fêté le 18 juin
Dans le temps que Vespasien gouvernait l'empire romain, un certain sénateur nommé Adrien, homme cruel, d'une férocité sans égale, et qui prenait plaisir à inventer de nouveaux genres de tourments, apprit qu'il y avait des chrétiens. On lui dit que c'étaient des hommes qui, réprouvant tous ceux qui offraient des sacrifices aux dieux, et méprisant les dieux eux-mêmes, détournaient les citoyens du culte de ces divinités par l'art magique, par des pratiques superstitieuses et par des promesses séduisantes; car, disaient-ils, «il n'y a point plusieurs dieux : il n'y en a qu'un seul.» À cette nouvelle, transporté de fureur, il va trouver l'empereur, et lui demande l'autorisation de sévir contre les chrétiens. Vespasien lui accorde aussitôt tout pouvoir, et lui déclare que sa volonté est qu'on lui envoie comblés d'honneur tous ceux qui s'empresseront d'obtempérer à ses ordres, en sacrifiant aux dieux; mais que, pour ceux qui refuseront de le faire, il faut les condamner à mort, après leur avoir fait endurer les plus cruels tourments.
Adrien, étant sur le point de quitter la grande ville de Rome, quelques-uns lui dirent qu'il y avait à Tripoli un certain militaire nommé Léontius qui, plein de mépris pour les dieux, éloignait de leur culte ceux qui les honoraient par des sacrifices, et détruisait les lois de la patrie. Or cet homme, originaire de Grèce, était d'une stature et d'une force extraordinaire, et il possédait de grands biens. Ayant été enrôlé dans la milice; il eut souvent occasion de faire éclater sa bravoure contre les ennemis qu'il vainquit glorieusement, et dont il remporta des trophées. Il était en outre d'une prudence rare, et se faisait admirer dans les conseils : ce qui le fit élever au grade de chef de la milice, et il portait les insignes et toutes les marques distinctives de sa dignité militaire. À Tripoli, il soulageait l'indigence des pauvres avec une abondance vraiment royale, et il avait pour tous les nécessiteux une bienveillance singulière; car il servait Dieu dans toute la sincérité de son cÏur.
Adrien ayant donc été informé de la manière de vivre de Léontius, en fut ravi d'aise, et il envoya devant lui pour se saisir de sa personne le tribun Hypatius, avec d'autres soldats, dont l'un se nommait Théodulus. Comme ils approchaient de la ville, le tribun Hypatius, qui était fort zélé pour l'idolâtrie et le culte des démons, fut subitement pris de la fièvre, et il disait à ses soldats : «Que les dieux me soient propices, afin que je sache dĠoù me vient le mal que j'éprouve : ils sont, peut-être indignés contre moi, parce que je ne leur ai point offert la victime convenable avant de partir.» Les soldats, voyant leur tribun consumé de la fièvre depuis trois jours, sans qu'il pût prendre aucune nourriture, et s'apercevant même que le mal empirait, étaient en proie à de cruelles angoisses.
La troisième nuit, l'ange du Seigneur apparut à Hypatius, et lui dit : «Tribun, si tu veux être guéri, avec les soldats qui t'accompagnent, crie trois fois : «Toi qui es le Dieu de Léontius, viens à mon secours, je T'en prie.» Si tu dis cela, tu seras guéri aussitôt.» Le tribun avait eu cette apparition, lĠesprit parfaitement libre; il revit encore l'ange sous la forme d'un jeune homme, vêtu d'une robe blanche et lançant des regards terribles. Hypatius effrayé dit à cet ange : «Je suis envoyé avec ces soldats pour prendre Léontius, et le garder jusqu'à l'arrivée de notre chef Adrien; et toi tu me dis de crier : Dieu de Léontius, viens à mon aide, afin que je sois guéri ?» Lorsqu'il parlait ainsi, l'ange disparut à ses yeux, et il fut saisi de terreur.
