LE MARTYRE DES SAINTS JEAN ET PAUL

Fêtés le 26 juin


Sous l'empereur Constantin, l'armée romaine commandée par Gallicanus défit les Perses, qui avaient envahi la Syrie. Gallicanus, ayant reçu les honneurs du triomphe, demanda la main de la fille de l'empereur, la vierge Constantia; il prit son temps pour présenter ses instances, lorsque les Scythes, déjà répandus dans la Dacie et la Thrace, menaçaient l'empire, aussi, les personnages de l'État et le peuple entier, eu égard à sa puissance, appuyaient ses prétentions. Mais Constantin s'en affligeait et sa tristesse grandissait, car il n'ignorait pas que sa fille avait arrêté un plan de vie auquel, rien au monde, pas même la mort, ne la ferait renoncer.
Elle entreprit de rassurer son père et elle lui dit : «Si je n'étais absolument certaine de la protection de Dieu, mes craintes et tes alarmes ne seraient pas déplacées. Mais je ne doute pas de Dieu, laisse donc ton angoisse et consens à notre mariage; dis-lui que, s'il est vainqueur des Scythes, il sera tout ensemble victorieux, consul et époux; mais que, en reconnaissance de notre gracieuse promesse, il m'envoie jusqu'au jour de notre mariage, les deux jeunes filles qu'il a d'un premier lit, qu'il prenne par contre auprès de lui Jean et Paul, l'un comme intendant, l'autre comme primicier, afin qu'il apprenne à me connaître par ce que lui en diront les gens de mon service, et que moi je questionne ses filles sur ses habitudes, ses goûts et sa manière de vivre.» Tout se passa ainsi que Constantia le désirait, les deux frères eunuques furent auprès de la personne de Gallicanus comme les arrhes de la promesse, et les deux sÏurs, filles du général, furent amenées au palais, où elles récurent des leçons d'arts libéraux; elles en profitèrent tellement qu'on eût rencontré difficilement un homme qui les égalât; ces jeunes filles avaient nom Attica et Artemia.
Lorsque Constantin apprit leur arrivée, il leva les mains au ciel et dit : «Seigneur Dieu tout-puissant, qui m'as guéri de la lèpre par l'intercession de ta martyre Agnès et qui m'as miséricordieusement montré la voie de la crainte divine; qui as ouvert le lit nuptial de la Vierge, ta Mère, dans lequel tu t'es révélé époux et fils, tu as été engendré de Marie et tu engendres Marie; tu as été allaité par Marie, et toi qui nourris le monde, tu nourris aussi celle qui t'a allaité; tu as grandi, petit enfant, à mesure que tu prenais de l'âge, toi qui accordes à l'univers sa croissance; tu as progressé en sagesse, toi qui es la sagesse; tu es si grand que rien n'est plus magnifique que toi, toi homme véritable né d'une femme dans le temps, et Dieu véritable engendré d'un père sans avoir eu de mère; Dieu de Dieu, tu as fait ce qui n'était pas; tu as été procréé par une mère sans avoir eu de père; tu as relevé ceux qui étaient tombés, tu as l'éclat de la lumière, toi qui illumines tout homme venant en ce monde. Ainsi que tu l'as ordonné, c'est avec foi que je t'adresse ma prière, je t'en conjure, besogneux de ce que tu as promis par ces paroles : «Je vous dis, en vérité, tout ce que vous demanderez à mon père en mon nom vous sera donné.» Je te demande donc, Seigneur, de te gagner ces filles de Gallicanus et Gallicanus lui-même, qui s'efforce de m'arracher à ton service; engage-le à ta foi et à ta chasteté. Ouvre ma bouche, Seigneur, et ouvre leurs oreilles à mes discours, ouvre-moi l'entrée de leur volonté, et donne à mes paroles une telle force de persuasion qu'elles repoussent le plaisir charnel et désirent se consacrer à toi, enfin que ce désir même les enflamme d'amour pour ta couche céleste, qu'elles y arrivent la lampe pleine d'huile et embrasées des feux de la charité, afin que, ayant pris place parmi les vierges sages, se glorifiant dans ta miséricorde, elles ne souhaitent plus rien de terrestre et te désirent seul de toute l'ardeur de leurs cÏurs.»
Nous tenons cette prière du récit que nous fit Constantia; elle avait d'ailleurs pris la peine de l'écrire. Je passe sous silence ce qui a trait à la conversion d'Attica et Artemia, afin d'en venir sans retard à ce qui concerne Gallicanus. Rentré vainqueur, il avait été reçu par Constantin, Constant et Constance, ainsi que par toute la cour impériale et le sénat; mais il refusa de faire son entrée dans Rome avant d'avoir été se prosterner au tombeau de l'apôtre Pierre. Constantin lui dit alors: «À ton départ, tu visitais le Capitole, les temples et tu sacrifiais aux démons; à ton retour victorieux, tu adores le Christ et ses apôtres, qu'est-ce à dire ? explique-toi.»
