LES ACTES DES SAINTS FERRÉOL ET FERRUTION

(Sous Caracalla, années de Jésus Christ 209-217)


fêtés le 16 juin


Le bienheureux Irénée avait été envoyé d'Éphèse par saint Polycarpe; conduit par le Seigneur, il était venu avec ses disciples dans la ville de Lyon. Là, inondé des lumières du Christ, il répandait publiquement dans les Gaules, par ses prédications que le ciel bénissait, la splendeur de la justice éternelle, annonçant partout et sans relâche la parole de notre Seigneur. Il envoya à Besançon le prêtre Ferréol et le diacre Ferrution, pour être un fondement inébranlable à cette Église du Christ bâtie sur la pierre. Tous deux brillaient comme les diamants étincelants qui sont les pierres angulaires du palais de l'Époux céleste. Par eux le nom du Seigneur et la splendeur de sa Gloire éclatèrent au milieu des gentils, ensevelis jusque-là dans les ténèbres, et à leur prédication un grand nombre s'empressèrent de demander la grâce du baptême. Ainsi le Christ manifestait en ses saints, d'une manière admirable, sa Vertu divine; car ils étaient puissants en paroles et en sagesse; une grâce angélique brillait dans leurs traits, et d'éclatants miracles faisaient voir au peuple que Dieu habitait dans ses apôtres. Par eux la foi faisait de nouvelles conquêtes; chaque jour les chrétiens avaient à se réjouir de quelque victoire sur le diable confondu, et de la conversion des gentils qui, abandonnant leurs idoles, s'attachaient à suivre les traces du Christ.
Un certain personnage nommé Claudius vint sur ces entrefaites de Besançon à Valence, auprès de Cornélius, général des troupes de l’empereur Aurélien; il y fut témoin des cruautés que l'officier impérial exerçait contre les saints de Dieu, le prêtre Félix et les diacres Fortunat et Achillée, et il lui dénonça Ferréol et Ferrution. «Nous avons aussi, lui dit-il, dans notre cité deux hommes qui ont déjà converti à ce culte la moitié de notre population; ce sont deux frères, nommés Ferréol et Ferrution; ils honorent comme Dieu un homme que des hommes ont crucifié. Même ils ont séduit par leurs prédications ma femme, la servante respectueuse de votre haute dignité; ils conseillent aux vierges de ne point se marier, et tel est le mépris qu'ils ont jeté sur nos dieux que déjà personne n’ose plus proclamer leur divinité. Personne n'ose leur offrir les présents qu'ils aiment, les victimes et l'encens; car les chrétiens non seulement empêchent de sacrifier en leur honneur, leur audace va même jusqu’à les briser à coups de marteau.»
À ces paroles, Cornélius s'écria : «Ô dieux invincibles, comment votre puissance est-elle ainsi anéantie ? Comment n'est-il plus un lieu dans le monde où le nom chrétien n'ait soulevé contre vous le mépris ? Et nous, Claudius, mon frère, que faisons-nous, si nous ne secourons pas les dieux de nos pères ? Presque toute la terre va se livrer à leurs ennemis. Qu'a donc de si terrible le signe du Christ crucifié, pour que devant lui nos dieux expirent ? De plus encore, il n'y a pas d'alliance possible entre la loi des chrétiens et les lois de nos dieux. C'est pourquoi reçois de moi ces lettres; et, en mon nom, retournant en ta ville, fais périr dans les supplices les docteurs de cette loi afin d'effrayer les autres.» Claudius répondit : «Les ordres que ta parole me dicte, ma main les exécutera.» Puis ayant reçu les lettres de l'impie Cornélius, il revint à Besançon.
