté de son maître, sera puni s'il commet une faute, mais peu sévèrement; mais celui qui connaissant la volonté du roi la transgresse, est puni durement et sans rémission.
Je t'en conjure et je supplie tous ceux qui sont sous ton obéissance, qu'il n'arrive jamais que nous soyons punis durement ou légèrement; mais vous tous et moi, ainsi que votre généreux monarque, soyons de telle sorte les disciples des saintes Écritures, qu'il nous soit donné de nous soustraire aux tourments de l'enfer et au feu inextinguible, pour hériter du paradis; et grâce à cette vie, périssable de posséder les trésors inépuisables de l'éternité. Pour cela, que crains-tu ? Saisis promptement l'occasion de croire et deviens sans tarder le disciple de la vérité.
Parmi les anges immortels, il y en eut un qui, s'étant révolté, quitta le ciel. Étant venu sur cette terre, il proposa, par des paroles flatteuses et mensongères, un espoir irréalisable à l'homme ignorant et sans expérience; comme un enfant avec un jouet, il lui conta des merveilles pour lui faire manger du fruit d'un arbre auquel il n'était pas permis de toucher, en lui disant qu'il deviendrait Dieu. L'homme, oubliant l'ordre de Dieu, fut séduit par la ruse; celui qui était immortel fut perdu et manqua le but trompeur. Expulsé, pour cette raison, de la terre des vivants, il fut chassé dans ce monde corruptible où vous habitez, trompés par la même erreur, non en goûtant au fruit de l'arbre défendu, mais en appelant la créature Dieu, en adorant des éléments, en fournissant des aliments aux dev qui sont incorporels et en vous éloignant du Créateur.
Cependant le méchant conseiller fut satisfait; il voulut qu'on fit plus de mal encore qu'il n'en avait fait. Les dev en effet n'entraînent personne par la violence à la perdition, mais ils dirigent la volonté de l'homme vers le péché, et par la ruse trompent les ignorants, de même que les hommes entraînent leurs complices au vol et à l'agression. Ce n'est pas par violence, mais par séduction ils procurent de grands maux : à l'un par des sortilèges, à l'autre par la fornication, à d'autres par une multitude de vices. Grâce aux juges équitables, la mort leur sert de châtiment, non que les juges soient les créatures du Dieu bon et que les coupables soient engendrés par le Dieu mauvais, puisque parfois les bons deviennent méchants et les méchants redeviennent bons.
Les vrais juges qui condamnent les malfaiteurs ne sont pas tenus pour méchants, on ne dit pas qu'ils fassent le mal : au contraire, on les proclame bons et gens de bien. Ils n'ont cependant pas deux natures, mais une seule mais il y a en elle deux opérations; ils condamnent les uns à mort et aux autres ils donnent des récompenses. Or, s'il arrive que, par un édit souverain, les hommes s'attribuent le droit de juger dans leur propre pays; à plus forte raison, Dieu aura ce droit dans le monde, lui qui veut la vie de tous et non la mort. C'est pourquoi, partout où les crimes se sont multipliés, il les a punis par la mort; et, lorsqu'on a obéi à ses commandements, il a accordé l'immortalité.
Il est le vrai Dieu, Créateur de nous tous, celui que tu blasphèmes sans crainte et sans pudeur. En rejetant le nom salutaire de Jésus Christ, tu l'appelles le fils de Phantourag,2 tu le regardes comme un imposteur, tu méprises et tu détruis la rédemption céleste, pour la perte de ton âme et de tout le pays. Tu devras en rendre compte et l'expier par le feu inextinguible de l'enfer, avec tous tes satellites, des premiers aux derniers. Ainsi nous connaissons Dieu et croyons fermement en lui.
Lui-même qui créa ce monde, est venu, suivant la prédiction des prophètes; il est né, de la sainte Vierge Marie, sans aucun attouchement corporel, parce que du néant il a tiré cet incommensurable univers, sans aucun médiateur corporel; il prit véritablement un corps de la Vierge immaculée, et non pas sous une apparence fantastique. C'est le vrai Dieu et il s'est fait homme véritable. En cela il n'a pas perdu sa divinité, et, en restant Dieu, il n'a pas modifié son humanité, il demeure toujours le même. Comme on ne peut voir l'invisible, ni atteindre l'inaccessible, il vient et s'unit à l'humanité afin que nous nous unissions à sa divinité. Il ne jugea pas ignominieux de revêtir un corps qu'il avait fait, mais, comme Créateur, il l'a ennobli. Il ne lui concéda pas peu à peu le don de l'immortalité, comme aux anges incorporels, mais il en a revêtu tout à coup son essence par moyen du corps et de l'âme et il l'a uni à sa divinité. Il y a unité et non dualité; depuis lors nous savons qu'il n'y a qu'un Dieu, celui qui préexistait à notre monde, et il est le même à présent encore.
Jésus Christ qui, par son incarnation, sauva le monde, a subi volontairement la mort; et connue il a la conscience de sa propre divinité, il s'est fait chair, il est né de la Vierge immaculée, il a été, enveloppé de langes dans une crèche; les mages sont venus de l'Orient pour l'adorer; il a été allaité, comme un simple enfant, il a grandi et, à l'âge de trente ans, Jean,, fils d'une mère stérile, l'a baptisé dans le Jourdain; il a opéré des miracles et des prodiges parmi les Juifs; il a été trahi par les prêtres et condamné par Pilate; il a été crucifié, il est mort, il a été enseveli et il est ressuscité le troisième jour. Il a apparu à ses disciples et à beaucoup d'autres au nombre de plus de cinq cents. Ayant conversé avec eux pendant quarante jours, il s'éleva de la montagne des Oliviers dans le ciel, en présence de ses disciples, et il s'est assis sur le trône de son Père. Il a promis de venir une seconde fois avec toute sa gloire pour ressusciter les morts et renouveler le monde; pour juger avec équité les bons et les méchants, pour récompenser les justes et punir les pécheurs qui ne croient point à tous ses bienfaits.
Nul ne peut nous détourner de notre foi, ni les anges, ni les hommes, ni le feu, ni l'eau, ni toutes les plus horribles tortures. Tous nos biens sont à toi, nous sommes devant toi, décide comme tu l'entendras. Si tu nous laisses notre foi, nous ne te changerons pas pour un autre prince sur la terre, mais nous ne changerons pas Jésus Christ pour un autre Dieu, puisqu'il n'y en a pas d'autre que lui. Si, après ce témoignage solennel, tu veux autre chose, nous voici, traite-nous comme il te plaira. Si tu nous offres des supplices, nous devons les accepter; si tu nous présentes le glaive, voici notre tête. Nous ne sommes pas meilleurs que nos pères, qui pour ce témoignage sacrifiaient leurs richesses, leurs biens, leur vie même.
Alors même que nous serions immortels, s'il nous fallait mourir pour l'amour du Christ, nous le ferions avec raison, puisque lui qui est immortel nous a aimés à un tel point qu'il s'est soumis à la mort, afin que, par ce moyen nous soyons délivrés de la mort éternelle. S'il n'a pas épargné sa propre immortalité, nous qui volontairement avons choisi la mort, nous mourrons pour son amour, afin qu'il reçoive notre mort comme si nous étions immortels.
Après cela ne nous en demande pas plus, puisque notre foi n'est pas engagée à un homme, mais qu'elle est liée indissolublement à Dieu. Nous ne nous trompons pas comme des enfants; mais nous ne pouvons mentir à nos promesses, ni maintenant, ni après, ni dans l'éternité, ni dans les siècles des siècles.»
Tous, grands et petits, s'accordèrent pour cette déclaration, et ils jurèrent de l'observer jusqu'à la mort.
Lorsque la lettre arriva chez le roi, on la lut devant la grande Porte sublime, devant la multitude, et beaucoup l'approuvèrent. Quoiqu'ils redoutassent le roi, ils témoignaient à l'envi leur approbation, s'émerveillant de cette éloquence et de cette crânerie. Plusieurs, pris de peur, saisirent leurs armes, et on entendait partout les mêmes murmures.
Cependant le perfide chef des mages, de connivence avec le grand majordome, les dénonça secrètement et jeta le roi dans une effroyable colère. Il se mit à grincer des dents comme un homme blessé à mort et il dit dans le conseil suprême : «Je sais la malice de ces gens qui ne croient pas à notre religion et s'obstinent dans leur erreur. Je ne leur épargnerai pas les plus grands supplices tant qu'ils n'auront pas renié leur fausse religion; l'un d'eux fut-il de mes proches parents, je lui infligerai le même châtiment.»
Le vieillard prit la parole et dit au roi : «Pourquoi cette grande tristesse ? Si l'empereur des Grecs ne peut le résister, si les Huns te sont soumis, qui donc au monde pourra s'opposer à ta volonté ? Parle en maître et on t'obéira promptement.» Le roi appela à l'instant le chancelier et lui ordonna de rédiger un édit, différent des formules courantes, mais contenant des menaces, comme s'adressant à des êtres vils et méprisables, dont on avait oublié les grands et fidèles services, et il convoqua insolemment ceux qu'il connaissait et dont voici les noms :
Vasag, de la maison de Siounie
Nerschapouh, de la maison des Ardzronai;
Ardag, de la maison des Reschdouni;
Katécho, de la maison des Khorkhorouni;
Vartan, de la maison des Mamigoniens
Ardag, de la maison de Mog;
Manedj, de la maison d'Abahouni;
Vahan, de la maison des Amadouni
Kind, de la maison des Vahévouni;
Schmavon, de la maison des Antzévatzi.
Ces satrapes furent désignés par leurs noms à la Porte royale. Quelques-uns étaient déjà auprès du roi dans l'armée, les autres étaient cantonnés dans le pays des Huns d'autres enfin étaient restés en Arménie.
Quoique séparés, tous, connaissant les intentions du tyran, se figuraient être réunis dans le même lieu. À l'appel de l'évêque Joseph, tous se rendirent du lieu de leur résidence à la Porte royale. Leurs frères, leurs enfants leurs compatriotes chéris, remplis d'angoisse, leur étaient un sujet de tourment, et en s'exposant à la mort sans la redouter comme des lâches et des poltrons, ils se berçaient de l'espoir de les délivrer de leurs inquiétudes.
Le samedi de Pâques, ils arrivèrent à la Porte royale et se présentèrent au grand roi. Bien que voyant leurs frères dans l'angoisse, ils ne laissaient pas soupçonner en public la moindre tristesse, et plus ils paraissaient joyeux, plus les méchants s'en montraient surpris. Il était d'usage quand la cavalerie arménienne, commandée par un général illustre, arrivait à la Porte, d'envoyer au-devant d'elle un haut fonctionnaire qui s'informait du bien-être et de la situation de l'Arménie; il répétait trois ou quatre fois la même question, inspectait les troupes, fêtait leur arrivée et les comblait de politesses avant de les envoyer au combat. Le roi, en présence des ministres et des grands du royaume, leur adressait des éloges, rappelait la gloire de leurs ancêtres et les actes de courage de chacun d'eux.
Cependant, ce jour-là on ne fit rien de semblable; mais comme un mauvais démon, le roi ne cessait de soulever une tempête d'enfer, car cela ressemblait assez à une bourrasque furieuse. Le roi exhalait sa colère sur tout l'empire, hurlant comme un dragon, comme s'il avait voulu renverser du même coup les montagnes, les abîmes, les vallées, pour détruire en un instant la tranquille étendue des plaines.
Il cria furieux : «Je jure par le soleil, dieu suprême, qui éclaire l'univers de ses rayons, et dont la chaleur réchauffe toutes les créatures, que si demain matin, au merveilleux spectacle du lever du soleil, vous ne vous agenouillez pas tous devant moi en le proclamant Dieu, je ne vous épargnerai aucune des plus atroces tortures, jusqu'à ce que vous m'avez obéi.»
Mais les fidèles, confirmés dans le Christ, que l'hiver ne pouvait refroidir, ni la chaleur échauffer, ne craignaient ni menaces, ni tourments; les regards tournés en haut, ils voyaient la force du Christ qui venait à leur secours. Ils se présentèrent donc au roi le sourire sur les lèvres et lui parlèrent avec modestie : «Nous te supplions, ô roi vaillant, lui dirent-ils, de prêter l'oreille à nos paroles et de nous entendre avec faveur. Nous venons te rappeler les temps du roi Sapor le père de ton aïeul Jezdedjerd, à qui Dieu donna la terre d'Arménie en héritage, avec la religion que nous pratiquons aujourd'hui. Nos pères et leurs pères lui furent soumis pendant les durs travaux de la servitude; ils exécutèrent avec amour tous ses commandements et, à diverses reprises, reçurent des présents de sa main. Depuis ce temps jusqu'au moment de ton gouvernement paternel, nous avons gardé la même fidélité encore plus à toi qu'à tes prédécesseurs.»
Ce disant, ils lui rappelèrent toutes les actions d'éclat, plus nombreuses que tous ses prédécesseurs, quant aux taxes, tributs et redevances, le produit versé dépassait de beaucoup la somme versée sous le règne de son père. «La sainte Église, dès l'origine a toujours été libre dans le Christ chez nos ancêtres, tu l'as soumise à l'impôt. Et nous, cependant, par attachement pour ton gouvernement, nous ne nous y sommes pas opposés. Qui a pu exciter ta colère contre nous ? Dis-nous-en le motif. C'est peut-être notre religion qui nous a fait perdre ta bienveillance ?»
Le roi cruel et malicieux répondit en détournant la tête : «Je regarde comme un mal de faire entrer au Trésor les tributs de votre pays et je tiens votre bravoure pour inutile, puisque par ignorance vous vous éloignez de nos lois infaillibles, vous méprisez les dieux, vous tuez le feu3 , vous souillez l'eau, vous corrompez la terre en y ensevelissant les morts, et, en étant irréligieux, vous faites triompher Arimane. Bien plus, vous ne vous approchez jamais des femmes, et vous réjouissez beaucoup les dev en ne vous corrigeant pas et en n'observant pas la discipline des mages. Je vous considère comme des brebis égarées et errant dans le désert, et je redoute fort que les dieux irrités contre nous ne nous en fassent porter la peine. Si donc vous voulez vivre et ranimer vos âmes, être de nouveau accueillis avec honneur, faites demain sans retard ce que je vous ai ordonné.»
Les bienheureux satrapes dirent alors devant tout le monde : «Ô roi ! ne nous dis pas cela, et que personne ne demande rien de semblable, parce que l'Église n'a pas été fondée par l'homme et n'est pas un don du soleil que tu crois faussement être un Dieu. Non seulement ce n'est pas un Dieu, mais ce n'est pas même un être vivant. Les églises ne sont pas le présent des rois, ni l'oeuvre des artistes, ni l'invention des savants, ni le butin fait par les soldats, ni un artifice des démons; et quoi que tu en aies dit sur ce qui est terrestre, céleste ou réprouvé, ce n'est pas d'eux que l'Église tire son existence. C'est une miséricorde de notre Dieu, accordée non seulement à quelques hommes, mais à toutes les nations qui sont sous le soleil. Ses fondements reposent sur la pierre dure, les hommes ne peuvent l'ébranler, les anges ne sauraient la renverser. Que nul homme ne se vante jamais de triompher de celle que les cieux et la terre ne peuvent effrayer. Fais ce que tu voudras. Nous souffrirons les plus cruels supplices et nous sommes prêts non seulement à souffrir, mais à mourir. À la même demande tu recevras la même réponse et avec plus d'assurance encore.»
Le roi, rempli d'amertume et de fiel, était agité par sa colère qu'il exhalait en paroles de feu semblables à la fumée qui sort d'une fournaise ardente. Incapable de modération, il révélait par son agitation ses desseins perfides. Il les exposait, les expliquait et, ce qu'il voulait cacher à son entourage, il le disait involontairement en présence des serviteurs du Christ et il le leur détaillait.
Il répéta trois ou quatre fois son serment par le soleil et dit : «Vous ne pouvez atteindre ma force invincible et je ne vous accorderai jamais ce que vous demandez. J'enverrai les soldats enchaînés dans des lieux impraticables, dans le Sagasdan, et beaucoup d'entre vous mourront d'insolation le long de la route; les survivants mourront dans la forteresse et dans des prisons d'où l'on ne peut sortir. J'enverrai ensuite dans votre pays d'innombrables armées avec des éléphants et je ferai déporter les femmes et les enfants dans le Khoujasdan. Je saccagerai les églises, je démolirai et je ruinerai ce que vous appelez chapelles de martyrs. Celui qui s'opposera à moi, mourra, piétiné par les (éléphants). Je ferai dans tout le reste du pays ce que je viens de dire.»
Il ordonna aussitôt que les satrapes fussent chassés ignominieusement de sa présence, et il commanda sévèrement au chef des gardes qu'on les surveillât, sans les enchaîner, dans leurs propres maisons. Lui-même, très découragé, s'en alla, triste, prendre son repos au palais. Cependant les vrais croyants dans le Christ ne se départaient pas de la sainte exhortation de leurs saints docteurs, et même ils cherchaient le moyen de se soustraire, eux et ceux qu'ils aimaient, à cette immense tribulation. Pour réussir, ils faisaient aux grands qui les protégeaient à la Porte royale, la promesse de riches espérances, et ils épuisaient à cet effet une grande partie de leurs biens.
Quand ils furent prisonniers, ils se rappelèrent la prière d'Abraham et dirent du fond du coeur : «Reçois, Seigneur, le sacrifice volontaire de nous tous qui t'offrons et livrons aux chaînes nos frères et nos enfants, tous les êtres qui nous sont chers, comme Isaac (te fut offert) sur le saint autel, et ne livre pas ton Église aux insultes de ce prince impie».
Un des conseillers intimes du roi, ayant été baptisé, possédait secrètement l'amour inviolable du Christ et employait toute son influence à conserver la vie de ces infortunés. Lorsqu'il eut l'assurance que le roi infligerait à l'Arménie les maux dont il l'avait menacée, il indiqua à quelques-uns le moyen de se tirer eux-mêmes de leur triste position.
Tandis qu'on formait l'escorte qui devait les conduire au lieu de leur exil perpétuel, où l'on avait déjà envoyé beaucoup de satrapes de l'Ibérie, ou apprit que les Kouschans avaient envahi et ravagé les provinces royales. Le roi impie fit marcher de la cavalerie contre eux et la suivit en toute hâte; l'âme troublée, il oublia pour le moment les menaces formulées dans un moment solennel.
Les fidèles firent tous ensemble cette prière : «Ô Seigneur de tous, toi qui connais les secrets du coeur humain et à qui sont connues d'avance les pensées cachées; toi qui ne demandes point le témoignage des créatures visibles, parce que tes yeux voient nos actions avant qu'elles soient accomplies; c'est à toi que nous offrons nos prières. Reçois, ô Seigneur ! nos voeux secrets et fortifie, tous pour que nous observions tes préceptes avec docilité et pour que le malin esprit soit humilié, lui qui, avec orgueil, combat contre nous par la puissance de ce roi impie. Renverse les projets insensés de l'imposteur; empêche la malice de sa volonté, et fais-nous retourner de nouveau par des pensées de paix à la sainte Église, afin que persécutée tout à coup, elle ne soit pas encore troublée par tes ennemis.» Quand tous eurent fait intérieurement cette promesse à Dieu de garder fidèlement leurs premières résolutions, ils envoyèrent au roi en qualité d'interprète, celui qui les avait protégés, comme s'ils étaient décidés à partager son impiété. À cette nouvelle, le roi joyeux crut que les divinités étaient venues en aide pour changer et modifier les fermes résolutions des serviteurs de Dieu. On offrit alors un tribut d'adoration au Soleil, en l'honorant par des victimes et par toutes les cérémonies du magisme, car l'insensé ne comprenait pas que l'éclat du Soleil de Justice dissiperait ses projets ténébreux et anéantirait ses désirs pervers. Aveuglé par le rapport qu'on lui avait fait, il ne soupçonna pas de quelle ruse on l'abusait. Il prodiguait à profusion en leur faveur des présents et des terres et leur rendit leurs grades et leurs domaines, en les élevant en rang et en gloire dans toute l'étendue de son empire. À chacun d'eux il donnait, aux dépens du Trésor, des villages et des bourgs; il les appelait ses amis bien-aimés, et, dans l'orgueil fou de son obstination, il croyait qu'on avait troqué la vérité pour l'erreur.
Ensuite, il mobilisa une cavalerie nombreuse et il envoya non quelques mages, mais plus de sept cents vartabed (docteurs) ayant à leur tête un grand prince chef des mages. Il recommandait, avec force prières, que jusqu'à son retour de la campagne (contre les Huns) on accomplît tout suivant sa volonté. On les accompagna pendant le trajet, leur prodiguant honneurs et faveurs jusqu'en Arménie. Le roi manda ces heureuses nouvelles à beaucoup de temples du feu; il écrivit et rendit compte aux mages et aux chefs des mages, ainsi qu'aux grands des diverses provinces, comment, à l'aide des dieux, la puissance de ses armes avait triomphé.
Ces hommes perfides, sortant alors de leurs ténébreuses retraites, voulaient accomplir sans délai les ordres reçus. Ils mandèrent aux provinces éloignées qu'on viendrait dans les contrées orientales. Avant d'arriver en Arménie, ils tirèrent les baguettes (magiques) et consultèrent le sort afin de savoir quel serait le pays que chacun d'eux devrait enseigner. En effet, l'ordre royal était absolu; il s'étendait à l'Arménie comme aux pays des Ibères, des Aghouank, des Lephin, des Aghdznil, des Gourtouk, des Dzot et des Tazan, et pour tous les pays qui professaient, en secret le christianisme dans l'empire de Perse. Ils se hâtèrent avec un zèle insatiable de s'emparer des richesses de toutes les saintes églises, et, semblables à des démons, tous ensemble déployaient une fureur implacable. Ils rassemblaient beaucoup de soldats et le perfide Satan, comme leur chef, se mêlait à eux, les exhortant toujours et les excitant à se hâter. Ayant fixé, le sixième mois, ils exigèrent, en vertu de l'ordre royal, que d'un navassart à l'autre, dans tous les lieux soumis à la puissance du grand roi, toutes les cérémonies de l'Église fussent abolies, les portes des temples fermées et scellées, les ornements sacrés livrés au fisc d'après l'inventaire, le chant des psaumes aboli, la lecture des livres des prophètes supprimée, l'enseignement par les prêtres dans leurs maisons interdit, que les moines et les moniales quittassent leur habit et prissent le vêtement des séculiers. Ils exigèrent de plus que les femmes des satrapes reçussent l'enseignement de la doctrine des mages, que les fils et filles nobles, et plébéiens fussent instruits publiquement par les mages, que l'institution du mariage fût abolie, la polygamie introduite, afin d'accroître la population, l'inceste proclamé par l'union des filles avec leurs pères, des soeurs avec leurs frères, des mères avec leurs fils, des petits-fils avec leurs aïeux, que les animaux qui servent à la nourriture ne fussent pas tués, mais immolés - ceci s'appliquait aussi bien aux agneaux qu'aux chèvres, aux boeufs, aux poules et aux porcs; - qu'on employât dans la pâte de farine le phantam; que le fumier et les bouses ne servissent pas d'aliment au feu. Ils voulurent qu'on se lavât les mains dans l'urine de vache; qu'on ne tuât point les castors, les renards et les lièvres, qu'on se débarrassât des serpents, lézards, grenouilles, fourmis et de toute espèce de vermine et qu'on les apportât sans tarder, rassemblés et comptés suivant la mesure royale. Ils exigèrent enfin que tout ce qui concerne le service des fêtes et ce qui est relatif aux victimes et aux immolations se fit suivant des rites et des époques fixes et conformément à la mesure déterminée pour la cendre.4 «Que tout ce que nous exigeons, (disaient-ils), soit exécuté de suite au commencement de l'année, et qu'ensuite on dispose tout le reste.» Alors les mages et les chefs des mages, munis de cet édit, voyageaient nuit et jour pour arriver en Arménie; et, dans leur joie, ils ne se plaignaient pas de la longueur du voyage.


