LETTRE DES ÉGLISES DE VIENNE ET DE LYON, SUR LE MARTYRE DE L’ÉVÊQUE SAINT POTHIN ET PLUSIEURS AUTRES

(l’an de Jésus Christ 177)

fêtés le 2 juin

Les serviteurs du Christ qui demeurent à Vienne et à Lyon, dans la Gaule, à leurs frères d'Asie et de Phrygie, qui ont la même foi, et qui espèrent au même Rédempteur, la paix, la grâce et la gloire leur soient données par la Miséricorde de Dieu le Père, et l'entremise de Jésus Christ notre Seigneur.
Nos paroles ne pourront jamais exprimer, ni notre plume dépeindre tous les maux que l'aveugle fureur des gentils leur a inspirés contre les saints, ni tout ce que leur cruelle animosité a fait endurer aux bienheureux martyrs. Notre ennemi commun a ramassé toutes ses forces contre nous; mais ayant formé le dessein de notre perte, il y a travaillé peu à peu, et il a commencé d'abord à nous faire sentir quelques marques de sa haine. Il n'a rien oublié de tout ce que ses noirs artifices lui ont su fournir de moyens pour perdre les serviteurs de Dieu; il n'y a ni affronts, ni injures, ni tourments que sa malignité ne lui ait fait employer contre eux. Il a accoutumé insensiblement ses ministres à les haïr, et leurs mauvais traitements ont été comme les préludes des excès auxquels ils se sont portés. Non seulement on chassait les fidèles des maisons, des bains, de la place publique; mais on ne souffrait pas même qu'aucun d'eux parût quelque part.
Mais la Grâce de Dieu a combattu pour nous, et le démon a été honteusement vaincu. Cette Grâce toute-puissante ayant mis les plus faibles hors de l'attaque, et à l'abri du péril, elle n'a exposé que les plus braves aux traits de l’ennemi. Ceux-ci, comme autant de fermes colonnes, sont demeurés inébranlables à toutes ces secousses; et opposant leurs corps à l'impétuosité des coups de leurs adversaires, ils ont eux seuls soutenu vaillamment toute l’effort du combat. S'étant donc avancés vers cet implacable ennemi, et l'ayant joint de près, ils se sont vus d'abord couverts de toutes sortes d’opprobres; mais foulant aux pieds tout ce qui semble le plus pénible à la nature, et le plus formidable à la pensée, ils n'ont eu en vue que la gloire que le Christ leur offrait; ils ont marché vers elle, montrant aux hommes par leur exemple à ne point craindre les maux de cette vie, qui n'ont aucune proportion avec le bonheur de l'autre. Ils ont donc essuyé avec une constance admirable les clameurs d’un peuple furieux, ses emportements, sa férocité : ils ont souffert d'être frappés, traînés sur le pavé, dépouillés de tous leurs biens, accablés sous des monceaux de pierres, jetés dans des prisons obscures; en un mot, ils ont éprouvé tout ce qu'une populace brutale et livrée à l'esprit de haine, aurait pu entreprendre contre les ennemis les plus conjurés à sa ruine.
Mais pour observer quelque ordre dans cette relation, vous saurez, nos très chers frères, que ces serviteurs de Dieu, après avoir passé par ces diverses épreuves, furent enfin conduits dans la place publique par un tribun et par les magistrats de la ville; et là, ayant été interrogés en la présence d'une foule de peuple, et, sur leur confession, jugés coupables, on les fit entrer en prison jusqu'à l'arrivée du président envoyé par l'empereur. Quelques jours après, ce président étant venu à Lyon, on les amena devant lui; mais ce juge passionné les traita d'abord avec tant de dureté, que Vettius Epagathus, qui se trouva présent, ne put s'empêcher d'en témoigner de l'indignation. Il était chrétien, et brûlait d'un ardent amour Dieu, et d'une charité toute sainte pour le prochain. Ses mœurs, au reste, étaient si pures, et sa vie si austère, que quoique dans un âge peu avancé on le comparait au saint vieillard Zacharie : car il marchait dans toutes les voies du Seigneur, et accomplissait ses préceptes, sans donner le moindre sujet de plainte à personne; toujours prêt à servir Dieu, l’Église et le prochain; toujours animé du zèle de la gloire de son Maître; toujours rempli de ferveur pour le salut de ses frères. Étant donc tel que nous venons de le représenter, il ne put souffrir l’inique procédure du gouverneur; mais se laissant aller aux mouvements d'une juste colère, il demanda qu'il lui fût permis de dire un mot pour défendre l'innocence de ses frères, s'offrant à montrer que l'accusation d’impiété et d’irréligion, dont on les chargeait n'était qu'une pure calomnie. Mais il s'éleva à l'instant contre lui mille voix confuses aux environs du tribunal (car il était fort connu dans la ville ), et le juge, piqué d'ailleurs de la demande toute raisonnable qu'il lui avait faite, de pouvoir parler en faveur des accusés, lui ayant demandé à son tour s'il était chrétien, il le confessa hautement, et à l'heure même il fut mis avec les martyrs; le juge lui ayant donné par raillerie le nom glorieux d'avocat des chrétiens, et faisant sans y penser son éloge en un seul mot. Mais Vettius Épagathus avait lui-même le saint Esprit pour avocat, qui le protégeait et le remplissait avec bien plus d'abondance encore que Zacharie : puisqu’il lui inspira de se présenter à une mort certaine pour la défense de ses frères; en quoi il se montra véritablement le propre frère du Christ et le parfait imitateur de l’Agneau, qu'il suit maintenant partout dans le ciel.
