MARTYRE DES SAINTES THÈCLE, MARIE, MARTHE, MARIE ET AMA, FILLES DE L'ALLIANCE, C'EST-À-DIRE VIERGES CONSACRÉES À DIEU
(L'an 346 de J.-C.)
fêtées le 6 juin
Un prêtre impie de la ville de Casciaze, nommé Paul, fut dénoncé vers le même temps à Narsès Tamsapor. Ses richesses, qu'on disait immenses, avaient servi de prétexte aux délateurs. Sa maison fut cernée par des soldats, afin qu'il n'échappât personne, et ensuite pillée; le prêtre fut emmené en prison, et des trésors considérables furent saisis chez lui. Des vierges consacrées à Dieu, Thècle, Marie, Marthe et une autre Marie et Ama tombèrent également aux mains des soldats. Elles furent toutes chargées de chaînes, et enfermées avec le prêtre dans une forteresse. Paul comparut le premier devant le tribunal de Tamsapor, qui lui dit : «Si tu fais ce que le roi ordonne, si tu adores le soleil et manges du sang, tu ne perdras rien : ton argent te sera sur-le-champ rendu.» Séduit par cette promesse, ce malheureux, ce fils de l'enfer, loin de résister au tyran, promit de faire tout ce qu'on voudrait, et fit plus encore qu'il n'avait promis : tant il aimait, le misérable, cet argent qui ne devait lui rapporter que le feu éternel ! Cette apostasie du prêtre Paul contrista singulièrement Tamsapor, qui ne l'avait accusé que pour avoir son argent. Après y avoir réfléchi quelque temps, il résolut de lui commander d'égorger de sa propre main les vierges, croyant qu'il ne se résoudrait jamais à cette action honteuse et abominable, et fournirait par cette désobéissance un nouveau prétexte de ne pas lui rendre ce qu'on lui avait pris. Il fait donc amener les vierges, et, les regardant d'un air farouche, il leur dit : «Si vous n'obtempérez pas à l'édit du roi, savoir : d'adorer le soleil et de vous marier, vous allez subir la plus affreuse torture et la mort. J'ai résolu d'exécuter sans délai mes ordres et de sévir contre les rebelles. Personne ne vous tirera de mes mains.» Les vierges lui répondirent à haute voix : «C'est en vain, orgueilleux tyran, que tu voudrai nous épouvanter ou nous flatter. Que n'exécutes-tu au plus tôt tes ordres ? Pour tout au monde nous ne voudrions t'écouter et renier Dieu notre créateur.»
Alors le juge impie fit retirer les vierges de son tribunal, et commanda de les battre cruellement de verges : chacune en reçut cent coups, mais avec tant de courage, qu'au milieu de ce cruel supplice elles s'écriaient : «Non, jamais nous ne préférerons le soleil à Dieu; jamais nous ne serons aussi insensées que vous qui adorez la créature au lieu du Créateur !»
Le tyran prononça contre elles la peine de mort, et en confia l'exécution au prêtre apostat. «Égorge ces vierges, lui dit-il, et je te rends tout.»
Qui pouvait faire reculer cet homme, pris au cÏur de la même passion que Judas, de la même sordide avarice ? L'éclat de l'or et de l'argent avait tellement ébloui ses yeux, que pour ces misérables richesses il ne craignit pas de perdre son âme. Coupable du même crime que Judas, il eut le même sort : comme le traître il se pendit. Je ne sais si son corps creva et si ses entrailles se répandirent : peut-être Judas lui transmit-il cet héritage. Ce traître tua le Sauveur; l'apostat tua aussi Jésus-Christ, qui habitait dans ces vierges; car quiconque a été baptisé en Jésus-Christ a revêtu Jésus-Christ. De tous les deux quel fut le châtiment ? qui souffrit la peine la plus grande ? Comme leur crime à tous les deux est égal et énorme, il ne faut pas douter que la justice divine ne leur réserve dans l'éternité les plus terribles supplices.