CHAPITRE TROISIÈME


DE L'UNION DU SAINT CLERGÉ

Quoique impuissant à raconter toutes les misères qu'endurèrent les troupes arméniennes pendant la marche du détachement, nous ne pouvons cependant les taire ni les dissimuler. Nous en rapporterons quelques - unes pour nous unir à ceux qui versaient d'abondantes larmes sur nous et pour que, toi aussi, à ce récit, tu pleures sur les infortunes de notre nation. Tous ceux qui, dans l'immense armée des Perses, apprirent l'odieuse apostasie des Arméniens, en furent affligés et se prosternèrent le visage contre terre. Beaucoup d'entre eux, tristes, abattus, adressèrent parmi leurs larmes des reproches aux satrapes et blâmèrent l'assemblée du clergé. Ils les raillaient et disaient : «Que ferez-vous de la Bible ? où porterez-vous les ornements de l'autel du Seigneur ? peut-être oublierez-vous les bénédictions spirituelles ou passerez-vous sous silence les paroles des prophètes ? avez-vous fermé les yeux afin de ne pas voir et bouché vos oreilles afin de ne pas entendre ? n'avez-vous pas gardé mémoire de ces paroles ? que ferez-vous de ce précepte : «Celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père qui est dans le ciel et devant les saints anges »?
Vous étiez les docteurs de l'évangile, vous allez être les disciples du mensonge; vous étiez maîtres en vérité, vous allez redire les erreurs des mages; vous répandiez la notion de la puissance créatrice,vous allez attribuer cette puissance aux éléments. Jadis adversaires du mensonge, vous allez être plus faux que le mensonge même. On vous avait baptisés dans le feu et dans l'esprit, et vous vous couvrirez de cendre et de poussière. Vous vous êtes nourris d'un corps vivant et d'un sang immortel, vous vous souillerez de la vapeur et de la fumée des victimes et de la corruption. Vous étiez les temples de l'Esprit saint, maintenant vous serez les autels des démons. Vous avez été dès votre enfance le peuple du Christ, et aujourd'hui, dépouillés de votre gloire, vous danserez comme des démons en face du soleil. Héritiers du paradis, vous livrez vos âmes en héritage à l'enfer; vous y serez consumés avec eux; vous préparez vos âmes en nourriture au ver éternel qui leur est préparé. Allez vous, éclairés par la grâce, les accompagner dans ces ténèbres extérieures qui leur sont réservées ? Deviendrez-vous aveugles avec ces aveugles ? Descendrez-vous les premiers dans la fosse qui leur était préparée ? Comment apprendrez-vous tant de noms de dieux, dont pas un seul n'existe ? Allégés de vos lourdes charges, vous en prenez d'autres, plus pesantes; libres dès l'enfance, vous vous plongez dans l'esclavage éternel.
Si vous saviez et si vous pouviez voir, les cieux, sont en deuil, la terre frémit sous vos pieds. Au ciel les anges sont irrités contre vous et sur la terre les martyrs sont dans l'affliction. Ceux que vous aimez me font pitié et je gémis sur vous. Car si un homme vous avait délivrés et que vous-mêmes vous vous fussiez remis dans l'esclavage d'un autre maître, le premier ne devrait-il pas être très irrité contre vous ? Que ferez-vous du terrible commandement de Dieu : «Je suis Dieu, il n'y en a pas d'autre que moi. Je suis le Dieu jaloux; je punis les péchés des pères dans les enfants jusqu'à la septième génération »? Or, si les fils innocents portent la peine des péchés de leurs pères, lorsque ces enfants pécheront, ne porteront-ils pas la peine pour eux-mêmes et pour leurs pères ? Vous étiez pour nous un roc inexpugnable de refuge; dans le péril nous allions à vous, maintenant le fondement de cette grande force a été renversé. Vous étiez notre gloire devant les ennemis de la vérité; vous êtes notre opprobre en face de ses ennemis. Jusqu'à ce jour, à cause de votre foi, on nous épargnait, et maintenant, par votre faute, nous sommes traités avec rigueur. Vous en rendrez compte devant le tribunal de Dieu et vous serez responsables de tous ceux qui seront tourmentés à cause de vous.»
Ils dirent ceci et d'autres choses encore aux principaux seigneurs, et ils augmentèrent ainsi leur douleur. Ceux-ci ne voulaient pas leur exposer ni leur confier leur projet, et il était impossible de se taire et de ne point répondre; le coeur déchiré, ils pleuraient amèrement. Ceux qui les voyaient et les entendaient partageaient leur affliction.
À ce moment, les aumôniers de l'armée, ne pouvant cacher leur indignation, s'éloignèrent des satrapes et de la foule et envoyèrent en Arménie un cavalier porteur d'un message. Il arriva dans le conseil des évêques avec cette nouvelle, déchirant ses vêtements et pleurant à chaudes larmes, il racontait toutes les persécutions qu'ils avaient supportées et ne disait rien du projet secret.
Les évêques se dispersèrent alors dans leurs diocèses, envoyait leurs chorévêques dans les villages, dans le,, campagnes et dans beaucoup de châteaux des cantons montagneux. Ils rassemblèrent la foule des hommes et des femmes, des nobles et du peuple, des prêtres et des moines; leur donnèrent des avis, les encouragèrent et les firent tous champions du Christ.
Ils décidèrent d'abord que «la main d'un frère se lèverait sur son propre frère qui violerait les préceptes de Dieu; que le père n'épargnerait pas son fils, et que le fils n'aurait nul égard au respect qu'il devait à son père, que la femme s'opposerait à son mari et que le serviteur se tournerait contre son maître; qu'enfin la loi de Dieu serait la règle souveraine de tous, et que, par cette loi, les coupables subiraient la peine de leurs crimes.»
Lorsque tout fut arrangé et disposé, ils vinrent tous armés, casque en tête, épée au côté, bouclier au bras; non seulement les hommes (étaient ainsi armés), mais il y avait aussi des femmes.
Pendant ce temps, les troupes arméniennes avec tous les alliés et avec une foule de mages arrivèrent en Arménie, le quatrième mois - novembre - dans le grand bourg d'Ankgh.
On campa, on se retrancha et, tout compris, on forma une troupe considérable.
Vingt-cinq jours plus tard, un dimanche, le chef des mages, accompagné de beaucoup d'autres mages, alla pour enfoncer les portes de l'église. Le saint prêtre Léonce (Ghévout), d'accord avec ses conseillers et beaucoup de clercs, se trouva présent à ce moment et s'y opposa. Bien qu'il ne connût pas au juste ce que pensaient tous les satrapes, ni la force dont disposait le chef des mages, il ne voulut pas attendre tous les évêques ni laisser s'accomplir les ordres du roi. Alors la foule repoussa les mages et les soldes de l'escorte. On prit des pierres pour casser la tête des mages et de leur chef, et après qu'on les eut ramenés dans leurs maisons, en célébrant le culte de l'Église, on commença les cérémonies sacrées, qu'on accomplit sans interruption jusqu'au dimanche suivant. Après cette imposante manifestation, on vit arriver de toutes les parties de l'Arménie une multitude d'hommes et de femmes. On put juger alors de leur désespoir et de leurs malheurs. Les uns pleuraient, d'autres vociféraient; il y en avait de furieux qui saisissaient leurs armes, préférant la mort à la vie. Quelques membres du saint clergé, prenant l'Évangile, priaient Dieu et l'invoquaient, d'autres souhaitaient que la terre s'entrouvrant leur servît de sépulture. Le chef des mages, terrifié, suppliait les siens de le tirer de là et de le ramener en sûreté à la cour.
En ce qui concernait le dessein qui l'avait amené, il leur disait : «Laissez-moi écrire au grand roi, pour qu'il sache ce qui arrive, pour qu'il révoque ses ordres, puisque, même avec l'aide des dieux, nous ne pourrions établir en Arménie la religion des mages, comme j'en ai déjà eu la preuve par l'union du saint clergé. En effet, si les mages étaient les soldats du pays, ils n'en pourraient sauver aucun du massacre, ni les étrangers, ni les frères, ni les enfants, ni leurs voisins, ni eux-mêmes. Des hommes qui méprisent les chaînes, que les tourments n'effraient pas, qui négligent leurs biens et, ce qui est pis que tout le reste, qui préfèrent la mort à la vie, que pourrait-on leur opposer ?
Nos pères m'ont raconté qu'au temps du roi des rois, Sapor, lorsque le culte commença à se propager, à s'étendre, à remplir tout le pays des Perses et à pénétrer au delà de l'Orient, nos docteurs exhortèrent à ne jamais repousser du pays la religion des mages, et il ordonna sévèrement qu'on abolît le christianisme. Mais plus il l'interdisait, plus il se propageait; il grandit et pénétra jusque dans le pays de Kouschans et de là dans les parties méridionales et jusqu'aux Indes.
Chez les Perses, ils étaient si courageux et si entreprenants qu'ils construisirent, dans toutes les villes du pays, des églises qui surpassaient en splendeur les résidences royales. Ils bâtissaient aussi des chapelles de martyrs; ils les embellirent avec les mêmes ornements que les églises, et ils élevèrent des monastères dans des endroits habités et dans des lieux déserts. Sans qu'aucun secours leur arrivât ouvertement, ils se multipliaient prodigieusement et ils s'enrichissaient de tous les biens terrestres. Nous ignorions la cause de telles richesses, mais nous savions seulement que tout le monde accourait à leur parole.
Bien que le roi se saisît d'eux, les faisant arrêter pour les torturer et les faire mourir, cependant, plus il s'irritait, moins il put en diminuer le nombre. En outre, bien qu'on eût fermé et scellé les portes des églises dans tout le pays, ils convertirent en églises leurs maisons, et dans chaque localité, ils faisaient leurs cérémonies, se considérant eux-mêmes comme autant d'autels de martyrs, et ils estimaient plus la construction d'un temple humain que celle des églises de pierre. Les épées des bourreaux s'émoussèrent, mais leur constance ne faiblit pas; les ravisseurs de leurs biens se fatiguèrent et le butin alla croissant de jour en jour. Le roi et ses ministres étaient furieux. Les fidèles, au contraire, prêts à tout et satisfaits, supportaient toutes les angoisses des tourments et acceptaient avec résignation le pillage de leurs biens.
Le roi, les voyant courir à la mort sans une plainte, pareils à de saintes brebis (empressées à brouter) le sol céleste, fit suspendre leurs tourments et cesser leurs afflictions. Il ordonna aux mages et aux chefs des mages de cesser la persécution, et que le mage, le manichéen, le juif, le chrétien et tous, à quelque religion qu'ils appartinssent, demeurassent fermes et tranquilles dans leur croyance, dans les différentes provinces de la Perse. Le pays jouit alors d'une longue paix et les troubles nés de la persécution prirent fin, car, à cause des troubles de notre pays, les Occidentaux s'étaient mis en branle, entraînant tout le pays de Dadgastan.
Ces choses nous furent racontées, mais ce que nous avons vu de nos yeux nous paraît plus grave encore. Or toi qui es le marzban de ce pays,5 tu dois écrire au roi pour dire la rapidité de l'accord et la hardiesse de la résistance aux ordres royaux. Si nous ne nous étions pas hâtés, si nous n'avions pas pris la fuite, pas un seul d'entre nous n'eût échappé à la mort. Si des hommes sans défense se montrent si hardis, s'ils rassemblent des troupes, qui donc pourra s'opposer à leur attaque ? J'ignorais, en ce qui me concerne, l'union indissoluble du clergé, puisque ce n'est pas la même chose d'entendre ou bien de voir de ses propres yeux. Toi qui, dès l'enfance, fus élevé dans leur religion et connais la fermeté d'âme de ces hommes, qui, sans répandre le sang, ne nous permettait pas de toucher à leurs églises, que n'as-tu dit tout cela devant le roi ? Tu es le plus grand de tous les satrapes, tout le pays t'obéit, pourquoi n'en as-tu pas pris plus de soin ? Tu étais prudent, jadis, je le savais, mais cette fois tu as manqué de jugement, sinon tu es de connivence avec eux, et c'est par ton conseil que l'on a maltraité mon escorte et moi-même.
S'il en est ainsi et que tu refuses d'embrasser le magisme, agis sans crainte du roi. Je l'écris à la porte du chef suprême des mages, au vice-intendant et au général en chef, afin qu'ils persuadent le roi de révoquer son premier édit et laisse chacun s'accoutumer, à son gré, à la religion des mages. Ceux qui l'embrasseront feront preuve de leur attachement à l'ordre du roi. En effet, ce pays est une province, et si on lui fait le dégât, les habitants iront ailleurs; si la province est dépeuplée, tu en recevrais de durs reproches du roi.»
Le marzban répondit : «Tout ce que tu me dis est faux mais ce que tu as dit d'abord, nous l'ignorions, tu l'as vu, et nous le regrettons. En attendant, fais ce que je vais te dire et tu en seras content. Prends patience, cache tes projets au plus grand nombre, découvre-toi seulement à ceux que je te dirai, jusqu'à ce que je me fortifie, je mobilise des soldats et que, peut-être même, je rompe l'accord du clergé. Si j'y puis réussir, je pourrai aussi exécuter le projet du roi.» Aussitôt, grâce à une levée dans la province de Siounie, il grossit son armée pour aider les mages et le chef des mages; il dit alors : «Fais venir de la Porte un édit, afin que les dix mille cavaliers qui sont dans le pays des Aghouank viennent en Arménie pour passer leurs quartiers d'hiver. Quand nous les aurons sous la main, nul ne pourra violer l'ordre du roi.»
Le chef des mages répliqua au marzban : «Ce projet va contre mon langage; si nous combattons à outrance contre ce pays, il sera détruit et nous ne serons pas exempts d'inquiétudes. Ce sera pour le roi et pour nous un grand avantage.»
Le marzban ne voulut pas l'écouter, parce qu'il professait avec un grand amour la religion perse. Dès lors il s'efforça d'attirer à lui les uns par de l'argent, les autres par des flatteries, des menaces terribles, et, en les effrayant, il terrifiait le peuple. Il augmenta la splendeur des banquets de chaque jour, prolongea les heures de débauche, passa des nuits dans l'orgie et les danses lascives, cherchant à rendre agréables à quelques-uns la musique et les chante des infidèles, et il louait les ordres du roi. Il avait rapporté de la cour de grandes richesses et il corrompait nombre de gens avec de l'or, des présents, des honneurs. Il séduisait les esprits simples et se les attirait par la ruse.
Voyant cela, les saints évêques consternés s'excitèrent à une union plus étroite et, très habilement, divisèrent l'armée en deux partis. Sachant que le prince impie de Siounie avait l'âme ulcérée de plaies mortelles, ils s'en éloignèrent en l'évitant et en le fuyant. Une nuit qu'ils tenaient conseil avec tout le clergé, ils y appelèrent le général en chef des troupes - Vartan le Mamigonien; - ils l'interrogèrent, l'éprouvèrent et connurent sa ferme résolution, car il n'avait aucunement abandonné l'amour du Christ. Tous ensemble prièrent pour lui et le reçurent à la communion. Par lui, beaucoup de ceux qui s'étaient éloignés furent gagnés à la première union - ils y vinrent et on rassembla une forte troupe de gens en armes. Ainsi, ils s'éloignèrent de plus en plus des mages, de leur chef et de l'impie Vasag.
Celui-ci excita de plus en plus le chef des mages et se rendit si bien maître de son esprit qu'il l'empêcha de prévoir l'issue des événements. Il mit des mages dans toutes les maisons des satrapes, prépara de somptueux festins, sacrifia des animaux destinés à être mangés, donna en nourriture aux baptisés de la chair immolée et leur fit adorer le Soleil. Lorsque cette odieuse profanation commença à s'étendre au pays entier, les femmes même des soldats eurent l'audace, un jour, d'éteindre les lumières de l'église et de déchirer les vêtements des moniales.
À la vue de ces désordres, tous les saints évêques réunis se présentèrent à la demeure du général en chef où étaient campés les soldats arméniens et ils y pénétrèrent sans demander l'autorisation; alors ils dirent : «Nous vous supplions tous par le saint Évangile : si le marzban et le chef des mages commettent ces exécrables infamies, d'accord avec vous, coupez nos têtes et emparez-vous de l'église. Mais s'ils font le mal sans votre assentiment qu'on leur en fasse porter la peine aujourd'hui même.»
Ceux qui se trouvaient dans la maison du général se levèrent et dirent tous ensemble à Dieu : «Toi, Seigneur, qui scrutes tous nos coeurs, tu n'as que faire du témoignage des hommes, nous ne sommes pas détachés de toi par le coeur, tu le sais; mais aujourd'hui juge-nous suivant nos péchés. Si nous tenons ferme dans la foi du saint Évangile, toi, Seigneur, viens à notre aide et remets entre nos mains les ennemis de la vérité pour en faire ce que nous voudrons.»
Cela dit, ils courbèrent la tête jusqu'à terre ils et furent bénis de l'Évangile et des évêques. Un des satrapes qui se trouvait là, bien qu'il fût de leur parti, ne s'unit pas à eux dans ce solennel témoignage, il fut lapidé sur l'heure par ses compagnons. Un grand trouble agita alors les esprits.
Tous, indignés, brûlants de zèle, sentaient battre leur coeur à la pensée de tout ce qu'ils avaient vu. Ils méprisèrent les ordres du roi, oublièrent ses présents, coururent aux armes, et la nuit se passa en préparatifs de combat. À l'aube, l'armée se partagea en trois corps et entra en campagne. Premier corps, à l'est; deuxième corps, à l'ouest; troisième corps, au nord. Entourant le gros de l'armée perse, ils firent porter l'attaque sur le centre et y tuèrent beaucoup de monde; on fit prisonniers de grands personnages et on les envoya dans des forteresses. Puis on charria en un même lieu tout le butin et les débris du camp et on les conserva, comme si on en eût reçu l'ordre du roi.
Le marzban se trouvait au nombre des prisonniers; il s'unit aux Arméniens, jurant de tenir son serment, se repentant de s'être séparé d'eux, et, en signe de pénitence, il se jeta aux pieds des saints évêques, les embrassa avec tendresse, les conjurant de ne pas le repousser avec mépris. Deux ou trois fois il jura sur l'Évangile en présence de la multitude. Il répétait et renouvelait son serment, le confirmait sur l'Évangile, priait qu'on laissât le soin de la vengeance à Dieu et qu'on ne le fit pas mourir sur une condamnation des hommes. Eux, convaincus de son hypocrisie, et de son retour à ses fautes anciennes (dès qu'il le pourrait), laissèrent sa condamnation au saint Évangile.
«Ceux qui étaient venus piller les trésors de l'Église se présentèrent malgré eux avec leur butin, et s'abandonnèrent à la discrétion des saints évêques et des soldats. On déchira l'édit du roi en signe de mépris, et comme on avait triomphé par la vertu de Dieu, les hommes, les femmes et tout le peuple, rendant grâces, disaient : «Nous sommes prêts à la persécution, à la mort et à toutes les tortures pour les saintes églises que nos pères ont fondées en l'honneur de la venue de notre Seigneur Jésus Christ, par laquelle nous fûmes créés de nouveau pour l'unique espérance de la foi, par le baptême de Jésus Christ. Aussi voulons-nous renouveler nos âmes par les tourments et par le sang, puisque nous reconnaissons pour père le saint Évangile et pour mère l'Église catholique et apostolique, et nul, même en soulevant de perfides obstacles, ne nous séparera d'eux.»
Dès ce moment, le maître se montrait l'égal du serviteur, le noble n'affichait pas plus d'aisance que le pauvre; ni l'un ni l'autre ne semblaient devoir faiblir dans leur constance. Une seule préoccupation remplissait tous les coeurs, hommes, femmes, vieillards, enfants, tous ceux enfin qui étaient unis dans le Christ; car tous avaient revêtu la même armure, l'unique cuirasse de la foi, par les enseignements du Christ; les hommes et les femmes s'étaient ceint les reins de la ceinture de vérité.
«On méprisait l'or, nul ne faisait usage de l'argent, ils le dédaignaient et ne se souciaient pas plus des vêtements précieux qui étaient une marque d'honneur. Ceux qui possédaient les biens, les tenaient pour des choses sans valeur, ils se regardaient comme morts et se préparaient une sépulture, estimant que la vie est une mort et que la mort est la véritable vie. On les entendait répéter souvent : «Mourons en héros, ayons-en le nom et la renommée, afin que le Christ vive en nous, lui qui petit sans peine raviver la poussière et rendre à chacun suivant ses oeuvres.» Par ces paroles et bien d'autres encore ils s'encourageaient, les soldats fourbissaient leurs armures, les fidèles priaient, les gens mortifiés se livraient au jeûne et à l'abstinence. Jour et nuit la voix des ministres retentissait au son des hymnes sacrés; on n'interrompait plus la lecture des livres saints, et ceux qui les expliquaient distribuaient sans cesse la consolation de la doctrine céleste. Ce fut en ce temps qu'ils assaillirent de nouveau les châteaux et les bourgs que les Perses occupaient çà et là, ils les renversèrent et les détruisirent. D'abord ce fut le tour de la grande ville d'Ardaschad avec ses faubourgs, puis, les forteresses inaccessibles de Karin, d'Ani, d'Ardakers et leurs bourgs; Ergaïnort, Arhin et leurs faubourgs; Partzrapoul, Khoranisd, Dzakhanisd, Oghagan, localité bien fortifiée, et avec elles, leurs villages; Arpauela, le bourg de Van avec ses bourgs, Kréal, Goboïd, Orod et Vasagaschad.
Toutes ces villes, avec leurs villages et dépendances, avec les soldats et les chefs qui les gardaient, furent pris dans la même année et démantelés, les habitants emmenés en captivité, leurs biens enlevés, leurs maisons détruites; celles des ministres et des adrouschan incendiées; on purifiait les lieux profanés par l'idolâtrie, on s'emparait des temples, des ornements qu'on enlevait et déposait dans la sainte église et, par le moyen des prêtres, on les consacrait au service de l'autel. On dressa la croix au lieu où s'accomplissaient les infamies du culte païen partout aboli, on dressait un autel et on y célébrait le sacrement vivifiant. On rétablissait dans ces localités les ministres et les prêtres, et toute la terre se réjouissait dans une ferme espérance.
Tandis qu'ils accomplissaient avec ce zèle ces entreprises héroïques, on reconnaissait en eux la grâce divine, en sorte que quelques soldats arméniens de la partie orientale du pays, sans en avoir reçu l'ordre, envahirent la province d'Adherbadagan, faisant de grands dommages, prenant, renversant, détruisant beaucoup d'adrouschan. Les soldats se jetèrent sur ceux qui se trouvaient dans les grandes forteresses en faisant le signe de la croix. Il y eut deux châteaux forts qui s'écroulèrent sans que personne y eût touché; en sorte que les gens du pays, terrifiés par ce prodige, incendièrent les adrouschan de leurs propres mains et abjurant le magisme confessèrent l'Évangile.
Les troupes obtinrent aussi de grands succès, parce que là où il n'y avait plus d'espérance, et alors qu'on invoquait le nom de Dieu, (les ennemis) étaient saisis d'un grand effroi, et chacun racontait à son voisin des visions nouvelles et merveilleuses. Les étoiles brillaient au ciel plus éclatantes que d'ordinaire, et tous les enfants du pays s'armaient de courage comme des guerriers.
Quelques jours après, le général en chef des Aghouank arriva avec le saint évêque de la province et, haranguant ses soldats, il leur disait : «L'armée perse qui est dans le pays des Huns est de retour; elle est entrée dans notre province avec beaucoup de cavalerie de la Porte. En outre, ayant amené avec elle trois cents docteurs mages, ils ont semé la division dans le pays et attiré à eux un grand nombre de gens. Ils voulaient s'emparer de l'église, et par ordre du roi, ils disaient : Si vous acceptez spontanément la religion, le roi vous accordera des présents et des honneurs et la cour vous exemptera de tributs. Mais si vous ne la recevez pas volontiers, nous avons l'autorisation de dresser des adrouschan dans les villes et dans les campagnes, d'y allumer le feu de Vram et d'y établir des mages et des chefs mages comme juges de tout votre pays. Si quelque téméraire s'y oppose, il sera mis à mort, sa femme et ses enfants seront esclaves de la cour royale.
En apprenant cette triste nouvelle, l'armée arménienne ne perdit pas courage. On assembla de nouveau tous les gens du pays. On les encouragea, on les congédia afin d'essayer de les abuser et d'empêcher leurs perfides projets, en usant d'artifice, afin qu'ils ne se saisissent point des membres de leur saint clergé. S'étant ensuite remis en conseil, ils cherchèrent à conjurer les événements par la force de Dieu.
Dans le même temps ils envoyèrent dans le pays des Orientaux un des grands satrapes, Adom, de la maison des Kénouni, pour donner avis de toutes les perfides résolutions du roi d'Orient et déclarer que, dans leur ferme résolution, ils avaient , par leurs actes, foulé aux pieds l'ordre odieux du roi et mis à mort un grand nombre de mages. Ils imploraient aussi leur secours efficace et promettaient de se soumettre à eux, s'ils le désiraient. Voici la copie de la lettre qu'ils envoyèrent à l'empereur Théodose :
«Joseph, évêque, avec un grand nombre de ses évêques et toutes les troupes arméniennes; Vasag marzban et Nerschapouh Remposian avec les généraux et tous les grands satrapes, à l'illustre empereur Théodose; salut encore à toi et à toutes tes troupes ! Tu domines la terre et la mer par ta bonté magnanime, et il n'y a personne au monde qui s'oppose à ton invincible puissance. Nous possédons des témoignages irréfragables que tes valeureux ancêtres, maîtres de l'Europe, s'avancèrent et s'emparèrent des régions asiatiques depuis les frontières de Seres jusqu'aux contrées de Gaderon, et aucun rebelle ne s'est soustrait à leur domination.
Ils se plaisaient à désigner l'Arménie comme une possession chère et délicieuse, parmi celles de leur immense empire. C'est pourquoi, en souvenir de son ancienne affection, notre roi Tiridate, dès son enfance, et afin d'échapper à ses oncles cruels et parricides, fut élevé chez les Grecs, puis, reconnu roi par vous, il reconquit l'héritage paternel. Il reçut en même temps la foi du Christ par l'intermédiaire du saint archevêque de Rome qui avait illuminé les contrées ténébreuses du Nord. Maintenant les fils égarés de l'Orient veulent nous enlever notre foi; mais nous, pleins de confiance dans ta vaillance et ta générosité, nous avons déjà résisté à leurs ordres et nous sommes encore disposés à le faire. Mieux vaut mourir en servant Dieu que de vivre en apostasiant. Si tu veux nous protéger, nous obtiendrons une double vie et nous éviterons la mort. Pourtant, si tu tardes encore, la violence de cet incendie se communiquera peut-être à beaucoup d'autres provinces.»
Lorsque cette lettre suppliante eut été présentée et lue au grand empereur, on chercha et on consulta beaucoup de livres contenant d'anciens documents, et on y trouva ce même pacte d'alliance. Or, tandis que le bienheureux Théodose prenait l'avis de tout le sénat et voulait terminer les choses pacifiquement, - il s'y était intéressé de tout coeur, afin que les églises des Orientaux ne fussent pas saccagées par des païens odieux, - tout à coup il arriva au terme de sa vie. Sa mort eut un funeste résultat sur le secours qu'il avait promis.
L'empereur Marcien lui succéda. Cédant aux perfides conseils du général Anatole et du Syrien Ephlalios (Eulalius), hommes vils, iniques et sans religion, il refusa l'alliance des croyants qui avaient résisté de tout leur pouvoir à la perversité des païens. Ce prince pusillanime préférait conserver l'alliance des païens, pour maintenir la paix terrestre, plutôt que de secourir les chrétiens par ses armes. Il envoya en hâte cet Ephlalios au roi de Perse, et s'engagea par traité à ne point secourir les Arméniens de ses armées, ni même à leur envoyer des armes ni quoi que ce soit.
Les choses ainsi arrangées et tout espoir de secours disparu, les saints évêques reprirent un nouveau courage et enflammèrent le zèle des soldats. Bien que songeant à leur faiblesse et à l'alliance des souverains, ils ne se laissèrent point abattre et s'armèrent de courage, répétant leur première résolution : «Nous sommes décidés à combattre et à mourir. Il est facile à Dieu de repousser avec une poignée d'hommes les efforts d'un grand nombre et de faire de grandes choses avec des moyens insuffisants.»
Bien que n'ayant ni roi pour chef, ni aucun étranger pour allié, néanmoins par le seul sentiment du courage et par les consolations des saints docteurs, ils se réunirent aux troupes des satrapes de chaque famille et ils arrivèrent promptement au rendez-vous fixé avec beaucoup d'autres cavaliers de l'ancienne cour. Ils partagèrent ensuite toute l'armée en trois corps : 1 er corps sous Nerschapouh Remposian, chargé de la défense du pays près des confins de l'Adherbadagan; 2 e corps, sous Vartan, général des Arméniens, devant se porter sur les confins des Ibères contre le marzban de Djor, venu pour ruiner les églises des Aghouank; 3 e corps, sous Vasag, prince de Siounie, qui intérieurement n'avait jamais renoncé au culte des païens.
Vasag s'entoura de ceux dont il savait la foi vacillante - le prince des Bagratides avec ses troupes, le prince des Khorkhorouni, le prince des Abahouni, le prince du Vahévouni, le prince des Balouni, le prince des Kapèlénian, le prince d'Ourdz, chacun avec ses troupes. Il attira à lui d'autres soldats de la maison royale et quelques nobles des autres maisons. Par une infâme trahison, il se retira dans les forteresses de son domaine, et il pénétra adroitement, par une insigne hypocrisie, au milieu des troupes perses pour inquiéter le pays des Aghouank.
Pendant ce temps, il expédiait en hâte, de sa retraite bien fortifiée, des courriers à l'armée perse : «Voici que j'ai rompu l'union du clergé arménien; j'ai fait diviser l'armée en trois corps : le 1 er, je l'ai fait partir pour le pays de Her et Zaravant; le 2 e est en mon pouvoir et je ne lui laisse point la liberté de nuire aux troupes du roi.
Ensuite j'ai fait disperser dans le pays tous les guerriers qui se trouvent dans cette contrée. Le 3 e corps, qui est faible et peu nombreux, je l'ai confié à Vartan dans l'Aghouank. Avance-toi bravement contre lui et ne crains pas d'en venir aux mains; je sais qu'il sera mis en déroute par tes prouesses.»
Il écrivit ceci au marzban Lépoukhd, qui, en l'apprenant et sachant que le général des Arméniens marchait à sa rencontre avec une troupe peu nombreuse, quitta le pays de Djor, rassembla son armée, traversa le grand fleuve Cyrus (Gour), et se porta à sa rencontre dans des Ibères en face de la ville de Khaghkhagh, résidence d'hiver des rois Aghouank. Il établit sous la protection de la ville et autour d'elle un camp retranché; les soldats, préparant leurs armes, s'animèrent au combat qu'ils allaient avoir à livrer à l'armée arménienne.
L'intrépide Vartan et les troupes du 2e Corps voyant les dispositions de la formidable armée des païens, s'aperçurent alors à quel point ils étaient inférieurs en nombre. Cependant, bien qu'ils fussent moins nombreux, ils ne furent pas émus par la multitude de leurs ennemis et tous ensemble levèrent les mains au ciel et dirent : «Juge, ô Seigneur, ceux qui jugent; combats contre ceux qui nous combattent; défends-nous avec tes armes et ton bouclier; mets en déroute et renverse la multitude de ces impies. Devant le grand étendard de ta rédemption, dissipe et brise l'union injuste de tes ennemis; donne à nous, qui sommes en si petit nombre, la gloire de la victoire sur cette innombrable multitude. Nous ne sollicitons pas cette faveur par ambition de la gloire pour de stériles mérites, ni par avarice pour obtenir une grandeur passagère, mais pour que tous ceux qui obéissent à l'Évangile, reconnaissent et sachent que tu es le Seigneur de la vie et de la mort et que le triomphe et la défaite sont dans ta main. Nous sommes prêts à mourir pour ton amour; mais, si nous pouvons les anéantir, nous serons les vengeurs de la vérité.»
Là-dessus, on forma la troupe et on donna l'assaut. Ayant culbuté l'aile droite, les Arméniens tombèrent sur l'aile gauche, tuant tout et mettant l'ennemi en fuite jusque dans les forêts situées sur les rives profondes du fleuve Lophnos. Là, quelques seigneurs de race royale résistèrent au roi de Paghassagan, et désarçonnèrent un des satrapes arméniens de la race de Timaksian; puis ils tuèrent Mouschet et blessèrent Kazrig.
Pendant ce temps, Arschavir Arscharouni, observant les affaires, rugit comme un lion et bondit comme un sanglier. Il frappa et tua le brave Vourg, frère du roi des Lephin, et massacra beaucoup des gens de sa suite. Il fit mordre la poussière à beaucoup d'hommes valeureux; mais le fleuve noya plus de soldats que l'épée n'en avait tué et la terre reçu. La multitude de cadavres gisant de tous côtés changea l'eau du fleuve en sang, on ne trouva pas un seul ennemi caché dans les fourrés de la plaine. Cependant un soldat de l'armée ennemie, traversant le fleuve à cheval et tout équipé, porta la nouvelle de cette défaite à ce qui restait de l'armée.
Les soldats arméniens, cessant le combat, vinrent dépouiller les morts, recueillir le butin, détrousser les cadavres, ramasser beaucoup d'or et d'argent, des armes, des ornements de personnages de marque et de chevaux. Ils attaquèrent ensuite les châteaux et les villes que les Perses possédaient dans le pays des Aghouank. Combattant avec ardeur, ils incendièrent les retraites bien défendues, tuèrent nombre de mages venus pour ruiner la contrée et passèrent au fil de l'épée tous ceux qu'ils rencontrèrent dans les bois, laissant leurs corps en pâture aux oiseaux de proie et aux bêtes féroces. Ils purifièrent les lieux ou se trouvaient des victimes immondes et affranchirent les églises, qui furent délivrées d'incalculables persécutions.
Beaucoup de satrapes et de gens du pays d'Aghouank qui, pour le nom de Dieu, étaient dispersés dans les cachettes du mont Gabgoh, en voyant le succès dont Dieu avait favorisé l'armée arménienne, se rassemblèrent et se réunirent aux soldats, et s'étant unis et alliés entre eux, ils participèrent à l'oeuvre de la délivrance. Ensuite ils se portèrent dans les défilés des montagnes des Huns que les Perses occupaient fortement. Ils prirent et ruinèrent les fortifications du défilé, mirent en déroute les soldats de la garnison et confièrent le passage à Vahen, de la famille des rois Aghouank. Dans tous ces combats personne ne fut blessé, excepté un bienheureux qui termina sa vie en martyr - Mousch Timaksian - dan cette grande bataille.
Aussitôt après, les Arméniens envoyèrent de cet endroit celui à qui était confiée la garde du défilé, comme ambassadeur dans le pays des Huns et chez beaucoup d'autres peuplades barbares, alliées des Huns, afin qu'on s'engageât de part et d'autre et qu'on signât un traité d'alliance indissoluble. Ces peuples, en entendant toutes ces communications, accoururent aussitôt et furent témoins de la victoire remportée. Ils s'empressèrent d'accepter ce traité, en prêtant serment suivant leur religion; ils reçurent également celui des chrétiens, qui (jurèrent) de garder fidèlement l'alliance.
Cela fait et les Arméniens paisiblement établis dans ce pays, il arriva d'Arménie un courrier porteur de tristes nouvelles. Il se frappait le front, déchirait ses vêtements et disait : «Désertant la religion chrétienne, Vasag a ruiné beaucoup de localités d'Arménie, particulièrement les résidences royales d'hiver dans lesquelles on tient garnison : Karni, Eramon, Treshanaguerd, magnifique construction, Vartanaschad, le fort d'Oschagau, Parakhod, Artiau, le bourg de Govasch, Aroudj, Aschnag et tout le pied d'Arakadz, la province d'Ardaschad avec sa capitale Ardaschad, tous les villages et les bourgs qui l'environnent, prenant, dévastant, incendiant, mettant en fuite vos familles et les expulsant de leurs propres maisons. Il s'est emparé des saintes églises, il a emprisonné les familles des clercs et il a enchaîné et emprisonné ceux-ci.
«Quant à lui, il parcourt le pays avec ses troupes pour le ravager et le saccager. L'armée, qui était dans l'Adherbadazan, n'arriva pas pour secourir les habitants dans l'intérieur du pays : les soldats qui étaient là, fuyant le traître, sont allés sur les frontières de la province, mais ils conservent avec vous le pacte d'union pour l'amour du Christ. Quant à ceux qui étaient avec Vasag, les uns ont déserté leurs postes, mais beaucoup d'autres ont été séduits par sa perversité.»
On leva le camp pour rentrer en hâte en Arménie avec un butin considérable et de grandes richesses. Les soldats chantaient :


Célébrez le Seigneur parce qu'il est bon,
car sa miséricorde est éternelle.
Il a frappé les grands
et anéanti les princes valeureux.
Parce qu'il est bon,
car sa miséricorde est éternelle.