Gallicanus adora lÕempereur et lui dit: «Les Scythes m'ayant bloqué dans Philippolis, en Thrace, et s'étant couverts par de grands travaux de campagne, je craignis d'engager une affaire avec eux,vu le petit nombre de troupes dont je disposais en présence de leur multitude; je fis des sacrifices et offris à Mars des victimes. Que dirai-je de plus ? Le siège devint plus étroit, et tous mes tribuns et mes soldats capitulèrent. Comme je cherchais une issue par où fuir, Paul et Jean, — l'un est intendant, l'autre primicier de ma noble dame, votre fille, Constantia Augusta, — Paul et Jean me dirent : «Promets au Dieu du ciel d'adorer le Christ s'il te tire de ce péril, et tu seras plus complètement vainqueur que tu ne le fus jamais.» J'avoue, très saint empereur, qu'à peine avais-je proféré ce vÏu, un jeune homme d'une taille extraordinaire m'apparut : il portait une croix sur l'épaule et me dit : «Prends ton épée et viens.» Je le suivis, tandis que, à mes côtés, surgirent des gens en armes; ils m'encourageaient et me disaient : «Nous te confions cette mission : pénètre dans le camp ennemi, et portant l'épée nue dans tes mains, va sans regarder jusqu'à ce que tu arrives à leur roi nommé Brada.» Quand j'arrivai, toujours escorté de mes compagnons, il me demanda pardon à genoux du sang qu'il avait répandu, mais j'ordonnai de ne frapper presque personne parmi eux. Mes compagnons me livrèrent alors Brada enchaîné ainsi que ses deux fils; ce fut ainsi que la Thrace fut délivrée de l'invasion des Scythes et ceux-ci réduits à l'état de tributaires.
Tous les tribuns avec leurs troupes voulurent revenir vers moi, mais je ne voulus accepter que ceux qui se feraient chrétiens; je donnai de l'avancement à ceux qui consentirent, je licenciai ceux qui refusèrent; en ce qui me regarde personnellement, je me suis voué à Dieu, de telle sorte que j'entends désormais m'abstenir du mariage. Vois, tu as une armée quatre fois plus nombreuse, tu as les Scythes soumis et tributaires, la Thrace délivrée; donne-moi donc un successeur, afin que je puisse me livrer aux pratiques de la religion que j'ai commencé de connaître et persévérer dans la vérité que j'ai apprise.»
L'empereur se jeta à son cou, lui racontant tout ce qui s'était fait à l'égard de ses filles, la consécration de leur virginité, et comment Dieu avait daigné par leurs mérites recevoir deux autres vierges; comment enfin, en possession de la science, elles s'efforçaient d'atteindre à la perfection et à s'appliquer à tous les commencements de la vie parfaite. Au moment où Gallicanus et l'empereur pénétraient dans le palais, Hélène accourut avec sa petite-fille Constantia et les filles de Gallicanus. Elles pleuraient de joie et elles ne laissèrent pas le général retourner chez lui, mais il eut un appartement au palais, comme gendre de l'empereur. Voyant ses filles grandir dans la louange de Dieu, il désirait se retirer seul; mais, sur la prière des princes, il accepta le titre de consul. Lorsqu'il eut les faisceaux, il affranchit cinq mille de ses esclaves, à qui il donna le droit de cité romaine, et, en outre, il leur partagea des terres, des maisons, enfin il distribua aux pauvres tout son bien, ne réservant que la fortune de ses filles. Il se retira alors à Ostie, dans la compagnie d'un certain Hilarinus, dont il agrandit la maison afin de pouvoir donner l'hospitalité à de nombreux pèlerins.
Beaucoup de ses serviteurs s'attachèrent à lui, il les fit libres et sa renommée s'étendit dans le monde entier, à tel point qu'on venait de l'Orient et de l'Occident se donner le spectacle de cet homme patrice, consul, et ami des empereurs, lavant les pieds, mettant la table, versant l'eau sur les mains, soignant les malades, pratiquant tous actes d'une vertu achevée. Il bâtit la première église qui s'éleva à Ostie et dota les clercs qui la desservaient. Saint Laurent le diacre lui apparut et l'exhorta à élever une église qui lui fût dédiée auprès de la porte qu'on appelle encore aujourd'hui la porte Laurentienne. Il refusa, malgré la demande qui lui en fut faite, la dignité épiscopale, mais il choisit celui qui devait la recevoir. Dieu lui avait donné cette grâce particulière, que ceux qui étaient possédés du démon se trouvaient guéris par son seul regard, et il jouissait de beaucoup d'autres dons de guérison.
