SAINT ISAAC, MOINE DE CORDOUE ET MARTYR
(EN L'ANNÉE 851)
Par saint Euloge
fêté le 3 juin
Je n'avais d'abord écrit ce volume, intitulé Mémorial des saints, que pour les monastères d'où sortit la première phalange des moines qui déclarèrent courageusement la guerre au Prophète menteur. Mais lorsque j'apprit que, des villes, des bourgs et des villages étaient sortis à l'envi des hommes et des femmes pour prendre part à cette lutte, et que, sans redouter le tribunal du juge, ils avaient choisi sans hésitation d'endurer la mort plutôt que de trahir le Testament et la Loi de notre Dieu, je le dédiai alors à toutes les Églises fondées sur la pierre inébranlable du Christ, afin que tous ceux qui, de divers lieux, étaient venus, pour l'édification de toute l'Église, endurer l'épreuve des tortures, trouvassent dans le récit du triomphe des martyrs, leurs concitoyens, des motifs de se consoler, de se réjouir et de se glorifier.
Je pense que le premier martyr qui s'offre à nous c'est le moine Isaac, qui, venant de son monastère de Tabenne sur le forum, alla droit au juge et l'interpella en ces termes : «Je voudrais, juge, devenir un ferme croyant de ta foi, si tu avais l'obligeance de m'en exposer dès maintenant la matière et les raisons.» Le musulman, croyant avoir conquis un adhérent nouveau à sa religion, acquiesça volontiers à cette demande. Aussitôt gonflant ses joues, resserrant sa glotte, et faisant résonner les mots sous les voûtes élargies de son palais, il se mit, avec une langue mensongère, à exposer ses doctrines à son prosélyte. «Mahomet, dit-il, est le fondateur de cette religion; instruit par l'enseignement de l'archange Gabriel, il reçut du Très-Haut lui-même communication des prophéties qu'il devait prêcher aux nations. Il écrivit donc la loi et promit un paradis dans lequel, attablés avec les rois des cieux, on jouira de copieux festins et de la luxure des femmes.» Le juge continua sur ce ton, et débita toute une série de sornettes plus vaines les unes que les autres. Tout à coup le jeune moine, qui connaissait à fond les lettres arabes, interrompit son verbeux interlocuteur et prit la parole en ces termes : «Il vous a menti - que la malédiction divine s'appesantisse sur lui - celui qui, ne reculant pas devant un si horrible forfait, a précipité dans la perdition des multitudes et les a entraînées avec lui dans les abîmes de l'enfer. Oui, cet homme que vous honorez comme prophète n'a été qu'un suppôt du diable, pratiquant tous les sortilèges diaboliques, s'enivrant à la coupe envenimée du mal; aussi expie-t-il en ce moment ses crimes par une mort qui n'aura point de fin. Comment donc des savants comme vous ne se mettent-ils pas en garde contre de tels dangers ? Pourquoi ne préférez-vous pas à l'ulcère purulent d'une croyance pestilentielle la santé inaltérable de la foi chrétienne enseignée dans l'évangile ?»
Tandis que le bienheureux Isaac exposait courageusement ces saines pensées, le juge, stupéfait à l'excès, et perdant l'esprit, ne put faire autre chose, dit-on, que de répandre un torrent de larmes. Puis, son hébétement ne lui suggérant rien à dire, il se mit à frapper lui-même le moine à la figure. «Comment ! dit alors Isaac, tu oses frapper un visage qui porte l'empreinte de l'image de Dieu ? Songe au compte que tu auras à rendre pour cette inqualifiable action.» Les assesseurs du juge réprimandèrent ce dernier de ce que, oubliant la gravité de sa charge, il s'était permis de frapper lui-même le martyr, alors surtout que la loi du prophète défend d'infliger aucune autre peine à quiconque est condamné à mort.
Le juge, s'adressant alors à Isaac, lui dit : «Sans doute, tu es pris de vin, ou bien tu as perdu l'esprit; et pour cette raison tu ne peux pas mesurer toute la portée de tes paroles. Car la sentence de notre prophète, que tu injuries si indignement, est irréfragable, savoir qu'il faut sans pitié sévir contre ceux qui ont l'audace d'avoir de tels sentiments de lui.» Le vénérable Isaac répondit intrépidement : «Juge, je ne suis pas enivré par le vin, ni sous l'influence d'une maladie quelconque; mais je suis animé du zèle de la justice, et j'ai tenu à dire ce que je pense de vous et de votre prophète. Si une mort cruelle vient maintenant s'abattre sur moi, je la recevrai avec plaisir, je la subirai avec calme, sans chercher en aucune façon à m'y soustraire : car je sais que notre Seigneur a dit : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux leur appartient.»
Le juge ordonna de jeter Isaac en prison et déféra immédiatement sa cause au roi. Celui-ci, furieux et presque effrayé à la vue de ces audacieuses accusations, rendit un édit cruel qui condamnait à mort quiconque insulterait le prophète, auteur de la foi musulmane. Le serviteur de Dieu fut donc condamné à mort et décapité; puis on le suspendit les pieds en haut à un poteau planté sur l'autre rive du fleuve, afin que cette exécution servît d'exemple à tous les chrétiens de Cordoue. Ceci se passait en la 889 e année de l'ère espagnole, le troisième des nones de juin, et la 4 e férie. Quelques jours après on brûla son corps avec ceux des moines qui suivirent son exemple et furent exécutés; puis on jeta leurs cendres dans le fleuve.
Cinq jours après le martyre du bienheureux Isaac, le 7 des ides de juin qui tombait un dimanche, un prêtre du monastère de Tabenne, s'étant étendu sur le lit après avoir célébré le saint sacrifice de la liturgie, s'endormit un moment et eut un songe dans lequel il vit un jeune homme d'une beauté remarquable qui venait de l'Orient et portait à la main un parchemin de toute beauté. Le prêtre prit la feuille des mains de l'enfant, et y lut les paroles suivantes : «De même que notre père Abraham a offert à Dieu son fils Isaac en sacrifice; de même saint Isaac vient d'offrir pour ses frères un sacrifice en la présence de Dieu.» Aussitôt arriva un habitant de Cordoue annonçant que le bienheureux Isaac venait de subir le martyre par la grâce de notre Seigneur Jésus Christ et que beaucoup de chrétiens, entraînés par son exemple, avaient semblablement enduré la mort.
Le bienheureux Isaac était originaire d'une famille noble et riche de Cordoue. Étant jeune encore et vivant dans l'opulence grâce à la fortune considérable de ses parents, on lui confia la charge de secrétaire public, parce qu'il possédait à fond la langue arabe. Tout à coup se sentant saisi par une ardeur spirituelle, et désirant embrasser la profession monastique, il vint au bourg de Tabenne, dont le monastère double, situé à sept milles de la ville du côté du nord, entouré de rochers escarpés et de bois impénétrables, était alors renommé par les serviteurs et les servantes de Dieu qui l'ornaient des plus éclatantes vertus. Isaac avait déjà à Tabenne un oncle paternel, nommé Jérémie, homme tout possédé par la crainte et la révérence de Dieu. - Lui aussi était riche dans le monde, et c'était en ces monastères bâtis avec ses biens considérables que lui, sa vénérable épouse Élisabeth, ses enfants et presque toute sa famille s'étaient retirés pour vivre sous la loi de l'obéissance. Le bienheureux Isaac y vécut trois ans, sous la discipline régulière de l'abbé Martin, frère de la vénérable Élisabeth. Une illumination soudaine d'en haut l'avait poussé à aller se présenter devant le juge musulman, qui lui fit endurer le martyre, comme nous venons de le raconter.