Chantant ce psaume jusqu'à la fin et le terminant par des prières, ils glorifiaient la sainte Trinité. Cependant Vartan veillait sur l'armée, formait l'avant-garde, l'arrière garde, les flanc-garde; ainsi on arriva sains et saufs, en trente jours, près des frontières de la patrie.
On raconta à l'apostat Vasag et aux princes qui étaient avec lui les faits d'armes du 2 e corps dans le pays des Aghouank et l'alliance avec les Huns. Avant d'en venir aux mains avec eux, il fuyait la nuit dans les lieux fortifiés de ses domaines, et avec tant de hâte que, malgré lui, il abandonna les prisonniers et le butin enlevés dans la province d'Ararat.
Cependant, l'hiver étant arrivé et l'ennemi ayant épuisé les subsistances, Vartan ne pouvait nourrir ses soldats rassemblés. Il les dispersa pour vivre et les mit en quartiers d'hiver, avec ordre de préparer les armes pour le printemps; il garda auprès de lui, en qualité d'auxiliaires, quelques soldats et les principaux satrapes, et il employait ses forces à se maintenir dans les résidences royales. Ensuite il envoya de nombreuses troupes dans la province de Siounie, soumit et subjugua beaucoup de cantons et réduisit à une telle détresse Vasag et son entourage, que torturés par la faim ils se contentaient d'âne et de cheval crevés pour leur nourriture.
D'autres malheurs fondirent encore sur l'apostat, tellement que l'assemblée des saints évêques et de tout le clergé s'apitoyait sur des tourments si cruels. En effet, des hommes et de faibles femmes s'en allaient nu-pieds, des enfants étaient brisés contre les pierres et abandonnés le long de la route.
En souvenir des succès remportés par ceux qui craignaient Dieu, les évêques et les prêtres ordonnèrent des jeûnes et des prières pendant tout le mois de Khaghotz (mi-décembre-mi-janvier) et la célébration d'une fête en commémoration de la victoire obtenue le jour de l'Epiphanie, afin que ce grand souvenir fût à jamais attaché à l'éternelle fête divine. Les saints évêques écrivirent aussi quelle protection Dieu avait providentiellement accordée à l'Arménie et ils envoyèrent cet écrit dans le pays des Grecs, à Constantinople, au saint clergé, afin qu'eux aussi, en adressant à Dieu des prières, lui demandassent (pour les Arméniens) d'achever (leur tâche) comme ils l'avaient commencée.
Ayant mis en liberté un des principaux prisonniers perses en le faisant comparaître devant les satrapes, ils s'entretinrent avec lui et lui exposèrent tous les malheurs arrivés, soit par la dévastation des provinces, soit par le massacre des troupes royales, soit enfin par toutes les autres circonstances qui devaient surgir. En lui exposant toutes ces choses, on rapprochait les accusations des deux partis, celles des croyants et celles des apostats; comment les premiers avaient été injustement et sans raison tourmentés afin de les éloigner de la foi de leurs pères; la trahison du rebelle Vasag; comment il avait trompé le roi en engageant la parole des Arméniens qui auraient embrassé le magisme; comment enfin, tandis que personne ne s'était engagé avec lui verbalement, il les avait trompés de sa propre, volonté.
Quand on lui eut fait comprendre toutes ces choses, on l'envoya en Perse comme ambassadeur, afin qu'il défendît les frères et qu'il trouvât le moyen de les sauver de la tribulation.
Ces premières et tristes nouvelles étaient déjà parvenues à la cour par l'impie Vasag; il annonçait la déroute des troupes royales et faisait retomber le poids de l'accusation sur le saint clergé de l'Église. Ce perfide ne visait qu'à séparer les évêques et les satrapes, mais il n'avait pas songé à ce que l'on peut voir dans l'ordre naturel, c'est-à-dire que, pour un temps donné, l'âme et le corps se désunissent, mais qu'un semblable phénomène ne peut pas se produire chez ceux qui, pour l'amour de Dieu, sont unis entre eux.
Cependant Vasag, s'étant rendu dans la résidence d'hiver, raconta tous ces événements devant le roi; il l'émut et l'effraya à un tel point qu'il perdit tout son courage, d'autant plus qu'il était revenu de sa campagne d'Orient plutôt avec déshonneur qu'avec gloire. Lorsque les faits furent confirmés par le dernier ambassadeur, il rejeta ses conseillers tout l'insuccès de ses entreprises; cependant il modéra sa colère; aussi les perfides conseillers qui excitaient son impiété eurent la bouche fermée. Il s'humilia dans son orgueil altier et changea les dispositions de son coeur aigri en des sentiments plus humains. Il fit un retour sur lui-même, se reconnut plein de faiblesse et comprit qu'il ne pouvait exécuter tout ce qu'il voulait entreprendre. Il calma sa colère, retint ses cris, et celui qui, à haute voix, faisait trembler par ses emportements terribles ceux qui étaient proches et ceux qui étaient éloignés, commença à employer avec tout le monde de douces et flatteuses paroles. Il dit : «Quel dommage ai-je commis ? Quel malheur ai-je fait éprouver aux peuples, aux langues ou aux individus ? N'existe-t-il pas beaucoup de sectes dans l'empire des Arik, et ces cultes ne sont-ils pas publics ? Qui donc les a contraints ou forcés à se convertir uniquement à la religion des mages ? Ceux surtout qui professent la foi chrétienne, plus ils ont été attachés ou sincères dans leur religion, plus ils nous ont paru meilleurs que tous les autres sectaires. Personne ne peut trouver une tache dans leur parfaite religion, et même je la regarde comme semblable et égale à celle des mages; c'est pourquoi elle était respectée déjà sous le règne de mon père qui était assis sur ce trône majestueux.
Quand ensuite le roi se mit à examiner et à connaître à fond toutes les religions et qu'il les eut complètement approfondies, il trouva celle des chrétiens plus sublime qu'aucune autre. C'est pourquoi les ayant loués et honorés, ils furent admis à la Porte royale, comblés de présents magnifiques, et ils pouvaient parcourir librement tout le pays. Ceux qui étaient à la tête des chrétiens et qu'on appelle évêques, recevaient présents et honneurs comme les fidèles osdigans. Il leur recommandait les provinces éloignées et il n'y avait jamais aucun conflit dans les affaires de l'État.
Cependant vous ne vous êtes jamais souvenu de ceci, mais vous m'avez toujours fatigué les oreilles en proférant beaucoup de méchancetés contre eux. Voyez ! vous m'avez fait agir comme je ne le voulais pas, et il en est arrivé de grands dommages sur les territoires des deux implacables ennemis. Nous-mêmes, dans une contrée reculée, nous n'avons obtenu aucun succès militaire, et vous, ici même, dans mes domaines, vous avez suscité des combats dont l'issue sera pire peut-être que si nous combattions avec des ennemis étrangers.» Il ajouta encore d'autres choses aux grands et il imputait la cause des dommages au chef des mages et aux mages. Tous
les grands et les satrapes qui avaient rang à la cour, en entendant ce perfide langage, baissaient la tête et regardaient la terre. Cependant quelques-uns, voulant convaincre le roi, lui dirent : «Roi valeureux, tu as dit la vérité, tu peux maintenant nous humilier avec raison. Qui pourrait s'opposer à ta volonté, puisqu'il t'a été accordé par les dieux d'agir en tout comme tu l'entends ? Ne tourmente pas ton esprit et n'afflige pas nos âmes; peut-être les choses seront-elles faciles à exécuter. Gagne du temps et arrache-leur de nouveau la foi chrétienne, car de cette manière tu convaincras les rebelles.»
Ce discours plut au roi, qui manda aussitôt en sa présence tous ceux, à quelque nation qu'ils appartinssent, qui professaient le christianisme et servaient dans l'armée. Il défendit expressément à chacun d'eux d'adorer Dieu en publie; il persécuta ceux qui refusèrent d'obéir et leur prohiba tout culte extérieur. Il contraignit quelques-uns à adorer le soleil et fit prendre le deuil à tous les soldats. Il ordonna ce même jour qu'ils restassent libres de garder leur religion chrétienne suivant son premier ordre.
Cependant ceux qui s'étaient rendus coupables d'apostasie, ne voulaient pas venir effrontément se mêler aux pratiques du christianisme. Mais le roi ordonna qu'on les prît de force, qu'on les menât à leur église, et engagea les prêtres à agir envers eux comme il fallait suivant leurs coutumes. Il accorda de nouveau à chacun d'eux les gages qui avaient été supprimés et il ordonna qu'ils reprissent leurs places dans les festins. Il ne les excluait pas de la cour, car il les replaça de nouveau dans le rang qu'ils occupaient primitivement. Il s'humiliait et s'entretenait affectueusement avec eux, suivant sa première habitude.
Ayant accompli et ordonné tout ce qui, vient d'être dit, il expédia dans toutes les provinces de son obéissance un édit de pardon aux chrétiens. «Si quelqu'un est enchaîné, qu'il en soit délivré par ordre royal; si on lui a enlevé ses biens, qu'on les lui rende. Qu'on agisse de même pour les propriétés paternelles, soit octroyées, soit achetées, soit dérobées; nous avons déjà ordonné qu'elles soient rendues.» Lorsqu'il leur eut fait savoir toutes ses volontés, il exigea un témoignage de fidélité dans le pays d'Arménie et par serment,et il s'engagea lui-même solennellement et avec l'adhésion de tous les grands à oublier entièrement toute vengeance à leur écart : «Comme vous professiez auparavant votre religion ouvertement, dorénavant faites de même; seulement ne vous révoltez plus contre notre souveraineté. Le roi dit et adressa ces lettres à l'Arménie et à beaucoup d'autres contrées qui professaient la religion chrétienne. Ensuite, ourdissant secrètement une trame, envoya en hâte des ambassadeurs à l'empereur Marcien. S'étant assuré que les Grecs ne voulaient pas secourir les chrétiens, soit en envoyant des troupes, soit par tout autre moyen, le roi revint de nouveau à ses premiers projets de perfidie. C'est pourquoi il faisait ordonner par ses ministres l'exécution des ordres et il pensait qu'ils les rempliraient en suivant ses premières prescriptions. Quoique les Arméniens eussent reçu l'édit contenant les trompeuses promesses du roi qui, en apparence, leur donnait l'espoir de la vie et, en réalité, l'amertume de la mort, ils s'étonnaient néanmoins de la perfidie de ses desseins et ils se disaient : «Quel rusé impudent ! deux ou trois fois mis à l'épreuve, il n'a retiré que confusion et il n'en a pas honte. Il sait notre union indissoluble, et il ose, il compte encore vouloir nous décourager dans l'avenir. Maintenant, croirons-nous à cet ordre capricieux ? Quel bien avons-nous vu dans toutes les églises du pays des Perses ? L'homme naturellement pervers ne peut faire aucun bien aux autres; et celui qui, de lui-même, marche dans les ténèbres, ne peut guider personne avec la lumière de la vérité. Comme la justice ne découle pas de l'iniquité, ni la vérité du mensonge, on ne peut attendre d'un esprit bouleversé l'espérance de la paix. Nous, cependant, avons été délivrés par la vertu de Dieu et confirmés par la foi dans l'espérance du Christ qui est venu et a pris de la sainte Vierge la chair de notre nature, en l'unissant à son inséparable divinité; il supporte en lui-même les tortures dues à nos fautes,et c'est avec ce corps qu'il fut crucifié et enseveli. Étant ressuscité, il apparut à beaucoup de gens et, en présence de ses disciples, il s'éleva vers son Père et s'assit à la droite de sa puissance. Lui-même nous le reconnaissons pour le vrai Dieu et nous attendons qu'il vienne avec la gloire et la vertu de son Père pour ressusciter tous les morts, pour renouveler la jeunesse des créatures et prononcer la sentence éternelle et irrévocable sur les justes et sur les pécheurs.
Nous n'errons pas comme des enfants ou des ignorants; l'inexpérience ne nous égare pas, nous sommes prêts à subir toutes les épreuves. Nous prions Dieu et demandons sans cesse à son infinie miséricorde de finir comme nous avons commencé, avec courage et non avec déshonneur. Car l'Orient et l'Occident savent aussi que vous avez été, rebelles à Dieu et que nous avons été injustement et contre tous nos droits condamnés à la mort. Les cieux avec les bienheureux et la terre avec ses habitants nous rendent témoignage que nous n'avons pas même péché par pensée, et au lieu de nous donner des récompenses et de nous faire du bien, vous voulez nous ravir notre vie véritable. Cela est impossible et ne sera jamais ! Croirons-nous donc à la parole indigne de celui qui nous contraignit injustement à apostasier ? Et maintenant, sans avoir fait aucune bonne oeuvre, pourra-t-il nous annoncer de bonnes nouvelles ? Nous ne pouvons aujourd'hui nous fier facilement à la foi simulée de celui qui blasphémait le Christ et le faisait renier aux croyants. Celui qui jurait par sa vaine et trompeuse croyance d'imposer tous ces tourments aux ministres de l'Église, nous remercie perfidement aujourd'hui, afin de répandre sur nous toute sa méchanceté. Ne le croyons pas et n'accomplissons point ses ordres mensongers.»
Lorsque le roi fut convaincu qu'il ne pourrait rompre leur inébranlable union, le coeur rempli d'amertume, il éloigna de lui le vieillard dans lequel le démon résidait avec toute sa puissance et qui avait provoqué le grand massacre. Dès l'enfance, sa nourriture favorite était le corps sans tache des saints et son insatiable boisson, le sang des innocents. Il joignait à son iniquité l'ordre de mort et, avec cet ordre, il rassemblait beaucoup de troupes de toutes les provinces et il envoyait aussi beaucoup d'éléphants.
Arrivé près des frontières de l'Arménie, il entra dans la ville de Phaïdagaran et dispersa ses soldats autour de la place, pour dissimuler les préparatifs de sa perfidie. L'ancien dragon pénétrant avec son venin dans la forteresse se cachait avec un mélange d'audace et d'hypocrisie, menaçait d'une voix terrible ceux qui étaient éloignés et encourageait ceux qui étaient près en s'insinuant comme un serpent. Il se nommait Mihr-Nersèh; il était prince et commandant suprême de toutes les possessions perses, et nul ne pouvait s'opposer à lui. Non seulement les grands et les petits, mais le roi lui-même recevait ses conseils, et il lui avait fait entreprendre dés expéditions malheureuses.


CHAPITRE QUATRIÈME


DE LA DÉFECTION DU PRINCE DE SIOUNIE ET DE SES ADHÉRENTS IMPIES.

J'ai raconté jusqu'ici les infortunes que l'arrivée des étrangers attira à notre nation; ce n'est pas qu'on tuât beaucoup des nôtres, nous en fîmes périr un plus grand nombre des leurs, parce qu'alors nous étions unis et alliés, et bien que quelques-uns dissimulassent leur hypocrisie, l'union paraissait néanmoins formidable aux ennemis qui, pendant deux ou trois campagnes, ne purent nous tenir tête. Mais avec la discorde, l'union s'est affaiblie et la vertu céleste s'est éloignée.
Ceci arrivant chez les plus braves provoqua un vrai désespoir. En effet, si on dispersait les membres de notre corps sanctifié, chacun à cette vue ne pourrait retenir ses larmes; ainsi s'attristerait-on bien plus sur celui qui est mort en corps et en âme. Et si cela avait lieu pour un seul, combien l'effet ne serait-il pas plus grand lorsqu'au lieu d'un homme il s'agirait d'un peuple ? Nous ne nous plaignons pas cependant pour un seul peuple, mais pour plusieurs; j'en parlerai plus tard, avec ordre, mais non sans trouble. Voici que, malgré moi, je raconte les vicissitudes de bien des gens; comment plusieurs perdirent la vie véritable et la firent perdre à beaucoup d'autres, et plusieurs perdirent la vie terrestre, tandis que d'autres perdaient la terrestre et la céleste, ce qui est plus grave. Dieu seul peut fermer la porte de la perdition, mais eux l'ouvrirent en franchissant les bornes des forces humaines, L'impie Mihr-Nersèh sachant, à n'en pas douter, la perfidie de Vasag, le fit mander près de lui. Vasag, s'étant déjà séparé de l'union des Arméniens, se rendit à cet appel, assura Mihr-Nersèh de sa fidélité et de la rébellion injuste des Arméniens. Il exagéra les faits et gestes de ceux-ci en vue de s'emparer de l'esprit de l'impie.
Ce dernier blâmait fort Vasag, mais n'en laissait rien voir; il l'accablait au contraire de présents et d'éloges. Il lui promit d'étendre son pouvoir, lui laissa entrevoir même l'accès du trône, s'il parvenait à rompre l'union du clergé arménien et à exécuter les ordres du roi.
Vasag ayant réussi et voyant que le vieillard aigri était découragé et n'avait plus la fermeté de ceux qui formaient l'union, s'en réjouit et songea à les gagner tous, afin de les perdre tous éternellement. Il était habile et savait bien qu'il s'était éloigné de lui-même de l'Église, qu'il s'était détaché et privé de l'amour du Christ. Depuis lors il oublia l'Incarnation et la prédication de l'évangile, méprisa les menaces et négligea l'espérance. Il renia son baptême et l'Esprit saint, méprisa le corps du Sauveur qui l'avait sanctifié et le sang qui lui avait remis ses péchés. Il effaça le caractère de son adoption et brisa de ses mains l'anneau du sceau inviolable. Il fut rejeté du nombre des élus et beaucoup le suivirent. Il étendit la main injustement, se fit idolâtre et devint un vase d'iniquité. Satan l'enveloppa de ruses; il se mit à son bras comme un bouclier et le couvrit comme un casque; il fut en somme un des plus fidèles champions. Il disputa insidieusement avec les sages, subtilement avec les savants, ouvertement avec les simples, et spécieusement avec les habiles. Il étendit la main et éloigna beaucoup de gens de la milice du Christ pour les incorporer à celle du démon. Dans plusieurs endroits il pénétra comme un assassin, s'insinua comme un serpent dans les forteresses et, par la brèche, ravit, saisit, enleva de haute lutte, des nobles, des princes en grand nombre et même quelques prêtres indignes de ce nom.
Voici les noms de ses adhérents :
Ardag, prince des Reschdouni;
Katisch, prince des Khorkhorouni;
Kiud, prince des Vahévouni;
Dir, prince des Pakradouni;
Manedj, prince des Abahouni;
Ardèn, prince des Kapelian;
Endehough, prince d'Agé;
Nersèh, prince d'Ourdz;
Varazschapouh, autre prince des Balouni;
Manèn, noble des Amadouni et beaucoup d'hommes distingués, que l'on nomme osdanig à la cour.
Il fit apostasier tout le pays, peuple et clercs, au moyen des prêtres menteurs qui aidaient son iniquité : par exemple, un prêtre appelé Zankag, un autre nommé Pierre, un diacre nommé Sahag. Il les envoyait auprès des gens simples pour les tromper et les railler. Ils juraient par l'évangile et disaient que le roi permettait à tous l'exercice du christianisme; ainsi il les faisait sortir de la sainte union et les incorporait à la troupe des apostats.
Il rassembla ensuite tous ceux qu'il avait séduits, en forma un corps de troupes et écrivit au général en chef; il en désignait plusieurs par leur nom, vantait leur valeur et se louait fort de les avoir attirés à l'apostasie; enfin il représenta les troupes arméniennes plutôt désunies que d'accord entre elles.
Tout cela lui réussissait; il finit par rompre l'union des Ibères et des Arméniens, de même celle des Aghouank, et fit révolter la province d'Aghdzaik. Il fit aux Grecs des promesses trompeuses, écrivit une lettre à un certain Vasag, l'un des Mamigoniens au service des Grecs et général de l'Arménie mineure et du corps grec d'observation sur les frontières de Perse (aux environs d'Erzeroum); par cela même ce Vasag était éloigné des lois de Dieu et le digne collaborateur des épouvantables scélératesses de son homonyme; ils lièrent amitié par la suite.
Vasag écrivait et répandait le bruit que tous les Arméniens s'étaient associés avec lui et avec l'étranger Vasag, et il le mandait à l'empereur. Il refroidit même à l'égard des Arméniens l'esprit des saints évêques et détourna du clergé tous les soldats grecs, car, grâce à ses prêtres apostats, il séduisait et trompait sous une apparence de sincérité. Il faisait porter la croix et l'évangile et cachait ainsi ses projets sataniques. Lui-même avec tous les apostats, comptaient parmi les adorateurs du vrai Dieu; il se fortifiait ainsi plus que toutes les armées arméniennes, il jurait, affirmait et montrait même des lettres de pardon venues de la cour.
La province soumise aux Grecs en était très satisfaite et se montrait disposée à l'écouter. Vasag agissait de même dans toutes les localités bien défendues, chez les Dmorik et chez les Gortik, dans l'Artzakh et le pays d'Aghouank, chez les Ibères et dans la Chaldie (Khaghdik); il envoyait des nouvelles et les faisait confirmer, afin que ces peuples ne permissent à personne de s'établir chez eux.
Sa perfide conduite et plus encore le temps lui valaient le succès; aussi il ne se trouva aucun étranger pour secourir les Arméniens, excepté les Huns leurs alliés. Il rassembla donc contre eux une nombreuse cavalerie perse, il ferma et condamna les issues de leurs défilés, et fit réclamer un gros renfort à la Porte de Djor. Il réunit et expédia un corps important aux défilés des montagnes et rassembla l'armée entière de la province des Ibères, les guerriers des Lephin, Djghp, Vad, Kav, Kghouvar, Khersan, Hedjmadag, Phaskh, Phoskh, Phioukhonau et toutes les troupes de Thavasbaran, des endroits montagneux, des plaines et de tous les lieux fortifiés des montagnes. Il gagnait les uns par l'argent, les présents, qu'il distribuait largement aux frais du trésor royal; il effrayait les autres par des menaces au nom du roi. Dès qu'il eut achevé tout au nom du roi, il écrivit chaque jour et tint au courant le général en chef des Perses, caché à Phaïdagaran. Dès ce moment, celui-ci se montra à quelques peuplades, effrayant les unes, achetant les autres. Il manda auprès de lui Vasag et les princes de son entourage et les comblait de présents au nom du roi; il faisait de même aux soldats. Il n'oubliait pas les prêtres et affirmait que, par leur moyen, il les gagnerait en les détachant de l'union. Enfin le général manifestait sa gratitude aux deux apostats et leur promettait, en cas de victoire, la vie des autres prêtres et un rapport élogieux au roi sur l'ardeur de leur zèle.
Vasag souleva l'Arménie, en sorte qu'il désunit soudain beaucoup de frères, sépara le fils d'avec son père, et sema la division là où régnait la paix. Il avait dans ses domaines deux neveux restés attachés au pacte; il écrivit et les signala à la cour, obtint sur eux le droit de vie et de mort, les chassa et les exila de la contrée, afin qu'ils n'y revinssent plus. Il fit persécuter et chasser tous les moines du pays qui maudissaient son impiété. Il exécuta tous les genres de scélératesse contre la vérité, apprit aux païens impies ce qu'ils ignoraient, c'est-à-dire de quelle manière on pouvait déchristianiser l'Arménie.
Lorsque Mihr-Nersèh vit Vasag si méchant, il se fia encore plus à lui qu'à lui-même. Il demanda et s'assura des effectifs de Vartan et en rappelant qu'ils s'élevaient à 60.000 hommes, il s'informait de la valeur de chacun, combien de cuirassiers, combien d'archers armés à la légère, combien de scutaires. Quand il fut instruit, il voulut connaître les noms des chefs, afin d'en opposer trois à chacun d'eux, outre les autres. Il questionna aussi sur les bannières, le nombre de corps, les généraux, quel général commencerait le combat, le nom de chaque cohorte, le nombre des trompettes. Il voulut savoir si l'armée se retrancherait ou si elle camperait en rase campagne, si elle attaquerait corps à corps ou par masses et sur un point, enfin quels étaient les plus vaillants et ceux qui braveraient le plus la mort.
Aussitôt que Mihr-Niersèh tint tous ces renseignements de Vasag, il convoqua un conseil de guerre et donna ses ordres. Mouschgan Niousalavourd reçut le commandement en chef. Puis on marcha vers les contrées des Orientaux (en Perse) et s'étant présenté au grand roi, il lui raconta les progrès des affaires, ses industries, les perfidies de Vasag, et comment, la première fois, il avait voulu cacher les moyens odieux avec lesquels il avait désuni les soldats de l'Arménie. À ce discours du généralissime, le roi dit tout en colère et en jurant : «Si ce misérable échappe à ce grand combat, je l'accablerai de reproches et lui présenterai à boire le calice de la mort la plus cruelle.»


CHAPITRE CINQUIÈME


INVASION DES ORIENTAUX.

