LES ACTES DES SAINTS MARCIEN ET NICANDRE
(L'an de Jésus Christ 303)
fêtés le 8 juin
J'ai hâte de raconter les glorieux combats que les martyrs Nicandre et Marcien soutinrent contre le diable. Ces grands hommes, après avoir combattu dans les armées du siècle, avaient revêtu les armes de la vraie justice; et renonçant à toute la gloire de ce monde, forts de la grâce du Christ, ils s'étaient enrôlés dans la milice céleste. Aussitôt ils furent appelés en jugement, comme coupables d'un odieux sacrilège. Le président Maxime, qui avait mission pour juger ces sortes de causes, leur dit : «Nicandre et Marcien, vous connaissez l'ordre que les empereurs vous ont donné de sacrifier aux dieux, approchez et obéissez.» Nicandre répondit : «C'est à ceux qui veulent sacrifier que l'édit s'adresse; mais nous, nous sommes chrétiens et un pareil ordre ne saurait à nous enchaîner.» Maxime dit : «Pourquoi du moins ne voulez-vous pas recevoir la solde due à votre dignité ?» Nicandre répondit : «L'argent des impies souille et tue les hommes qui veulent honorer Dieu.» Maxime dit : «Quelques grains d'encens seulement à l'honneur des dieux, ô Nicandre !» Nicandre répondit : «Comment un homme, un chrétien, pourrait-il, afin d'adorer des pierres et du bois, abandonner le Dieu immortel, qui a tout tiré du néant, à qui nous avons donné notre foi, et qui seul peut me sauver moi et tous ceux qui espèrent en lui.»
Cependant la femme du bienheureux Nicandre, nommée Daria, était présente à cet interrogatoire, et animait le courage de son mari. «Crains le Seigneur, lui disait-elle, garde-toi de consentir à cette impiété; garde-toi de renoncer au Seigneur Jésus Christ. Lève les yeux au ciel; tu y verras celui pour qui tu as conservé jusqu'à ce jour une conscience pure, une inviolable fidélité, celui qui est ton soutien.» Maxime lui dit : «Quelle scélératesse dans la tête d'une femme! Pourquoi veux-tu que ton mari meure ?» Elle répondit : «Pour qu'il vive aux pieds de Dieu, et qu'il ne meure plus.» Maxime lui dit : «Non, il y a un autre motif; tu veux un mari d'un sang plus vigoureux; c'est pour cela que tu désires hâter la mort de Nicandre.» Elle répondit : «Si tu me soupçonnes d'avoir de semblables pensées, si tu me crois capable d'un pareil crime, fais-moi périr la première, en l'honneur du Christ; si toutefois tu as reçu l'ordre de frapper aussi les femmes.» Maxime reprit : «Je n'ai pas reçu d'ordre contre les femmes; je n'exaucerai donc point ta prière; cependant tu seras gardée en prison.»
On l'emmena en effet, et Maxime reprenant l'interrogatoire de Nicandre, lui dit : «Garde-toi de t'arrêter aux paroles de ta femme, ou d'écouter ces sortes de conseils par lesquels on veut te séduire: autrement la mort ne se fera pas attendre. Mais si tu le désires, je t'offre le temps de la réflexion; vois donc lequel tu préfères, de vivre ou de mourir.» Nicandre répondit : «Le temps que tu me promets, considère-le dès ce moment comme accompli; sache que j'ai délibéré à loisir, et que ma résolution ferme est de conquérir le salut à tout prix.» À ces mots le président éleva la voix et s'écria : «Grâces soient rendues à Dieu !» «Oui, disait de son côté Nicandre : «Grâces soient rendues à Dieu !» Le président pensait que le martyr du Christ parlait de la vie présente, et qu'il exprimait le désir de la sauver; il en concluait que Nicandre allait sacrifier : ce qui lui causait une grande joie. Dans le transport qui l'animait, il se leva et fit quelques pas avec son conseiller Leucon. Cependant Nicandre, ravi dans l'extase par l'Esprit saint, avait de son côté commencé à rendre grâces à Dieu; il priait à haute voix le Seigneur de le délivrer des tentations et des souillures de ce monde. Aussitôt que Maxime l'eut appris : «Comment, lui dit-il, toi, qui tout à l'heure voulais vivre, voilà que maintenant tu voudrais mourir !» Nicandre répondit : «C'est de la vie éternelle que je veux vivre, et non de la vie éphémère du siècle; c'est pour cela que je t'ai abandonné mon corps. Fais donc ce que tu désires : je suis chrétien.» Le président alors s'adressant à Marcien : «Et toi, Marcien, lui dit-il, que vas-tu faire ?» Marcien répondit : «Moi aussi je professe la même foi qu'a professée mon frère d'armes.» Maxime dit : «Vous serez donc tous deux jetés en prison, pour recevoir bientôt sans doute le châtiment de votre crime.»