comme il était toujours retenu au lit, et que la violence de la fièvre ne le quittait point, il appelle ses soldats et leur dit : «Écoutez, frères. Lorsque j'étais dans mon premier sommeil, un homme tout à fait distingué s'est approché de moi et m'a dit : «Si tu veux être guéri, crie trois fois : «Dieu de Léontius, viens me secourir.» Puis il s'est évanoui de mes yeux.» En l'entendant parler de la sorte, le soldat Théodulus, qui avait eu la même vision, mais sans en parler à personne, se trouva dans un étrange étonnement, et il demanda au tribun si celui qui lui avait parlé était vêtu d'une robe blanche et lançait de terribles regards. Le tribun répondit affirmativement. Le lendemain au matin, Théodulus se trouvait auprès du tribun, repassant dans son esprit ce qu'il avait entendu la veille. Lorsque l'heure du repas fuit venue, les soldats appelèrent Théodulus, afin de se livrer encore à la gaieté, comme il avait toujours coutume de faire. Or Théodulus était des plus illustres parmi les Grecs, et il menait une vie irréprochable. Mais il ne voulut accepter aucun aliment, ni même goûter à rien; il se coucha par terre, demeurant ainsi longtemps à jeun, puis il s'endormit. Après qu'il fut éveillé, il dit à ses soldats : «Le président Adrien arrive demain, et Léontius n'est pas encore arrêté ? Si vous le trouvez bon, j'irai à la ville avec le tribun, et je m'informerai quel est ce Léontius; et quand nous lĠaurons pris, je le ferai garder à vue, jusqu'à l'arrivée dĠAdrien.» 0r, le tribun, qui avait enfin cédé à lĠinvitation de l'ange, était à ce moment délivré de la fièvre et parfaitement rétabli.
Lors donc qu'ils furent parvenus au haut de la ville, Léontius vint lui-même à leur rencontre et leur dit : «Salut dans le Seigneur, frères.» Le tribun et Théodulus lui répondirent : «Salut aussi à toi, ami.» Léontius leur dit ensuite : «Qu'êtes-vous venus chercher ici, frères ?» Ils lui répondirent : «On a informé l'empereur Vespasien qu'il y a en ce lieu un certain Léontius, homme docte et vertueux : nous désirons donc l'entretenir, ainsi que nous en avons reçu lĠordre. Et même le président Adrien doit venir ici un de ces jours pour voir cet homme, le combler d'honneurs et le présenter à l'empereur; car ce Léontius est, dit-on, fort zélé pour le culte des dieux: aussi, tout le sénat romain désire le voir, depuis qu'il a appris ses gestes fameux et sa fidélité à honorer les dieux, d'autant plus qu'il est, en outre, l'un des premiers citoyens de cette ville de Tripoli.»
Léontius les entendant ainsi parler, leur répondit : «À ce que je vois, vous êtes étrangers à cette ville, et vous ne connaissez pas ce pays. Venez donc avec moi; vous vous reposerez, et je vous ferai voir ce Léontius, que vous dites si ami des dieux. Je crois plutôt qu'il n'a pas grand amour pour ces dieux que vous révérez, car je sais qu'il est chrétien et qu'il tient fortement à la foi du Seigneur Jésus Christ.» Tandis qu'il leur tenait ce discours, ils disaient entre eux : «Quel est donc cet homme qui assure que Léontius est chrétien ? ne serait-ce point un de ses parents ?» Théodulus lui dit donc : «Quel est votre nom ?» Léontius lui répondit : «S'il s'agit de la signification de mon nom , voici ce que nous en lisons dans les saints livres : «Tu marcheras sur l'aspic et le basilic, et tu fouleras aux pieds le lion et le dragon. Il faut donc que je marche sur le lion et le dragon : ce lion, dis-je, qui ne peut être aperçu par les yeux corporels; ce dragon, qui n'est autre que le président lui-même et son conseiller.» Le tribun se tournant vers Théodulus, lui dit : «Et quel est donc cet homme qui prétend qu'il doit fouler aux pieds le lion et le dragon, puis les conseillers du président ?» car ils étaient dans une grande anxiété sur ce qu'ils devaient faire. En effet, il les avait invités avec tant de courtoisie, qu'ils différaient le plus possible ne s'ouvrir de leur dessein à un homme si bienveillant. Cependant, comme ils ne pouvaient perdre de vue le caractère cruel d'Adrien, dont ils redoutaient les effets, et que d'autre part ils ne voulaient pas s'en retourner sans avoir accompli leur mission, ils continuèrent leur route vers le logis de Léontius, lui parlant toujours avec affabilité.