Cet exemple anima les autres chrétiens, qui firent gloire de se faire connaître et de se distinguer des païens, parmi lesquels ils étaient demeurés jusque alors confondus. Il y en eut plusieurs qui, s'étant depuis longtemps disposés à tout événement, se montrèrent prêts à mourir, et se mettant à la tête des fidèles, prononcèrent, avec une joie, qui éclata sur leur visage et dans le son de leur voix, la confession des martyrs. Mais il y en eut d'autres qui, pour ne pas s'être exercés à ce combat, et pour y être venus sans s'être revêtus de force, ou du moins sans s'être consultés sur leur faiblesse, en donnèrent de tristes marques. Il s'en trouva environ dix qui, par leur déplorable chute, nous causèrent une vive douleur et firent couler des pleurs parmi la joie que nous ressentions d'avoir confessé Jésus Christ. L’affliction fut générale, et elle passa jusqu'à ceux qui n'ayant pas encore été découverts, se tenaient près des martyrs pour les fortifier, et qui ne les quittaient pas de vue, quoiqu'ils s'exposassent par là à un très grand danger.
Saisis d'une crainte mortelle, nous demeurions dans une cruelle incertitude touchant, l'événement qu'aurait cette affaire : non que les tourments ni la mort nous fissent peur, mais n'osant envisager l'avenir qu'avec tremblement, nous appréhendions toujours que quelqu'un des nôtres ne vint à succomber sous nos yeux. Il est vrai que le nombre de ceux qui étaient tombés fut bientôt heureusement compensé par l'arrivée des fidèles les plus considérables, que l'on arrêtait chaque jour; en sorte que les premiers de l’une et de l'autre Église, et qui par leur zèle et leurs travaux les avaient fondées, furent tous mis en prison. Il y eut aussi de nos esclaves qui, quoique païens, furent arrêtés, le gouverneur ayant donné des ordres très précis de ne laisser échapper aucun de nous ni des nôtres. Mais ces âmes basses et serviles, ces perfides serviteurs, ou effrayés par la vue des supplices qu'ils voyaient souffrir à leurs maîtres, ou poussés par le démon, cet esprit de mensonge, ou incités par les soldats, gens peu religieux, renouvelèrent contre nous les anciennes et affreuses calomnies dont les païens ont si souvent noirci notre réputation et l'innocence de l'Église. Ils nous reprochèrent ces repas sanglants de Thyeste, et ces embrassements incestueux d’Œdipe, et d'autres forfaits, auxquels nous n'osons penser, et que nous osons encore moins écrire, ni croire qu’il se puisse trouver un seul homme qui les ose commettre.
Cependant, à peine ces fausses accusations eurent-elles
été répandues parmi le peuple, que les esprits se déchaînèrent contre nous avec tant de furie, que si jusque alors
il s'était rencontré quelqu'un qui par quelque liaison de sang ou d’amitié se fût montré modéré en notre endroit, cette déposition forcée de crimes imaginaires l’aliénait aussitôt, et le rendait notre plus cruel ennemi. On voyait s'accomplir alors cette prédiction du Seigneur : «Il viendra un temps qu'on croira faire un acte de religion en vous faisant mourir.» Et en effet, les saints martyrs eurent à souffrir des tourments si horribles, que le démon sc promettait sans doute que leur constance pourrait enfin être vaincue, ou, leur foi ébranlée.
Mais la fureur du président el l'animosité du peuple et des soldats s'attacha particulièrement à la personne de Sanctus, natif de Vienne, et diacre de l'Église de Lyon. Maturus n'y fut pas moins exposé, non plus qu'Attale de Pergame. Celui-là n'était encore que néophyte; mais il montra une générosité digne d'un ancien athlète du Christ, et celui-ci fut toujours un appui et une ferme colonne de notre Église. Enfin la considération du sexe, respectable, aux nations les plus barbares, ne put garantir Blandine; mais le Christ voulut faire voir en la personne de cette femme, que ce qui paraît vil aux yeux des hommes, mérite, souvent que Dieu l'honore Lui-même, parce qu'Il y voit une charité ardente et solide, qui, se souciant peu d'éclater au dehors par une vaine apparence, se réserve toute pour quelque action héroïque.