L'amour de Dieu l'emporte sur toutes les grandeurs terrestres et rend les hommes intrépides à la manière des cohortes incorporelles des anges, ainsi qu'on l'a vu souvent. Les hommes qui avaient en eux l'amour de Dieu ne s'inquiétaient pas, - comme font les lâches et paresseux, pour la mort, la ruine, le massacre des êtres chéris, la captivité - de sortir du domaine paternel et d'aller en esclavage dans les contrées étrangères. Ils considéraient comme nulles toute espèce de souffrances; unis à Dieu, afin de n'en être plus séparés, le préférant seul, en esprit, ils estimèrent qu'il leur suffisait au delà de toutes les grandeurs. Ils regardaient l'apostasie comme la mort et le martyre comme la vie éternelle. Nous avons vu de nos yeux, en ces jours, l'Arménie déployer un semblable héroïsme.
Dès que Vartan eut vu la discorde envahir son pays, il ne s'en effraya pas comme un lâche; et quoique connaissant l'irrésolution de plusieurs personnages ses alliés, il reprit courage et l'inspira à ses soldats. Ensuite, du consentement des satrapes de l'union, il occupa les localités de résidence royale et donna ordre à toutes les troupes de se rassembler à Ardaschad; il remplaça les apostats qui avaient suivi le prince de Siounie, leurs frères, leurs fils et leurs neveux, et les mit chacun à la tête d'une troupe, afin de reconquérir tout le pays.
Ils hâtèrent leur marche et arrivèrent tous sur le terrain choisi, d'abord (les Vartaniens) et ceux qui leur étaient restés fidèles, avec chaque corps de troupe et ayant fait tous leurs préparatifs.
(C'étaient :) Nerschapouh Ardzrouni; Khorène Khorkhorouni, général; Ardag Balouni; Valan Amadouni et la troupe de Vahévouni; Chathoul Timàksian; Arschavir Arscharouni; Schinavon Antzavatzi; Dadjad Kentouni; Adom Kenouni; Khosrov Kapéghian; Garèn Saharouni; Hemaïag Timaksian; et Kazrig, aussi Timaksian; Nersèh Khadchpérouni; Pharsmane Mantagouni Arsène Entzaïatzi; Aïroug Selgouni; Vrèn Daschiratzi; Abersant Ardzrouni; Schah, écuyer du roi; Khours
Serouantzdiank et les Khoghiankh; les Agéatzikh; les Derbadouni; les troupes des Reschdouni et tous les officiers royaux avec leurs troupes particulières.
Tout ce monde s'avançait dans la plaine d'Ardaz; cela faisait au total 60.000 hommes, tant infanterie que cavalerie. Les saints prêtres Léonce et Joseph les accompagnaient avec beaucoup d'autres prêtres et moines qui prirent part, parmi eux, à la bataille. Ils ne se considéraient pas comme combattant de leur personne; mais par leurs vertus spirituelles, ils souhaitaient devenir, par la mort, les émules de ces vaillants guerriers.
Le général, d'accord avec les satrapes, harangua l'armée : «Je me suis battu souvent et vous étiez avec moi; plusieurs fois nous remportâmes ensemble de belles victoires, quelquefois aussi nous fûmes vaincus; mais nous fûmes plus souvent vainqueurs que vaincus. Nous nous battions alors pour la gloire du monde et pour un roi mortel; les poltrons étaient notés d'infamie et mis à mort cruellement; les braves rendaient leur nom illustre et recevaient des présents du roi mortel.
Nous avons tous le corps cousu de cicatrices; nous étions braves et nous en fûmes bien payés.
Je tiens cette bravoure pour inutile et ces princes pour ridicules, tout cela n'étant pour nous qu'obstacle. Si pour un roi mortel nous fûmes si braves, que ne ferons-nous pas pour un roi immortel, le Seigneur des vivants et des morts, le juge de nos propres actions ? Si vieux que nous arrivions, il faudra mourir et paraître devant le Dieu vivant, dont nous ne nous séparerons plus.
Je vous prie, cimarades, dont plusieurs me dépassent par la bravoure et la naissance, - puisque nous avez choisi de vous-mêmes un commandant, - recevez mes paroles avec bonté, qui que vous soyez, inférieurs ou supérieurs. Que nul ne s'enfuie, effrayé par la multitude des ennemis; ne tournez pas le dos devant l'épée d'un homme; puisque le Seigneur laisse la victoire entre nos mains, nous briserons leurs forces, afin que la vérité triomphe ! Si nous mourons dans la bataille, eh bien, mourons de bon coeur. Mais à l'éclat du courage ne mêlons pas les douceurs du repos. Je n'ai pas oublié - et vous non plus, quelques-uns du moins s'en souviennent, - que nous avons trompé pendant un temps ce prince injuste, et nous le surprîmes affaibli, comme si nous avions accompli des ordres iniques. Le Seigneur connaît nos pensées, il sait notre persévérance. Vous savez que nous avons essayé de rendre la paix à ceux que nous aimons et qui sont dans la peine.
C'est à cause d'eux que nous combattîmes le tyran, afin de garder les lois divines transmises par nos pères, lois sur lesquelles rien ne peut prévaloir; ainsi nous ne pouvions par amour de la vie échanger Dieu pour les hommes.
Dieu fut avec nous en deux ou trois batailles; on nous jugea braves et l'ennemi fut mis en déroute. Nous avons massacré sans pitié les mages, désinfecté plusieurs provinces de l'ordure idolâtrique, nous avons méprisé l'ordre du roi et apaisé la tempête. Les flots amoncelés se sont aplanis, l'écume a disparu, la colère est tombée. Celui qui tonnait plus haut que les nuages, abaissé au-dessous de son orgueil, vient conférer avec nous. Celui qui voulait triompher de l'Église doit combattre avec l'arc, la lance et l'épée. Celui qui estimait notre foi un simple vêtement ne pourra pas plus la changer que la couleur de notre peau, et cela jusqu'à la fin. C'est que les fondements de notre foi sont assis sur la pierre, non sur terre, mais en haut, dans le ciel, d'où les pluies ne tombent pas, d'où les vents ne soufflent pas, où les torrents n'inondent point. Nos corps qui sont sur la terre prennent racine, par la foi, dans le ciel. Là, personne ne touche à l'édifice du Christ.
Soyez fermes en nôtre infaillible chef qui n'oubliera jamais les actes de votre valeur. Il est clair, camarades, que Dieu exécuta toutes ces choses par le moyen de la nature; par là, aussi, on voit manifestement la force de Dieu. Si nous nous sommes acquis de la gloire en tuant, à cause des lois divines, et si, au nom illustre de nos races, nous avons préféré l'Église, si nous attendons la récompense du Seigneur, - ce prix est réservé suivant l'affection du coeur et il est précédé par les actes, - combien cela se vérifiera-t-il davantage si nous mourons pour avoir rendu témoignage au Christ pour lequel soupireraient les habitants du ciel , si c'était chose possible !
Ce don, en effet, n'est pas accordé à tous, mais à celui qui y est préparé par le Dieu miséricordieux. Et il ne vient pas du mérite des oeuvres, mais du distributeur impartial, comme il est dit dans le divin Testament : «Là où les péchés abondent, la grâce divine surabonde». Cette prophétie s'accommode bien à notre cas; car plus nous avons paru irréligieux devant les hommes, plus nous paraîtrons justifiés devant les hommes, les anges et le Père de tous. En ce jour où les hommes apprirent que nous avions commis ce sacrilège, beaucoup d'yeux pleurèrent dans notre sainte Église et beaucoup pleurent encore. Nos camarades furieux nous menacèrent et voulurent nous tuer, nos serviteurs nous délaissaient, ceux qui étaient éloignés et qui avaient entendu parler de notre apostasie, ignorant nos desseins, pleuraient sur nous, et, ignorant la vérité, nous jetaient le blasphème. Je dirai plus : non seulement les hommes, mais les anges détournèrent leur face, afin de ne point nous regarder avec colère. Ainsi donc le temps est venu de repousser loin de nous toute tâche d'infamie; car, comme des malades de corps et d'esprit, nous étions plongés dans la tristesse; aujourd'hui, joyeux et satisfaits, nous sommes revenus à la vie et nous voyons le bon Sauveur marcher devant nous. Notre chef n'est pas un homme, mais le généralissime des martyrs. La crainte est un doute de la foi. Loin de nous notre ancienne faiblesse, loin de nous la craint et loin de nos pensées et de nos coeurs.»
Le général parla ainsi devant toute l'armée, il encouragea ensuite chacun en particulier, il réconfortait et pourvoyait à tous les besoins de la pauvreté. Il offrait du sien ou de celui de ses compagnons au soldat à qui manquait quelque chose; l'un n'avait pas d'armes, on lui en donnait; un autre n'avait pas d'habit, il en recevait; à qui manquait de cheval en en fournissait un. Les hautes paies déridaient tout le monde, et lui même semblait tout joyeux. Rappelant les coutumes militaires, il racontait des histoires de braves, parce que, tout enfant, il était déjà versé dans les saintes Écritures. Il lisait l'histoire des Machabées et commentait les événements : comment, en combattant, ils avaient, grâce aux lois divines, résisté à Antiochus, et quoiqu'ils aient péri, leur gloire avait survécu jusqu'à nos jours sur la terre et dans le ciel. Il racontait comment la race de Mathathias s'était séparée de son alliance, s'était soumise aux ordres du roi, avait construit des temples, offert des victimes immondes, s'était séparée de Dieu et avait reçu des saints alliés un terrible châtiment. Mathathias et les gens de son parti ne se découragèrent pas, ils se fortifièrent davantage et entreprirent les rudes travaux d'une très longue guerre. En disant cela et en faisant choix d'un campement, il disposait les troupes et rassemblait de tous côtés la cavalerie.
Bien des jours après, le général des Perses arrivait avec toute l'armée des idolâtres. Il entra en Arménie par les provinces de Her et de Zaravant. Il dressa aussitôt son camp et le retrancha, on creusa des fossés, on éleva des épaulements, on planta des palissades, on s'y fortifia comme dans une ville en achevant les préparatifs. Il envoyait des partis aux environs et cherchait à faire le dégât dans les cantons.
À ces nouvelles, les troupes arméniennes choisirent Arantzar, de la famille des Amadouni, noble, prudent et brave, qui se porta en avant avec 2000 hommes, battit l'ennemi, lui massacra une multitude de soldats et poussa les fuyards dans leur camp. Il rentra sain et sauf; cette journée fut pour l'armée arménienne un jour de fête.
Cependant Vasag méditait quelque embûche nouvelle. Il envoyait de faux prêtres et expédiait par leur moyen des messagers sur l'ordre du roi et affirmait par serment qu'il professait de nouveau le christianisme. Il ne put rompre l'union, surtout parmi le clergé dont les membres ne s'étaient pas éloignés de l'armée.
Le bienheureux prêtre Léonce en ayant reçu l'ordre de ses saints collègues, notamment du pieux Joseph et de tous les grands, des prêtres et des généraux, parla ainsi :
«Souvenez-vous de vos premiers pères qui, avant la venue du Fils de Dieu,vécurent en des âges différents. Aussi quand l'esprit malin nous expulsa du lieu divin, nous tombâmes sous un joug lui pitoyable, pour avoir apostasié lâchement et volontairement. Nous avions provoqué sur nous la force créatrice dans la fureur de sa colère et nous avions excité le juge miséricordieux à tirer de ses créatures une terrible vengeance, tellement qu'il ordonna à la mer du ciel de se répandre sur notre continent; et, en éclatant, la croûte solide de la terre opéra en sens contraire. Les cieux et la terre devinrent des instruments de torture pour venger impitoyablement nos fautes. Le seul juste, Noé, fut trouvé parfait parmi les hommes; il apaisa la fureur de la colère suprême et il fut un principe de régénération pour la propagation de la race humaine. Abraham aussi se montra courageux dans l'épreuve, et en recevant les dons de Dieu il en offrait de ses mains un gage que Dieu accepta comme un symbole. En effet, il voyait en lui l'inénarrable venue du Fils de Dieu, l'emprisonnement de celui qui ne peut être captif et l'immolation de l'immortel qui anéantit avec sa mort le pouvoir de la mort. Car si par la mort la mort fut anéantie, ne regrettons pas d'être les compagnons du Christ dans la mort, afin qu'avec lui, pour qui nous mourons, nous soyons aussi glorifiés.
Souvenez-vous, braves gens, du grand Moïse, qui, avant d'être homme, montra dans son enfance le saint mystère du martyre. La maison du roi d'Égypte fut réduite sous sa servitude et le nourrit, malgré lui, avec le lait; et, au moment de délivrer le peuple de la captivité, il devint l'instrument du ciel et de la terre et fut même tenu pour dieu par l'Égypte; car où le saint mystère triomphait, il se vengeait en personne des Égyptiens, et, quand la divine révélation était en lui, par le moyen de sa verge il accomplissait d'étonnants prodiges. Par son saint zèle, il frappa l'Égyptien et l'ensevelit, et, à cause de cela, Dieu lui imposa un grand nom, et il le mit à la tête de son peuple. C'est un fait mémorable que, par l'effusion du sang, il fut nommé juste, et appelé le plus grand de tous les prophètes, ayant tué, non seulement les ennemis étrangers, mais encore ceux du dedans qui, dans le désert, avaient délaissé Dieu pour le veau. S'il vengeait ainsi par avance la venue du Fils de Dieu, nous qui fûmes témoins oculaires et qui avons joui au suprême degré des dons célestes de sa grâce, nous devons être encore plus les vengeurs de la vérité. Celui qui s'offrit lui-même à la mort pour nos péchés, nous a délivrés de la terrible condamnation; aussi livrons-nous à la mort pour en recevoir le prix immortel et n'être pas inférieurs à ces vengeurs.
Souvenez-vous du grand prêtre Phinée, qui, pendant la guerre, suspendit l'impureté causée par le meurtre, et établit par un serment le sacerdoce. N'oubliez pas le saint prophète Élie qui témoignait son indignation en découvrant l'idolâtrie d'Achab, et qui, dans son zèle empresse, massacra de ses mains huit cents individus, fit brûler par un feu inextinguible deux chefs de cinquante soldats, puis, ayant accompli la justice divine, fut enlevé de la terre au ciel sur un char merveilleux. Vous avez eu plus grand encore; on ne vous envoie pas d'en haut un char, mais le Seigneur des chars et des chevaux, se manifestant avec une grande force et au milieu de ses saints anges, donne des ailes à chacun de nous, afin que vous soyez ses compagnons de route et les habitants de ses demeures.
Que dire de plus à votre courage indomptable, puisque vous êtes plus savants que moi dans les saintes Écritures ? David, enfant, abattit d'une pierre la grande colline de chair et tint pour peu de chose la terrible épée du géant, il dispersa les troupes des étrangers, sauva l'armée du massacre et délivra le peuple de l'esclavage; il devint l'aîné des rois d'Israël et fut nommé le père du Fils de Dieu. On le nomma ainsi; mais vous, vous êtes vraiment les enfants de Dieu et les héritiers du Christ, engendrés que vous êtes dans le saint Esprit. Que nul ne vous enlève votre héritage, ou, vous rendant étrangers bâtards, ne vous chasse déshérités. Rappelez-vous tous les braves chefs d'Israël, Josué, Gédéon, Jephté et tous les autres croyants; ils massacrèrent les païens, purifièrent la terre de l'idolâtrie, et à cause de leur ferme croyance qui ne vacilla jamais dans leur résolution, le soleil et la lune, qui n'ont pas d'oreilles, entendirent et exécutèrent leur ordre, la mer et les fleuves, contre leur règle, ouvrirent un chemin devant eux, et les hautes murailles de Jéricho tombèrent sur une simple parole. Et tous les autres qui, par la foi, opérèrent des prodiges, à différentes époques, furent loués par les hommes et pardonnés par Dieu.
En vérité, le Seigneur est le même dès le commencement jusqu'à présent, dans l'avenir et dans les siècles des siècles, et même au delà des siècles. Il n'est ni nouveau ni ancien, il ne rajeunit ni ne vieillit, son immuable nature ne change pas, ainsi qu'il le disait par la bouche des prophètes : «Je suis, je suis, je suis le même dès le commencement jusqu'à l'éternité; je ne cède à personne ma gloire ni ma puissance aux idoles.» Sachant cela, mes frères ! ne doutez pas; mais, résolus et la foi affermie, courons à l'ennemi soulevé contre nous. Nous avons une double espérance; soit que nous mourions, soit que nous donnions la mort, la vie est également à nous. L'Apôtre nous dit qu'au lieu de l'allégresse qui s'offrait à lui, Ņ(le Christ) s'humilia jusqu'à la mort et à la mort de la croix. Ainsi Dieu l'exalta davantage et lui donna un nom supérieur à tous les noms, afin qu'au nom de Jésus Christ, tout genou fléchisse, dans le ciel, sur la terre et en enfer.Ó
Car celui qui est vraiment uni au Fils de Dieu, voit spirituellement la lumière invisible des rayons du soleil intellectuel, qui, à toute heure et chaque jour, illumine toutes choses, arrête les regards perçants et clairvoyants par une lumière qui n'est pas douteuse, et, pénétrant les cieux, les fait s'approcher d'une vue inaccessible afin d'offrir l'adoration de l'unique vertu distincte en trois personnes. Celui qui a gravé les degrés de Dieu et qui en s'élèvent est arrivé à la cour céleste, en a vu toute la beauté, celui-là seul hérite d'une joie durable et d'une consolation sans mélange.
Ne nous abaissons pas, respectables seigneurs ! en descendant de nouveau sur cette terre après avoir touché de telles hauteurs; mais, y ayant fixé notre demeure, confirmons-nous dans cette sublimité. Si nous considérons les basses régions de cette terre, elles nous apparaissent remplies de corruption et d'impureté. Quelles misères ne rencontre-t-on pas sur cette terre ? les infortunes des pauvres et leurs afflictions, les lourds impôts des percepteurs, les vexations des gens inhumains, la faim et la soif suivant les besoins de notre nature. Et encore les glaces de l'hiver, les feux de l'été, les infirmités imprévues et les maladies mortelles. Les hommes sont tourmentés sans cesse au dehors par la crainte, par l'épouvante au dedans; ils souhaitent la mort avant le temps et ils ne la rencontrent pas. Beaucoup la cherchent et, lorsqu'ils l'ont trouvée, ils s'en réjouissent. Ceux que la richesse semble faire heureux et qui jouissent avec bonheur de cette vie fugitive, qui, par vanité, s'enorgueillissent des choses périssables de ce monde, sont aveugles en comparaison de la véritable vie. Quel mal manque donc parmi les hommes ? On mêle avec les richesses ce qu'on enlève au bien des pauvres; on confond le mariage avec la souillure de la chair, et ces choses auxquelles on prend plaisir, les hommes leur offrent un tribut d'adoration comme à Dieu, dans leur profond égarement sur la véritable vie. Tout ce monde n'est-il pas cependant la création du Créateur de toutes choses ? Ce qu'ils adorent et ce qu'ils honorent est vraiment une partie de la matière; or les fractions de chaque partie sont de viles créatures, puisque si une partie de ce monde est corruptible, il faut que tout le reste se corrompe avec elle; et même dans chaque partie on doit apercevoir la dissolution. Le bien est connu de tous, et, pour celui qui sait comprendre, il est meilleur que les parties. S'il en est ainsi, dans tous les cultes que professent les païens, les adorateurs sont pires que les éléments privés de raison à qui ils rendent follement hommage, parce qu'ils n'adorent pas l'Être-Dieu qui prit la forme de l'homme, et ils offrent leur adoration aux créatures. Au tribunal impartial, il n'y a pas de rémission pour ce péché. Abandonnons donc les conseils ténébreux de ces égarés, estimons-les les plus malheureux et les plus misérables des hommes, d'autant plus qu'ils se sont aveuglés volontairement et sans nécessité, aussi ils ne trouveront jamais le chemin de la vérité,.
Mais nous qui voyons d'un oeil clairvoyant la lumière céleste, que les ténèbres extérieures ne nous frappent point, bien que la vraie lumière ait paru pour ceux qui étaient dans les ténèbres. Les aveugles furent privés de la vue; vous qui avez été reçus par la foi, vous êtes des enfants et non des étrangers, des amis et non des ennemis, participants et héritiers de la suprême cité intellectuelle. Là est le conducteur de notre salut; il fut le premier ici à combattre vaillamment et ses dignes compagnons, les apôtres, furent enseignés par lui. Ici, vous aussi, vous vous êtes montrés doublement sanctifiés par la foi contre l'ennemi invisible et munis de cuirasses contre les exécuteurs des entreprises sataniques. D'une manière ou d'une autre, hâtez-vous pour remporter la victoire des deux côtés, comme le Seigneur l'a remportée dans le monde. On le vit mourir et il devint alors le héros le plus accompli de la vertu: il provoqua l'ennemi, soutint le combat, dispersa ses adversaires, recueillit le butin, racheta les captifs et distribua ses récompenses à tous ceux qu'il aimait, suivant leurs mérites.
Vous savez tous qu'autrefois, quand vous alliez à la guerre suivant la coutume, les prêtres restaient toujours dans les camps, et au moment du combat, vous recommandant à eux avec des prières, vous les laissiez en lieu sûr. Mais aujourd'hui les évêques, les prêtres et les diacres, les chantres et les lecteurs, chacun d'eux rangé suivant leur ordre, armés d'épées et préparés au combat, veulent avec vous affronter et attaquer les ennemis de la vérité. Ils ne redoutent pas la mort, ils aiment mieux la recevoir que la donner. Ils ont deux vues : avec les yeux de la foi, ils voient lapider les prophètes, et avec les yeux du corps, ils voient votre valeur, surtout si ces deux vertus se manifestent en vous. Vous aussi vous avez vu les souffrances des saints apôtres et le massacre des saints martyrs qui, par leur mort, ont raffermi la sainte Église. L'effusion de leur sang fut une gloire pour les habitants du ciel comme pour ceux de la terre : ainsi que jusqu'au second avènement, on continue la même oeuvre de valeur, en supportant les mêmes souffrances.»
Ainsi parla le prêtre Léonce; il termina en rendant gloire à Dieu et dit : Amen. L'autel étant prêt, on célébra les mystères. On prépara aussi les fonts, et s'il se trouvait dans l'armée quelque catéchumène, il recevait le matin le baptême et l'eucharistie. Ils se purifièrent donc comme à la solennité de Pâques. Puis l'armée entière, avec une joie immense et au comble de l'allégresse, s'écria :

Que notre mort ressemble à celle des justes;
Que notre sang coule comme celui des martyrs.
Que Dieu accepte notre sacrifice volontaire;
Qu'il ne livre pas son Église aux mains des païens.



CHAPITRE SIXIÈME


DEUXIÈME BATAILLE LIVRÉE PAR LES ARMÉNIENS AU ROI DES PERSES.

Le généralissime des Perses voyant que les messagers sur lesquels il comptait pour tromper les Arméniens n'étaient plus parmi ces derniers, et que l'espoir de les détacher de l'union était évanoui, appela Vasag et tous les princes arméniens apostats, les interrogea sur la manière d'obtenir la victoire. Ayant découvert et apprécié la valeur de chacun, il engagea et ordonna à beaucoup de généraux placés sous ses ordres de faire marcher en avant les éléphants. Ces animaux furent partagés par groupes, et à chaque éléphant il assigna 3000 hommes revêtus de cuirasses, non compris les autres troupes. Il parlait ainsi aux grands par ordre du roi : «Souvenez-vous chacun de l'ordre du roi et cherchez la renommée de la bravoure. Préférez la mort à une vie ignominieuse, songez aux parfums, aux couronnes, aux marteaux d'armes et aux présents magnifiques dont la cour vous récompense. Vous êtes chacun seigneur de différents cantons et vous avez une grande autorité; vous connaissez le courage des Arméniens, leur valeur, leur héroïsme. Si vous êtes vaincus, vous serez privés pendant le reste de votre vie de vos biens; vous avez femmes et enfants, peut-être aussi des amis. Qui sait ! vous serez peut-être couverts d'opprobre par les ennemis étrangers et pleurés par vos propres amis.» Il rappelait en outre leurs compagnons en fuite qui, ayant survécu à la bataille, avaient été condamnés à mort, leurs fils, leurs filles, leurs proches, captifs et exilés. Il rappelait par-dessus tout l'ordre du roi. Il disposait et organisait ses soldats, faisait former le front de bannière par les bataillons et massait 3000 hommes armés de cuirasses à droite et à gauche de chaque éléphant. Il renforçait le corps des Immortels (Kount-Madian) comme un taureau invincible ou comme un château imprenable. Il donnait des drapeaux, envoyait des étendards et prescrivait d'être prêts à l'alerte d'un coup de trompette. Il concentra les troupes des Gadasch, des Huns, des Gèles (Kegh) et tous les autres guerriers, et ordonna à l'aile droite de se tenir prête à fondre sur les Arméniens.
Vartan s'était porté en avant, et interrogeait les avant-postes, il exhortait tout le monde et marquait l'ordre de combat. Le 1 er corps, commandé par le prince Ardzrouni, lieutenant le prince Mog, et tous les autres satrapes sous leurs ordres, formait les deux ailes; 2 e corps, commandant Khorène Khorkhorouni, lieutenant Endzaïetzi et Nersès Kadehpérouni; 3 e corps, commandant Thathoul de Vauant, lieutenant Dadjad Kentouni 4 e corps, commandant Vartan, lieutenants Aschavir et son propre frère Hamazasb.
Vartan disposa les bataillons, les harangua jusqu'en face de l'armée des Arik, sur les bords du Deghmoud.
Tout était prêt, lorsqu'on en vint aux mains (2 juin 451) avec une fureur et une rage indicibles. Les hurlements des deux armées qui s'étaient choquées comme deux nuages, produisaient une clameur immense dont l'écho faisait trembler les parois des cavernes des montagnes. Des éclairs jaillissaient de cette cohue de casques et d'armures étincelantes comme le soleil. Le tournoiement des épées et le vol des flèches striaient l'air d'éclairs. Que dire du rugissement énorme des voix, et le vacarme des boucliers, et le sifflement des cordes d'arc qui assourdissaient; puis des gémissements, des cris d'angoisse du milieu de cette formidable marée ? Les forts étaient furieux, les timides faiblissaient, les braves s'écrasaient les uns les autres. La masse roulait vers le fleuve, on l'y poussa; les soldats perses terrifiés se jetèrent par terre. À ce moment la cavalerie arménienne déboucha, elle venait de passer le fleuve et se précipita sur l'ennemi. Ce fut une nouvelle mêlée, les deux partis perdaient beaucoup de monde. Vartan, de ce lieu du combat, aperçut sur les hauteurs les soldats perses qui mettaient le désordre dans la gauche des Arméniens. Il fonça de ce côté et, mettant en déroute l'aile droite des Perses, la rejeta jusque sous ses éléphants, les y entoura et tua tout. Le corps des Immortels lui-même fut rompu et mis en déroute.
Cependant Mouschgan-Niousalavourd vit quelques contingents arméniens qui prenaient la fuite et d'autres qui étaient demeurés en arrière dans les plaines et la montagne. Il poussa de grands cris, ranima ses soldats et se jeta sur la troupe de Vartan. Il y eut en cet endroit un tel monceau de cadavres qu'on n'eût pu dire qui était vainqueur ou vaincu. Voyant cela, Mouschgan attendit les éléphants d'Arsdaschir, qui s'était retranché sur eux, comme sur un observatoire ou dans une ville inexpugnable. Il les appela à son de troupe et les plaça en réserve avec l'élite; mais Vartan en fit un épouvantable carnage et se rendit digne du martyre.
Le combat se prolongeait; cependant le jour baisse et la nuit vient. Les blessés meurent étouffés les uns par les autres, ainsi qu'une jonchée de branches dans une forêt de cèdres. On ne voit que flèches et arcs brisés, ou distingue à peine les corps. Les deux armées étaient dans un trouble profond. Les survivants se dispersaient dans d'impénétrables vallées jusqu'à ce que, se rencontrant, ils se tuassent les uns les autres jusqu'au coucher du soleil. On continua ainsi de tuer.
On était au printemps et le sang répandu avait couvert d'une teinte nouvelle toute la campagne. La vue de cette hécatombe eût arraché des pleurs, on ne pouvait entendre sans frissonner le gémissement des blessés, le râle des mourants, le bruit que faisait un blessé, qui s'affaisse, la fuite des timides, l'effroi des lâches, les cris des gens terrifiés par ce spectacle, les plaintes des parents et des amis et leurs sanglots. Ce n'était pas sur un seul point qu'on avait vaincu mais s'étant battus braves contre braves, les vainqueurs se trouvaient des deux côtés.
Le généralissime des Arméniens était mort et nul parmi les survivants, ne pouvait commander aux débris de l'armée. Bien que les vivants fussent plus nombreux que les morts, ils étaient en fuite et ils se dirigèrent vers les points inaccessibles du pays, s'y réfugièrent et s'emparèrent de beaucoup de lieux et de châteaux que personne n'avait pu prendre.
Voici les noms des illustres héros qui endurèrent le martyre (dans la bataille) .
Vartan, le héros, de la race des Mamigoniens, avec cent trente-trois hommes;
Khorène, de la race des Korkhoronni, avec dix-neuf hommes;
Ardag, de la race des Balouni, avec cinquante-sept hommes;
Dadjad, de la race des Kentouni, avec dix-neuf hommes;
Hemaïag, de la race des Timiaksian, avec vingt-deux hommes;
Nersèh, de la race des Khadchpérouni, avec sept hommes:
Vahan, de la race des Kenouni, avec trois hommes;
Arsène, de la race des Endzaïetzi, avec sept hommes;
Karékin, de la race des Sérouantzdian, avec ses deux frères et dix-huit hommes.
Ces deux cent quatre-vingt-sept héros et les grands satrapes furent martyrisés avec eux dans cette bataille. Outre ce nombre, il y eut encore des martyrisés qui appartenaient à la race royale, à celle des Ardzrouni et aux autres dynasties de satrapes, huit cent quarante hommes, dont les noms, le jour du grand combat, furent inscrits dans la liste de la vie. Il y eut en tout mille trente-six tués, et du côté des apostats trois mille cinq cent quarante-quatre hommes qui périrent dans cette journée. Neuf d'entre eux étaient de grands personnages, ce qui affligea beaucoup Mouschgan-Niousalavourd. En voyant surtout le désastre subi par son armée qui était sept fois plus nombreuse que celle des Arméniens, il se découragea et prit peur, car il ne savait comment poursuivre son plan, puisque le combat n'avait pas eu les résultats qu'il en attendait. Son découragement s'accrut quand il vit la multitude des morts de son armée. On les compta, leur nombre dépassait celui des pertes arméniennes. Il s'affligea aussi de la perte des personnages dont les noms étaient connus du roi. Il craignit de lui écrire ces vérités; mais il ne pouvait les cacher, le bruit d'une pareille bataille ne pouvant être étouffé.
Il songeait à la conduite à suivre, lorsque Vasag l'apostat, qui, caché parmi les éléphants, était sauf, le consola en lui enseignant des ruses qu'il pourrait employer pour battre en brèche des forteresses. Il jurait par l'ordre du roi, se donnait, lui et ses prêtres, pour garants qu'il pouvait offrir aux Arméniens le pardon de leur rébellion en leur accordant de nouveau le droit de batir des églises et d'y célébrer leur culte. Bien que l'ordre du roi fût formel, sa puissance était alors très affaiblie après deux échecs; mais les Arméniens, connaissant Vasig, ne purent croire tout de suite à ses propositions.


CHAPITRE SEPTIÈME


OU L'ON RACONTE ENCORE L'HÉROÏSME DES ARMÉNIENS ET LA SCÉLÉRATESSE CROISSANTE DE VASAG.