Lorsqu'ils y furent entrés : «Nous voilà, lui dirent-ils, excellent homme, arrivés en ta maison, et tu nous fais jouir de tout ce que tu as de meilleur. Maintenant hâte-toi de nous montrer Léontius, afin que, dès l'arrivée du président Adrien, il soit entouré des plus grands honneurs, en attendant qu'on l'admette dans le palais des empereurs comme un ami.» Après qu'ils eurent ainsi parlé, le martyr du Christ leur dit : «C'est moi qui suis ce Léontius que vous cherchez; je suis le soldat du Christ; c'est moi qu'Adrien poursuit par votre entremise.» À ces mots : «C'est moi,» ils tombèrent la face contre terre en criant : «Serviteur du Dieu très haut, pardonne-nous cette faute; hâte-toi d'apaiser ton Dieu, afin qu'Il nous délivre de la fétide corruption des idoles et de cette bête féroce, Adrien; car nous aussi nous sommes chrétiens.»
Le pieux serviteur de Dieu, Léontius, entendant ces paroles, se prosterna aussi par terre, et dit en versant des larmes : «Seigneur Dieu, qui veux que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité, Toi qui nous as donné le gage du salut, regarde-nous à cette heure, je TĠen supplie; Toi qui as fait que ceux qui venaient contre moi soient maintenant pour moi, conserve-moi, de grâce, moi pauvre brebis errante; répands aussi sur ces brebis et sur moi les lumières de ta Miséricorde : donne-leur la grâce de ton Esprit saint, crée en eux un cÏur pur; et après qu'ils auront été marqués de ton Sceau, fais dĠeux des soldats intrépides contre le diable, notre ennemi, en leur donnant le courage et les armes dont ils ont besoin; qu'ils obtiennent ta Sagesse pour épée et pour bouclier : je TĠen conjure par les entrailles de ta Miséricorde. Toi qui as voulu demeurer trois jours dans le tombeau, qui as brisé la tête du dragon infernal, fais, je TĠen prie, que ce tribun et Théodulus brisent pareillement la tête de cet autre dragon non moins rusé, le président Adrien, et fortifie-les par le secours de ta Puissance. Car c'est Toi qui invites les désespérés à Te connaître et à espérer en Toi; c'est Toi qui, par ta Miséricorde, ramènes dans le droit chemin ceux qui sĠégarent, parce que Tu connais les secrets du cÏur, Toi qui es le Créateur de la nature humaine; daigne donc agréer les prières du pécheur Léontius. Fais voir à ces hommes qu'il n'y a point d'autre Dieu que Toi; qu'ils reconnaissent que les dieux muets et inanimés qu'ils invoquent sont vains et méprisables; et comme ils ne connaissent pas encore la vérité, inonde leur
âme de la Lumière de ta Divinité. Qu'il en soit ainsi, je TĠen supplie, ô Dieu notre Sauveur; parce qu'à vous appartiennent le règne, la puissance et la gloire, dans les siècles des siècles. Amen.»
À peine avait-il dit «Amen», qu'une nuée lumineuse de rosée descendit sur Théodulus et sur le tribun, comme un signe du baptême qu'ils devaient recevoir. Le bienheureux Léontius, témoin de ce prodige, s'écria : «Gloire à Toi, ô mon Dieu, qui ne méprises point les désirs de ceux qui Te cherchent.» Après quĠils eurent été baptisés, il les revêtit de l'habit blanc, et ordonna qu'on portât des flambeaux devant eux. Quelques Grecs voyant Léontius faire une chose aussi insolite, se mirent à parcourir la ville en tumulte, criant partout : «Qu'on livre au feu vengeur ceux qui abhorrent nos dieux.» La ville fut donc ainsi livrée à une grande agitation.