Nous étions saisis d'appréhension pour elle; et surtout sa maîtresse, qui combattait elle-même vaillamment parmi les autres martyrs, ne pouvait dissimuler la crainte où elle était que la complexion délicate de son esclave venant à succomber sous la violence des tourments, elle ne manquât de force pour confesser Jésus Christ. Mais le grand cœur de Blandine soutint de telle sorte la faiblesse de son corps, que les bourreaux, qui depuis le matin jusqu'au soir se relayant sans cesse, avaient épuisé sur elle tout ce que leur cruauté leur avait suggéré de supplices différents, se virent contraints de se rendre. et, se confessant vaincus par une jeune fille, d'avouer qu'ils ne pouvaient concevoir comment l’âme pouvait encore demeurer dans un corps si déchiré et percé de toutes parts; un seul de tourments qu'elle eut à subir étant plus que suffisant pour la faire sortir par tant d'ouvertures. Mais cette admirable
esclave, ainsi qu'un invincible athlète, reprenait de nouvelles forces, lorsqu'on changeait de supplices; elle trouvait dans la confession du Nom de Jésus Christ une vertu secrète qui la rendait presque insensible à la douleur; elle cessait de souffrir, toutes les fois qu'elle prononçait ces paroles : «Je suis chrétienne; il ne se passe rien de criminel parmi nous.»
D'un autre côté, Sanctus soutenait avec un courage au-dessus de la nature tout ce que la cruauté la plus raffinée des hommes lui faisait endurer; et quoique ces impies espérassent à tout moment que la violence de tant de maux lui arracherait enfin quelque parole illicite ou peu religieuse, il trompa si bien leur attente, qu’ils ne purent savoir de lui ni son nom, ni de quelle province il était, ni le lieu de sa naissance, ni s’il était libre ou esclave; mais ne répondant à leur interrogatoire que ces mots en langue romaine : «Je suis chrétien» il comprenait dans cette seule parole son nom, son pays, sa race, sa condition et généralement tout ce qu'il était. Ce silence ne servit qu'à rendre la fureur du président et de ses ministres encore plus opiniâtre; jusque-là qu'après avoir employé en vain contre cet invincible martyr tous les tourments dont ils purent s'aviser, ils eurent enfin recours à des lames de cuivre ardentes, qu'ils appliquèrent aux parties de son corps les plus délicates et les plus sensibles. Le feu fit son effet; mais le martyr, immobile dans sa foi, ne le fut pas moins dans la situation où il tint son corps. Jésus Christ, versant alors sur ses membres brûlés cette eau vive, dont Il est la source, en tempérait l'ardeur mortelle. Enfin ce n'était plus un corps humain, ce n'était qu'un amas confus de chairs percées, déchirées, sanglantes, à demi consumées. À peine y pouvait-on apercevoir quelque figure; tous les membres en étaient ou rétrécis, ou mutilés, ou n'occupaient plus leur place naturelle; mais ce corps, tout défiguré qu'il était, ne laissait pas d'avoir le Christ pour âme, le Christ qui souffrait en lui, et qui opérait en lui des merveilles dignes de sa Toute-Puissance. Il se servait de ces restes informes de la cruauté d'un tyran pour confondre l'ennemi, pour le vaincre et pour détruire son pouvoir. Il s'en servait pour apprendre aux fidèles que la Charité du Père doit bannir toute crainte, et que la vue de la Gloire du Fils doit enlever tout sentiment de douleur. Car ces monstres altérés de sang ayant repris le saint martyr pour le tourmenter de nouveau, ils s'imaginèrent que s'ils remettaient le fer et le feu dans ses plaies, dont l'inflammation était portée au plus haut degré, sa constance serait enfin vaincue par une tourment si effroyable; puisqu'en cet état à peine peut-on souffrir le plus léger contact de la main la plus douce et la plus légère; ou que, rendant enfin l'esprit parmi de si horribles souffrances, il jetterait l'épouvante dans l'âme des autres. Mais rien n'arriva de ce qu’ils prétendaient; car, contre l'attente de chacun, son corps parfaitement rétabli se trouva prêt à endurer de nouveaux supplices; en sorte que cette seconde épreuve fut moins une nouvelle torture qu’un appareil et un remède à ses premières blessures.
Biblis était du nombre de ceux qui avaient renoncé à Jésus Christ. Le démon la comptait parmi ses captifs, mais il voulait encore l'obliger à joindre le blasphème à l’infidélité. Il la conduisit donc au lieu où l’on tourmentait les martyrs; et ayant déjà éprouvé sa faiblesse, il espérait lui faire dire tout ce qu'il voudrait au désavantage des chrétiens. Mais elle revint à elle dès qu'elle eut jeté les yeux sur les divers supplices, qui lui remirent dans la pensée ceux de l'enfer. Et comme sortant d’un profond assoupissement, elle s'écria : «Méchants que vous êtes, comment osez-vous accuser les chrétiens de manger de la chair d'enfant, eux à qui il n'est pas permis de toucher au sang des bêtes ?» S'étant ainsi de ce moment confessée chrétienne, elle fut aussitôt réunie aux martyrs.