À peine il était arrivé, qu’il fit arrêter le prêtre Ferréol et le diacre Ferrution. Une petite crypte leur servait de retraite habituelle; mais, quand on les arrêta , ils prêchaient publiquement le Christ, au milieu d'un peuple nombreux. Claudius les voyant devant lui, leur dit : «Les édits sacrés de nos princes vous ordonnent de sacrifier aux dieux; sinon je vous ferai périr dans les supplices, pour effrayer les autres. Que si au contraire vous sacrifiez à nos dieux, je vous renverrai sains et saufs, vous donnant même de plus une large récompense sur le trésor publie.» Alors Ferréol et Ferrution levèrent les yeux au ciel, et s'armant de la croix, ils dirent : «Nous sommes prêts, nous sommes à toi; fais ce que le diable ton père t'a dicté. Quant à nous, nous espérons toujours dans le Nom du Seigneur Jésus Christ; et quelque grands que soient les supplices dont tu nous tourmenteras, nous croirons qu'Il est notre Rédempteur et le Réparateur de notre vie, et nous vivrons, éternellement avec Lui. Que ton argent périsse avec toi; il nous suffit à nous, pour unique trésor, d'honorer le seul Dieu.» Claudius, à cette réponse, les fit étendre avec des poulies et battre de verges. Mais, tandis qu'on les flagellait, ils ne sentirent aucune douleur; car Dieu tout-puissant, qui toujours protège les siens, daigna garder ces bienheureux martyrs, de telle sorte que sous les coups qui les déchiraient cruellement, leurs traits, leur visage, toute leur personne rayonnait de l'éclat, d'une angélique beauté. Les peuples, témoins de ce prodige, étaient dans l'admiration.
Le tyran les fit ensuite renfermer en prison pendant trois jours, au bout desquels il se les fit présenter et leur dit : «Sacrifierez-vous aux dieux ?» Ferréol et Ferrution répondirent : «Nous ne sacrifierons pas; nous ne voulons pas abandonner la glorieuse confession de la foi du Christ.» Claudius, rempli de colère et de rage, ordonna qu'on leur coupât la langue; l'ordre fut exécuté; mais Dieu donna à la foi de ses martyrs un nouvel organe tout spirituel, pour fortifier, leurs frères et annoncer la parole du Seigneur. Car ils disaient : «Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu; bienheureux les pacifiques, car ils seront appelés les fils de Dieu; bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le royaume des cieux est à eux.» Puis se tournant vers Claudius : «Malheureux ! lui disaient-ils, reconnais que tes dieux ne peuvent faire que des hommes parlent sans langue, puisque eux-mêmes ne peuvent ni parler ni entendre; mais regarde-nous et laisse-toi convertir; reçois la sainte ablution du baptême, et de tout ton cœur crois au Christ; tu mériteras d'obtenir le pardon de tes péchés.»
Alors Claudius, dont la fureur avait redoublé, ordonna qu'on préparât pour chacun des deux martyrs trente alênes très aiguës, et qu'avec des marteaux de fer on les leur enfonçât dans les doigts des pieds et des mains, dans la poitrine et dans les principales articulations du corps. Mais tous ces tourments, comme une suave rosée qui descend du ciel, furent plutôt pour eux un doux rafraîchissement qu'une douleur. Comme donc ils n'éprouvaient aucune souffrance, et que leurs paroles avaient confondu le tyran, il ordonna qu'on les frappât du glaive. Au moment où ils reçurent ce dernier coup, l'air fut embaumé d'une odeur céleste; une mystérieuse terreur couvrit le lieu de l'exécution, et le peuple fut persuadé que la grâce de la divinité l'enveloppait de son ombre. La nuit suivante , les chrétiens enlevèrent les corps et les ensevelirent dans cette même crypte que les saints avaient habitée, et qui chaque jour avait été témoin de leurs actions de grâces et de leurs prières, de leurs psaumes et de leurs hymnes au Seigneur. Que ces bienheureux daignent être nos intercesseurs auprès de Dieu; et si nous ne pouvons imiter leur martyre, du moins, dans cette prison de la vie, sachons diriger nos corps dans la sobriété, et nous enrichir d'une abondante moisson de mérites et de vertus, afin que, nous puissions partager avec eux les joies de l'éternel bonheur. Ce martyre des saints de Dieu, le prêtre Ferréol et le diacre Ferrution, arriva le seize des calendes de juillet, notre Seigneur régnant, Jésus Christ à qui est l'honneur et la gloire, la vertu et la puissance, dans les siècles des siècles. Amen.