LES ACTES DE SAINT HERMIAS

(Sous Antonin)


fêté le 17 juin


En ce temps-là, Antonin, empereur idolâtre des Romains, excita une violente persécution contre les disciples du Christ, et envoya, pour les rechercher, le due Sébastien, muni des plus amples pouvoirs. Cet officier, parti de Cilicie en Cappadoce, vint à Comanes où il découvrit un soldat du nom d'Hermias qui était chrétien, et qui honorait Dieu en pratiquant toute sorte de justice. Sébastien lui dit : «Antonin, le souverain de Rome m'a envoyé par lettres des ordres pour obliger tous les chrétiens à sacrifier aux dieux, et s'ils refusent, on les livrera aux plus cruels tourments. Ainsi donc, Hermias, hâte-toi de sacrifier aux dieux; tu seras l'ami de César, qui te comblera des plus grands honneurs. Allons, obéis, afin que je n'aie pas à tourmenter ton corps par les supplices.»
Hermias, l'athlète de Jésus Christ, répondit à Sébastien : «Je suis soldat du Christ, le roi céleste et immortel, dont le règne n'aura pas de fin; je ne puis donc obéir aux ordres d'un roi mortel et impie, qui dans peu ne régnera plus; tandis que l'empire de notre Seigneur Jésus Christ demeure toujours inébranlable; ceux qui croient en Lui hériteront d'une vie éternelle.» Le due Sébastien, entendant ces paroles, lui dit :
«Immole des victimes aux dieux, et tu jouiras d'un bonheur sans fin.» Le bienheureux lui répondit : «Quand je servais Antonin, ton empereur, je ne me plaisais ni dans ses richesses, ni dans ses plaisirs; mais j'offrais secrètement au Seigneur mon Dieu mes adorations, et c'est aujourd'hui ce qui me rend victorieux du démon. Tu tiens, il est vrai, ce corps en ta puissance, mon Dieu daigne ainsi le permettre, mais le Très-Haut a seul pouvoir sur mon âme. Il me donnera la patience et me conservera pour l'éternité.»
Le due Sébastien, ayant entendu cette réponse, dit à Hermias : «Je vois que tu es un homme doué d'une grande sagesse.» Le bienheureux Hermias lui répondit : «Plutôt que de sacrifier, je souffrirais avec délices tous les tourments et la mort même; je sens aussi une très vive ardeur d'être soumis aux supplices les plus cruels, pour rendre témoignage à Jésus Christ, mon Dieu.» Le duc lui dit : «Par égard pour tes cheveux blancs, et à cause de ta sagesse, je veux bien te faire grâce.» Le bienheureux Hermias répondit : «Ce n'est pas cette grâce que je demande, mais la grâce de Dieu, qui me fera parvenir jusqu'à Lui. C'est mon Dieu qui me donne cette sagesse; Il remplit de confiance ceux qui ont le cœur droit, il accorde la sagesse aux fidèles observateurs de ses lois; c'est en effet par l'opération de l'Esprit saint qu’Il répand la sagesse et l'intelligence. Ainsi qu'un agriculteur, en cultivant ses terres, les dispose à produire des fruits abondants, ainsi la Sagesse de Dieu, se renfermant en ceux qui obéissent à ses lois, ne permet jamais à l'ennemi de les attaquer, et leur fait porter des fruits merveilleux dans le Seigneur.» Le duc Sébastien dit alors :«Veux-tu vivre ou préfères-tu la mort ?» Le bienheureux Hermias répondit : «Cette mort n'est pas la mort, mais une vie éternelle qui m'est réservée, si j'endure avec constance les tourments que tu me préparés.» Le duc Sébastien dit : «Tu persistes dans tes idées, tu veux mourir ?» Le bienheureux Hermias répondit : «Je t’ai dit que ce n'était point là une mort; fais promptement ce que tu as résolu.»
