LES ACTES DE SAINT GÉTULIUS

(Au commencement du 2 e siècle)


fêté le 10 juin

En ces temps-là, au moment où la tempête des persécutions semblait s'éloigner de plus en plus, l'empereur Adrien publia un décret qui obligeait de promulguer dans toutes les villes, grandes et petites, un ordre émané du sénat. Tandis que l'on se conformait au rescrit impérial, Adrien, à l'instigation du diable, fut saisi d'une telle fureur, qu'il ordonna de lui amener tous les chrétiens qu'on pourrait découvrir.
À la même époque, il y avait dans la cité de Gabium, au pays des Sabins, non loin de la ville de Rome, un homme très docte dans toutes les lois divines, nommé Gétulitis. Tous les jours il réunissait chez lui une multitude de chrétiens, auxquels il fournissait le vivre et le vêtement, et leur exposait la loi de Dieu. Et c'est ainsi qu'il instruisit beaucoup de personnes, tant de la Grèce que de l'Italie. Les habitants de la contrée, informés de cette nouvelle, accouraient pour l'entendre, et sa renommée se répandait au loin.
L'empereur Adrien, ayant appris ce qui se, passait, envoya au pays des Sabins son vicaire Céréalis, avec ordre, de se saisir de GétuIius. Géréalis étant entré dans Gabium, ville de cette contrée, trouva Gétulius assis dans sa maison, et enseignant les chrétiens, selon sa coutume; et sa parole les affermissait de plus en plus dans la foi de notre Seigneur Jésus Christ. Céréalis lui dit : «Connais-tu l'ordre des princes, qui a été publié partout ?» Gétulius répondit : «Il faut donc déférer à cet 'ordre de la cour ?» Céréalis : «Dis-moi toi-même si ce n'est pas juste.» Le bienheureux Gétulius : «Et bien ! examinons la chose aimablement.» Céréalis: «Soumets-toi, et sacrifie aux dieux.» Gétulius : «Nous devons adorer Dieu, le Fils de Dieu, qui est le prince des princes, et il faut Lui obéir, et non pas à un homme mortel, qui doit devenir la pâture des vers.» Céréalis : «Dieu a donc un fils ?» Gétulius : «Oui, certes, Il en a un, qui a été et qui est, car Il est le principe.» Céréalis : «Par quel enseignement ou à quelle marque pourrai-je reconnaître ce que tu me dis là ? Fais-moi connaître que Dieu a un Fils, et que ce Fils est Dieu, comme tu l'annonces.» Gétulius : «Sache donc que le Verbe de Dieu, Dieu Lui-même, qui a été conçu dans le sein de la Vierge Marie par l'opération du saint Esprit, est né, non point du sang, ni des désirs de la chair, ni de la substance de l'homme mais de Dieu, ainsi que lĠatteste l'Évangéliste, qui nous dit : Il a daigné venir dans les derniers temps; Il a ressuscité les morts, éclairé les aveugles, purifié les lépreux. Il a marché sur la mer à pied sec. Il a commandé aux vents et aux tempêtes. Le vicaire Céréalis : «Et comment puis-je connaître que cela a eu lieu ? enseigne-Moi.»
Gétulius fit alors appeler son frère, nommé Amantius, qui était tribun, et qui se tenait caché, par crainte de l'empereur Adrien, et il lui raconta l'entretien qu'il venait d'avoir avec le vicaire Céréalis; car Céréalis et Amantius avaient toujours été dans les bonnes grâces dĠAdrien. Gétulius présenta alors son frère Amantius à Céréalis, qui fut ravi de joie en le voyant.
Gétulitis dit à Céréalis : «Mon frère, laisse là les arts diaboliques, et revêts-toi de la Patience de notre Seigneur Jésus Christ : pour moi, que tu vois ici, j'ai laissé dans la ville de Tibur ma femme et mes enfants, et tous les biens que je possède en ce monde, pour chercher les vraies et éternelles richesses.» Le vicaire Céréalis répondit : «Quant à moi, je nĠai ni femme ni enfants à quitter. Mais s'il y a quelque chose d'éternel, ne me le cache pas, et de suite je me sépare des hommes qui ne s'occupent qu'à des choses caduques et périssables.» Gétulius lui dit alors : «Ce qui est éternel, c'est que tu croies au Christ Fils du Dieu vivant, et que tu renonces aux idoles faites de main d'homme.» Céréalis lui demanda : «Quel ordre suivre pour que je puisse croire, de manière à ce qu'il ne me reste aucun doute ?» Le tribun Amantius, son ami, lui répondit : «Il faut que tu reçoives le baptême en confessant le Christ, et tu auras la vie éternelle. Et si tu quittes toutes les choses temporelles que tu parais avoir en ta possession, tu en recevras le centuple, et tu acquerras la vie éternelle.» Le vicaire Céréalis s'écria aussitôt : «Eh ! qu'est-ce qui m'empêcherait de répandre même mon sang pour le Christ Fils de Dieu ? Cependant, je vous en prie, ne différez pas plus longtemps ce que vous m'avez promis.» Gétulius lui dit : «Exécute donc ce qui t'est avantageux; fais comme moi, jeûne et fais pénitence.» Et ils lui conseillèrent un jeûne de trois jours, afin d'obtenir une réponse de la part de Dieu; puis ils passèrent toute la nuit dans les veilles et la prière.
Le matin étant venu, tous les saints qui étaient réunis avec le bienheureux Gétulius, de même qu'Amantius avec Céréalis, entendirent en même temps une voix qui leur disait : «Faites venir Xyste, évêque de la ville de Rome, il vous conférera le baptême.» Ils envoyèrent donc un messager à Rome; et le bienheureux évêque Xyste étant arrivé à la ville de Gadium sur le territoire des Sabins, ils se retirèrent dans une crypte et le pontife, observant les rites des chrétiens, catéchisa Céréalis et le baptisa dans la crypte de ladite ville. Au même moment, Géréalis vit le saint Esprit descendre sur lui, et, soudain il s'écria à haute voix : «Je vois une lumière plus resplendissante que le soleil, qui descend sur moi.» Le bienheureux Xyste offrit pour chacun d'eux le sacrifice, et ils participèrent tous au très saint Corps et au Sang de notre Seigneur Jésus Christ, et ils en furent fortifiés; et Xyste les affermit dans la foi et la persévérance; puis, ayant rendu grâces à Dieu, il se retira.
Dans le même temps des officiers étaient à la recherche de Céréalis, et murmuraient de dépit contre lui. Or il advint qu'un certain Vincentius, trésorier de l'armée, vint à Gabium, pour lever les impôts. Un jour qu'il rencontra Gétulius avec ceux qui l'accompagnaient, Céréalis le reconnut et lui dit : «Sache que nous avons renoncé aux choses temporelles, pour jouir des éternelles; car nous avons reconnu que les objets temporels et tous ceux qui s'y attachent, rois et empereurs, princes et puissants de ce monde, ne sont que néant et pure vanité.» Vincentius s'écria à haute voix : «Ô princes du siècle ! ô chefs de la république ! le voilà donc aussi séduit, ce Céréalis, élevé à la dignité du vicariat ! Il a abandonné les dieux, pour courir après des chimères! » Et, transporté de colère, il alla en toute hâte porter cette nouvelle à l'empereur: il lui expliqua comment le vicaire Céréalis, méprisant les richesses que donne la république, avouait ouvertement qu'il était devenu chrétien.