Le prêtre avare, aveuglé par cet or qu'il ne devait plus ravoir, trompé par les perfides promesses du tyran, se fait un front d'airain, un cÏur de fer; et, l'épée nue à la main, il s'avance contre les vierges saintes. En le voyant venir elles s'écrièrent : «Lâche pasteur, c'est ainsi que tu te lèves contre ton troupeau, et que tu égorges tes brebis ! Homme rapace, c'est ainsi que, changé en loup, tu ravages le bercail ! Est-ce là le sacrement qui rend Dieu propice, et que naguère nous recevions de tes mains ? Est-ce là le sang, qui donne la vie et que tu offrais à notre bouche ? Toutefois ce fer que tu as tiré contre nous va nous faire trouver la vie. Si nous te précédons au tribunal du juge suprême, ce sera pour lui soumettre notre cause et lui demander vengeance : ce jour n'est pas éloigné, aujourd'hui même t'attend un juste châtiment. Tu nous immoles, parce que nous restons fidèles à Dieu; il est impossible que tu vives plus longtemps après un tel forfait. Malheur à notre assassin ! Mais, va, misérable, mets par notre mort le comble à tes crimes. La mort que tu mérites va tomber sur toi. Que tardes-tu ? hâte-toi de nous ôter la vie, hâte notre délivrance, épargne-nous le funeste spectacle que tu vas étaler bientôt, quand, pendu à une poutre fatale, et luttant en vain contre la corde, on te verra, dans un affreux désespoir, agiter en l'air tes mains et tes pieds, jusqu'à ce que tu tombes dans l'abîme.»
L'apostat, le fils de la perdition, qui avait dépouillé tout sentiment et toute pudeur, n'est pas touché; il lève le glaive, instrument de l'enfer, et, sans aucune émotion, sans aucun tremblement, il fait tomber la tête des vierges, semblant même rechercher la gloire de paraître habile bourreau. Son bras, quoique non exercé au meurtre, ne fut pas fatigué; son glaive, dans sa main novice, ne fut pas émoussé : sans doute, auparavant, il avait eu soin d'en aiguiser la pointe, et la passion de l'or empêcha sa main de trembler. Il ne donna pas un seul signe de crainte, bien qu'il n'eût jamais versé le sang; on ne le vit pas un seul instant rougir, bien que la foule immense le traitât d'odieux et exécrable bourreau. Sans doute il fut instruit au meurtre par celui qui fit boire à la terre, par la main de Caïn, le premier sang de l'homme, celui dont le Seigneur a dit qu'il est homicide dès le commencement.
C'est ainsi que de saintes vierges moururent pour Jésus-Christ. Hosties d'agréable odeur, elles furent présentées chastes et pures à celui qui devait récompenser leurs vertus et leur sacrifice. Ces vierges furent comptées au nombre des martyrs le sixième jour de la lune de juin.
La fin du prêtre apostat fut bien différente. Peut-être n'avait-il jamais lu ni entendu ces paroles que l'Écriture met dans la bouche du riche qui, après avoir recueilli les fruits de son champ, se disait en se félicitant : Maintenant, mon âme, mange, bois, fais des réjouissances; et qui entendit bientôt cette réponse : Insensé, cette nuit même on va te redemander ton âme; et que deviendront toutes tes richesses ? Il en arriva de même à l'assassin des vierges. Il croyait qu'on allait lui rendre ces richesses d'iniquité, pour lesquelles il avait perdu son âme, et cette nuit-là même fut sa dernière nuit. Car le gouverneur, craignant qu'un homme capable de tout oser pour son argent n'en appelât au roi pour le ravoir, ordonna à ses satellites de le mettre à mort. Ceux-ci, pour cacher ce crime, l'étranglèrent la nuit dans sa prison. Quel rapport entre la fin de Judas et celle du prêtre Paul ! Mais Judas peut-être était moins coupable; car au moins il montra du repentir, et c'est même par horreur de son crime qu'il se pendit; tandis que lui, il n'eut ni honte ni repentir, et ne s'en punit pas lui-même, mais périt d'une main étrangère. Cette mort était-elle toute la peine qu'il méritait ? Tout supplice paraîtra léger en comparaison de son crime.