On les mit en prison. Au bout de vingt jours, ils furent de nouveau amenés devant le président qui leur dit : «Nicandre et Marcien, je vous ai laissé le temps suffisant pour délibérer si vous consentiriez à obéir aux édits impériaux.» Marcien répondit : «Inutilement tu prolongeras tes discours; ils ne nous feront point abandonner la foi ni renier notre Dieu. Il est la, nous le voyons, nous entendons sa voix qui nous appelle. Ne nous retiens pas plus longtemps. C'est aujourd'hui que notre foi va trouver dans le Christ son accomplissement; congédie-nous au plutôt; afin que nous puissions voir ce crucifié que ta bouche criminelle ne craint pas de maudire; il est l'objet de notre adoration et de notre amour.» «Eh bien donc, dit le président, vos désirs vont être comblés, vous allez être livrés à la mort.» Marcien répondit : «Par le salut des empereurs, nous t'en conjurons, ne tarde pas plus longtemps. «Ce n'est pas la crainte des supplices qui nous inspire cette prière; mais le désir de posséder celui que nos cÏurs aiment.» Maxime dit : «Ce n'est pas moi que vos discours attaquent; aussi n'est-ce pas moi qui vous persécute; ce sont les édits des empereurs. Pour moi, mes mains sont pures de votre sang qui va couler. Si vous savez que votre mort vous conduit au bonheur, je vous en félicite; que vos désirs soient accomplis.» En même temps il prononça contre eux la sentence de mort. Les saints martyrs du Christ s'écrièrent tout d'une voix : «Que tes désirs s'accomplissent. La paix soit avec toi, ô le plus humain des gouverneurs !» Et ils marchaient au supplice pleins d'une sainte allégresse, en bénissant le Seigneur.
Nicandre était suivi de sa femme et de Papien, le frère du martyr Pasicrate, qui portait entre ses bras le fils de Nicandre
et félicitait son ami d'obtenir ainsi l'éternel bonheur. Quant à Marcien, des parents le suivaient, et avec eux son épouse qui déchirait ses vêtements, et s'écriait dans sa douleur : «Voilà donc, ô Marcien, ce que je t'annonçais en prison, par mes frayeurs et par mes larmes. Oh ! malheureuse que je suis ! il ne me répond pas. Seigneur, aie pitié de moi, regarde ton fils bien-aimé, jette un regard sur nous, ne nous méprise pas. Pourquoi cet empressement ? Où vas-tu ? Comment peux-tu nous haïr ? On me l'enlève comme une tendre brebis pour le sacrifier.» Alors Marcien se détournant, arrêta sur elle un regard sévère : «Combien de temps encore, lui dit-il, Satan tiendra-t-il ton âme et ton corps dans les ténèbres ? Éloigne-toi de nous, et laisse-moi consommer notre martyre en l'honneur de notre Dieu.» En même temps un chrétien nommé Zoticus lui prenait la main comme pour le soutenir, et lui disait : «Mon maître et mon frère, aie bon courage; tu as combattu le bon combat. Faibles mortels que nous sommes, d'où nous vient à nous une foi si vive ? Rappelle-toi les promesses que le Seigneur a daigné nous faire, et qu'il va tout à l'heure accomplir pour vous. Oui vous êtes vraiment les chrétiens parfaits, vous êtes bienheureux.» Mais sa femme se glissait en pleurant au milieu d'eux, et cherchait à l'entraîner en arrière. Alors Marcien dit à Zoticus : «Retiens-la.» Et Zoticus abandonna le martyr, pour arrêter Daria. Lorsqu'on fut arrivé au lieu du supplice, Marcien jeta les yeux autour de lui; il appela Zoticus du milieu de la multitude, et le pria de lui amener son épouse. Elle vint; le martyr lui donna un baiser et lui dit : «Retire-toi au nom du Seigneur. Tu ne peux pas me voir consommer la joyeuse fête de mon martyre; car l'esprit méchant s'est glissé dans ton âme.» Puis il embrassa son fils, et levant les yeux au ciel : «Seigneur Dieu tout-puissant, s'écria-t-il, c'est à vos soins que je l'abandonne.» Après cette touchante scène, les deux martyrs s'embrassèrent, et se séparèrent ensuite de quelques pas pour accomplir leur sacrifice. Mais à ce moment Marcien, promenant ses regards autour de lui, aperçut la femme de
Nicandre qui ne pouvait approcher, à cause de la foule; il lui tendit la main et la conduisit à son époux. Nicandre en la voyant lui dit : «Dieu soit avec toi.» Elle ne le quitta plus; debout à ses côtés, elle lui disait : «Bon maître, aie courage; montre que tu sais combattre. Dix années entières je suis restée sans toi, seule dans notre patrie; à tous les instants je demandais à Dieu le bonheur de te revoir; aujourd'hui je te vois, et j'accompagne des transports de ma joie ton entrée dans la vie. Aujourd'hui, avec un légitime orgueil, je puis me glorifier d'être l'épouse d'un martyr. Seigneur, aie bon courage, offre à Dieu ton martyre, pour qu'il me délivre à mon tour de l'éternelle mort.» Quand elle eut achevé, le soldat chargé de l'exécution attacha le bandeau sur les yeux des martyrs, et d'un coup de son glaive consomma leur sacrifice.
Ainsi s'endormirent dans la paix les martyrs du Christ Nicandre et Marcien, le quinze des calendes de juillet, sous le règne de Jésus Christ notre Seigneur, à qui est l'honneur et la gloire dans les siècles des siècles. Amen.
Des chrétiens enlevèrent leurs corps, et les ensevelirent près du lieu de leur supplice. On y éleva une basilique qui porte leur nom; sous l'autel distille goutte à goutte une eau pure qui souvent, de nos jours encore, a rendu la santé aux malades qui en ont bu, et par laquelle en tous lieux le Christ aime à multiplier ses miracles.