Ces divers tourments ayant été employés sans effet, et le Christ, par la force de sa Grâce, en ayant émoussé toute la pointe, et rendu la constance des martyrs victorieuse, le démon en inventa un des plus cruels. Il fit en sorte qu'on les jetât dans une prison incommode et obscure, et là qu'on apportât une machine de bois, dans laquelle on mettait leurs pieds qu'on écartait avec violence jusqu'au cinquième trou de la machine, ou on les arrêtait avec une corde. Et en cet état, le plus horrible qu'on se puisse imaginer, les bourreaux, animés par le souffle du démon et crevant de dépit de s'être vus si souvent vaincus par des gens à demi morts, ramassaient contre eux tout ce que l’art de tourmenter les hommes leur avait appris. Ce dernier effort fut si terrible, que plusieurs en mouraient, Dieu le permettant ainsi pour sa Gloire. Pour les autres, ils n'attendaient de moment en moment que la mort; car les supplices qu’ils avaient éprouvés avaient été si violents, qu’on ne croyait pas qu’ils y dussent survivre, quand même on eût pris soin de leurs plaies. Cependant, quoique abandonnés des hommes, ils ne le furent pas de Dieu, qu'ils venaient de confesser. Il veillait à leur conservation, et Il rendit la santé à leur corps, en même temps qu'il accroissait la force, et la vigueur de leur âme. Leurs paroles mêmes et leur exemple consolaient et fortifiaient tout ensemble ceux qui étaient avec eux. Mais les nouveaux confesseurs qu’on avait arrêtés depuis peu, et dont le corps n'était pas encore accoutumé à tant de fatigues, périrent tous dans la prison en très peu de temps.
Cependant le bienheureux Pothin, qui gouvernait alors
l’Église de Lyon, et qui à l’âge de près de cent ans, et dans un
corps cassé de vieillesse, faisait paraître les sentiments d'une
âme jeune et vigoureuse, était porté par des soldats, et conduit au pied du tribunal. La vue prochaine du martyre faisait
luire sur son visage l'expression d'une joie vive. Ses membres,
exténués par ce grand nombre d'années et par les efforts
d'une maladie, ne retenaient plus son âme que pour faire
triompher Jésus Christ par elle. Le peuple et les magistrats
le suivaient, le couvrant d'opprobres, comme s'il eut été
lui-même le Christ, pour qui ils ont tant d'horreur. Le saint
vieillard rendit alors un illustre témoignage à la Divinité
de son Maître, car le président lui ayant demandé, quel était
le Dieu des chrétiens, il lui répondit : «Tu pourras Le connaître, si tu t'en rends digne.» Mais à peine avait-il achevé de parler, que le peuple se jeta sur lui avec toute l'impétuosité des animaux les plus féroces. Ceux qui se trouvaient le plus près l'attaquaient à coups de poing et de pied, sans aucun respect pour son âge, et ceux qui en étaient éloignés saisissaient tout ce qui tombait sous leurs mains, et le lançaient contre lui; les uns et les autres croyant commettre un crime s'ils eussent gardé quelque modération en cette rencontre, et se faisant au contraire un mérite auprès de leurs dieux d'un emportement si opposé à la raison et à la nature. Enfin, le saint évêque, presque expirant, fut jeté dans une prison, où il rendit son âme deux jours après.
Mais il arriva, par une singulière disposition de la Providence et par la Miséricorde intime de Jésus Christ, que ceux qui avaient renoncé d'abord à la foi lorsqu'on les avait arrêtés, furent confondus avec les martyrs, et jetés indifféremment dans les prisons. Ce fut en vain qu'ils alléguèrent leur changement; l'apostasie leur fut inutile; elle ne servit même qu'à les rendre plus infâmes. Car ceux qui avaient toujours persisté dans la généreuse confession du christianisme ne furent traités que comme chrétiens, sans qu’on leur imputât d'autre crime; au lieu que ces lâches déserteurs furent traités comme des homicides et des scélérats, et avec une rigueur beaucoup plus grande. Outre que la joie que les premiers goûtaient d’avoir confessé Jésus Christ, l’amour tendre qu'ils sentaient se redoubler pour Lui dans leur cœur, et l'espoir de la récompense, rendaient leurs chaînes légères, et adoucissaient leurs peines, pendant que les autres éprouvaient les remords cuisants d'une conscience troublée et criminelle. On voyait briller sur le visage des martyrs l'allégresse jointe à une douce gravité, et une majesté pleine de grâces. Ils paraissaient ornés de leurs liens, comme une épouse est parée de ses bracelets, et des franges d’or qui bordent sa robe; et ils répandaient autour d'eux l'odeur toute céleste de Jésus Christ, mais si agréable et si douce, que plusieurs crurent que les parfums les plus exquis de l'Asie s’exhalaient de leurs corps sacrés. Les autres au contraire avaient une contenance embarrassée et une démarche chancelante; l'œil morne, la tête penchée, le visage d'un rouge obscur que la confusion y répandait; défaits, hideux, et traînant des habits pleins d'ordures, servant d'objet, aux sanglantes railleries des païens, qui leur reprochaient leur lâcheté; en un mot, après avoir perdu le beau nom de chrétiens, ils ne passaient plus que pour des meurtriers, dont le nom infâme leur restait pour l’unique récompense de leur désertion. Ce spectacle, digne d’horreur tout ensemble et de pitié, ne contribua pas peu à affermir les autres dans la foi; et si quelque chrétiens venait à être pris, il n'attendait pas pour confesser qu'on l'y forçât, dans la crainte que le démon ne se servît de ce délai pour inspirer quelque pensée qui pût tant soit peu ébranler sa fermeté.