Julien, ayant été nommé César par l'empereur Constance, porta une loi qui interdisait aux chrétiens de rien posséder. Gallicanus possédait dans le territoire d'Ostie quatre maisons qui servaient à ce que nous avons dit. Dieu s'y constitua le vengeur de leur propriétaire, en sorte que quiconque s'y introduisait pour en prendre possession au nom du fisc était aussitôt possédé du démon, et tout exacteur qui s'y présentait était frappé de la lèpre. Les démons interrogés, répondirent que, si l'on parvenait à faire sacrifier Gallicanus, tout accident fâcheux serait désormais écarté; mais comme personne n'osait lui proposer un pareil crime, Julien lui écrivit : «Sacrifie, ou bien quitte l'Italie.» Gallicanus abandonna tout à l'instant même et partit pour Alexandrie; il y demeura une année entière parmi les confesseurs du Christ, puis il s'enfonça dans le désert; là, sommé de sacrifier par le comte des temples Rautien, il refusa, et, frappé d'un coup d'épée, devint martyr de Jésus Christ. Il se présenta joyeux devant Dieu, et on commença aussitôt à construire une basilique sous son vocable dans laquelle, les miracles se multiplient depuis lors et de nos jours encore, et il en sera ainsi dans la suite des siècles. Amen.
Hilarinus, le compagnon de Gallicanus à Ostie, mis en demeure de sacrifier, fut, sur son refus, roué de coups et mis à mort; les frères ensevelirent son corps à Ostie.
Après la mort de Constantin et de Constantia sa fille, Julien fut créé César par Constance, petit-fils de Constantin. Ce prince avare confisquait le patrimoine des chrétiens en disant : «Votre Christ dit dans l'Évangile : Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut pas être mon disciple.» Ayant appris que Jean et Paul nourrissaient chaque jour une foule de pauvres, grâce aux richesses que la vierge du Christ Constantia leur avait laissées, il leur envoya des gens chargés de les circonvenir et de leur dire : «Vous devez vous trouver auprès de notre personne.» Mais ils répondirent : «Nous nous faisions un devoir de servir les empereurs très chrétiens et d'illustre mémoire Constantin, Constant et Constance leur petit-fils, du temps où ils honoraient le sommet des grandeurs impériales et se glorifiaient du titre de chrétiens. Se rendant à l'église, déposant la couronne, ils adoraient Dieu et se prosternaient la face contre terre. Lorsque le monde cessa d'être digne de posséder de pareils princes, ils furent portés aux cieux par les anges. Le petit-fils de Constantin, Constance, de qui tu tiens l'empire, (étant mort) tu as abandonné une religion excellente et tu suis celle qui, tu le sais fort bien, est rejetée de Dieu. À cause de cela nous déclinons tes offres et nous nous dérobons à ta compagnie; nous ne sommes pas de faux chrétiens, mais des chrétiens sincères.»
Julien leur fit dire : «Moi-même j'ai été d'Église et il n'eût dépendu que de moi d'arriver à la première place; mais voyant la vanité d'une telle conduite qui consiste à négliger l'utile et le nécessaire pour embrasser la paresse et l'oisiveté, j'ai tourné mon activité vers les choses de la guerre et j'ai sacrifié aux dieux afin de parvenir à l'empire. Considérez donc que vous avez été élevés à la cour, et qu'ainsi vous ne devez pas vous éloigner de moi, mais être les premiers dans mon palais. Que

si vous me méprisez, vous me forcerez à prendre des mesures qui vous empêcheront de le faire.» Paul et Jean répondirent : «Nous ne te faisons pas l'outrage de te préférer un autre que le Dieu qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent. Les hommes attachés à cette vie terrestre peuvent te craindre; nous ne craignons, nous, que d'encourir la colère de Dieu. Sache-le donc bien, jamais nous ne viendrons dans ton palais.» — «Je vous donne dix jours, répondit Julien, pour réfléchir, et venir de bon gré vous fixer auprès de moi. Si vous refusez, je saurai vous y contraindre.» Paul et Jean répondirent : «Tu peux regarder les dix jours comme écoulés; ce que tu ferais alors, fais-le dès aujourd'hui.» — «Croyez-vous, demanda Julien, que les chrétiens vous tiendront pour des martyrs ?»
À ces mots, il se leva en colère et dit : «Si dans dix jours vous venez à moi, vous serez mes amis; sinon, je vous traiterai en ennemis publics.»