Mouschgan -Niousalavourd stimula la noblesse de Arik et arriva avec des troupes à un château où s'étaient réfugiés une bande de soldats arméniens et quelques saints prêtres. Ils investirent la place et en préparèrent le siège; ils employèrent le serment pour les amener à capituler sans faire usage de la force, et ils firent ensuite présenter deux ou trois fois le saint Évangile. Bien que des prêtres consentissent à sortir et à se présenter à Mouschgan, beaucoup de chefs ne voulurent pas croire aux promesses de Vasag, puisque Mouschgan était de connivence avec l'apostat. Un brave officier, nommé Pag, qui, en fuyant, était arrivé dans le château, s'étant présenté sous les murs, injuriait l'apostat et rappelait au généralissime Mouschgan tous les maux qu'il avait attirés sur l'Arménie.
Les Arméniens approuvaient ses reproches et les Perses plus encore. Pag sortit du château pendant la nuit avec 700 hommes et traversa les lignes de l'ennemi sans être arrêté.
Le reste de la garnison, bien que sachant la fausseté des serments de l'ennemi, se rendit néanmoins faute de vivres. Lorsqu'elle se livra, on commença par massacrer 213 hommes. Tous s'écrièrent : «Merci, Seigneur Dieu, car tandis que les églises sont encore fréquentées, que les sanctuaires des martyrs sont intacts, que le saint clergé est uni et pratique la vertu, tu nous as rendus dignes de ton céleste appel. Que notre mort ressemble à celle des saints athlètes et que notre sang se mêle à celui des martyrs. Que le Seigneur dans sa sainte Église trouve de l'allégresse à cause des victimes volontaires qui montent sur le saint autel.» On tua en cet endroit les deux cent treize martyrs. Les prêtres réfugiés dans le château, Joseph, Léonce et beaucoup de leurs compagnons, offrirent leur tête au glaive de chef des bourreaux, répétant les paroles des précédents martyrs. Ils n'espéraient pas conserver la vie corporelle, mais ils cherchaient vaguement à procurer de la gloire à leur pays. Ils en appelèrent donc à la Porte, en rejetant toute la faute sur l'impie Vasag. Entendant cela, Mouschgan ne les fit pas mourir, il fit seulement frapper Joseph et Léonce et les mit sous bonne garde, puisqu'ils en avaient appelé à la Porte. On dissémina les prêtres dans divers lieux, en leur donnant des instructions pour la prospérité et la tranquillité du pays.
Les Arméniens, voyant le changement survenu dans les ordres du roi et de Vasag, ne crurent pas à ce pardon trompeur, mais, s'encourageant à l'envi, ils disaient : «À quoi bon la vie de ce monde ? pourquoi survivre à ceux que nous aimons ? Si nos braves champions tombèrent dans la grande bataille, si beaucoup de blessés furent jetés à terre, dans le sang, en pleine campagne, si leurs cadavres ont nourri les oiseaux et les bêtes féroces, si nos dignes satrapes sont anéantis par le malheur, s'ils ont perdu leurs domaines et s'ils sont persécutés, si la joie des Arméniens s'est changée en souffrance, ne croyons pas à ces ordres trompeurs et ne nous livrons pas aux mains de ces princes.»
Dès ce moment, tous abandonnèrent les villages, les bourgs et les campagnes; les époux se séparèrent, les vieillards sortirent de leurs demeures, et les petits enfants furent sevrés. Jeunes gens et jeunes filles fuyaient, et la multitude s'enfonçait dans d'impénétrables déserts et gagnait de fortes positions dans les montagnes. Ils préféraient cohabiter les cavernes avec les fauves que de vivre apostats dans les palais. Ils souffraient, sans tristesse, de se nourrir d'herbes et sans un souvenir pour leur nourriture d'autrefois. Les cavernes leur paraissaient comme les arcades de monuments splendides et des lits sur la terre nue leur étaient des couches couvertes de broderies. Les psaumes, le chant, la lecture des saintes Écritures était toute leur joie. Chacun était à lui-même un temple et un prêtre, les corps étaient autant d'autels, les âmes étaient un sacrifice agréable; aucun d'eux ne se lamentait dans l'appréhension d'être mis à mort, aucun non plus ne se désolait de l'éloignement de ses amis. Ils se voyaient dépouiller de leurs biens avec joie et en perdaient même le souvenir. Ils luttaient avec patience et soutenaient leur martyre courageusement. En effet, s'ils n'eussent pas apprécié visiblement leur joyeuse espérance, ils n'auraient pu montrer tant de fermeté. Beaucoup étaient de famille satrapique; leurs frères, leurs fils, leurs filles et leurs amis vivaient dans des lieux inaccessibles; quelques-uns dans le sombre pays de Chaldie; beaucoup dans les régions méridionales des inaccessibles rochers de Deniorik, d'autres dans les profondes cavernes d'Artzakh, et quelques-uns tenaient beaucoup de châteaux dans l'intérieur du pays. Tous, résignés, supportaient tant de maux en vue de l'espérance divine et conjuraient Dieu de ne pas leur faire voir la ruine des églises.
Mais nous l'avons déjà dit et répété, l'impiété du méchant excitait les Perses dans les parties voisines du pays à solliciter un ordre royal afin d'obtenir des renforts. Un corps de cavalerie arriva donc qui augmenta le nombre des opprimés. L'armée, redevenue aussi nombreuse qu'au début de la campagne, assiégea les forteresses du mont Gaboïd. Mais la garnison tua beaucoup de monde, fit des sorties jusque dans le camp ennemi.
Les Perses recoururent encore à la ruse, mais personne ne voulait aller vers eux, dans la crainte d'être trahi; cependant un prêtre nommé Arsène (Arschen) y fut contraint par leurs serments. Il parla avec simplicité, approuvant la fuite des innocents, laissant même voir de la compassion pour l'impie Vasag, à qui il rappelait son christianisme en termes modérés, afin d'adoucir un peu son iniquité. Mais Vasag ne l'écouta même pas, il fit lier et emmener le prêtre avec son escorte.
Voyant alors que le général en chef adoptait ses plans, il se mit à fourrager un peu partout et ramassait tous ceux qu'il trouvait hors des forteresses, puis il brûlait les bourgades. La garnison des châteaux de Demorik ayant appris tout le mal fait par les troupes royales, jugea défavorable le séjour dans les forteresses. Elles firent une sortie, fondirent sur l'ennemi et, arrivées à la frontière de Perse, massacrèrent beaucoup de monde, emmenèrent dans les forteresses ce qu'elles ne tuèrent pas et mirent le feu aux bourgades. Les garnisons de la Chaldie, voyant les Perses insolents et sans défiance dans les régions fortifiées de l'Arménie, envahirent le territoire de Daïk, situé au milieu des vallées. Ils y trouvèrent plusieurs troupes de soldats royaux qui voulaient emprisonner les seigneurs du pays et qui croyaient découvrir en ces lieux les trésors des satrapes, aussi fouillaient-ils partout.
Ils virent en outre, dans deux villages, les églises incendiées, ce qui les irrita à l'excès, et les jeta à la poursuite des Perses; enfin, ils affaiblirent leurs forces, tuèrent beaucoup de monde et poussèrent le reste hors du pays. Dans cette bataille, le bienheureux Hemaïag, frère de Vartan, généralissime des Arméniens, combattant seul avec sa bravoure ordinaire, fut tué en martyr, pour la sainte union de la religion.
Ceux qui étaient sains et saufs firent la poursuite. Ceci arrêta les pointes de l'armée royale et lui inspira le respect des églises. Les Arméniens firent alors à la cour de nouvelles propositions.
Les réfugiés dans les forêts d'Artzakh ne restèrent pas inactifs. Ils expédiaient sans cesse des messagers dans le pays des Huns qu'ils stimulaient et exhortaient; leur rappelant le pacte conclu entre eux et confirmé solennellement. Plusieurs prenaient plaisir à entendre ces paroles. Les Arméniens reprochaient encore aux Huns de n'être pas venus à leur aide tandis qu'ils étaient prêts. Mais comme au début ils n'avaient pu s'entendre, ils firent une grosse levée de troupes et envahirent aussitôt le royaume des Perses. Ayant saccagé plusieurs provinces et emmené nombre de prisonniers, ils les emmenèrent chez eux afin de montrer au roi leur alliance avec les Arméniens.
Quand le généralissime Mouschgan connut tout cela, il en fut extrêmement irrité et en rejeta toute la responsabilité sur Vasag, source et instigateur de toute l'affaire. Il leva son camp et vint en Perse, fit son rapport à la cour et accusa l'apostat de tous ces déboires.
Dès que le roi sut que le pays était pillé et la bataille perdue, il perdit son audace ordinaire. Il demeurait silencieux et calculait les fruits de cette folle entreprise : «Se trouvera-t-il quelqu'un, dit-il, qui m'exposera les choses avec vérité ?» Le grand intendant Mihr-Nersèh lui-même, qui était au courant de cette iniquité, se présenta et dit : «Je te le dirai, Sire, si tu veux entendre la vérité; fais appeler ceux qui, en Arménie, sont les chefs des chrétiens, ils viendront en hâte et te diront tout.»
En attendant, il confia l'Arménie à un marzban qui était l'un de ses premiers satrapes, appelé Adrormizt, dont les domaines étaient sur la frontière de l'Arménie, et qui avait été lieutenant général dans la dernière bataille. Il rappela Mouschgan avec l'armée et les envoya dans le pays des Aghouank, des Lephin, des Djéghp, des Hedjmadag, des Thabasvar, des Khipiovan, et dans toutes les forteresses que les Huns avaient ruinées lors de leur alliance avec les Arméniens. Le roi, affligé de la ruine des provinces et du massacre des soldats, surtout à cause de la destruction des forteresses - dont la construction avait demandé beaucoup de temps et de peines, et aujourd'hui démantelées - ordonna qu'on fît venir Vasag et les chefs des chrétiens.
Pendant ce temps, le marzban Adrormizt fit son entrée en Arménie et s'y montra disposé pour la paix. En vertu d'un ordre royal, il manda Sahag, le saint évêque des Reschdouni, afin d'apprendre de lui ce qui était arrivé. Bien que cet évêque eût démoli un adrouschan et que, de différentes façons, il eût tourmenté les prêtres du feu, cependant il se présenta, sans hésiter, au tribunal public. Le marzban convoqua aussi un pieux prêtre nommé Mousché, qui était inspecteur de la province des Ardzrouni et qui avait aussi renversé un adrouschan et fait emprisonner et châtier cruellement les mages. Lui non plus ne craignit pas et se rendit volontiers devant le marzban. Deux autres prêtres, Samuel et Abraham, qui avaient renversé un adrouschan à Ardaschad et que Vasag avait emprisonnés, furent joints à ces vertueux personnages. On réunit dans le même huit le grand Joseph, Léonce, Khadchadeh et Arsène. Lorsque le marzban été instruit et renseigné par eux tous, il rapporta le tout à la cour avec sincérité et comme il l'avait entendu de leur bouche.
Bien que Vasag fût déjà arrivé à la Porte et eût raconté diversement et faussement chaque événement, il ne pouvait se justifier dans l'esprit du roi qui lui dit : «Quand les chrétiens seront arrivés, je vous entendrai tous ensemble au tribunal». Comme les saints prêtres portaient la chaîne, ils mirent deux mois et vingt jours pour arriver à la résidence royale. À l'annonce de leur arrivée, le grand intendant les alla voir, et, bien qu'il entendît leur rapport précis sur chaque événement, il ne pouvait les faire saisir et tourmenter, parce que plusieurs des satrapes arméniens avaient vraisemblablement occupé des lieux fortifiés du pays, et le marzban les redoutait peut-être. Il les fit donc garder avec soin et fit administrer le pays avec douceur. Lui-même parcourait la contrée, relevait les ruines et promettait aux habitants la sécurité.
Il ordonna de rappeler les évêques dans leurs diocèses respectifs, leur prescrivit d'accomplir publiquement le culte suivant l'antique usage et de se montrer en public en toute liberté. Il distribua des présents. L'armée ayant pris et ravagé nombre de cantons, il exempta le pays de tributs et diminua pendant quelque temps l'armée d'occupation. Il ordonna aux moines dispersés de rentrer dans leurs domaines : «Que tous les ministères du culte divin soient exercés aujourd'hui comme jadis. Si quelqu'un a fui au loin, je tiens de la cour le pouvoir de le rappeler et de lui rendre tout ce qu'il a abandonné, qu'il soit des nobles, clés clercs ou du peuple».
Il affirma ceci par serment et répandit partout cet avis; aussi beaucoup revinrent, acceptèrent ses offres et rentrèrent dans leurs biens.
Ce qui est plus grave, c'est que si quelqu'un avait embrassé le magisme contre sa volonté, un édit venu de la cour lui ordonnait de professer le christianisme : «Les dieux, y était-il dit, sont irrités aussi contre ceux qui ne vénèrent pas affectueusement la religion du mazdéisme, et moi je ne les en remercie point. Aussi j'adresse à tous le même commandement : laissons à chacun la faculté d'agir à son gré, qu'il suive le culte qu'il préfère, car tous sont mes sujets.» Il parla ainsi et donna cet ordre écrit à tout le royaume.
À la lecture de cet édit, beaucoup de ceux qui vivaient errants et dispersés accouraient et reprenaient leurs biens. Quand les satrapes en résidence dans les châteaux forts du pays virent le rétablissement de l'Église, ils reprirent confiance et eurent le courage de se présenter au roi. Ils envoyèrent aussi un message au marzban du pays pour lui signifier leur soumission à la Porte. Le marzban leur donna de la part de la cour un sauf-conduit. Toutefois, sachant la dureté du gouvernement et sa duplicité, ils voulurent néanmoins participer au martyre des saints et ils ne s'effrayèrent pas de la mort qui leur c'était réservée.
À cette nouvelle, le roi ordonna qu'ils lui fussent présentés, libres de tous liens, les pieds et les mains sans fers. Ils conduisirent donc aussitôt leurs femmes et leurs enfants, et, grâce au marzban, recouvrèrent leurs biens,puis ils se rendirent en hâte au quartier d'hiver du roi.
Celui-ci fit faire une enquête sur chacun de ces satrapes. Le grand intendant siégea pour écouter les deux parties, et, après un examen de plusieurs jours des dossiers, on déclara coupable le parti des apostats. On produisit, des lettres envoyées par Vasag et ses adhérents, en vue de rester unis au pacte de rébellion; une lettre de la province des Ibères, une autre de celle des Aghouank, une troisième enfin de l'Aghdznik, une adresse à l'empereur (de Constantinople) et une lettre au général Antiochus. Toutes ces lettres portaient le cachet authentique de Vasag. Il était en, outre complice du meurtre des mages à Zaréhavan, et ses lettres et ses ordres prouvaient que beaucoup de châteaux avaient été enlevés aux Perses, alors qu'il était marzban du pays.
Adom, de la race des Kénouni, s'avança. Il avait été envoyé par Vasag en qualité d'ambassadeur en Grèce, et lui reprocha devant le tribunal le document qu'il lui avait remis, muni de son sceau. Mouschgan se fit aussi accusateur et témoigna avec ses gens qu'après le combat Vasag avait fait couler encore beaucoup de sang, comment il avait attiré par un faux serment la garnison d'un château fort et avait mis à mort ou envoyé en captivité, les sujets et les sujettes du roi. Enfin, pour comble d'infamie, on l'accusait d'avoir accaparé les revenus du pays qu'il devait verser au Trésor.
Beaucoup d'apostats ses complices dévoilèrent les maux qu'il avait causés à l'Arménie. On interrogea aussi les mages survivants et les gardes du corps délivrés de leurs fers et amenés à la cour, et on leur dit : «Êtes-vous bien renseignés sur les injustices commises par Vasag ?» Ils répondent : «Il a été le chef, l'instigateur et la cause de toutes les terribles infortunes que nous avons supportées, de tous les malheurs qui ont fondu sur les troupes royales, de la ruine et de l'esclavage de l'Arménie et de la perte des tributs.» Son procès dura plusieurs jours; on vit comparaître ses parents qui l'avaient déjà accusé devant le roi. Ils firent connaître et démontrèrent, article par article, comment Vasag s'était lié avec Héran le Hun, roi de Paghassagan, précisément à l'époque où ce prince massacra dans l'Agbouank l'armée perse, et qu'en ruinant tout sur son passage, il était arrivé, sur le territoire grec, avait enlevé beaucoup de prisonniers et de butin aux Grecs, aux Arméniens, aux Hères et aux Aghouank. Ils dirent en outre comment le souverain lui-même en avait été informé et avait tué le roi de Pagbassagan. Vasag, à cette époque, était marzban d'Arménie, et on découvrit qu'il était allié aux ennemis du roi. Ses parents dévoilèrent encore et prouvèrent la connaissance qu'ils avaient de ses perfides projets. Ils dirent et avancèrent tout cela devant le roi, et ils racontèrent ses ruses de traître à l'égard de ses compagnons et du roi lui-même; car, dès son enfance, il n'avait rien fait de loyal.
Le grand intendant dit alors : «Amenez quelques-uns des prisonniers.» On enleva les chaînes des bienheureux et on les amena. C'étaient Sahag, évêque des Reschdouni, le saint évêque Joseph et le prêtre Léonce. Quand on eut développé, devant eux la procédure, Sabag dit : «Ceux qui ont ouvertement renié le vrai Dieu ne savent ce qu'ils font ni ce qu'ils disent, parce que leur intelligence est obscurcie. Ils servent leurs maîtres sous de faux prétextes et s'accordent avec leurs complices, en les trompant. Ce sont des vases de Satan, car, par leur moyen, il réalise ses volontés perverses, ce dont nous avons un exemple dans Vasag. En effet, tant qu'il porta le nom chrétien, il croyait par sa fausseté couvrir et cacher toute sa perversité devant votre gouvernement mal renseigné, en dissimulant toutes ses fraudes sous le manteau du christianisme. Aussi, en croyant en lui, vous l'avez honoré, au delà de son mérite. Vous lui avez confié le pays des Ibères; eh bien ! demandez-leur s'ils ont été satisfaits de lui. Vous lui avez donné la principauté de Siounie; écoutez ce que ses parents vous disent de lui. Vous l'aviez institué marzban d'Arménie, il a détruit tout le pays que vos ancêtres avaient fondé avec tant de peines. Vous l'avez vu, lorsqu'il rejeta le nom vénérable de Dieu qu'il honorait faussement, toute sa perversité, apparut dans sa nudité, car s'il se montra traître envers son Dieu, pour quel mortel se montrera-t-il juste ? Or,
toutes les accusations qu'on a formulées maintenant contre lui, ne les aviez-vous pas entendues auparavant ? Pourquoi les avez-vous dissimulées ? ne les saviez-vous pas ? Il me semble qu'il vous a trompés par une fausse espérance, mais ni vous, ni lui, ni aucun autre, ni quiconque viendra après vous ne pourra le trouver avec nous. Faites donc de lui ce qu'il vous plaira, et pourquoi nous interrogez-nous à son sujet ?»
Le grand intendant, troublé, repassait les dépositions. Ayant acquis la conviction qu'on devait condamner Vasag à cause de ses crimes, il entra dans la cour royale et montra le dossier. Le roi, avant tout entendu et convaincu par ce rapport du grand intendant, s'irrita extrêmement, mais il voulut conduire Vasag par degrés au sommet de l'ignominie. Il garda le silence pendant douze jours, jusqu'à ce que les accusations du procès fussent épuisées.
Un jour de grande fête il fit inviter tous les personnages illustres, et Vasag fut invité. D'après le cérémonial, il portait le vêtement d'honneur reçu du roi, il ceignit le bandeau et la tiare brodée d'or, boucla sa ceinture d'or massif incrustée de perles, mit ses pendants d'oreilles et un collier, enfin une fourrure de martre sur les épaules. Ainsi paré, il se rendit à la cour et y parut le plus magnifique et le plus fastueux des invités.
Les satrapes venus spontanément d'Arménie pour s'exposer à l'épreuve, et les saints arrivés les premiers, étaient tous mis aux fers, près de la porte royale. En voyant Vasag à la cour, dans tout l'éclat de la splendeur et du luxe et accompagné d'une suite nombreuse, ils le raillèrent en eux-mêmes et dirent: «Ô marchand insensé, tu as vendu l'honneur éternel et immortel, et tu as acheté des vanités passagères dont tu seras peut-être dépouillé dans quelques jours.» Vasag entra dans la salle qui était la cour des grands. Le héraut de la cour entra et dit : «Le roi m'envoie vers toi; de qui as-tu obtenu tous ces honneurs insignes ? Réponds-moi sur-le-champ, si tu les as justement mérités.» Et il présentait les dossiers de l'affaire. Il fit connaître en outre ce qu'on n'y avait pas révélé, à savoir qu'il ne possédait pas légalement le domaine de la province de Siounie; mais par astuce et calomnie il avait fait tuer son oncle paternel Vaghinag, et s'était saisi de son domaine, comme s'il eût été un ministre fidèle de la cour. Il fit encore beaucoup d'autres reproches pour le confondre, et tous les grands appuyèrent ce témoignage. Vasag garda le silence et ne dit pas une seule parole d'aveu. On redoubla, on entassa les preuves, et enfin on le condamna à mort.
Le chef des bourreaux s'approcha et, devant tous les seigneurs, lui arracha toutes ses décorations et lui mit le vêtement des condamnés. On l'enchaîna par les mains et les pieds, on le fit asseoir comme une femme sur une jument, et les gardes le conduisirent dans la prison où se trouvaient tous les condamnés.
Les satrapes arméniens, les saints évêques et les prêtres, quoique très inquiets, oubliaient les misères passées et les tortures imminentes dans leur admiration pour la révélation que Dieu leur avait envoyée. Ils se congratulaient mutuellement : «Nous avons lutté avec courage, souffrons avec plus de patience encore».
Nos saints pères nous ont appris que la patience est la première de toutes les vertus et que la sagesse céleste est le culte parfait de Dieu; personne ne peut la trouver sans souffrir. Si les souffrances se prolongent, la récompense s'accroît. S'il en est ainsi, demandons seulement à Dieu de pouvoir souffrir avec patience toutes les épreuves. Le Seigneur lui-même réglera la manière de nous délivrer. Nous connaissons la sentence des quarante athlètes du Christ qui souffrirent de terribles persécutions. Un d'eux sortit du bain et se priva lui-même de la couronne, mais les trente-neuf se sacrifièrent avec patience et arrivèrent à la promesse qu'ils avaient désirée. Or, voici notre compagnon qui s'était éloigné de nous et qui s'est rendu maintenant l'instrument de Satan. Son âme étant encore dans son corps, il a fait cependant l'essai des tourments de l'enfer que les saints seuls et même les hommes barbares ne redoutent pas.»
Ils pleuraient sur celui qui s'était ainsi perdu et, modulant des cantiques avec leurs livres, ils disaient :

Mieux vaut mettre sa confiance dans le Seigneur
Que son espérance dans les hommes.
Mieux vaut se confier en Dieu
Qu'aux princes de la terre;
Toutes les nations se sont levées contre moi,
Je les ai vaincues par le nom du Seigneur.


Ils s'encourageaient mutuellement et disaient : «Puisque ces paroles sont assurées, frères, ne craignons pas les nations idolâtres qui sont sans Dieu et pires que les abeilles dans leur colère; leur courroux sera leur perte. Invoquons, quant à nous, le nom du Seigneur, et nous les mettrons en déroute.»
Vasag vit l'union des saints prisonniers qui, joyeux, acceptaient les souffrances et semblaient resplendissants comme jadis à la cour. Il les regardait et les enviait, mais personne ne voulait l'accueillir, et on le gardait séparément dans la même prison. Chaque jour on le transportait comme un cadavre au tribunal, on se moquait de lui, on le raillait, on le donnait en risée à la cour. On le dépouilla de tous ses biens, tellement que ses serviteurs devaient mendier le pain qu'ils lui donnaient. On accumula tant de dettes sur sa maison pour acquitter les tributs de la province qu'il dut abandonner tout l'héritage de son père et de ses aïeux et les parures de sa femme, sans éteindre cependant sa dette envers la cour. On lui réclama de telles sommes, qu'il demanda s'il y avait des trésors dans les tombeaux de ses ancêtres; et, s'il s'en fût trouvé, il les aurait pris et donnés pour s'acquitter et sa famille avec lui, parce que beaucoup de ses parents étaient également condamnés.
Ainsi avili, il fut en proie dans sa prison à de terribles maladies. Une inflammation d'entrailles l'attaqua, tandis que, sa poitrine s'affaiblissant, il se desséchait et perdait ses forces. Ses yeux et ses narines rendaient des vers. Ses oreilles se fermèrent et ses lèvres se fendirent horriblement, les nerfs devinrent raides et les talons furent retournés. Il sentait comme un cadavre, on le fuyait. Sa langue seule restait saine, mais il n'avouait jamais rien. Il mourut suffoqué et descendit aux enfers avec une insupportable amertume. Ses amis le raillèrent, ses ennemis se réjouirent de ses souffrances.
Celui qui voulait régner sur l'Arménie par le crime n'eut pas de sépulture, il creva comme un chien et fut traîné comme une ordure. Son nom ne fut pas rappelé parmi ceux des saints, dans les églises on ne consacra pas sa mémoire devant l'autel. Il n'y a pas de mauvaise action qu'il n'ait commise, et il n'y a pas de douleurs plus atroces que celles qu'il endura pour mourir. On écrivit ses souvenirs en exécration de ses fautes, afin que quiconque les connaîtra lui lance des malédictions et ne se fasse pas son imitateur.


CHAPITRE HUITIÈME


COMME SUPPLÉMENT AUX SEPT PREMIERS.

NOUVEAUX DÉTAILS SUR LA MÊME BATAILLE ET SUR LE MARTYRE DES SAINTS PRÊTRES.