Quelques jours s'étant écoulés, on songea à terminer le martyre de nos saints confesseurs par divers genres de mort : la Providence le permettant ainsi, afin qu'ils pussent offrir à Dieu une couronne variée de toutes sortes de fleurs, et que
le mélange des couleurs la lui rendit agréable. D'ailleurs, il était juste que ces vaillants athlètes qui avaient soutenu divers
combats, et qui avaient remporté plus d'une victoire, fussent
ceints enfin de la couronne immortelle. On destina donc
Maturas, Sanctus, Blandine et Attale, pour l'amphithéâtre, et
l'on choisit en leur considération un jour extraordinaire, pour
donner un spectacle public de l’inhumanité païenne. Sanctus
et Maturus repassèrent tout de nouveau par les tourments
qu'ils avaient déjà essuyés, comme s'ils n'eussent encore rien
souffert; ou plutôt comme d’invincible tenants, qui, après
avoir terrassé leur ennemi, ne combattent plus que pour la
gloire.
Ils virent d’abord couler leur sang par mille cicatrices à demi fermées, qui se rouvrirent sous la violence des fouets, par les morsures des bêtes, et par tous les autres supplices qu'un peuple furieux inventait sur l’heure, et qui étaient aussitôt exécutés par les bourreaux, attentifs aux moindres signes des spectateurs. Enfin le peuple demanda qu'on plaçât les martyrs sur la chaise de fer rougie au feu. Les membres des soldats du Christ exhalaient dans tout l'amphithéâtre une odeur qui eût été insupportable à tout autre qu’à un peuple cruel qui en faisait ses délices. Mais sa fureur ne fut pas encore satisfaite, et la constance des martyrs ne fit que l'enflammer davantage. Cependant toute cette rage ne put jamais tirer de la bouche de Sanctus d'autre parole que celle qu'il n'avait cessé de proférer dès le commencement de son martyre; il le consomma enfin par un coup d'épée qu'il reçut dans la gorge. Maturus finit le sien de la même manière, et tous deux occupèrent durant un jour entier l'attention d’un nombre infini de personnes, fournissant eux seuls un spectacle que plusieurs paires de gladiateurs avaient accoutumé de remplir.
Quant à Blandine, ayant été attachée à un poteau, elle fut exposée aux bêtes. Les compagnons de son combat reprirent de nouvelles forces et se sentirent remplis d'une joie surnaturelle, en la voyant attachée à peu près de la même manière que Jésus Christ le fut à la croix. Ils tirèrent un heureux présage pour la victoire de ce que, sous la figure de leur sœur, il leur semblait apercevoir Celui qui avait été crucifié pour eux; et ils marchèrent à la mort, persuadés que quiconque meurt pour la Gloire de Jésus Christ reçoit une vie nouvelle dans le sein même du Dieu vivant. Cependant les bêtes n'ayant osé la toucher, elle fut détachée et reconduite en prison, pour être ramenée plus tard au combat, et pour achever d'abattre entièrement l'ennemi déjà vaincu tant de fois.
Sur ces entrefaites, le peuple avec de grands cris demandait Attale, et voulait qu'on le livrât sur-le-champ au supplice. C'était, comme nous l'avons dit, un personnage considérable par sa naissance et par son mérite. Il entra hardiment sur le champ de bataille, prêt a combattre, le témoignage de sa conscience lui faisant espérer de vaincre; car il avait passé toute sa vie dans une observation très exacte de la loi chrétienne, et il avait toujours été parmi nous le témoin de la vérité. On lui fit faire le tour de l'amphithéâtre, ayant devant lui un écriteau sur lequel on lisait ces paroles en langue latine : Attale chrétien. Le peuple s'échauffait de plus en plus, et ne cessait de demander sa mort; mais le président, ayant appris qu'il était citoyen romain, le renvoya en prison avec plusieurs autres martyrs. Cependant il écrivit à César pour savoir de lui de quelle manière il devait en user envers tant de personnes qu'il avait fait arrêter.