Jean et Paul mandèrent alors auprès d'eux le prêtre Crispus, le clerc Crispinien et une pieuse chrétienne nommée Benedicta; ils leur firent le récit de tout ce qui s'était passé; on célébra le saint sacrifice dans leur maison, et, après avoir reçu la communion, ils convoquèrent autour d'eux les chrétiens et disposèrent de tout ce qu'ils possédaient. Ces dix jours furent employés à distribuer l'aumône jour et nuit; le onzième jour, ils furent mis en arrestation dans leur propre maison. À cette nouvelle, le prêtre Crispus accourut avec Crispinien et Benedicta, afin d'encourager les saints; mais ils ne purent ni leur parler, ni les voir, ni même entrer dans la maison. Au même moment on envoyait le campiductor Terentianus avec des soldats à la maison de Jean et Paul : c'était l'heure du repos, il les trouva en prières. Terentianus leur dit : «L'empereur Julien, notre maître, vous envoie cette statuette de Jupiter afin que vous l'adoriez et lui offriez de l'encens; si vous refusez, vous aurez la tête coupée tous les deux; il ne faut pas que, élevés à la cour, vous soyez mis a mort en publie. »
Jean et Paul répondirent : «Si Julien est ton Dieu, arrange-toi avec lui; nous n'avons pas, nous, d'autre Dieu que le Dieu
unique, Père, Fils et saint Esprit, qu'il ne craint pas, lui, de
nier, et, se trouvant rejeté de devant la face de Dieu, il veut entraîner les autres dans sa perte.»
Terentianus les pressait, pendant qu'ils parlaient de la sorte, d'adorer Jupiter et de lui brûler de l'encens. Quand la troisième heure de nuit fut écoulée, Terentianus, afin de plaire à son maître et conformément aux ordres qu'il avait reçus, fit couper la tête en grand secret aux martyrs, et, sur son ordre, on creusa une fosse dans la maison même où on les déposa après les avoir ensevelis; en même temps il fit répandre le bruit qu'un ordre de l'empereur les avait exilés, et il ne demeura aucun indice qui mît sur la trace de leur fin.
Le prêtre Crispus, Crispinien et Benedicta pleuraient dans leur maison et priaient Dieu de leur faire connaître par quelque signe le sort des martyrs, lorsque Dieu le leur donna. Julien, irrité, les fit arrêter et on leur coupa la tête; leurs corps furent enlevés par Jean et Pimenius, prêtres tous deux, et Flavien, sénateur, ancien préfet de la ville, qui les ensevelirent non loin du lien où reposaient Jean et Paul.
Sur ces entrefaites, le fils unique de Terentianus, qui avait ordonné l'exécution nocturne, vint dans la maison de Jean et Paul, et à l'instant un démon commença à crier par la bouche de ce jeune homme que Jean et Paul le brûlaient. Terentius accourut et se prosterna la face contre terre, criant que lui, païen, avait accompli les ordres de l'empereur sans savoir ce qu'il faisait. Il s'inscrivit sur la matricule des catéchumènes et fut baptisé à la fête de Pâques. Regrettant son action, il passait son temps, après avoir reçu le baptême, à prier et à pleurer sur le lieu même où les corps avaient été enfouis, et il arriva que les saints obtinrent la guérison de son fils.
Le supplice des saints martyrs a été écrit d'après le récit qu'en fit Terentianus lui-même, qui fut décapité à quelques jours de là avec son fils par ordre de Julien. Leurs deux corps furent enlevés par les prêtres Jean et Pimenius et déposés dans la maison de Jean et Paul. Dans le même temps l'empereur partit pour la guerre de Perse, où il trouva la mort, et Jovien, fervent chrétien, jadis l'ami de Jean et Paul, fut proclamé à sa place; Jovien fit rouvrir les églises, et la religion du Christ commença à connaître la joie. L'empereur fit alors mander auprès de lui le sénateur Bizantius, à qui il dit : «Je t'ai fait connaître, par la grâce de notre Seigneur Jésus Christ, ce que je sais touchant le bienheureux Crispus, prêtre, Crispinien et Benedicta, que Julien fit mourir et qui reposent dans la maison de Jean et Paul. Je te donne commission de chercher diligemment les corps des saints Jean et Paul.» Bizantius et son fils Paminachius les ayant découverts, ils en rendirent grâces à Dieu et prévinrent l'empereur, qui les remercia et dit à Bizantins : «Dieu tout-puissant nous a fait un présent précieux; écoute, rends-toi favorables ses saints et fais bâtir une église dans leur maison. » Bizantius commença, et les démons se mirent alors à révéler leurs souffrances, ce qui contribuait à la gloire de notre Seigneur Jésus Christ, qui, étant Dieu, vit et règne avec le Père dans les siècles des siècles. Amen.