La seizième année du règne de ce même roi (Iezdedjerd II), il partit de nouveau, furieux, faire la guerre aux Kouschans. En traversant l'Ibérie et en entrant dans le pays d'Abar, il ordonna que les satrapes et les prêtres fussent gardés de la même manière dans la ville de Nischapour. Mais il conduisit avec lui deux des prisonniers, et partout où il passait il abolissait le christianisme. Voyant cela, un (personnage) hun, de la race royale du pays de Hhaïleutour, nommé Pel, inclinait secrètement vers les chrétiens, et il apprenait d'eux de tout coeur et en secret la vérité. Il s'était soumis de son plein gré à la domination du roi des Perses et il se chagrinait de voir persécuter les saints. Mais n'ayant pas le pouvoir de rien faire en leur faveur, il s'adressa au roi des Kouschans, à qui il alla raconter les afflictions et les tourments que le roi avait fait endurer à l'Arménie. Il l'informa aussi de l'état du défilé des montagnes des Huns et lui apprit la révolte des soldats amenée par la désaffection de beaucoup de nations envers le roi; enfin il lui révéla le mécontentement qui régnait dans l'empire des Arik.
À ces nouvelles, le roi des Houschans douta d'autant moins de la sincérité de cet homme que déjà auparavant il avait entendu quelque chose en ce genre; mais lorsqu'il sut, par le rapport de Pel, que le roi des Perses s'avançait contre lui, il rassembla des troupes pour aller à sa rencontre. Quoiqu'il ne pût en venir aux mains avec lui, il assaillit l'avant-garde et lui tua beaucoup de monde.
Le roi,désespéré, montra son chagrin de ce que, réduit à une armée peu nombreuse, il devait battre en retraite. Le roi des Kouschans fit la poursuite, dévasta des cantons et rentra tranquillement dans ses États.
Le roi de Perse, voyant le déshonneur et la perte que lui avait attirés cette campagne, se repentit et vit que ses déboires étaient dus à l'indiscipline de ses soldats. Dans son angoisse, il ne savait sur qui faire retomber la cause de ses désastres. Cependant le grand intendant était rempli de terreur, parce qu'il était la vraie cause de ces malheurs. Il inspira alors des discours au chef des mages en se présentant devant le roi; ils lui dirent donc : «Ô roi vaillant, nous savons, par la religion, qu'aucun homme ne peut résister à ton courage héroïque; mais, à cause des chrétiens qui sont hostiles à notre foi, les dieux sont irrités contre nous, parce que jusqu'à présent tu as laissé la vie à ces chrétiens.» Ils lui rappelèrent aussi comment ils le maudissaient en prison et ils proférèrent encore beaucoup d'autres calomnies contre les saints. Tous les jours ils les rendaient odieux et excitaient le roi à tirer d'eux une horrible vengeance, à tel point qu'il se hâta de répandre leur sang.
Il ordonna que les deux prêtres qui étaient avec lui dans l'armée, Samuel et Abraham, fussent secrètement mis à mort. Ceux qui se trouvaient dans la forteresse de la ville étaient éloignés de l'armée de quinze étapes environ. Le roi ordonna à l'intendant des vivres, appelé Tenschapouh, de se rendre avant lui à la ville où se trouvaient les saints prêtres du Seigneur, de les juger de sa propre autorité, en employant la torture, et de leur couper la tête.
Mais le chef des mages à la garde duquel ils avaient été confiés les avait déjà tourmentés plusieurs fois, même sans en avoir reçu l'ordre royal, mais parce qu'il était chef de la religion dans le pays d'Abar et très dévoué au magisme. En outre, il était plus instruit que beaucoup de la religion de Zoroastre, et même - ce que l'on tenait pour un grand honneur, suivant les lois de leurs fausses doctrines, - il avait le titre d'hamahkhten. Il connaissait de plus l'anbardkasch, il avait appris le pozbaïd, et il possédait la connaissance des livres pahlavi et la doctrine des Perses, parce que ces cinq degrés composent toute la religion du magisme; il y a cependant un sixième degré qui est la religion du chef des mages. Comme il se croyait parfait en tout, il tenait les bienheureux pour des ignorants. Il se résolut de les tourmenter sans relâche, afin que, pour éviter la torture, ils prononçassent quelque parole d'erreur.
Il isola donc les les prêtres des satrapes et relégua les six prêtres à un étage inférieur, humide, obscur, où on ne leur donnait que deux pains d'orge de temps en temps avec une demi-bouteille d'eau et où ou les, tenait au secret. Après quarante jours de ce tourment, ne leur entendant proférer aucune plainte, il imagina qu'un serviteur s'était laissé corrompre et leur donnait à manger. Il alla donc lui-même sceller la lucarne et la porte de la prison, et il donna à des gens de confiance la nourriture convenue afin qu'ils la distribuassent.
Cela dura cinquante jours. Ainsi martyrisés, les bienheureux ne s'affligèrent pas davantage : ils supportaient ces tribulations avec patience, et, en chantant continuellement des psaumes, ils persévéraient dans leur culte de chaque jour. Enfin, lorsqu'ils avaient terminé leurs prières en rendant au Seigneur de joyeuses actions de grâces, ils s'étendaient sur le sol pour prendre quelque repos.
Les gardes s'étonnaient de la vigueur du tempérament des prisonniers dont ils entendaient sans cesse le timbre sonore des voix, et ils disaient au chef des mages : «Ce ne
sont pas de simples mortels dénués de force eussent-ils des corps de bronze, ils seraient pourris maintenant à cause de l'humidité de la prison. Voici longtemps que nous sommes de service dans cette prison, et nous ne nous souvenons pas que personne ait pu y vivre même durant un mois. Or, nous t'en prévenons si tu as l'ordre de les faire mourir, songes-y; mais si tu dois les garder et non les tuer, sache qu'ils sont en grand danger. Nous aussi, nous sommes épouvantés et tremblons de frayeur à la vue de ces afflictions.»
À ces mots, le chef des mages se rendit en pleine nuit à la lucarne de la prison; et regardant par l'orifice, après que les prisonniers, leurs prières dites, dormaient un peu, il vit le visage de chacun d'eux brillant comme une lampe. Épouvanté, il se dit : «Qu'est-ce à dire ce prodige ? Nos dieux sont-ils venus dans la prison et se sont-ils exaltés pour leur justification ? Car s'ils ne s'étaient pas approchés d'eux, il serait impossible qu'un simple mortel fût entouré d'une lumière aussi éclatante. J'avais entendu parler de telles choses dans cette religion, comment on est séduit par une erreur grossière, et comment enfin elle se dévoile aux yeux de l'ignorant. C'est peut-être ainsi que cette vision m'apparaît.» Cependant il ne put entièrement comprendre ce qui était arrivé.
Tandis qu'il était en proie à ces pensées, les saints se relevèrent et reprirent leur occupation habituelle.
Alors le chef des mages se convainquit qu'il n'était pas le jouet d'une vision, mais que c'était d'eux que venait cette splendeur. Il n'en fut que plus effrayé et dit : «À quel prisonnier est-il jamais arrivé d'être ainsi transformé par une lumière éclatante ? Je ne l'ai appris de personne et je ne l'ai pas entendu dire par mes ancêtres.» De plus en plus troublé, tremblant et transi, il resta sur l'appui du toit jusqu'au matin. À l'aube il se leva comme un homme malade depuis plusieurs jours, gagna son palais, sans oser rien dire de tout ce qu'il avait vu.
Il appela les gardes et leur dit : «Conduisez les prisonniers dans une salle sans humidité et gardez-les-y avec soin, à l'ordinaire.» Un des gardes porteur de commandement courait devant les autres comme s'il fût porteur d'une grande nouvelle : «On nous a commandé, vint-il dire, de vous transporter dans un lieu sec. Levez-vous tout de suite, parce que nous aussi nous avons imploré pour vous en raison de vos afflictions.»
Saint Joseph dit humblement au garde : «Va, et dis à ton chef insensé : N'as-tu rien entendu dire de la seconde venue de notre Seigneur, ou des somptueuses demeures qui nous sont préparées dès le commencement et pour lesquelles nous supportons si facilement les grandes afflictions en vue de l'espérance à laquelle nous aspirons ? Tu as agi honnêtement, puisque tu as eu pitié des pénibles souffrances de notre corps; mais nous ne sommes pas fatigués comme l'athée qui n'a d'autre espoir que ce qu'il voit. Nous, au contraire, pour l'amour de notre Christ, nous nous réjouissons beaucoup de ces tourments et nous les regardons comme des dons parfaits, afin qu'à cause de l'affliction temporelle il nous soit donné d'hériter de la béatitude éternelle. Si nous désirons des édifices, nous avons des palais qui n'ont pas été construits par la main des hommes et dans lesquels vos courtisans ne peuvent paraître; il y a aussi des vêtements, des honneurs et des mets salutaires, et si quelqu'un voulait vous entretenir de ces choses, votre faiblesse vous empêcherait de l'écouter froidement, car, vieillis dans l'aveuglement, vous ne voyez pas, vous n'entendez pas, vous ne comprenez pas. C'est pourquoi vous nous jugez cruellement, à tort, injustement et sans sincérité. Mais notre roi est libéral et miséricordieux, la porte de son royaume est ouverte. Quiconque veut y entrer, y entre
courageusement. Il ne repousse pas les convertis qui viennent faire pénitence, ni qui que ce soit. Quant au soulagement que tu as obtenu pour nous, nous pouvions dans notre pays ne pas tomber entre les mains du roi, comme ceux qui se sont soustraits à de semblables tourments. Mais comme nous y sommes venus avec enthousiasme et spontanément, en connaissant bien les supplices qui nous attendaient, sans craindre en rien ces tribulations, nous voulons qu'elles pèsent encore davantage sur nous jusqu'à ce que la perversité de ceux qui te commandent soit satisfaite. Car si notre Dieu, qui est le Créateur du ciel et de la terre, de tous les êtres invisibles et visibles, et qui dans son inépuisable amour s'humilia pour les générations humaines, revêtit un corps périssable, supporta toutes les épreuves de la vertu, exécuta l'oeuvre de l'incarnation, fut remis de sa propre volonté aux mains de ses bourreaux, mourut, fut enseveli au tombeau et, par la puissance de sa divinité, ressuscita et apparut à ses disciples et à beaucoup d'autres, monta aux cieux vers son Père et s'assit à la droite du trône paternel, il nous donna une force céleste, afin qu'à l'exemple de son immortalité, nous puissions aussi, avec notre corps mortel, participer à son immortelle grandeur. Il ne considère pas notre mort comme une mort véritable, mais il nous accorde la récompense de nos peines, comme à des immortels. Ainsi nous tenons ces tourments pour peu de chose, en comparaison de l'amour qu'il a montré aux générations futures.»
En entendant de la bouche du garde toutes ces paroles, le chef des mages s'attendrit et se troubla dans ses pensées. Le sommeil le quitta pendant plusieurs nuits. Un soir cependant il se leva, alla seul en secret chez les prisonniers. Arrivé à la porte de la maison, il regarda dedans par une ouverture et il entrevit les saints comme dans la première vision. Ils dormaient paisiblement. Il appela doucement l'évêque, qui savait bien la langue des Perses. Celui-ci s'approcha et dit : «Qui es-tu ?» - «C'est moi, je veux entrer et vous voir.»
Lorsqu'il fut entré, la vision avait cessé, et il raconta ce qu'il avait vu à deux reprises. Le prêtre Léonce prit la parole : «Dieu, qui a dit que des ténèbres sortirait la lumière, qui déjà illumina avec sagesse les créatures invisibles, a brillé à ton esprit avec une force égale à cette lumière. Les yeux de ton âme se sont ouverts, et tu as vu l'ineffable lumière de la grâce de Dieu. Hâte-toi, ne tarde pas, afin que, aveuglé de nouveau, tu ne te plonges encore dans les ténèbres.»
À ces mots, les saints restèrent debout et récitèrent le psaume 42 :
«Envoie, ô Seigneur, ta lumière et ta vérité, afin qu'elles nous guident et nous conduisent à ta montagne sainte et à tes tabernacles. Certainement, ô Seigneur, tu as amené véritablement cet égaré à l'éternelle allégresse et à ton immuable repos. Voici que ce jour ressemble à celui de tes saintes souffrances. De même que tu as racheté l'âme du larron de la seconde mort et que tu lui ouvris la porte fermée de l'Éden, tu as racheté cet égaré de la même manière. Celui qui causait de nombreuses morts, tu en as fait une cause de vie pour nous et pour lui. Nous te remercions, ô Seigneur, nous te remercions, et par la voix du saint prophète nous te disons : Seigneur, ne nous donne pas, de la gloire pour nous-mêmes, mais pour ton nom, par ta miséricorde et ta vérité, afin que les païens ne disent jamais : Où est leur Dieu ? C'est ainsi que, même aujourd'hui, ta force a été révélée chez cette nation indomptable et égarée.»
Celui qui avait obtenu la faveur des grâces divines dit lui-même : «Seigneur, ma lumière et ma vie, qu'ai-je à redouter ? Seigneur, gardien de ma vie, qu'ai-je à craindre ? Je sais que, dès ce moment, mes ennemis seront nombreux et voudront me dévorer; mais toi, ô Seigneur de toutes choses, venu racheter la vie de toutes les créatures afin qu'elles se convertissent et soient sauvées par ta grâce, ne me sépare pas de ces saints agneaux parmi lesquels j'ai été placé, afin que, ne sortant plus de la bergerie, je ne sois pas dévoré par la bête cruelle. Ne regarde pas, ô Seigneur, mes iniquités passées, afin qu'en m'écartant de la véritable vie, je ne fasse pas beaucoup de disciples pour la perdition, mais que je sois une cause de vie pour ceux mêmes dont j'ai causé la mort. Que Satan, qui, par moi, se vantait orgueilleusement d'avoir perdu tant d'hommes, soit, par moi, humilié au milieu de ses adhérents.»
On lui laissa achever sa prière, et ils ne cessèrent de prier jusqu'à la troisième heure, puis tous s'endormirent avec calme jusqu'au jour. Le chef des mages était resté debout, il ne dormit pas, mais priait, les bras élevés (vers le ciel). Or, tandis que, ému, il regardait le ciel par la lucarne, la maison fut soudain inondée de lumière; il vit des échelles lumineuses qui allaient de la terre au ciel et des milices qui y montaient par troupes. Cette vision était nouvelle, charmante, terrible et merveilleuse, comme une vision d'anges. Il comptait dans son esprit chaque troupe qu'il voyait, une de mille, une de trente-trois, une de deux cent treize. Il s'approcha et reconnut Vartan, Ardag et Khorène tenant en mains neuf couronnes et conversant ensemble; ils disaient : «L'heure est venue, la voici : que l'on joigne ceux-ci à notre troupe. Nous les attendions et leur portions un gage d'honneur. Celui aussi que nous n'attendions pas est venu, il s'est réuni aux autres et il est devenu comme un soldat du Christ.»

Cette vision apparut trois fois au bienheureux; il éveilla les saints et la leur raconta, d'après l'ordre qu'il en avait reçu. Tous alors prièrent et dirent : Seigneur ! notre Seigneur !
Combien ton nom est admirable sur la terre !
Ta gloire est plus élevée que les cieux.
Par la bouche des enfants et des nourrissons
Tu confirmas ta bénédiction,
Afin que ton ennemi et ton adversaire soient détruit.
C'est pourquoi nous ne dirons pas désormais
«Je verrai les cieux, ouvrage de tes mains.»