Mais ce retard ne fut pas inutile; car pendant que le gouverneur attendait les ordres de l'empereur, le Christ faisait luire, dans la prison un rayon de sa Miséricorde. Plusieurs membres morts furent ranimés par le secours de ceux qui étalent vivants, et ceux qui étaient demeurés fidèles obtinrent grâce pour leurs frères qui étaient malheureusement tombés dans l'infidélité. L'Église, qui est vierge et mère, fut comblée de joie en voyant ses enfants infortunés dont elle pleurait le funeste trépas. Cette résurrection miraculeuse fut l’effet de la charité de ces illustres martyrs, qui les firent rentrer dans le sein maternel, où ils furent conçus de nouveau, reprirent des organes et des traits, et ayant renouvelé la chaleur vitale, apprirent enfin à confesser la foi. Étant donc rappelés à la vie, et ayant renouvelé leurs forces par la Bonté de Dieu, qui, loin de vouloir la mort du pécheur, fait toutes les avances pour l'exciter au repentir, ils se présentèrent une seconde fois pour être interrogés par le gouverneur; car il avait reçu de l'empereur un rescrit qui portait que ceux qui confesseraient fussent exécutés sans délai mais que l'on renvoyât absous ceux qui renonceraient.
Un jour donc où l'on tient à Lyon un marché solennel durant lequel on donne toute sorte de spectacles au peuple, ce qui y attire du monde de toutes les provinces voisines, le gouverneur séant sur son tribunal se fit amener le bienheureux martyrs, les faisant repasser comme en revue devant le peuple. Il leur fit subir un nouvel interrogatoire; et les ayant, sur leur confession, condamnés à mort, ceux qui se trouvèrent être citoyens romains eurent la tête tranchée les autres furent abandonnés aux bête.
Mais ce fut une grande gloire pour le Christ, lorsque l'on entendit ceux qui l’avaient renié d'abord, le confesser maintenant, à la grande surprise et contre l'attente des païens. Car ces heureux pénitents étant interrogés à part, seulement pour la forme et comme devant être renvoyés aussitôt, le juge fut fort surpris de les entendre confesser Jésus Christ et de les voir se mettre volontairement au rang des martyrs. Quant à ceux qui n'avaient conservé aucun vestibule de la foi, et qui, n'ayant ni crainte de Dieu ni respect pour la robe nuptiale dont ils avaient été revêtus au baptême, étaient devenus des enfants de perdition et déshonoraient par une vie toute criminelle la sainteté de la religion qu'ils professaient; ceux-là, dis-je, demeurèrent séparés, et ne se joignirent point aux fidèles. Mais les véritables chrétiens se réunirent et se tinrent près des saints confesseurs qu'on interrogeait.
Parmi eux se fit remarquer un Phrygien nommé Alexandre, qui exerçait la médecine. Il y avait déjà plusieurs années qu'il demeurait dans les Gaules. C'était un homme révéré de tous les fidèles pour son ardente charité envers Dieu, et pour cette liberté avec laquelle il prêchait la foi de Jésus Christ; car il avait reçu de Lui une grâce véritablement apostolique. Il s'était approché du tribunal, et par des signes redoublés exhortant ceux qui subissaient l'interrogatoire à demeurer fermes dans la foi, il semblait une mère qui les enfantait à la véritable vie. Le peuple, qui s'en aperçut, et qui était au désespoir de ce que ceux qui avaient renoncé la foi la confessaient maintenant, tourna toute sa rage contre Alexandre, comme étant l'auteur de ce changement, que les païens considéraient comme un crime énorme; et l’ayant sur l'heure déféré au gouverneur, ce magistrat lui demanda qui il était. Il répondit qu'il était chrétien; ce qui ayant mis le juge en colère, il le condamna aux bêtes. Le lendemain donc on le vit entrer avec Attale dans l'amphithéâtre; car le président, pour faire plaisir au peuple, avait résolu d'exposer encore celui-ci aux bêtes. Ainsi l'un et l'autre, après avoir enduré tous les tourments ordinaires de l’amphithéâtre, furent égorgés. Alexandre ne poussa pas un soupir; mais se retirant, pour ainsi dire, tout en lui-même, il ne cessa de s'entretenir avec Dieu. Pour Attale, comme on l'eut mis sur la chaise de fer, et que son corps à demi rôti envoyait de toutes parts une odeur de graisse très incommode, il s'adressa au peuple, et lui parlant latin : «C'est ce que vous faites maintenant, lui dit-il, qu'on peut appeler manger de la chair humaine. Pour nous autres, nous ne savons ce que c'est que de faire de ces horribles repas.» Et comme on lui demandait quel était le Nom de Dieu : «Dieu, répondit-il, n'a pas un nom comme un homme.»