Deux jours après, le président Adrien arriva, accompagné de gens de guerre. SĠétant arrêté à la porte de la ville, il demanda quelles étaient ces voix tumultueuses, ces clameurs populaires qui parvenaient à ses oreilles. Les grands de la ville lui répondirent : «Il y a ici un homme, nommé Léontius et qu'on appelle chrétien, lequel exhorte tout le monde à s'éloigner du culte de nos dieux, attirant les habitants par certains arts magiques, tandis qu'il prêche et comble de futiles éloges un homme crucifié jadis, que Pilate fit flageller et que les Juifs avaient durement souffleté. Il a même osé communiquer ses doctrines empoisonnées aux soldats de notre empereur, et les attirer à la religion de cet homme de Galilée; et voici le
troisième jour qu'il les retient chez lui, après leur avoir donné des vêtements blancs; en un mot, il méprise nos dieux les plus élevés. Le président Adrien, à cette nouvelle, transporté de fureur, ordonna aux soldats qu'il avait près de lui de prendre ces trois hommes et de les garder en prison sous une surveillance active, jusqu'à ce qu'on les amenât à son tribunal. Les soldats firent comme on leur avait commandé, et les jetèrent en prison. Mais Léontius ne cessa pas pour cela d'instruire tout le jour ses néophytes dans la foi du grand Dieu du ciel. «Courage, mes frères, leur disait-il, soyez forts, et songez que les tourments sont légers et de courte durée, mais que la joie, le bonheur qui doit les suivre, sera éternel. Si donc nous éprouvons ici-bas les injustices des hommes pervers, au ciel nous trouverons un éternel repos.» Quand la nuit fut venue, il se mit à chanter ces versets du psaume : «Notre Dieu a fait au ciel et sur la terre tout ce qu'Il a voulu. C'est Dieu qui m'a revêtu de force, c'est lui qui a rendu ma voie sans tache.»
Le jour suivant, dès le matin, le président Adrien s'assit sur son tribunal, et ordonna qu'on lui amenât Léontius, le tribun et Théodulus. Lorsqu'ils furent en sa présence : «Est-ce toi, dit-il, qui te nommes Léontius ?» Léontius : «Oui, c'est bien moi.» Le président : «Quelle est donc ta fortune et ta condition ? Comment, par tes détestables et magiques enchantements, es-tu parvenu à enlever à notre empereur ses soldats ? Tu lui as enlevé, dis-je, ceux qui l'accompagnaient toujours, pour les confier à Celui que tu appelles Dieu.» Léontius : «Je suis soldat du Christ; je suis enfant de cette Lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde. Quiconque parvient à cette Lumière n'est point exposé à tomber. Le tribun et Théodulus savent quelle est l'origine et la perfection de cette Lumière, qui n'est autre que le Christ, et c'est pour cela qu'ils ont abandonné tes dieux fabriqués avec du bois, des pierres ou des ossements d'animaux.» Le président, entendant Léontius parler avec une telle liberté, en fut exaspéré, et il ordonna à ses ministres de le battre, rudement avec des bâtons. Tandis
qu'on le frappait, levant les yeux au ciel, il dit : «Tu crois me tourmenter, Adrien; et c'est toi qui te tourmentes toi-même.» Le président, le voyant persévérer dans la confession du Christ, malgré les supplices, le fit reconduire en prison.
Se tournant alors vers le tribun et Théodulus : «Pourquoi, leur dit-il, avez-vous abandonné les coutumes de la patrie dans lesquelles vous aviez été élevés ? Comment n'avez-vous point appréhendé de causer du chagrin à notre empereur, en quittant ainsi l'état militaire ?» Ils lui répondirent : «On nous a rassasiés d'un Pain qui ne peut être consumé, car Il vient du ciel; on nous a abreuvé d'un Vin sorti du Côté du Dieu très haut; et, au lieu de ces chairs corruptibles, on nous a donné le Corps de l'Agneau pur et sans tache.» Adrien leur dit : «C'est là ce que vous a suggéré ce détestable Léontius ? Faites donc présentement ce que vous savez être agréable à l'empereur. Vous n'ignorez pas qu'il a ordonné que ceux qui offriraient des sacrifices aux dieux seraient élevés aux plus grands honneurs et promus aux premiers grades dans l'armée; mais que pour ceux qui refuseraient d'obtempérer, il fallait leur ôter la vie par les supplices les plus recherchés.» Le tribun et Théodulus répondirent : «Notre milice est tout céleste; fais ce que tu voudras. Tu t'armes contre nous comme vengeur de dieux infâmes; mais tu n'auras plus qu'une vie misérable, et tes jours seront abrégés.» Adrien, après ce discours, ordonna de suspendre le tribun au chevalet et de le tourmenter sans relâche avec les ongles de fer, puis d'étendre par terre Théodulus, et de le frapper de verges. Pendant qu'ils étaient ainsi cruellement tourmentés,ils ne faisaient entendre d'autre parole que celle-ci : «Sauve-nous, Seigneur; car un saint peut défaillir.» Adrien, les voyant persévérer courageusement dans leur dessein, donna ordre qu'on leur coupât la tête. Comme on les conduisait au supplice, ils chantaient ces versets : «Tu es notre Protecteur, ô Seigneur; nous remettons notre âme entre tes Mains.» Lorsqu'ils eurent terminé leur prière, le bourreau les frappa avec, sa hache; et c'est ainsi qu'en louant Dieu ils Lui remirent leurs âmes.