Mais je te verrai, Seigneur du ciel et de la terre, comme, par l'entremise des saints athlètes, tu es apparu aujourd'hui à cet étranger qui avait perdu l'espérance de la vie. Voici, Seigneur, que tu as couronné tes fidèles, par ta miséricorde et par ta grâce; tu as ramené cet égaré, tu l'as converti, tu l'as mêlé aux groupes de tes saints. Il n'a pas vu seulement les cieux, ton ouvrage, mais il a vu également les cieux et leurs habitants et, sur cette terre, il a été mêlé aux troupes de tes anges. Il a vu aussi les âmes des justes martyrisés; il a vu encore la glorieuse image de l'invisible préparation; il vit dans leurs mains la palme impérissable. Il est bienheureux par cette sainte vision, et nous sommes bienheureux en étant près de lui; parce que par cette vision nous avons connu pleinement que lui, qui a contemplé de telles merveilles, a déjà reçu une partie de tes richesses infinies. Seigneur, tes dons sont inépuisables; ton immense et paternelle bonté les accorde à qui tu veux, sans qu'ils soient sollicités. Car si tu ne refuses pas de donner à ceux qui ne les demandent pas, ouvre-nous, ô Seigneur, la porte de ta miséricorde, nous qui, dès notre enfance, avons désiré la félicité de tes saints. Nous choisissons ton néophyte comme intercesseur pour nous-mêmes; que le navire de notre foi ne soit pas englouti dans la mer orageuse du péché.»
Ils pleuraient tout en priant et demandaient humblement à Dieu de n'être pas privés des couronnes que les saints tenaient dans leurs mains, parce que le saint Esprit leur avait fait connaître que leur temps était venu afin qu'ils s'en allassent et cessassent de craindre pour la réalisation de leur espérance qui leur faisait supporter tant de tourments en vue d'obtenir par un faible gage la gloire céleste depuis si longtemps attendue.
Le chef des mages, étant prince du pays et se trouvant avoir tous les prisonniers à sa discrétion, les amena le lendemain dans son palais comme des hommes libres. Il les lava et les purifia de toutes les souillures de la prison, puis il répandit sur lui-même l'eau dans laquelle les saints s'étaient lavés. Il établit les fonts sacrés dans sa maison et reçut le baptême, il communia ensuite avec le saint corps et le sang de notre Seigneur Jésus Christ, et dit à voix haute : «Que ce baptême me purifie de tous mes péchés et me régénère dans l'Esprit saint, et que la communion avec ce sacrement immortel me soit l'héritage de la céleste adoption.»
Il prépara, pour fortifier les corps des saints, une table couverte de mets, leur présenta la coupe de consolation et participa avec eux au pain de la bénédiction.
Bien qu'il fût parvenu à conquérir les biens célestes et qu'il ne craignît plus les persécutions des hommes, il redoutait cependant beaucoup que ses parents ne fussent dénoncés comme coupables de lèse-majesté. Il faisait donc venir en secret pendant la nuit les satrapes emprisonnés et faisait pour eux de grandes dépenses. Tous se réjouissaient beaucoup du miracle dont ils avaient été témoins et oubliaient les tortures passées.
Au moment de s'asseoir à table, les saints eurent quelque soupçon relativement au prêtre leur compagnon de captivité, parce qu'il avait vécu parmi les villageois et qu'il était très ignorant des écrits de la consolation. On lui fit occuper la première place, le bienheureux s'en excusa : «Que faites-vous ? pourquoi cacher vos pensées ? Je suis plus misérable que les derniers d'entre vous et plus ignorant que les derniers de vos disciples. Comment souffrirai-je (cet honneur)? C'est déjà un grand bienfait pour moi d'avoir participé aujourd'hui à vos saintes chaînes. Si vous me jugez digne de (m'asseoir à) votre table, que chacun occupe son rang et indiquez-moi le mien !» Le saint évêque, d'accord avec tous les saints, insista et le fit asseoir le premier de tous.
Après qu'ils eurent mangé joyeusement, saint Joseph se leva, présenta la coupe de l'allégresse et dit : «Réjouissons-nous tous dans le Christ, car demain, à cette heure, nous aurons oublié toutes nos afflictions et tous nos tourments. En échange de nos labeurs nous allons obtenir un grand repos, et, au lien de l'infâme prison, la brillante cité céleste dont le Christ lui-même est le chef, en sa qualité de rémunérateur de la carrière que lui le premier parcourut valeureusement, en élevant le signe de la victoire. Ce même Seigneur nous invite aujourd'hui à gagner le même signe pour le salut de nos âmes et pour la gloire de la sainte et très glorieuse Église. De même que vous voyez notre frère assis en tête de notre assemblée, de même demain il recevra le premier la couronne pour son martyre. Voici qu'en effet l'ennemi de notre vie et le seul dispensateur de nos tourments est proche des serviteurs du Christ.
Lorsqu'il eut fini, le néophyte prononça des paroles courageuses qui causèrent à tous une grande joie. Il dit : «Que le Christ opère en moi suivant vos saintes paroles; en t'écoutant, mon esprit a été inspiré, et la mansuétude du Christ venu dans le monde pour mes péchés n'est revenue en mémoire. Qu'il ait pitié de moi, comme du larron au moment du crucifiement; de même que, par lui, il ouvrit les portes du paradis et se fit le chef de ceux qui allaient y pénétrer dans l'allégresse, que Jésus Christ m'y fasse entrer de même aujourd'hui, moi votre serviteur. Voici que, pour un pécheur repentant, la joie des anges du ciel est immense, parce qu'ils savent la volonté du Seigneur. Venus à la recherche d'une brebis égarée, ils se réjouissent avec lui sur celui qui fait pénitence. C'est pour moi peut-être aussi qu'est venu le grand général des Arméniens avec ses saints compagnons. Il vous apportait une couronne, mais à tous il apportait la bonne nouvelle dé l'allégresse. Ils furent bien surpris de me voir ne me connaissant pas, et ils ont voulu que je participasse avec les bienheureux à leur sainte mort. Mes maîtres et mes pères, je vous en prie, ayez pitié de mon indignité, afin que je devienne digne d'arriver à cette immense promesse qui, par votre bouche véridique, retentit à mes oreilles. Je languis en attendant ce jour et l'heure de ce jour. Quand viendra le moment de te voir, ô Jésus Christ ? quand ne redouterai-je plus la mort ? quand mon ignorance atteindra-t-elle la science parfaite ? Aide-moi, aide-moi, Seigneur, et étends, pour me secourir, ta main puissante, afin que j'accomplisse avec mérite par mes oeuvres les paroles de la promesse et qu'en moi le nom de notre Seigneur Jésus Christ soit glorifié.»
Quand il eut fini, tous se levèrent et rendirent grâces à Dieu : «Gloire à toi, ô Seigneur, gloire à toi, ô Roi ! tu nous as donné la nourriture d'allégresse. Remplis-nous de ton saint Esprit pour que nous te soyons agréables et non odieux, car tu rémunères chacun selon ses oeuvres.»
En même temps ils tinrent conseil entre eux pour sauver le chef des mages et pour que la nouvelle de sa conversion n'enflammât pas la colère de la cour contre les survivants. Ils n'y purent réussir et prièrent en recommandant à Dieu la vie de cet homme.
Les satrapes s'éloignèrent des saints en pleurant, et prosternés devant eux, ils les imploraient de les recommander à l'Esprit saint, «de manière qu'aucun de nous, disaient-ils, étant affaibli, ne se sépare de l'union commune et devienne la pâture de la bête féroce». Les bienheureux s'encourageaient réciproquement et se disaient : «Frères, fortifions-nous dans la miséricorde de Dieu qui ne nous laissera pas orphelins et ne détournera pas de nous sa miséricorde à cause de notre foi dans le Christ. Grâce aux nombreux intercesseurs que nous avons auprès de lui, que la flamme de vos lampes ne s'éteigne pas et que ennemi ténébreux de votre vie ne se réjouisse pas. Car (Jésus Christ) est le même Seigneur qui fortifia les premiers martyrs en les faisant entrer dans les légions de ses anges. Leurs saintes âmes et toute la multitude des justes viendront à vous pour vous aider à supporter avec patience les tribulations, afin que vous deveniez avec eux dignes de leurs couronnes.»
Ils parlèrent ainsi et passèrent la nuit à réciter des psaumes. Vers le matin, ils dirent tous ensemble : «Seigneur, répands ta miséricorde sur ceux qui te connaissent, et la justice sur ceux qui ont le coeur droit. Que le pied des orgueilleux ne s'appesantisse pas sur nous, et que la main des pécheurs ne nous fasse pas trembler. Que tous les méchants soient abattus, qu'ils soient rejetés et ne puissent jamais s'affermir.»
Les bourreaux arrivèrent à la porte de la prison, y entrèrent et virent que l'ancien chef des mages voulait protéger les condamnés. Il était assis parmi eux et on l'écoutait il exhortait à ne pas craindre la mort. Les bourreaux, témoins de ces merveilles, furent surpris et n'osèrent pas l'interroger, mais ils l'allèrent dire à Tenschapouh, qui avait reçu la mission de faire tourmenter les saints. En entendant ce récit de la bouche des bourreaux du roi, il craignit qu'on ne le soupçonnât de connivence avec eux, parce qu'il était l'intime ami du chef des mages. Il donna ordre d'extraire les saints tout enchaînés de la prison et de les conduire hors de la ville, à la distance de douze lieues, mesure de Perse. Il demanda ensuite en secret au chef des mages pour quels motifs il était encore en prison. Celui-ci répondit : «Ne me parle pas secrètement et n'écoute pas le conseil de la lumière au milieu des ténèbres, parce que maintenant mes yeux se sont ouverts, ayant vit la lumière céleste. Si tu veux jouir des conseils de vie, interroge-moi en publie, et je te les dirai, puisque j'ai vu les grands prodiges de Dieu.»
Ayant ouï ce discours et connu son indissoluble alliance avec l'union des saints, il n'osa pas mettre la main sur lui, bien que la cour royale lui en eût donné l'ordre; mais sur-le-champ il manda au roi en secret tant ce qu'il avait entendu de lui. Le roi répondit : «Garde cela pour toi seul, surtout la grande vision, afin que les ignorants qui doutent ne se séparent pas de la vérité de nos lois. Peut-être diront-ils que tandis que nous voulons faire obéir les autres, les docteurs eux-mêmes de notre religion ont adopté l'imposture. Ce qui est pire, c'est que celui qui s'est ainsi égaré n'est pas un homme vulgaire, mais un hamahkliten, connu partout pour un esprit supérieur, Si nous disputons avec lui, c'est le plus savant docteur du royaume, et la religion ébranlée dans ses fondements sera renversée. Si nous le jugeons comme les autres criminels, on saura qu'il s'est fait chrétien, et notre religion en sera avilie. Si on lui coupe la tête, les chrétiens, si nombreux dans l'armée, répandront ses os partout. Nous étions quelque peu déshonorés devant tous les hommes tant qu'on vénérait les os des Nazaréens, mais si on offre la même vénération aux mages et aux chefs des mages, nous aurons détruit nous-mêmes notre religion.
Je jure donc par les dieux immortels, appelle devant toi ce vieillard rebelle; s'il déplore de bon gré leur sorcellerie, témoigne-lui de l'affection, rends-lui hommage comme par le passé, et que personne ne sache son infamie. Mais s'il ne veut pas être persuadé, s'il refuse d'écouter mes paroles, suscite contre lui nombre d'accusations de la part des gens du pays, afin qu'il paraisse coupable de lèse-majesté; et, au moyen (d'accusateurs) du pays, fais-lui un procès, envoie-le en exil au delà de Gog et Magog, qu'on l'y jette dans une fosse et qu'il meure de faim. Ôte bien vite la vie aux dissidents, afin qu'ils n'anéantissent pas le culte de notre pays, car, s'ils ont attiré si vite le chef des mages à leurs doctrine si comment les ignorants leur résisteront-ils ?»
Tenschapouh sortit du camp, s'assit dans le tribunal, à douze lieues persanes de la ville, et interrogea le chef des mages : «J'ai reçu plein pouvoir sur toi, non seulement pour t'interroger, mais pour t'appliquer à la question. Avant de mettre la main sur toi, accepte les hommages, évite les reproches et épargne tes cheveux blancs. Laisse le christianisme que tu ne connaissais pas et reviens de nouveau au magisme, afin de l'enseigner au peuple.»
Le bienheureux répondit : «Je te prie, toi que je regardais comme mon frère et qui es aujourd'hui mon ennemi, n'aie pas compassion de moi par égard à notre vieille liaison, exécute la cruelle volonté du roi et juge-moi conformément aux pleins pouvoirs que tu as reçus.»
Tenschapouh, voyant qu'il ne craignait pas les menaces, n'écoutait pas les supplications et voulait un procès publie, le traita suivant l'ordre royal et l'envoya clandestinement dans un exil lointain.
Le roi nomma deux assesseurs de Tenschapouh c'étaient Dienigou, chef des eunuques de la cour, et Movan, grand maître de la garde-robe, délégué par le chef des mages.
Ces trois personnages avec leurs serviteurs firent sortir les saints de ce désert, et, cette même nuit, les conduisirent dans un autre endroit escarpé, (situé) beaucoup plus loin, sans permettre qu'ils fussent vus, soit par quelqu'un de l'armée, soit par des Arméniens, soit par tous les autres chrétiens, soit par des étrangers païens. Ils commandèrent ensuite aux serviteurs qui étaient dans la ville près des prisonniers de les garder étroitement, afin que personne ne pût retrouver leur trace, quand ils auraient été mis à mort.
Un des soldats du roi nommé Khoujig, chrétien en secret, désigné pour faire l'office de bourreau, veillait avec l'instrument de torture. Il vint de nuit se mêler aux troupes de satrapes. Ceux de la première troupe croyaient (que cet homme) faisait partie de la seconde troupe, et ceux de la seconde qu'il faisait partie de la troisième. Toutes les trois le supposaient dans l'une ou l'autre troupe, et personne, ni maîtres ni serviteurs, ne lui demanda : «Que fais-tu parmi nous ?»
Arrivés dans un lieu désert et aride, tellement rempli de rochers qu'on ne trouva même pas où se reposer, les trois satrapes se retirèrent à l'écart et ordonnèrent de lier les mains et les pieds des prisonniers. Ils leur attachèrent aux pieds une longue corde et les lièrent deux à deux, les traînèrent en les conduisant par des chemins pierreux; ils les déchirèrent et les mutilèrent tellement qu'aucune partie du corps des bienheureux ne restait intacte. Ils les délièrent ensuite et les conduisirent tous dans un même endroit : «Nous avons, disaient-ils, dompté leur entêtement dans leur erreur, nous avons vaincu leur rébellion obstinée, maintenant ils consentiront à tout ce que nous dirons - ils exécuteront les volontés du roi et ils seront délivrés des terribles tourments.» Mais ils n'avaient pas compris la constance des martyrs qu'ils avaient armés comme de braves soldats; ils les avaient accoutumés à la discipline et les avaient rendus, comme des bêtes féroces, sauvages et sanguinaires. Si naguère les bienheureux hésitaient en voyant les plaies affreuses de leurs corps, ils chassèrent la crainte. Ils s'encouragèrent comme des hommes ivres et insensibles, ils aspiraient à la source comme des gens altérés, afin de pouvoir être les premiers a répandre leur sang. Tandis qu'ils s'y préparaient ainsi, Tenschapouh dit : «Le roi m'a envoyé vers vous. Il vous tient pour responsables de toute la désolation de l'Arménie, du massacre des soldats, de l'emprisonnement de tant de satrapes, car tout cela est arrivé à cause de votre obstination. Mais écoutez-moi; après avoir causé la mort, soyez aujourd'hui la cause de votre vie. Vous pouvez délivrer les satrapes enchaînés; grâce à vous, les ruines de l'Arménie se relèveront et beaucoup de captifs seront délivrés.
Vous avez vu aujourd'hui de vos yeux comment un grand personnage, apprécié du roi lui-même pour sa connaissance complète de nos lois, le chef de toute la religion, l'ami de tous les grands, celui dont dépendait le pays presque entier, comment cet homme, séduit par votre folle religion, a été traité par le roi, sans aucun égard pour son rang, et comment, ainsi qu'un esclave fugitif, il l'a envoyé en exil dans un lieu si écarté, qu'en s'y rendant il ne put même arriver jusqu'au terme de son châtiment. Or, si, à cause de nos lois respectables, il n'épargne pas celui qui avait partagé son éducation, comment vous épargnerait-il, vous, étrangers et coupables de lèse-majesté ? Vous n'avez pas d'autre moyen de salut que d'adorer le Soleil et accomplir la volonté du roi, comme nous l'a enseigné le grand Zoroastre. Si vous faites cela, non seulement vous serez délivrés de vos chaînes et délivrés de la mort, mais on vous renverra chez vous avec de riches présents.»
Le prêtre Léonce, s'étant avancé, prit pour interprète l'évêque Sahag et dit : «Comment obéirons-nous à tes ordres odieux ? Tu as d'abord prétendu nous imposer l'adoration du soleil et tu dis que le roi a ordonné cette adoration; tu honoras le soleil en proclamant son nom à haute voix et tu élevas le roi plus haut que le soleil; tu as dit que le soleil sert les êtres sans sa volonté, mais que le roi par son libre arbitre défie qui il veut, et fait esclave qui il veut, et que lui-même n'est pas arrivé à la vérité. Ne nous parle pas comme à des enfants, parce que nous sommes parvenus à l'âge mûr, et nous ne sommes pas étrangers à la science. Je répondrai à ce que tu as dit en commençant. Tu nous as crus coupables de la ruine du pays et du massacre des troupes royales. Nos lois ne nous enseignent pas de semblables doctrines, mais elles nous commandent d'honorer extrêmement les rois de la terre et de les aimer de tout notre pouvoir, non comme des hommes, mais de les servir sincèrement, de la même manière que nous servons Dieu; et, si nous sommes opprimés par eux, il nous a promis, au lieu de la terre, le royaume céleste. Non seulement nous leur devons nos services soumis, mais il est de notre devoir de devenir la proie de la mort, pour l'amour du roi. Comme nous n'avons pas le pouvoir de le changer pour un autre maître de la terre, nous n'avons pas non plus le pouvoir de changer pour un autre notre vrai Dieu du ciel, puisqu'il n'y a pas d'autre Dieu que lui. Je te parlerai maintenant de choses que tu sais mieux. Lequel des braves généraux marcherait le dernier au combat ? Celui qui agirait ainsi ne serait pas un brave, mais un poltron. Ou bien quel sage marchand échangerait une perle contre une verroterie ? Mais celui qui le ferait serait fou tout comme les guides de votre perversité. Tu nous as choisis non seulement parmi beaucoup des nôtres et tu veux secrètement détruire nos inébranlables résolutions. Nous ne sommes pas seuls, comme tu le crois. Il n'y a aucun endroit vide dans lequel ne soit le Christ notre Roi. Ceux-là seuls sont vides qui sont comme toi et ton prince perfide, car vous êtes apostats. Ainsi les soldats de notre pays, devenus, grâce à nous, les disciples du Christ, méprisèrent le terrible commandement de votre roi, tinrent pour néant ses présents magnifiques et furent dépouillés de leurs domaines de famille. Ils ne ménagèrent ni femmes, ni enfants, ni richesses; ils n'épargnèrent pas leur sang pour l'amour du Christ et frappèrent de mort par des coups terribles les adorateurs du Soleil, vos docteurs, et attirèrent de grands maux sur vos soldats. Beaucoup moururent dans cette bataille, d'autres souffrirent bien des tribulations; il y en eut qui partirent pour l'exil, beaucoup furent emmenés prisonniers. Tous sont parvenus avant nous dans le royaume de Dieu; ils ont été réunis aux légions célestes et vivent dans l'allégresse qui leur a été préparée, et à laquelle participe le bienheureux que tu dis avoir été fait prisonnier. Je l'appelle bienheureux, j'appelle bienheureux le chemin où il passera et le lieu où il mourra. Il vaut mieux que votre cour royale et il est plus brillant que le Soleil que vous adorez.»
Le grand maître de la garde-robe, Movan, lui répondit : «Les dieux sont bienfaisants et traitent généreusement l'humanité, afin qu'elle sente et avoue sa petitesse et leur grandeur; qu'elle jouisse des dons de la terre dont le roi a la propriété, lui, dont la bouche laisse tomber l'ordre de mort ou de vie. Vous ne pouvez pas vous opposer à leur volonté, ni vous refuser à l'adoration du Soleil dont les rayons illuminent l'univers et qui mûrit par sa chaleur la nourriture des hommes et des animaux, et qui, dans son impartiale générosité et par son égale largesse, fut nommé Dieu Mihr (ou Mithra), parce qu'il n'y a en lui ni astuce ni ignorance.
Aussi nous prenons patience de votre ignorance, nous ne haïssons pas les hommes comme les bêtes sauvages affamées et ivres de sang. Mettez fin à vos premiers crimes et réglez vos actions présentes, afin que par vous les autres obtiennent la miséricorde du grand roi.»
Le saint évêque Sahag répondit : «Comme un savant et un homme prévoyant, tu as soin de la prospérité du pays et de la gloire du roi; mais ton enseignement dénote un ignorant. Tu reconnais beaucoup de dieux, mais tu ne dis pas qu'ils ont tous une seule volonté. Si les êtres célestes se contrarient l'un l'autre, nous qui sommes plus faibles qu'eux, comment pourrons-nous adhérer à tes paroles ? Mets d'accord l'eau et le feu afin que par eux nous connaissions la paix. Appelle le soleil chez toi, comme le feu; et s'il ne peut y venir parce que le monde resterait dans l'obscurité, envoie-le-lui, afin qu'il apprenne de lui à n'avoir besoin de rien.
Si tes dieux n'ont qu'une seule nature, qu'ils s'unissent tour à tour et d'un commun accord. Que le feu, de même que le soleil, n'ait pas besoin d'aliment, et que les ministres du roi ne soient pas occupés à l'alimenter. Or, l'un dévore toujours sans se rassasier et finit par mourir, tandis que l'autre qui ne mange pas quand il est privé d'air, diminue la lumière de ses rayons. Pendant l'hiver il se refroidit et il glace toutes les pousses des herbes; pendant l'été il se réchauffe et brûle tous les vivants, car, étant toujours variable, il ne peut accorder à personne une vie stable. Je ne t'accuse pas d'adorer des êtres méprisables, puisque tu n'as pas vu le roi suprême; mais si ceux qui sont instruits faisaient ainsi, ils mériteraient la mort sur-le-champ. Apprends, si tu y tiens, la vérité sur le soleil : il a été créé avec le monde et il tient parmi les créatures une place distinguée, une moitié lui est supérieure et une moitié lui est inférieure. Il n'est pas saint en lui-même par sa lumière éclatante, mais au commandement de Dieu, par le moyen de l'air, il répand ses rayons, et par son ardeur il réchauffe tous les êtres placés au-dessous de lui. Les êtres célestes ne participent pas à ses rayons parce que la lumière de ce disque est placée comme dans un vase et il la répand en bas, comme par une bouche ouverte, suivant que nous qui sommes au-dessous, nous en avons besoin pour notre bien-être. Ainsi un vaisseau, qui glisse sur la mer, voyage à son insu par la main d'un nocher habile, de même le soleil, grâce à son modérateur, effectue les phases de sa marche annuelle. De même que les autres parties du monde sont arrangées pour notre vie, de même le soleil nous est donné pour lumière, comme la lune, les étoiles, l'air agité, les nuages pluvieux. De même aussi les autres parties de la terre, la mer, les fleuves, les sources et toutes les eaux, ainsi que le continent et ce qu'il renferme, ne peuvent se dire Dieu. Si quelqu'un l'osait dire, il se perdrait lui-même par ignorance et aucune de ces choses ne profiterait de l'honneur d'être appelée du nom de Dieu. Il n'y a pas deux rois dans un même royaume; et ce que les hommes n'admettent pas, comment la nature de Dieu pourrait-elle exister d'une manière aussi étrangée. Si tu veux apprendre la vérité, adoucis l'âcreté de ton coeur, ouvre les yeux de ton esprit et ne marche pas, étant éveillé, comme un aveugle dans les ténèbres. Tu es tombé dans l'abîme, tu y veux entraîner tout le monde. Si les tiens, qui ne voient ni n'entendent, suivent ta doctrine erronée, il n'en est pas de même pour nous, parce que les yeux de notre esprit sont ouverts et nous sommes clairvoyants. Nous voyons les créatures par les yeux du corps, nous comprenons qu'elles sont faites par un autre et que toutes sont sujettes à la dissolution. Le créateur, de tout est invisible à nos yeux corporels, mais, par notre esprit, nous connaissons sa vertu. Lorsqu'il nous vit dans une extrême ignorance, il eut compassion de notre grossièreté, car nous aussi, pendant longtemps, nous croyions comme vous que les choses visibles étaient des créateurs et nous commettions toute sorte d'iniquités; c'est pourquoi, dans son amour, il parut et prit un corps d'homme et nous fit connaître son invisible divinité. De plus, il monta lui-même sur la croix, et comme les hommes étaient trompés par les astres lumineux, il enleva au soleil la lumière de ses rayons, afin que les ténèbres fussent les ministres de son humanité; car ceux qui sont indignes comme vous ne voient pas leur vie plongée dans une misère profonde. Celui qui aujourd'hui ne confesse pas un Dieu crucifié est entouré de la même obscurité dans son âme et dans son corps; toi aussi aujourd'hui tu es enveloppé dans les mêmes ténèbres et c'est pourquoi tu te tourmentes. Nous sommes prêts à mourir pour l'exemple de notre Seigneur; exécute donc comme il te plaira les amers désirs de ta volonté.»
Alors le perfide Tenschapouh, les observant et les voyant tous dans la joie, comprit que ses paroles menaçantes ou flatteuses ne seraient pas écoutées. Il se fit amener un des moins âgés; c'était un prêtre nommé Arsène, dont les saints avaient d'abord douté. On lui lia les pied et les mains, on le serra fortement jusqu'à ce que les nerfs fussent coupés. Le saint ouvrit les lèvres et dit : «Me voici entouré de beaucoup de chiens, et les conseils des méchants m'environnent. Ils ont percé mes mains et mes pieds, et, au lieu de ma bouche, mes os s'écrieront : Écoute-moi, ô Seigneur, écoute ma voix, et accueille mon âme dans les légions de ton armée, qui apparut dans ta nouvelle demeure. Ta miséricorde, émue de compassion, me fait les précéder, tandis que je suis inférieur à tous.»
Ayant dit ces mots, il ne pouvait plus ouvrir la bouche à cause des terribles cordes du chevalet. Les trois satrapes ayant donné à ce moment l'ordre de lui couper la tête, les bourreaux jetèrent le corps dans une fosse immonde. Puis, dans ce même endroit, Tenschapouh se mit à parler avec l'évêque et lui dit : «Lorsque je vins en Arménie, il me fallut parcourir le pays pendant dix huit mois, et je n'ai souvenir d'aucune plainte portée contre toi, et encore moins de Joseph, le chef de tous les chrétiens, très fidèle serviteur de l'État. Le marzban mon prédécesseur était satisfait de lui, et je vis de mes yeux que, dans tout le pays, il était estimé comme un père et qu'il aimait les grands et les petits sans distinction.
Maintenant, je vous en prie, épargnez-vous vous-mêmes, car vous êtes dignes d'honneur, et ne vous exposez pas à une mort cruelle, comme celui que vous venez de voir mourir. Si vous vous obstinez, je vous tuerai après bien des tourments. Je sais que vous êtes séduits par les suggestions de celui-ci; mais, malade, ne recevant des médecins aucun soulagement, et fatigué de sa vie d'infirmités, il désire la mort plutôt que la vie.»
Saint Joseph lui répondit : «L'éloge de l'évêque et le mien sont fondés; tu as rendu honneur à nos cheveux blancs, c'était nécessaire. Les vrais serviteurs de Dieu ne doivent pas résister aux princes de la terre, ni, en vue d'un intérêt terrestre, murmurer contre quelqu'un; ils doivent enseigner les préceptes de Dieu, sans fausse sagesse, se montrer conciliants envers tous, et, au moyen d'une saine doctrine, guider tous les hommes vers le seul Dieu des créatures. Quant à ce que tu as dit des séductions de cet homme, tu n'as pas menti, c'est bien la vérité. Il ne nous flatte pas comme un étranger et il ne nous trompe pas comme un séducteur, mais il nous aime beaucoup. Notre Mère l'Église qui régénère étant une, et l'Esprit saint qui nous a engendrés étant notre seul père, pourquoi les enfants d'un même père et d'une même mère seraient-ils en dispute au lieu d'être unis ? Jour et nuit notre pensée était la même, c'était d'avoir l'union de notre vie inséparable, bien que nous semblions séduits. Car si celui-ci est fatigué et s'il veut sortir d'un corps malade, nous le sommes nous tous encore davantage, puisqu'il n'y a pas une femme qui enfante sans douleurs.»
Tenschapouh dit : «Vous ne savez pas ce qu'il me faut de patience avec vous ! Ce n'est pas en vertu d'un ordre royal que je supporte vos discussions, mais je les ai permises par humanité, parce que je ne vous méprise pas, vous qui vous haïssez vous-mêmes et qui êtes les ennemis des autres. Moi qui ai mangé du sel et du pain dans votre pays, j'ai de l'affection et de la compassion pour lui».
Le prêtre Léonce répondit : «Celui qui a de l'amour et de la compassion envers les étrangers accomplit les préceptes de Dieu, mais il en garde pour lui-même, parce que nous ne sommes pas maîtres de nous-mêmes : il y a quelqu'un qui nous demandera compte des étrangers et de ceux de notre nation. Tout ce que tu as dit, je l'écoute de toi et non d'après l'ordre du roi. Si vous êtes habitués à transgresser les ordres de votre souverain, vous faites bien, parce qu'il est le destructeur du pays et le meurtrier des innocents, l'ami de Satan et l'ennemi de Dieu. Nous ne pouvons pas transgresser le commandement de notre souverain ni changer notre vie contre les illusions passagères du monde. Quant à moi dont tu as dit que je préfère la mort à la vie parce que les médecins sont impuissants à me rendre la santé, de telles paroles ne peuvent convenir à ceux qui connaissent les malheurs du pays.
Je t'en conjure, apaise ta colère et écoute-moi.» Il repassa en ordre les choses de ce monde : «Quel mortel mène une vie exempte de tribulations ? Ne sont-ils pas tous abreuvés d'infortunes, qui au dedans qui au dehors ? Le froid et le chaud, la faim et la soif, la privation absolue du nécessaire. Au dehors, l'injustice, la rapine, l'impudicité et la violence; au dedans, l'iniquité, l'apostasie, l'ignorance, le mensonge effronté. Mais toi qui méprises les médecins et qui les regardes comme inutiles, parce qu'ils ne peuvent me rendre la santé, ceci n'est pas bien étonnant, car au demeurant ils sont des hommes. Il y a telle maladie à laquelle ils ne peuvent remédier et elle autre rebelle à leurs médicaments. Nous sommes tous mortels, autant le malade que le médecin. Vous seriez heureux si vous étiez comme la médecine, dans laquelle la vérité du médecin est beaucoup. Quand le médecin voit un malade, il le visite croyant lui rendre promptement la santé. Ainsi, à la cour, si un ami du roi tombe malade, quand même, en arrivant sur la grande place, il verrait une multitude d'illustres personnages et de beaux adolescents, si en entrant dans la salle royale il voyait l'étincelant cortège des gens du service, cette magnificence ne le surprendrait pas. De plus, s'il y avait un lit d'or enrichi de pierreries sur lequel est étendu le malade, il ne s'en étonnerait pas, mais il ordonnerait qu'on lui enlevât son manteau orné de broderies d'or, et avec ses mains il lui toucherait le corps pour voir s'il est d'un tempérament ardent, si son coeur bat tranquillement à sa place, s'il a le foie affaibli, si le pouls est réglé, afin d'y remédier et de lui rendre la santé. Si la médecine humaine surmonte ainsi chaque chose et si, en appliquant son art, elle obtient des résultats, ne vous conviendrait-il pas, maître du pays, de tâcher de guérir votre esprit de toutes les erreurs répandues dans vôtre empire ? Tous alors ne resteraient-ils pas volontiers sous votre domination ? Mais maintenant que vous êtes devenus ignorants et que vous avez rendu mortelle votre âme immortelle, pour l'inextinguible feu de l'enfer, que vous le vouliez ou non, vous êtes malades d'une maladie inguérissable. Cependant vous nous méprisez, nous qui sommes affligés dans notre corps, dont nous ne pouvons pas nous délivrer à notre volonté; mais nous le serons (un jour) comme il doit arriver à chacun. Le Christ aussi vrai Dieu vivifiant par sa bonté spontanée se fit médecin des âmes et des corps; par la douleur de ses souffrances, il a guéri lui-même tous les hommes. Il nous engendra d'une manière encore plus bienfaisante (en nous faisant participer) à une génération exempte de douleurs et de plaies; il a guéri les blessures cachées des anciennes morsures du dragon; il nous a rendus, en esprit et en corps, immaculés et exempts de blessures, afin que nous devenions les compagnons des anges et les champions de notre Roi déleste. Dans ton ignorance, toi qui ne jouis pas des dons célestes de Dieu, tu ne veux pas même être instruit par nous; au contraire, tu veux nous séduire; c'est impossible, cela ne sera jamais, et tu ne réussiras pas à l'obtenir. Quant à mon corps maladif, je serai franc. Je me réjouis et mon coeur tressaille en voyant mon corps tourmenté je sais que cela raffermit en moi la force de mon esprit j'en ai la preuve dans le grand docteur des Gentils, qui se consolait des douleurs de son corps et se glorifiait des attaques des satellites de Satan, et disait : «Si nous ressemblons par nos souffrances à sa mort, nous mériterons aussi d'avoir part à sa résurrection». Et toi, maintenant, qui as autorité sur nous, juge suivant ta malice. Les tourments dont tu nous menaces ne nous effraient pas, pas plus que la mort cruelle que tu nous prépares.»
Il fit alors séparer les bienheureux, et lorsqu'il fut seul, il dit à l'évêque : «L'éloge que je t'ai fait d'abord, ne l'as-tu pas regardé comme un honneur ? Rappelle-toi donc tes mauvaises actions, afin que tu te condamnes toi-même à mort. As-tu détruit l'adrouschan du pays des Reschdouni ? As-tu tué le feu? J'ai appris aussi et je m'en suis assuré, que tu as tourmenté les mages et enlevé les ornements du culte. Si tu l'as fait, avoue-le.»
Le saint répondit : «Tu veux le savoir, et tu le sais déjà».
Tenschapouh : «Autre chose un on-dit, autre chose un aveu.»
L'évêque : «Sois franc.»
Tenschapouh : «J'ai entendu dire que tous les dommages commis dans le pays des Reschdouni sont de ton fait.»
L'évêque : «Puisqu'on te l'a dit, que demandes-tu de plus ?»
Tenschapouh : «Je veux ta version.»
L'évêque : «Tu ne souhaites rien apprendre pour ton bien, tu ne désires que mon sang.»
Tenschapouh : «Je ne sais pas une brute sanguinaire, mais le vengeur des dieux méprisés.»
L'évêque : «Dieux des éléments muets et c'est pour cela que tu veux égorger les hommes tes semblables ? Tu en seras châtié par Dieu, ainsi que ton roi. Ce que tu demandes, afin de me nuire, le voici : Oui, j'ai dévasté l'adrouschan; oui, j'ai bâtonné les mages; et les sales ornements qui se trouvaient là, je les ai jetés à l'eau. Quant au feu, comment l'aurais-je tué, puisque le très sage Créateur des êtres, en prenant soin des quatre éléments, les rendit par nature impérissables ? Tue l'air si tu peux, corromps la terre afin qu'elle n'ait plus d'herbe, égorge le fleuve afin qu'il meure. Si tu le peux, tu pourras aussi tuer le feu, Si notre Auteur a uni ensemble ces quatre éléments indissolubles, - on trouve dans les pierres ainsi que dans les métaux et dans tous les éléments visibles la nature du feu, - tue donc la chaleur du soleil, puisqu'il y a en lui une portion de feu. Ou bien encore dis que le feu ne soit pas frappé par le fer. Celui qui respire, se meut, marche, mange, boit et dort. Quand as -tu vu le feu marcher, parler on comprendre ? Tu dis qu'on a tué ce qui ne vivait pas. Votre iniquité n'est-elle pas plus insupportable que celle de tous les païens, qui sont plus éclairés que vous ? Bien qu'ils soient loin du vrai Dieu, cependant ils n'appellent pas Dieu des éléments insensés. Or, si par ignorance tu dis que la nature du feu est corruptible, les créatures qui la composent sont en désaccord avec tes croyances.»
Tenschapouh dit : «Je ne discute pas sur la nature des créatures; as-tu éteint le feu, oui ou non ?» L'évêque : «Puisque tu n'as pas voulu devenir le disciple de la vérité, je te dirai tout ce que veut ton père Satan. Je suis entré dans votre adrouschan, j'ai vu les perfides ministres de votre secte et le foyer qui brûlait devant eux. Je leur demandai, sans les frapper : «Que pensez-vous de ce culte rendu au feu »? Ils répondirent : «Nous, nous n'en savons rien, mais nous savons que c'est l'usage des ancêtres et l'ordre du roi.» Je continuai : «Que savez-vous de la nature du feu ? est-il créateur ou création ?» Ils dirent tous : «Il n'est pas créateur; il ne donne pas même le repos aux travailleurs. Nos mains sont durcies par la hache, tant nous avons porté de bois, nos yeux sont malades à force de larmoyer par l'ardeur de la flamme, nos visages sont noircis par la crasse humide de la fumée. Si on lui donne peu de nourriture, il a très faim; si on ne lui offre rien, il s'éteint tout à fait; si nous l'approchons pour l'adorer, il nous brûle; si nous nous éloignons absolument, ce n'est plus que cendres. C'est ainsi que nous comprenons sa nature.» Je repris : «Avez-vous jamais su qui vous a enseigné un tel mensonge ?» - «Pourquoi, dirent-ils, nous interroges-tu pour le savoir ? Regarde les choses actuelles. Nos législateurs sont aveugles seulement dans leur esprit, tandis que notre nature est borgne du corps et aveugle d'esprit.» - En les entendant j'eus pitié, parce que dans leur ignorance ils disaient la vérité. Je leur donnai une bastonnade, leur fis jeter le feu dans l'eau et dis : «Que les dieux qui ne créèrent ni le ciel ni la terre, périssent sous les cieux» : et je chassai les mages.»
Tenschapouh s'émut de ces insultes au roi et à la religion. Il n'eut pas le courage de le faire bâtonner, afin de ne pas lui faire dire devant le tribunal de plus graves injures contre le roi, et pour ne pas faire tomber les soupçons sur lui-même, à cause de ce mépris qu'il professait et de la patience que lui Tenschapouh avait eue de discuter si longuement avec (de telles gens). Comme il siégeait, ceint d'une épée destinée à faire peur aux saints, il rugissait comme un lion et, brandissant son épée, il se jeta comme une bête sur les bienheureux et frappant l'évêque à l'épaule droite, il la détacha avec la main. Le saint tomba sur le côté gauche, se releva, prit sa main droite et dit à haute voix : «Reçois,Seigneur, le sacrifice volontaire par lequel je m'offre entièrement à toi, réunis-moi à tes saints champions.» Il encourageait ses compagnons : «Voici, justes, l'heure de notre mort; fermez les yeux un moment et voyez le Christ notre espérance.» Inondé de son propre sang, il ajoutait :

Je bénirai le Seigneur en tout temps.
Sa bénédiction sera toujours dans ma bouche.
Mon, âme se glorifie dans le Seigneur;
que les pacifiques entendent et se réjouissent.


Et récitant ce psaume, il poursuivait jusqu'à ces mots :

Les afflictions des justes sont nombreuses;
mais le Seigneur les délivre et conserve tous leurs os.


Son corps ayant encore un peu de vigueur, il voyait venir du ciel beaucoup de légions d'anges et six couronnes dans la main d'un archange. Il entendait une voix venue d'en haut qui disait : «Courage, mes fidèles, puisque vous avez déjà oublié vos peines et que vous êtes arrivés aux couronnes que par vos labeurs vous avez préparées. Prenez, couronnez-vous; vous les avez préparées, elles furent tressées par les mains du Christ qui les a remises à ses ministres, car vous êtes les compagnons d'Étienne.» Il voyait aussi très bien que l'épée brillait sur la tête des bienheureux.
Lorsque saint Léonce vit qu'on ne voulait plus les interroger et les juger un à un, mais qu'on avait rendu indistinctement l'ordre de mort, il dit au bienheureux Joseph : «Approche-toi, avance-toi contre l'épée; car pour le rang tu es supérieur à tous». Ils se mirent à la rangette, l'un après l'autre, et les bourreaux se hâtèrent de leur couper la tête à tous ensemble. On jeta les corps devant l'évêque, mais lui rendait l'esprit en ce moment; il dit : «Ô Seigneur Jésus, reçois les âmes de tous, réunis-nous à tes fidèles.»
Ainsi ils moururent tous dans le même lieu.
Si on veut leur adjoindre le chef des mages, qui crut au Christ, les martyrs sont au nombre de sept, outre les deux qui furent martyrisés à Vadkédès, et un autre évêque en Syrie, qui se nommait Thathig. Mais ici, (à Revan, qu'on nomme aussi le Bourg des mages) ils furent six, dont voici les noms: Sahag, évêque des Reschdouni; saint Joseph, de la vallée de Vaï, du bourg de Hoghotzim; le prêtre Léonce de Variant, du bourg d'Idchavan; le prêtre Mouché, d'Aghpag; le prêtre Arsène de Pakrévant, du village d'Eghéhiag; le diacre Khadchadeh, d'où était l'évêque des Reschdouni; en outre, le bienheureux chef des mages, de la cité de Nischapour; le prêtre Samuel d'Ararat, du bourg d'Aradz; le diacre Abraham, de la même localité.
Tenschapouh, le chef des mages, Dehenigan et l'intendant choisirent des gardes parmi leurs serviteurs et firent garder les corps pendant plus de dix jours, jusqu'à ce que l'escorte royale fut partie, afin que ceux d'une autre religion ne vinssent pas dérober les os pour les partager dans tout le pays, ce qui attirerait de nouveaux partisans à la secte des Nazaréens. En attendant, Khoujig, dont nous avons parlé, restait armé, avec les gardes, comme s'il eût été l'un des leurs; il était prudent et avancé dans les voies de Dieu. Il attendait et observait de quelle manière il pourrait dérober les ossements des saints.
Trois jours plus tard, tous furent saisis d'une grande crainte, et pendant trois jours ils demeurèrent comme engourdis et ne purent se lever. Le quatrième jour, Satan les agita violemment. On entendait pendant toute la nuit des voix horribles, des bruits et des tonnerres souterrains, semblables à des secousses de tremblement de terre. La terre frémissait sous les pas et les épées jetaient des reflets sinistres. On voyait tous les cadavres se lever et se mettre debout; alors on entendait tout ce qui s'était dit au tribunal. Les gardes terrifiés se heurtaient, ils étaient haletants et en plein délire, ne sachant plus où leurs compagnons avaient fui; ils racontèrent alors tout ce qu'ils avaient pâti.
Les trois satrapes tinrent conseil et se dirent : «Que faire ? Que penser de cette incroyable secte des chrétiens ? Pendant leur vie, leur existence était remplie de merveilles; ils méprisaient les richesses, comme inutiles; ils étaient purs comme s'ils n'eussent pas eu de corps; parfaits comme les justes et vaillants comme les immortels. Si nous disons tout cela en ignorants et en incrédules, que dirons-nous, quand, par leur entremise, tous les malades de l'armée seront guéris ? Quel mortel - cela nous confond - a-t-on vu ressusciter un cadavre, a-t-on entendu parler de la sorte ? Nos serviteurs ne sont pas des menteurs, et nous nous en sommes assurés par nous-mêmes; s'ils voulaient une gratification et qu'ils recherchassent les chrétiens de l'armée, ils recevraient pour chaque corps une forte prime. Quant à ceux qui furent tourmentés par Satan sans qu'alors ils fussent malades, comme nous le savons, ils ont vu évidemment aujourd'hui un grand prodige. Si nous nous taisons, nous courons risque de la vie; si nous les conduisons devant le roi, qui apprendra d'eux ces prodiges, quel schisme peut sortir de là !» Le chef des mages dit : «Je suis le président. Ne vous tourmentez donc pas ainsi. Vous avez exécuté les ordres reçus. Si la nouvelle se répand et qu'on demande une explication en présence du roi, le soin nous en incombe, à nous mages; ainsi pas d'inquiétudes, oubliez cela. Si vous êtes effrayés, venez vers le soir, avant demain matin, puisque demain le chef suprême des mages offrira un sacrifice, et lui, qui est convaincu, vous persuadera.»
Quand Khoujig eut entendu tout cela et compris qu'on ne s'occuperait plus des martyrs, ils prit dix hommes, tous fervents chrétiens, et arrivé au lieu de l'exécution, y trouva les corps bien conservés. Mais par un dernier soupçon on se contenta de transporter les corps à deux lieues de là. Désormais ils nettoyèrent et arrangèrent les ossements et les portèrent à l'armée en secret. Peu à peu ils les montrèrent, d'abord au général arménien, puis à beaucoup de soldats chrétiens. Ils offrirent les premiers fruits de ce présent aux satrapes prisonniers qui, en ce moment, avaient été délivrés de leurs liens et avaient évité la mort dont on les avait menacés, car on avait expédié en Arménie des lettres de grâce.
Ce bienheureux Khoujig, qui fut digne de servir les saints secrètement, nous a raconté avec détail tout ce que j'ai dit de leur mort jusqu'au moment des lettres de grâce, leur douloureux supplice, les interrogatoires et les épreuves auxquels les juges les soumirent, et les réponses des saints, leur exécution, les terreurs des bourreaux, les craintes des trois satrapes, les os qu'ils avaient recueillis, non pas confusément, mais réunis dans une même enveloppe, (en ayant soin que) les os fussent séparément dans six boîtes sur lesquelles était gravé le nom de chaque martyr. Il avait mis avec les os de chacun les chaînes que les bourreaux avaient abandonnées, et il avait fait une marque sur le couvercle des boîtes.
Les six bienheureux furent martyrisés par une mort sainte et désirée, le vingt-cinquième jour du mois de hroditz, dans le grand désert de la province d'Abar, aux environs de la ville de Nischapour (5 août 454).

Des disciples des martyrs qui devinrent confesseurs.