Le duc ordonna aussitôt de frapper les joues du bienheureux, de lui briser les dents et d'arracher la peau de son visage. Hermias disait : «Je rends grâces à Dieu qui m'a secouru par notre Seigneur Jésus Christ.» Sébastien lui dit : «Pourquoi refuser ta paie ?» Le saint athlète du Christ, Hermias, répondit : «Vous dépouillez injustement et avec violence les pauvres; je ne veux point recevoir le fruit de vos rapines, je ne veux pas m'en nourrir; je reçois d'ailleurs une nourriture spirituelle, qui vient du saint Esprit : jamais je ne souffrirai de la faim.» Le duc Sébastien, ayant entendu ces paroles, commanda de le jeter dans une fournaise ardente et de la chauffer davantage encore quand on l’y aurait précipité. Trois jours après, il fit ouvrir la fournaise, et l'on trouva le bienheureux Hermias, le soldat du Christ, psalmodiant et priant le Seigneur; car la flamme ne l'avait pas même touché.
Le duc, devenu furieux, ordonna alors de préparer les poisons les plus violents et de les lui faire prendre. Le bienheureux Hermias dit au magicien qui les lui apporta: «Je n'aurais pas même touché ces viandes empoisonnées; mais afin de te montrer que mon Dieu est assez puissant pour réduire à néant cet art abominable, je vais les prendre, et, après avoir prié, je les mangerai.» Il les prit en effet, il les goûta et n'en éprouva aucun mal. Le magicien, ayant alors préparé d'autres poisons plus terribles encore, les lui présenta en disant : «Goûte maintenant de ces mets; et, s'ils ne te nuisent point, j'abandonnerai moi aussi tous mes sortilèges pour croire au Dieu crucifié que tu sers.» Hermias les ayant pris et n'en ayant rien souffert, le magicien dit : «Tu as vaincu, tu l'as emporté, et tu as arraché de l'enfer mon âme qui se perdait; tu m'as fait revivre en Dieu. Comme une statue toute déformée de vétusté est rajeunie par le ciseau, ainsi moi-même, tout couvert de mes crimes passés, déjà bien près de ma perte, j'ai senti mon âme se renouveler par ce retour vers le Dieu vivant et éternel. C'est vous, ô Seigneur ! qui m'avez délivré des pièges du démon et des pratiques exécrables de la sorcellerie, par votre serviteur Hermias, qui m'a appris à croire en votre Nom.» Le due Sébastien fit décapiter sur l'heure le magicien, qui acheva ainsi courageusement son martyre.
Cependant le duc dit encore au bienheureux Hermias : «Sois donc prudent et sacrifie aux dieux.» Le bienheureux répondit : «Je suis très prudent , puisque j'ai mon Dieu pour soutien.» Le duc Sébastien dit   «Voilà que tu deviens fou; sacrifie donc aux dieux.» Le bienheureux Hermias répondit : «Mon Dieu Lui-même a voulu choisir les fous de ce monde pour confondre les sages, les faibles pour détruire les forts, le néant pour dissiper la vanité, ainsi que l'apôtre Paul, cet orateur sublime, l'a enseigné à toute l'Église du Christ. Le Christ est venu pour accomplir cette mission divine, rempli de la sagesse de Dieu son Père, possédant en Lui-même la plénitude des Écritures, et montrant le chemin du salut à tous ceux qui le désirent.» Le due Sébastien dit : «Hermias, assez de ces folles paroles, qui ne peuvent en rien te servir.» Le bienheureux Hermias répondit : «Je ne suis pas fou, je cherche au contraire la sagesse. Les insensés sont ceux qui, pour t'obéir, offrent des sacrifices à des idoles muettes et méprisent le vrai Dieu par ce culte rendu à de fausses divinités. Il est écrit : Les dieux qui n'ont fait ni le ciel ni la terre périront; et tous ceux qui, repoussant la connaissance de la vraie foi, mettent en eux leur confiance, seront enveloppés dans leur ruine.»