Adrien se fit ensuite amener Léontius; et, lorsqu'il fut devant lui, il lui dit : «Voyons, Léontius, aie pitié de ton sort, si tu ne veux pas éprouver de cruels tourments, tels que viennent d'en subir te tribun et Théodulus, que tu avais pervertis; crois-moi, sacrifie aux dieux; par ce moyen, tu recevras les plus grands honneurs, de moi d'abord, puis de l'empereur et de tout le sénat; car l'empereur lui-même désire vivement te voir.» - «Que Dieu me préserve, répondit Léontius, de voir le visage de cet empereur qui est l'exécrable ennemi de Dieu! Mais toi, Adrien, deviens plutôt l'ami du Christ : si tu en viens là, je te ferai voir quel bien-être, quel heureux sort, quelles richesses inépuisables tu recevras de Lui.» Adrien souriant de pitié en entendant ces choses : «Tu veux sans doute, lui dit-il, me procurer les mêmes avantages qu'ont trouvés le tribun et Théodulus ? Ignores-tu, tête scélérate, par quels supplices ils ont perdu la vie ?» Léontius : «N'appelle point supplices les tourments que tu leur as infligés, dis plutôt que c'est la vie, la paix, la joie; car maintenant ils sont dans lĠallégresse et la jubilation, et ils ont trouvé place parmi les chÏurs des anges.» Adrien : «Prête attention à ce que je vais dire : Y a-t-il au monde quelqu'un, jouissant de la saine raison, qui consentirait jamais à abandonner le culte de cette lumière du soleil et de nos dieux suprêmes, Jupiter, Apollon, Neptune, Vénus et les autres, pour terminer sa vie par une mort cruelle ? Personne, assurément, excepté ceux que tu séduis.» Léontius : «Tu n'as pas lu, à ce qu'il paraît, ce qui est écrit : «Les dieux des nations sont les démons; que ceux qui les font et ceux qui se confient en eux leur deviennent semblables.» Quel est donc celui qui, pour peu qu'il ait du bon sens, voudrait ressembler, je ne dis pas sacrifier, à des pierres muettes et autres objets pareils, dépourvus de vie et de sentiment, tels que sont vos dieux ?»