Enfin le dernier jour des spectacles, Blandine parut encore dans l'amphithéâtre, accompagnée d'un jeune enfant âgé d'environ quinze ans, nommé Ponticus. On les y avait fait entrer les jours précédents, afin que la vue des tourments que les autres martyrs enduraient fit quelque impression sur leur esprit, et les disposât à faire ce, qu'on voulait d'eux : c'est-à-dire de jurer par les idoles. Comme on vit qu'ils persistaient clans leur refus, et qu'ils ne témoignaient que du mépris pour ces vains simulacres, le peuple entra contre eux en une telle fureur, que, sans avoir égard ni à l'âge ni au sexe, on leur fit souffrir toute sorte de tourments, sans leur donner le temps de respirer; et lorsqu'on les faisait passer d'un supplice à un autre, on continuait toujours à les vouloir contraindre de jurer par les dieux. Mais leur constance fut insurmontable. Car Ponticus, soutenu par les vives et pressantes exhortations de la sainte compagne de ses épreuves, rendit son âme innocente au milieu des tortures; la bienheureuse Blandine demeura la dernière sur l'arène, qui paraissait couverte des corps des autres martyrs, et teinte de leur généreux sang. Elle pouvait alors se regarder comme la noble mère de plusieurs héros, qui, après les avoir animés au combat par son exemple, les envoie devant elle tout brillants de gloire à la cour du grand roi; puis, se hâtant de les rejoindre, s'élance par le même chemin où elle les a vu marcher. On eût dit, à voir la joie qui éclatait sur son visage, qu'elle était invitée à un banquet délicieux, et non qu'elle allât elle-même être la proie des lions et des ours. Après donc que les fouets eurent presque achevé d'épuiser ses veines du peu de sang que les tourments déjà soufferts y avaient laissé; après que les bêtes l'eurent longtemps traînée sur le sable, qu'elles lui eurent fait autant de blessures qu'elles imprimèrent de fois leurs dents meurtrières sur sa chair tendre et délicate, elle fut enfermée dans un rets, et abandonnée à la merci d'un taureau furieux. Il s'en joua d'abord, et l'enleva plusieurs fois en l’air; mais l'âme de la vierge unie au Christ et toute possédée de l'attente prochaine d'une félicité que sa foi lui rendait présente, rendait son corps insensible. Enfin, comme une victime pure et obéissante, elle tendit la gorge au glaive qui l'immola comme une victime, jamais femme, de l'aveu même des païens, n'ayant souffert ni tant de tourments, ni de si cruels.
La mort ne put mettre les saints martyrs à l'abri de la fureur des infidèles. Le démon, qui avait excité cette rage, ne pouvait souffrir qu'elle s'éteignît sitôt; mais soufflant ce feu infernal, il lui donna une nouvelle ardeur qui recommença à agir contre des corps privés de sentiment, dont on venait d'arracher la vie. La raison et l’humanité n'avaient plus de place dans l’âme de tout ce peuple ni du gouverneur. La honte d'avoir été, vaincus ne les touchait pas; ils n'étaient sensibles ni aux remords, ni à la compassion; et leur injuste haine s'allumait avec d'autant plus de force, qu'elle ne trouvait en nous aucune matière propre à l'allumer, puisque nous ne leur rendons pas haine, pour haine. Mais cela arrivait afin que l'Écriture s'accomplît : «Que la malice du méchant croisse encore, dit-elle, et que la justice du juste augmente toujours.» Ces hommes, abdiquant jusqu'à la nature, jetèrent aux chiens les corps de ceux qui, avaient péri dans la prison, veillant avec soin à ce qu'aucun des nôtres ne vînt les arracher à ces animaux, et leur donner quelque sépulture. Ensuite ramassant tous ces membres épars, restes pitoyables des bêtes et des flammes, et y joignant les troncs sanglants et les têtes qui en avaient été séparées, ils en élevèrent un trophée à leur cruauté, qu'ils firent garder jour et nuit par des soldats. Les uns grinçaient des dents et frémissaient de rage contre ces saints, tout morts qu’ils étaient; ils allaient cherchant dans ces cadavres quelque endroit qui pût encore servir d'objet à leur fureur; ils eussent souhaité de leur pouvoir rendre la vie, pour la leur faire perdre une seconde fois.
D'autres leur insultaient, et donnant mille louanges à leurs dieux, ils attribuaient à leur pouvoir la mort des martyrs, et se réjouissaient avec ces vaines idoles de la vengeance qu'elles
avaient su tirer des ennemis de leur gloire. D'autres un peu plus équitables, et qui semblaient plaindre notre infortune, nous reprochaient notre crédulité. «Où est maintenant leur Dieu, disaient-ils, et à quoi leur a servi de préférer son culte à leur propre vie ?» C'est ainsi que chacun, selon les divers mouvements dont il était agité, manifestait ses impressions d'une manière plus forte ou plus modérée. Cependant nous ressentions une vive douleur de ce qu'il ne nous était pas permis de recueillir ces précieuses reliques. En vain nous voulûmes profiter de l'obscurité de la nuit pour exécuter notre dessein; en vain nous offrîmes une somme considérable pour avoir cette liberté; en vain nous employâmes les plus pressantes supplications; ni les ténèbres ne purent nous favoriser, ni la vue de l'or amollir la dureté de ces hommes impitoyables, ni nos prières les toucher; ils préférèrent à tout cela le plaisir barbare de voir tant de corps privés des honneurs d’un tombeau.