Le duc, enflammé de colère, ordonna d'arracher tous les nerfs du corps du martyr. Le bienheureux Hermias lui dit : «Je n'éprouve aucune douleur; car, de même que la lancette du médecin, par l'incision qu'elle fait, chasse d'une blessure encore fraîche toutes les humeurs mauvaises et commence la guérison du malade, de même, par la foi que j'ai dans le Christ, s'opère en moi, malgré la torture que l'on fait subir à tous mes nerfs, une véritable guérison.» À ces mots, le duc Sébastien fait précipiter le saint martyr dans de l'huile bouillante. Le bienheureux Hermias, au milieu de ce nouveau supplice, dit ces paroles : «Cette huile brûlante n'est pour moi qu'une douce rosée; elle me rafraîchit comme de l'eau que l'on répandrait sur mon corps. Je ne sens aucune souffrance; je ne t'obéirai point, Sébastien, je ne veux faire que la Volonté du Père céleste; c'est à Dieu que je m'offre comme un sacrifice pur et sans tache, à Lui qui m'a formé de ses Mains et qui est le souverain Maître des âmes et des corps.» Le due, entendant ces paroles, commanda de lui verser dans la bouche du vinaigre et de l'eau de lessive. Le bienheureux Hermias s'écria alors : «Le vinaigre et l'eau de lessive sont plus doux à mes lèvres qu'un rayon de miel, grâce au Dieu dont l'amour me fait endurer ces tourments.»
Le duc ordonna de lui crever les yeux. Le bienheureux Hermias l'ayant entendu, dit : «Tu m'enlèves la lumière corporelle; mais l'œil de mon âme agrandira ma vue, et la dirigera jusqu'à celui que j'aime assez pour souffrir tous ces cruels traitements à cause de son Nom. Ainsi donc, si tu le veux, arrache les yeux de mon corps; les yeux de mon âme sauront contempler la seule et vraie lumière.» Le duc Sébastien dit : «Ta me forces de te tourmenter encore plus cruellement.» Le bienheureux Hermias répondit : «Je rends grâces à Dieu qui vient me secourir; tu peux m'infliger les plus violentes tortures; ne m'épargne pas; je suis prêt à tout endurer avec l'aide de mon Dieu.» Aussitôt le duc ordonna de le suspendre par la tête, durant trois jours, jusqu'à ce que le sang sortit abondamment de ses narines. Il demeura ainsi suspendu selon la sentence, et quand on vint le voir dans la pensée de le trouver mort, il était plein de vie et chantait les louanges du Seigneur. La frayeur rendit aveugles ceux qui étaient venus; le bienheureux Hermias s’étant aperçu, leur dit : «Au nom de mon Maître notre Seigneur Jésus Christ, recouvrez la vue;» et, leur imposant les mains, ils ouvrirent les yeux et virent. À leur retour, ils rapportèrent au duc tout ce qui était arrivé. Irrité de ce qu'il entendait, Sébastien dit : «Qu'on l'écorche tout vif.» Le bienheureux Hermias répondit : «Tu peux m'arracher toute la peau, je ne t'obéirai pas, je ne sacrifierai jamais; fais ce que tu voudras; je suis prêt à combattre le diable, qui est véritablement ton père.»

Le duc Sébastien, à ces mots, irrité comme un lion en furie, ordonna de lui trancher la tête. Le bienheureux Hermias, entendant cette sentence, se mit à genoux et dit : «Grâces vous soient rendues, ô mon Dieu, qui daignez m'accorder la palme de la victoire.» Et au moment d'accomplir son sacrifice il dit encore : «Seigneur Jésus Christ, gloire vous soit rendue; je vous prie d'accorder, par l'intercession de Marie Mère de Dieu et de tous les saints, à tous ceux qui célébreront la mémoire de mes combats, de participer un jour au bonheur dont jouissent les bienheureux martyrs qui ont su mériter vos faveurs.» À peine eut-il prononcé ces paroles, que le licteur lui abattit la tête, et il sortit de son corps une grande abondance de sang et d'eau. Tous les assistants demeurèrent frappés d'admiration par tout ce qu'ils avaient vu, et plusieurs, touchés par ces miracles, se convertirent à la foi chrétienne. De pieux fidèles venus pour vénérer le corps du martyr, après l'avoir soigneusement embaumé, l'emportèrent en Cappadoce, et le déposèrent au lieu appelé Comane. Ces saintes dépouilles y opérèrent de nombreuses conversions. Le bienheureux Hermias avait commencé sa glorieuse confession le quatre des calendes d'avril, il la consomma dans le mois de mai, pour se reposer en Jésus Christ notre Seigneur, à qui appartiennent et la gloire et l'empire dans tes siècles des siècles. Amen.