Arien, entendant cela, envoya à l'heure même un certain Licinius, personnage consulaire, le chargeant de lui présenter le vicaire Céréalis. À peine fut-il arrivé en la susdite ville des Sabins, qu'il se saisit de Céréalis, auquel il adjoignit le bienheureux Gétulius, Amantius, et en outre Primitivus; puis il écrivit à l'empereur pour lui demander ses ordres relativement aux prisonniers. Adrien répondit qu'ils devaient ou sacrifier aux dieux, ou subir le supplice du feu. Donc, le six des ides de mars, jour où fut Iue la lettre de jussion de l'empereur Adrien, Licinius fit dresser son tribunal dans la ville de Tibur, et donna ordre qu'on amenât les saints enchaînés en sa présence.
Lorsqu'ils furent venus, il leur parla en ces termes : «Céréalis, tu as donc tellement désespéré de la vie, que tu sembles mépriser les ordres des princes, dont l'empire s'étend sur le monde entier ?» Céréalis répondit : «Le trésor que j'avais, je l'ai donné de bon cÏur aux pauvres et à mon Seigneur Jésus Christ, que j'ai promis de servir, et qui me fera jouir, j'en ai la confiance, d'une vie éternelle.» Licinius lui dit «Dis-moi si tu désires vivre ou mourir.» Céréalis répondit : «Si je ne désirais pas vivre, je ne confesserais pas le Nom du Christ. Quant a vos sacrifices, c'est chose vaine et nulle.» À ces mots, Licinius, plein de colère, dit au bienheureux Gétulius : «Sacrifiez aux dieux Jupiter et Mars : autrement, je vais ordonner qu'on vous ôte la vie.» Gétulius répondit : «Je ne perdrai point la vie; car si je ne fais point ce qui nous est ordonné, ma joie sera de plus en plus parfaite.» Et souriant, il tressaillit dans le Seigneur.
Licinius, transporté de fureur, ordonna aux licteurs de les dépouiller et de les battre de verges, en criant : «Ne méprisez point les ordres des princes, et obéissez à nos grands dieux.» Et comme on frappait Iongtemps le bienheureux Gétulius, il glorifiait hautement le Seigneur, disant : «Je rends grâces à Dieu le Père, tout-puissant et au Seigneur Jésus Christ , parce que je Lui offre un sacrifice pur.» Licinius lui dit : «Quel est le sacrifice pur ?» Le bienheureux Gétulius répondit : «C'est un esprit affligé et repentant; car Dieu ne méprise point un cÏur contrit et humilié.» Licinius dit alors : «Levez-les de terre, et conduisez-les dans la prison publique.» Ils demeurèrent ainsi en prison dans la ville susdite durant vingt-sept ours.
Licinius s'étant rendu à Rome, rapporta à l'empereur tout ce qui s'était passe. Adrien, à cette nouvelle, entrant en fureur, envoya des soldats, avec ordre de brûler les prisonniers. On les conduisit dans le vallon de Capréola, sur la voie Salaria, au trentième mille, plus ou moins, de la ville de Rome, au-dessus du fleuve du Tibre, du côté de la Sabine; et après leur avoir lié les pieds et les mains, on les jeta dans le feu. Mais la flamme n'atteignit point le bienheureux Gétulius; ses liens se rompirent, et se sentant fortifié dans le Seigneur, il se promenait librement au milieu des assistants, glorifiant le Seigneur Jésus Christ. Les soldats, voyant que, malgré toutes leurs précautions, le feu n'avait pu le consumer, arrachèrent des ceps de vigne, et lui en brisèrent la tête. Le bienheureux rendit lĠesprit, en invoquant le Nom du Seigneur. Sa femme, nommée Symphorose, recueillit son saint corps, et l'ensevelit avec gloire et honneur dans l'arenarium de sa maison de campagne, au pays des Sabins, en un lieu nommé Capris, près de la ville, au delà du fleuve, sous le règne de notre Seigneur Jésus Christ, qui avec le Père et le saint Esprit vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.