Après donc les avoir laissés durant six jours exposés sur la terre à toute sorte d'ignominies, il s'avisèrent de les brûler, et ils en jetèrent les cendres dans le Rhône, s'imaginant par là pouvoir ôter à Dieu la puissance de ressusciter ces saints martyrs, et aux martyrs l’espérance de retourner un jour, dans leurs corps. «C'est, disaient-ils, cette folle espérance qui fait que ces gens-ci nous viennent apporter une religion nouvelle et inconnue; et c'est cette présomption ridicule qui les fait courir à la mort avec tant de joie et d'empressement. Nous verrons un peu s'ils ressusciteront, et si leur Dieu sera assez puissant pour les retirer de nos mains.»
Pour revenir à nos martyrs, ils avaient mis toute leur étude et toute leur application à imiter le Christ et à former leurs sentiments sur les sentiments de celui qui, possédant l'Être divin, n'a pas cru faire un vol de la Divinité en se disant égal à Dieu. Ainsi, quoiqu'ils fussent parvenus au comble de la gloire, quoiqu'ils eussent confessé plus d’une fois Jésus Christ, qu'ils eussent combattu contre les bêtes et contre les horreurs d’une affreuse prison, quoique leurs membres portassent, les marques glorieuses que le fer et le feu y avaient tracées, quoique enfin leur corps fut tout couvert de blessures et de cicatrices, illustres monuments de leur foi, ils ne croyaient pas mériter le nom de martyrs, et ils ne pouvaient souffrir qu'on leur en donnât la qualité. Et lorsque dans l'entretien il nous échappait de les ainsi, ou qu’ils recevaient des lettres où ils trouvaient ce titre d’honneur, ils en étaient mécontents, et nous en faisaient de douces mais sincères réprimandes. «C'est
au Christ, nous disaient-ils, que ce nom glorieux est dû, comme au fidèle et véritable témoin de la Divinité de son
Père, comme à celui qui est ressuscité le premier d'entre les morts; enfin comme au Principe et à l'Auteur de la Vie. Ceux-là, disaient-ils encore, sont, de vrais martyrs, que Jésus Christ a pris dans le moment même de leur confession, scellant par leur mort leur profession de foi comme avec un cachet mystérieux, et non pas de viles créatures comme nous et de misérables confesseurs.» Et nous prenant ensuite les mains qu'ils arrosaient de leurs larmes, ils nous conjuraient de plier sans cesse pour obtenir une heureuse fin à leurs travaux. Mais en effet, ils faisaient bien voir qu'ils possédaient toutes les vertus des martyrs, dont ils refusaient le nom; la douceur et la patience, et surtout une généreuse hardiesse qui les rendait incapables de la moindre crainte, et prêts à tout souffrir. Ils se sont donc abaissés sous la Main du Tout-Puissant, et cette même Main a pris plaisir à les relever au-dessus de toutes les grandeurs de la terre.
La charité ne régnait pas moins dans leur cœur que l’humilité sur leur esprit. Cette vertu leur faisait prendre la défense de ceux qui étaient opprimés; elle ne leur permettait pas de condamner personne; elle les portait au contraire à avoir de l'indulgence pour tout le monde; mais elle leur défendait surtout de serrer trop fort les liens des pécheurs qui recouraient à la pénitence. Cette même même vertu leur mettait dans le cœur le pardon de leurs ennemis, et dans la bouche des prières ferventes à Dieu en leur faveur, à l'exemple du premier des martyrs, le bienheureux Étienne. Ce fut cette vertu qui déchaîna l'enfer contre eux, lorsque par le mouvement d'un amour sincère et ardent pour leurs frères, ils couraient arracher au serpent infernal celui dont il avait déjà commencé à faire sa proie. Car on ne les vit point agir envers ceux qui étaient tombés avec un zèle amer et plein d'orgueil; mais leur donnant la main pour les aider à se relever, et les soulageant de leur abondance, ils avaient pour eux les sentiments d'une mère tendre et compatissante, et par des torrents de larmes qu'ils répandaient en la Présence du Seigneur, ils obtinrent leur pardon de la Miséricorde. Enfin, comme il avaient toujours aimé la paix, et qu'ils ne nous recommandaient rien avec plus d'ardeur que de conserver la paix, ils méritèrent aussi d'aller à Dieu dans la Paix. Ils ne furent point pour l'Église leur mère un sujet d'affliction, ni pour les frères une occasion de trouble; mais ils laissèrent à tous comme un testament la joie, la concorde et la charité.