Le juge voyant que le martyr ne voulait point renoncer à sa résolution, commanda qu'on le suspendît à quatre pieux au-dessus du sol et qu'on le frappât de verges pendant que le héraut crierait : «Ainsi périront ceux qui méprisent nos dieux et ne veulent pas se soumettre aux édits des empereurs.» Les bourreaux frappèrent Léontius si longtemps qu'à la fin ils se lassèrent; et il disait au président : «Tu auras beau faire déchirer mon corps, homme pervers, jamais tu ne seras maître de mon âme.» Adrien le fit alors suspendre au chevalet, et on lui déchira les jambes et les côtés. Durant ce long supplice, Léontius ne disait autre chose que ces paroles : «Mon Dieu, j'ai espéré en Toi; sauve-moi, Seigneur.» Adrien dit à ses satellites «Descendez-le du chevalet; car je sais que, lorsqu'il regarde le ciel, il prie ses dieux de lui procurer du repos.» À cela, Léontius répondit : «Péris avec tes dieux, malheureux et exécrable Adrien ! Oui, je prie mon Dieu de me donner force et courage pour supporter tes tourments.» Adrien, reconnaissant en cette âme une fermeté inébranlable, voulut qu'on le suspendît au chevalet la tête en bas, et qu'on attachât un grosse pierre qui pendit de son cou, pour augmenter son supplice. Mais le saint martyr endura ces tourments avec courage et générosité, et, regardant le ciel, il pria ainsi : «Seigneur Jésus Christ, qui as fortifié tes serviteurs le tribun et Théodulus, et leur as fait la grâce de confesser ton nom, daigne aussi m'affermir, moi, ton humble serviteur, bien que pécheur, afin que je puisse soutenir ces rudes épreuves, et fais que je ne sois pas trompé dans mon attente.» Adrien lui dit alors : «Je sais, Léontius, que tu veux devenir l'ami de nos dieux.» Le martyr répondit: «Moi, je suis le serviteur du Dieu très haut; toi, tu es l'esclave de tes dieux, et vous périrez tous avec eux, toi et tes satellites.» Adrien, ne pouvant rien obtenir de lui, le renvoya en prison jusquĠau jour suivant.
Le lendemain, il le fit amener devant lui, et lui parla ainsi : «Eh bien, Léontius, as-tu réfléchi à quoi tu veux enfin te décider pour ton bonheur ?» Le saint martyr répondit : «Comme j'ai toujours su ce qui m'est avantageux, c'est pour cela que j'ai résisté jusqu'à présent à tes vains discours. Je te dis donc, pour la troisième fois, comme à la première et à la seconde, que jamais je ne m'engagerai à abandonner celui qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent, je veux dire le Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, qui, pour nous autres hommes, a bien voulu souffrir le supplice de la croix. Non, jamais je ne Le délaisserai; car, en mettant en Lui seul et en son Nom mon espérance, j'obtiendrai miséricorde.» Adrien le fit encore suspendre à quatre pieux et frapper à coups redoublés; et, durant ce supplice, il lui criait : «Léontius, fais ce que je te dis, sacrifie aux dieux; si tu le fais, je te jure, par le salut et la clémence de nos dieux, que je te ferai élever à un nouveau grade, sans parler des autres faveurs bien plus précieuses qui te sont réservées.» À cela le saint martyr Léontius répondit : «Et quelle dignité assez grande peux-tu m'offrir, pour que je renonce à mon Dieu et t'obéisse ? Tu m'exhortes à sacrifier à tes démons, ignorant sans doute que le monde entier, malgré sa grandeur, ne saurait être mis en comparaison avec la charité de mon Seigneur Jésus Christ.»
Adrien, désespérant enfin de vaincre sa constance, rendit contre lui la sentence suivante : «Nous ordonnons qu'on suspende Léontius à quatre pieux et qu'on le frappe jusqu'à ce qu'il expire, pour n'avoir pas voulu sacrifier aux dieux et obéir à l'édit de l'empereur, et pour avoir méprisé nos dieux qui nous sont si favorables.» Donc, après qu'on eut frappé longtemps le saint martyr Léontius, et pendant que les bourreaux ne cessaient d'ajouter plaies sur plaies, il rendit son âme à Dieu, et il fut enseveli dans le port de la ville de Tripoli, le dix-huitième jour du mois de juin, après avoir laissé au monde un excellent exemple de vertu et de courage. Dieu daigne, par les mérites de ce saint martyr, nous accorder une part dans son royaume. Un certain Cyrus, écrivain public, écrivit ces Actes du martyre du bienheureux Léontius sur des tablettes de plomb, qu'il déposa dans le sépulcre du martyr, afin de conserver aux générations futures un exemple mémorable en Jésus Christ notre Seigneur. Quiconque lira la glorieuse et sainte confession du bienheureux martyr, qu'il élève ses mains vers le ciel, et qu'il rende gloire à Dieu qui a soutenu la patience de son serviteur. Or le confesseur du Christ Léontius termina son martyre le dix-huitième jour de juin, ainsi que nous l'avons déjà dit, sous l'empire de Vespasien, et notre Seigneur Jésus Christ régnant parmi nous, à qui soit la gloire, dans les siècles des siècles. Amen.