Les disciples des bienheureux étaient enchaînés dans la même ville. Un des chefs des bourreaux vint les tirer de prison avec cinq autres chrétiens syriens leurs compagnons de captivité. Il les interrogea, mais ils refusèrent d'adorer le Soleil. On les fouetta à grands coups de verges, mais ils s'affermirent encore dans leur dessein. On leur coupa les oreilles et les paupières et on les fit conduire en Syrie en qualité d'esclaves; mais eux s'y rendirent aussi joyeux que si on les eût comblés de présents.
Le chef des bourreaux revint auprès des confesseurs; il en choisit deux parmi les plus doux, et les prenant à part, il leur dit : «Votre nom ?»
L'un répondit : «Depuis ma naissance je me nomme Khorène, et celui-là Abraham; quant à notre profession, nous sommes serviteurs du Christ et disciples des bienheureux que vous avez mis à mort.»
Le chef des bourreaux : «Que faites-vous maintenant et qui vous a conduits ici ?»
Abraham répondit : «Vous avez dû l'apprendre de nos docteurs. Ce n'étaient pas des gens vulgaires, ils avaient du bien, des serviteurs, les uns étaient de la même condition sociale que nous-mêmes, d'autres d'une condition plus élevée. Nous sommes venus avec ceux qui nous avaient enseignés, parce que nos lois divines nous commandent d'honorer nos docteurs comme nos maîtres vénérés et de les servir comme nos maîtres spirituels.»
Le chef des bourreaux : «Tu tiens le langage d'un révolté et d'un téméraire. Tant que vous étiez en paix dans votre pays, c'était très bien; mais depuis que vos maîtres se sont rendus coupables envers la cour et qu'ils ont été mis à mort pour leur conduite, vous ne deviez pas même les approcher. Ne voyez-vous pas dans l'armée, que quand un des personnages qualifiés est arrêté par ordre de la cour, on le revêt d'un vêtement brun ? il est séparé de tous, et nul n'ose l'approcher. Mais toi, tu te vantes d'être le disciple de gens innocents.
«Notre raisonnement ni le vôtre ne sont faux, dit Khorène. Le satrape coupable devait obéir à celui dont il avait obtenu des faveurs, au point qu'en dehors de son hommage il devrait recevoir encore de grands présents. Mais en échange de ce qu'il ne fit pas, le contraire lui est arrivé. Si nos docteurs avaient péché contre Dieu on offensé le roi, nous les eussions traités de la sorte. Dans le pays, nous ne nous serions pas approchés d'eux, nous ne les eussions pas suivis à l'étranger. Mais, puisque sur ces deux points ils ont persévéré avec justice et que vous les avez fait mourir sans raison, c'est pour cela que nous honorons leurs os.»
Le chef des bourreaux : «Tu es, je le répète, un téméraire, et vous êtes complices des fautes (de vos maîtres).»
Abraham : «Quelles fautes ?
«D'abord la mort des mages, puis tous les autres forfaits.»
Abraham : «Ce n'est pas un caprice, c'est la loi et l'ordre qui le voulaient ainsi. Les rois commandent et on agit au moyen des serviteurs.»
Le chef des bourreaux : «Par le dieu Mihr, tu es plus téméraire encore que tes docteurs. Vous êtes donc plus coupables. Vous ne pouvez donc éviter la mort que si vous adorez le Soleil et vous conformez à notre religion.»
Khorène : «Tu parlais mal jusqu'ici, maintenant tu aboies comme un chien. Si le Soleil avait des oreilles, tu lui ferais honte; mais il est insensible par nature et ton iniquité te rend plus insensible que lui. En quoi nous trouves-tu inférieurs à nos pères ? Veux-tu nous tenter en paroles ? Vois donc ta malice et notre bonté, et que ton père Satan en reçoive la honte, non seulement de nous qui sommes âgés, mais même du plus jeune; il blessera plus profondément ton esprit et ton corps.»
À ces mots, le chef des bourreaux s'emporta, il les fit traîner plus cruellement que les premiers, et le supplice fut si intolérable qu'il y en eut beaucoup que l'on crut morts. Trois heures après ils reprirent la parole et dirent : «Ce supplice nous semble léger, nous regardons pour peu de chose les douleurs du corps, en comparaison du grand amour de Dieu, pour lequel nos pères spirituels sont morts. Va donc, sans repos ni trêve, traite-nous comme tu les as traités. Si leurs actions te paraissent mauvaises, les nôtres le seront deux fois plus, car eux ordonnaient, et nous, nous exécutons.»
Le chef des bourreaux, dont l'irritation croissait, ordonna de les frapper jusqu'à ce que mort s'en suive. Des escouades de six bourreaux se relayaient pour chaque martyr. Quand ils furent tombés sur le sol, il leur fit couper les oreilles de telle manière qu'ils semblaient n'en avoir jamais eu; après tant de tourments, ils revinrent à eux comme après un long sommeil et prièrent ainsi: «Nous t'en prions, brave soldat, ou bien perfectionne-nous par la mort, comme nos pères, ou bien châtie-nous comme les autres martyrs. Puisque nos oreilles ont été guéries par un remède céleste, nos nez ont été épargnés, ne nous prive pas des dons de la bonté céleste. Purifie nos corps en les traînant, et nos oreilles en les coupant; coupe aussi nos nez pour les purifier, parce que plus tu nous rends difformes dans notre corps, plus tu donnes de séductions à notre âme.»
Le chef des bourreaux dit doucement : «Si je demeure auprès de vous, vous me passerez votre obstination. Voici les ordres du roi : je ne dois pas vous punir davantage. Vous serez envoyés en Syrie comme esclaves de la cour royale, afin que si quelqu'un vous voit ici, il ne persévère pas dans son obstination aux commandements du roi.»
Les bienheureux dirent : «Tu as laissé, notre terre imparfaite; nous ne travaillerons pas sur la terre royale avec la moitié de nos corps.» À ces mots, le chef des bourreaux dit aux soldats de l'escorte : «Emmenez-les et partez; quand vous serez en Syrie, qu'ils aillent où ils voudront.» Ce sont les confesseurs arméniens qui furent torturés et mutilés avec joie, mais ils allaient tristes et rêveurs pendant le voyage, parce qu'ils n'avaient pas été jugés dignes de mort. Ils regrettaient de n'avoir pas les chaînes aux mains et aux pieds, comme n'ayant pas été dignes d'être comparés aux généreux martyrs.
Pendant que les soldats les conduisaient, ils arrivèrent en Babylonie, dans le Schahough. Quoique châtiés par ordre du roi, ils furent accueillis avec sympathie et considération par les gens du pays. Cependant ils étaient tristes, comme s'ils eussent peu travaillé et beaucoup reposé. Ils eussent voulu voir alléger les chaînes des satrapes, afin de les aider en quelque chose, et ils s'en ouvrirent aux grands qui étaient chrétiens. Tous, grands et petits, consentirent à avertir le pays, pour que chacun contribuât aux nécessités des besoins corporels des saints prisonniers dans leur exil. C'est pourquoi, d'une année à l'autre, ils réunissaient, suivant le moyen de chacun, ici un peu, là beaucoup, tout ce dont ils pouvaient disposer. Ils recueillaient les sommes, grosses ou petites, et les envoyaient en présent aux bienheureux pour les expédier aux prisonniers. De cette manière, leur esclavage dura dix ans.
Comme ils étaient gardés de très près dans un pays brûlant et qu'ils ne cessaient de voyager dans le Schahough, dans le Meschov, dans le Khaschgar, dans toute l'Assyrie et le Khoujasdan, saint Khorène mourut de cette chaleur et de ces vents brûlants. Ils le remirent aux gens du pays avec les saints martyrs.
Abraham voyageait, recueillait, partait au loin les dons des fidèles et les distribuait suivant les besoins de chacun. Il fit ainsi pendant douze ans, de sorte que tous, d'un commun accord, le prièrent de retourner en Arménie, afin d'y montrer en sa personne (la race) des valeureux martyrs morts par le glaive et les saintes chaînes de ceux qu'on avait torturés.
Quand on vit avec lui les martyrs, les confesseurs et les captifs, tout le pays fut béni par sa présence. À cause de lui, ils furent bénis dans le nombre croissant de leurs enfants, leurs jeunes gens s'élevèrent dans la sainteté et les vieillards devinrent habiles dans la science. A cause de lui, leurs princes connurent l'amour du prochain, et Dieu fit descendre la pitié dans le coeur du roi pour restaurer et pacifier le pays entier; les églises furent glorifiées comme par un brave et parfait champion; on orna les chapelles des martyrs. et les martyrs triomphants se réjouirent; la plaine d'Avarair fut embellie, et fleurie non par les nuages humides, mais par le sang répandu des martyrs et la blancheur des os qu'on y avait disséminés. Les pieds infatigables du confesseur, en foulant les sillons (où s'était livrée) la bataille redoublèrent la vie de tout le pays. «Nous savons, disait-on, qu'à sa vue tous les solitaires de l'Arménie revoient en lui les troupes de combattants spirituels qui se dévouèrent à la mort à notre place et versèrent leur sang comme un sacrifice de réconciliation avec Dieu. Les saints prêtres en le voyant se souviennent qu'ils furent massacrés dans leur exil lointain et qu'ils apaisèrent le courroux du roi. Ils se souviendront peut-être aussi de nos chaînes, et en priant, ils demanderont à Dieu que, d'ici, ils nous fassent retourner dans la terre de nos pères. Nous sommes, en effet, très affligés, non seulement par un désir naturel, mais plus encore par le désir de voir notre sainte Église et nos saints ministres que nous y avons établis. S'il plaît à Dieu, que celui-ci y aille satisfaire tes désirs des survivants; nous saurons alors que Dieu nous ouvre la porte de sa miséricorde pour suivre la même trace que les pieds de celui qui nous précède.»
Les satrapes, remplis de la grâce, exhortaient vivement le confesseur à se rendre à leurs voeux, et comme il n'avait pas l'habitude de résister au bien, il se hâta cette fois encore d'accomplir le désir de ceux qui étaient fermes dans la foi. Il vint donc et entra en Arménie. Hommes et femmes, grands et petits, nobles et populace vinrent à sa rencontre. Ils lui baisaient les pieds et les mains :
«Béni soit le Seigneur Dieu au plus haut des cieux, qui nous annonça par l'ange du ciel la résurrection afin que nous héritions du royaume céleste. Voici que nous découvrons en toi tous ceux qui moururent par l'espérance de la résurrection et ceux qui attendent dans les chaînes la libération. Nous voyons aussi en toi la libération du pays par la paix; par toi, nos églises glorifiées se réjouissent et nos saints martyrs intercéderont toujours pour nous auprès de Dieu. Bénis-nous, saint père, ta parole est celle des morts; donne-nous leur bénédiction, afin que nous sentions dans le secret de nos âmes les bénédictions des saints. Tu as aplani le sentier à ceux qui souhaitaient de rentrer dans leur pays; prie Dieu qu'ils suivent promptement leur précurseur. Comme tu as aplani le sentier impraticable sur la terre, ouvre-nous aussi la porte du ciel pour nos prières, afin qu'elles montent vers Dieu pour l'intercession des prisonniers. Tant que nous serons dans ce corps fragile, de même que nous voyons ta bienheureuse sainteté, qu'il nous soit donné de voir ceux que nous aimons, puisque depuis longtemps nous sommes avilis et désolés dans notre âme et dans notre corps. Nous croyons maintenant avec confiance que par ta vue nous avons été ravis en ton saint amour; et que nous puissions voir bientôt les saints martyrs du Christ, puisque nous nous consumons du désir de voir leur céleste beauté.»
Le bienheureux confesseur, malgré cet affectueux accueil, ne voulut contracter aucune affection naturelle. Il se retira loin de la foule avec trois frères et y mourut dans une sévère pénitence. Le récit de sa vie ornée de toutes les vertus ne serait pas aisé, si je devais dire ses veilles pendant toute la nuit comme une lampe inextinguible; l'insuffisance de sa nourriture qui le faisait ressembler aux anges qui n'ont pas besoin d'aliments; sa douceur, sa modération à nulle autre semblable; son mépris des richesses, comme ferait un mort qui n'en a que faire.
Sa voix infatigable lui permettait de persévérer dans la prière continuelle et l'entretien avec Dieu. Il fut le sel des indifférents, le stimulant pour secouer les négligents. Il méprisait l'avarice et flétrissait la gourmandise. Il fut le salut de l'Arménie, dont beaucoup de malades lui durent la santé. Il fut le docteur des docteurs, le père de la sainteté, le conseiller de ses pères. Au bruit de sa renommée, les ignorants s'instruisirent et à son approche les hommes vicieux devinrent modérés. Il habitait une petite cellule et sa sainteté inspirait le respect à tous, de près ou de loin. Les dev (démons) s'effrayèrent et s'éloignèrent de lui; les anges descendirent et l'entourèrent comme d'une couronne.
À cause de lui les Grecs rendirent l'Arménie heureuse, beaucoup de barbares le vinrent voir. Il fut chéri de ceux qui aimaient Dieu, et il convertit au saint amour beaucoup d'ennemis de la vérité. Il fut vertueux dès l'enfance et vécut toujours de même. Il n'était pas marié, et n'eut besoin corporellement de rien de corruptible; enfin il échangea les indigences corporelles pour les choses nécessaires à l'esprit et fut porté de la terre au ciel.

Noms des satrapes qui spontanément et pour l'amour du Christ se rendirent en captivité à la cour du roi de Perse.

De la race de Siounie, les deux frères Paplèn et Pagèn;
De la race des Ardirouni, Nerschapouh, Schavasb, Schenkin, Mèhroujan, Barkev et Dadjad;
De la race des Mamigoniens, Hamazasb, Ardavazt et Mouschegh;
De la race des Garnsaragan, Arschavir, Thathoui, Vartz, Nersèh et Aschod;
De la race des Amadouni, Vahan, Arautzar et Arnag;
De la race des Kenouni, Adom;
De la race des Timah-hsian, Thathoul et Sad avec deux autres compagnons;
De la race des Autzavatzi, Schmavon, Zovarèn et Aravan;
De la race des Aravelian, Phalag, Varaztén et Tagd;
De la maison des Ardzrouni, Abersain;
De la maison des Mantagouni, Sahag et Pharsman;
De la race des Daschiratzi, Vrèn;
De la famille des Raphsonian, Papig et louklinan.

Parmi ces trente-cinq, quelques-uns sont de grands satrapes, d'autres sont d'un rang inférieur, mais tous sont de race satrapique et, quant à la vertu, tous habitants du ciel. Beaucoup d'autres nobles personnages, quelques-uns de la cour royale et d'autres des maisons des satrapes, furent les frères d'armes des héros. Nous ne nous étonnons pas seulement qu'ils soient assujettis à la torture, mais nous sommes surpris que, nobles comme ils le sont, habitants libres des montagnes couvertes de neige, ils habitent des campagnes embrasées. Ceux qui allaient en liberté, comme la bête sauvage sur les montagnes fleuries, furent chassés dans le pays brûlant d'Orient, pieds et poings liés. Nourris du pain de la douleur et de l'eau de la misère, enfermés dans l'obscurité pendant le jour et privés de lumière pendant la nuit, sans lit et sans couverture, ils s'allongèrent sur la terre comme font les bêtes, pendant neuf ans et six mois. Ils souffraient cela avec joie, et personne ne les entendit se plaindre; ils rendaient des actions de grâces, comme des hommes satisfaits qui servent Dieu.
Pendant ces souffrances, le roi s'imagina qu'ils devaient être tristes et fatigués de leurs tortures. Il leur envoya le grand intendant : «Rentrez en vous-mêmes, leur dit-il, ne vous obstinez pas. Adorez le Soleil, on vous ôtera vos chaînes et vous recouvrerez vos biens.»
Les bienheureux répondirent : «Tu es peut-être venu nous tenter par des questions. Très certainement le roi t'a envoyé.»
L'intendant jura : «Il n'a pas dit un mot de cette affaire.»
Ils dirent : «Ceux qui ont connu une fois la vérité ne s'en éloignent plus et restent fermes dans leur voie. Nous fûmes peut-être des obstinés parce que nous n'avions pas fait l'expérience et qu'aujourd'hui les tribulations nous auraient rendus prudents. Il n'en est pas ainsi, notre chagrin est de n'être pas morts avec les martyrs. Nous t'en prions et nous en prions le roi par ton intermédiaire, ne nous interrogez plus désormais là-dessus, mais faites promptement ce que vous avez résolu.»
Le grand intendant approuva en lui-même leur fermeté et se prit dès lors à les aimer comme des êtres chéris de Dieu. Il suppliait le roi de briser leurs chaînes; aussi, bien qu'il fût révoqué de sa charge d'intendant, car on le jugeait coupable, et qu'il attirât sur lui-même les ruines de l'Arménie au point d'avoir été honteusement destitué, cependant il ne voulut jamais, pendant sa vie, parler mal de ces prisonniers. Or, beaucoup des bienheureux, les jeunes principalement, avaient appris la doctrine du pays de leurs pères. Ce leur fut un aliment et un sujet de mutuelle consolation. Leur coeur et leur esprit se dilataient et les plus vieux ressemblaient aux enfants pour la jeunesse et la vigueur. Bien que leur temps d'apprendre fût passé, ils chantaient des psaumes et accompagnaient par des cantiques spirituels la jeune troupe. Ils embellissaient tellement le culte sacré qu'il paraissait agréable à quelques-uns de leurs bourreaux, et ceux-ci, quand ils le pouvaient, les favorisaient malgré les ordres du roi, leur témoignant de l'empressement et de l'affection et les assistaient parfois, dans leur indigence, à cause des guérisons et des exorcismes merveilleux que Dieu opérait par ses bienheureux. Quand ils n'avaient aucun prêtre parmi eux, les malades et les infirmes de la ville couraient aux saints et obtenaient la santé.
Harevschghour Schapouh, le grand prince du pays à qui étaient confiés les prisonniers, leur témoigna une grande sympathie. Il regardait les vieillards comme des pères et caressait les jeunes gens comme des enfants chéris. Il écrivit souvent et signala à la cour l'état des prisonniers et mit en lumière leur admirable conduite. Il intercédait auprès des grands, faisait jouer beaucoup d'influences et parvint, grâce à plusieurs protecteurs, à changer les dispositions du roi. (Ce prince) fit enlever les chaînes des prisonniers et leur rendit le costume et le rang starpal. Il fixa leur apanage et ordonna que leurs armes leur fussent fournies par la cour. Il écrivit au généralissime de les admettre dans l'armée royale. Cet ordre rendu, ils se conduisirent honnêtement dans les différents endroits où ils passèrent, en sorte qu'il leur arriva à la cour des lettres remplies d'éloges. Le roi en fut si satisfait qu'il se les fit amener. Ils se présentèrent donc devant Iezdedjerd, le roi des rois, qui les vit avec joie et leur parla avec bonté; il permit qu'on leur rendît leurs domaines paternels d'après le rang que tenaient leurs aïeux et qu'ils quittassent le pays, en (professant librement) la religion chrétienne pour laquelle ils avaient été si cruellement tourmentés.
Au moment où, au comble de l'allégresse, ils avaient été admis devant le roi, Iezdedjerd mourut dans la dix-neuvième année de son règne. Ses deux fils se disputèrent le royaume par les armes. L'épouvantable perturbation causée par cette lutte dura deux ans. Pendant ces combats continuels, le roi des Aghouank, leur neveu, se révolta de son côté. Ce prince, qui professait d'abord la religion de son père, était chrétien, mais le roi des rois Iezdedjerd, l'avait forcé d'embrasser le magisme. Trouvant le moment favorable, il se crut en mesure d'affronter la mort. Il préférait la mort par les armes au règne apostat. Toutes ces complications retardèrent l'ordre de départ des satrapes pour leur pays. Sur ces entrefaites, le gouverneur du fils cadet d'Iezdedjerd, nommé Raham, de la famille des Mehran, voyant l'armée des Arik divisée en deux partis, attaqua vivement avec la seconde moitié le fils aîné du roi, le défit et massacra l'armée du prince qui, fait prisonnier, fut mis à mort. Puis il gagna les soldats échappés au carnage, concentra l'armée des Arik et fit couronner le jeune roi Béroze (Firouz).
La paix régnait chez les Arik, lorsque le roi des Aghouank refusa sa soumission. Il franchit les défilés du Djo, et les fit traverser par les Massagètes. Il réunit à lui onze rois des montagnes et marcha sur l'armée des Arik, qu'il attaqua et endommagea beaucoup. On lui écrivit deux ou trois lettres suppliantes, mais il refusa toujours un accommodement. Il reprochait par écrit et de vive voix la dévastation de l'Arménie, la mort des satrapes, et le traitement fait aux prisonniers, «au lieu de leur accorder la vie à cause de leur grand amour et de leurs labeurs, (disait-il). Mieux vaut souffrir un sort semblable au leur que d'abandonner le christianisme.»
Voyant qu'on ne pouvait le réduire par force ni par persuasion, ils envoyèrent beaucoup d'argent dans le pays des Khaïlantourk, ils ouvrirent la porte des Aghouank, firent une grande levée parmi les Huns, et guerroyèrent toute une année contre lui. Bien que ses troupes fussent dispersées au loin, ils ne purent le faire rentrer dans l'obéissance. Ils eurent à subir de grandes persécutions, des affronts et même de cruelles tortures : l'invasion du pays dura si longtemps que la plus grande partie de la contrée fut dévastée; cependant personne n'osa déserter, dans la crainte du roi des Aghouank.
Le roi de Perse lui envoya dire : «Permets qu'on m'amène ma soeur et ma nièce, qui étaient nées dans la religion des mages et que tu as faites chrétiennes; et alors le pays t'appartiendra.» Ce grand homme ne se battait pas pour sa puissance, mais pour sa religion. Il abandonna sa mère et sa femme, quitta le pays, prit l'évangile et voulut sortir de son royaume. Ayant pris cette résolution, il en fut contristé intérieurement et attribuait toute la responsabilité de ses fautes à son père. Il fit alors un serment solennel et lui envoya dire : «Pourvu que tu ne quittes pas le pays, je ferai ce que tu dis.» Il demanda l'apanage de mille maisons, qu'il avait reçues de son père dans son enfance; le roi lui accorda sa demande, et il se retira parmi les solitaires. Il se dévoua tout entier au divin ministère, de telle sorte qu'il oubliait son ancienne condition de roi. Ces vicissitudes se prolongèrent jusqu'à la cinquième année du roi des rois Béroze et furent cause qu'on ne rendit pas la liberté aux satrapes arméniens. Cependant on augmenta leur apanage, et on leur permit de venir à la cour plus souvent que dans les années précédentes. Dans cette cinquième année, le roi accorda des revenus à beaucoup d'entre eux et fit espérer aux autres que dans la sixième année ils seraient tous renvoyés dans leur pays et rentreraient en possession de leurs biens et honneurs.
Laissons ceci, pour reprendre le fil de notre récit. Les femmes des bienheureux, des prisonniers et de ceux qui furent tués dans les combats livrés en Arménie sont si nombreuses que je ne saurais les compter. J'en connais cinq cents, par leur nom et de vue; les unes sont vieilles, d'autres jeunes, mais toutes, également embrasées d'un zèle céleste, imitèrent celles qui avaient renoncé aux joies du monde. Nobles ou plébéiennes, elles se parèrent toutes de la foi; elles avaient oublié leur nom et leur ancienne grandeur; mais, habituées à supporter virilement les rudes travaux de la vie, elles surmontaient le courage des hommes dans la souffrance.
Non seulement elles furent consolées par l'invisible force de l'éternelle espérance, mais elles soutinrent la charge des peines corporelles; car, bien que chacun eût des servantes, on ne pouvait distinguer la maîtresse de la suivante. Elles s'habillaient toutes de même, toutes couchaient par terre, aucune ne préparait la couche de l'autre, elles ne cherchaient pas même à distinguer le lit de chacune. Les nattes étaient de couleur brune et les oreillers étaient noirs.
Leur cuisine était modeste; elles n'avaient pas de cuisiniers, comme c'est l'usage parmi les nobles, mais elles se servaient de ceux de tout le monde. On jeûnait toute la semaine, selon la pratique des solitaires du désert. Aucune ne versait de l'eau sur les mains des autres, les jeunes femmes ne présentaient pas la serviette aux dames nobles. Les femmes délicates ne se servaient pas de savon, ni d'huiles (parfumées) en signe de joie. On ne les servait pas dans la vaisselle précieuse, ni dans des coupes de joie. Pas d'introducteur à leur porte, pas d'invitations chez les gens illustres; on eût dit qu'elles ignoraient si elles avaient eu des frères et des soeurs, des gouvernantes affectionnées ou des parents bien-aimés.
Les baldaquins et les lits des jeunes épousées étaient couverts de poussière et enfumés, et les araignées filaient leur toile dans les chambres nuptiales. Les sièges d'honneur étaient renversés et la vaisselle des festins brisée. On ruina les palais, on démantela les châteaux forts. Les jardins délicieux se séchèrent et se flétrirent et les ceps de vignes furent déracinés. Elles virent de leurs yeux leurs biens enlevés et entendirent de leurs oreilles les cris d'angoisse de ceux qu'elles aimaient. Leurs trésors furent confisqués et il ne resta rien des bijoux qui ornaient leur front.
Les femmes délicates d'Arménie, élevées dans les caresses et la tendresse sur leurs coussins moelleux et leurs litières, se rendaient dans les maisons de prière sans chaussure et toujours à pied. Elles priaient patiemment et faisaient des voeux afin de supporter plus facilement cette grande tribulation. Celles qui dès l'enfance avaient été nourries avec des cervelles de veau et des mets délicatement assaisonnés de gibier, vivaient maintenant d'herbes comme les bêtes sauvages; et elles recevaient cette nourriture avec une grande allégresse, oubliant leurs mets délicats d'autrefois. Leur peau devint brune parce que pendant le jour elles étaient brûlées par le soleil, et que chaque nuit elles dormaient à terre. Les psaumes chantés continuellement étaient les cantiques qui sortaient de leur bouche, et elles trouvaient une parfaite consolation dans la lecture des prophètes.
Elles s'unirent ensemble deux à deux, comme sous un joug spontané et égal, dirigeant leurs sillons vers le paradis, pour arriver sans dévier au port de la paix. Elles oublièrent leur faiblesse féminine, et devinrent comme les hommes fortifiées par le combat spirituel. Elles luttèrent contre les désirs des sens et elles arrachèrent leurs racines qui donnent la mort. Elles vainquirent la ruse par la simplicité, et, par le saint amour, elles effacèrent la couleur livide de l'envie; elles tranchèrent les racines de l'avarice et les fruits de mort avec ses rameaux desséchés. Avec l'humilité, elles réprimèrent l'orgueil, et, avec la même humilité, elles parvinrent à la céleste exaltation. Par leurs prières elles ouvrirent les portes fermées des cieux, et, par la sainte prière, elles firent descendre les anges pour le salut; elles entendirent de loin de bonnes nouvelles, et elles glorifièrent Dieu, qui est dans les cieux.
Les veuves qui étaient parmi elles devinrent les nouvelles épouses de la vertu, et effacèrent l'humiliation du veuvage. Les femmes des prisonniers emprisonnèrent de bon gré les désirs de la chair et participèrent aux tourments des saints captifs. Leur vie les rendit semblables aux valeureux martyrs qui étaient morts; et de loin elles furent des modèles de consolation pour les prisonniers. Elles travaillaient des mains pour se nourrir, et la paye que leur avait allouée la cour, elles la leur offraient chaque année comme un secours et la leur envoyaient pour consolation. Elles se rendirent semblables aux cigales privées de sang qui, par la douceur de leur chant, vivent sans nourriture, en respirant l'air, et nous offrent l'image des êtres incorporels. Les glaces de beaucoup d'hivers se fondirent, le printemps revint et avec lui de nouvelles hirondelles; les hommes mondains se réjouirent, mais elles ne purent voir leurs bien-aimés. Les fleurs du printemps leur rappelaient leurs tendres époux et leurs yeux désirèrent contempler la beauté de leur visage. Les agiles lévriers disparurent et les traces (laissées par) les chasseurs furent effacées. On conserva le souvenir (de leurs bien-aimés) sur des inscriptions, et nulle fête annuelle ne les leur ramena de la terre lointaine. Elles virent leurs places au banquet et elles pleurèrent. Dans toutes les assemblées on se souvint de leurs noms. Beaucoup de monuments furent élevés à leur souvenir, et on y grava le nom de chacun d'eux.
Ainsi leur esprit était agité de toutes parts, elles ne ralentissaient pas dans la vertu. Aux profanes elles apparaissaient comme des veuves affligées et inquiètes; mais leur âme était ornée et consolée par l'amour céleste. Elles ne demandaient plus aux voyageurs lointains : «Quand nous sera-t-il donné, de voir nos bien-aimés »? Mais elles priaient Dieu «qu'ayant commencé avec courage, elles continuassent d'être remplies jusqu'à la fin du céleste amour».
Qu'il nous soit fait, à nous comme à eux, d'hériter de la métropole des biens et d'arriver aux possessions éternelles promises par Dieu à ses fidèles, en notre Seigneur Jésus Christ !

1 Iezdedjord II, roi de Perse.

2 Phantourag ou Phantour ne signifie pas charpentier. (Grand dict. de l'Acad. arm. de Venise. Vis Phagtour, Phantour); mais c'est un nom propre d'homme qui n'est autre que celui de Panthéros, qu'une ancienne tradition juive, qui prit naissance au de siècle de notre ère, dit avoir été le père de Jésus Christ. Celse fut le premier des écrivains qui nous sont connus, à relever cette calomnie (ORIGÈNE, Contra Celsum I,28,32). L'histoire fabuleuse de ce Panthéros forme la base de ce que les Talmuds nous disent de Jésus, et du fameux livre intitulé : Sefer tholedoth Jeschou, postérieur au Talmud. À ces renseignements que M. E. Renan a bien voulu nous communiquer avec son obligeance accontumée, nous ajouterons qu'un savant allemand du 17 e siècle, J. CH. WAGENSEIL, a publié le texte et la traduction du Sefer tholedoth Jeschou, à la fin du t. 2 (p. 1 et suiv.) de son livre intitulé Tela ignea Satanæ Altorf, 1681, 2, VI 4e), et il a réfuté dans une dissertation spéciale les calomnies que ce livré renferme, (op cit., t. 11, P. 25-45). Au surplus, Voltaire, dans son Epître sur la calomnie, a fait également justice de cette absurde légende qui n'a trouvé grâce que dans la Guerre des dieux de Parny. - Cf. aussi le Dictionnaire de Bayle, art. Schomberg, note A, par Leclerc.» (Note de V. LANGLOIS op. cit., t. 2, p. 191, col. 1.)

3 1. Les Perses considéraient le feu comme un être animé.

4 Afin de s'assurer si les Arméniens avaient scrupuleusement accompli les ordres du roi, les mages avaient fixé une mesure de cendres que chaque famille devait produire par an. C'était un crime si le mesure n'était pas remplie.

5 Il semble, d'après ce passage du discours du chef des mages que Vasag, marzban d'Arménie pour les Perses, était présent.


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