LES ACTES DE SAINT EUSÈBE
( L'an de Jésus Christ 300)
fêté le 22 juin
Sous l'empire de Maximien, là province de Palestine fut gouvernée par un certain Maxence, qui moins par respect des lois que par un penchant naturel à la cruauté, exécutait impitoyablement les édits de persécution. Un jour donc il réunit tous les officiers qui lui étaient soumis, et leur dit : «Nous ne devons pas oublier les ordres de l'empereur qui veut empêcher par tous les moyens, non seulement par les menaces, mais par les supplices et la mort même, le culte du Christ, et effacer entièrement son nom du souvenir des hommes.» Or précisément en ce temps-là, un chrétien nommé Eusèbe, d'un esprit paisible, mais invoquant souvent dans la prière le nom sacré de Jésus Christ, fut entendu, et dénoncé aussitôt par des délateurs. Ces perfides allèrent trouver le préfet, lui apprirent quelle était la foi d'Eusèbe, et comment dans ses prières il invoquait sans cesse le nom du Christ. Maxence le fait saisir et amener devant lui; puis il lui dit : «Sacrifie, selon l'ordre qu'ont donné les empereurs, ou si tu ne le veux faire de bon gré, on t'y forcera.» Eusèbe répondit : «La loi qu'il faut suivre est celle-ci : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu le serviras lui seul. Les lois des hommes et celle de Dieu sont bien différentes : celles des hommes sont temporaires : celle de Dieu est éternelle, d'autant plus qu'elle a été écrite par la main du Très-Haut, tandis que les vôtres n'ont même pas été écrites par la main des hommes.» Maxence dit : «On t'a ordonné de sacrifier, ou de te préparer à subir la peine : tu as le choix.» Eusèbe répondit : «Tu te trompes, préfet, si tu penses avoir quelque sagesse dans tes jugements en cette matière. Quoi de plus vit que la pierre ? quoi de plus inerte qu'une statue ? quoi de plus fragile que le bois ? Vois donc combien tu es insensé quand tu m'ordonnes d'adorer ces objets insensibles, et qui ne peuvent avoir d'autre mouvement que celui que vient leur imprimer la main de leurs adorateurs.» Maxence reprit : «Je vois maintenant combien est dure cette race de chrétiens : ils aiment mieux périr que de vivre.» «Et moi, reprit Eusèbe, je vois combien est impie la race des païens, qui méprisent la lumière pour suivre les ténèbres et l'es nuages, et ne veulent pas discerner ce qu'il convient d'honorer ou de mépriser.» Maxence dit : «Si la nature m'avait fait ton père, tu devrais écouter les prières que je t'adresserais. Voici donc que, pour te gagner, j'ai mis de côté ma puissance et mon autorité de juge; j'ai mieux aimé te persuader que te contraindre; mais tu opposes à mes prières une insensibilité trop grande. Je sens que la colère me gagne : sacrifie, si tu veux éviter le supplice du feu.» Eusèbe répondit : «Je n'ai aucune crainte de ce côté; car je sais que les plus grands supplices conduisent aux plus grandes récompenses.»
À ces mots, Maxence irrité commande aux bourreaux de l'étendre sur le chevalet, et d'épuiser sur lui toute leur rage. Mais Eusèbe, au milieu des tourments, ne fit entendre que ces paroles : «Seigneur Jésus Christ, soyez mon salut; car vivants ou morts nous vous appartenons, et vous daignez toujours vous souvenir de vos serviteurs.» Le préfet, voyant quelle était sa constance, ordonna de cesser la torture, et dit : «Connais-tu le sénatus-consulte relatif aux sacrifices ?»
Eusèbe répondit : «La loi des hommes ne peut prévaloir contre la volonté de Dieu.» Le préfet, à cette réponse, ordonna qu'on le jetât sur un brasier, et il ajouta : «Comprends-tu maintenant que le sénatus-consulte abolit les lois qui vous ont été données ?» Eusèbe, sans répondre, marcha vers le bûcher. Mais comme il sortait, Maxence lui cria : «Ton obstination te conduit à une mort inutile : laisse-toi fléchir un peu.» Eusèbe répondit : «Puisque c'est l'empereur qui a ordonné d'abandonner le Christ pour adorer les métaux, je te prie de me faire comparaître devant l'empereur.» Maxence dit : «Qu'on le garde jusqu'à demain.» Et il se rendit promptement auprès de l'empereur, auquel il dit : «Glorieux prince, j'ai trouvé un homme séditieux, et qui, par un excès d'insolence, méprise vos lois et vos ordonnances. Jusqu'à ce moment il n'a pas cessé de nier l'existence des dieux que nous adorons, et de dire qu'ils n'ont aucune puissance. En un mot, il ne sacrifie pas, il a en horreur ceux qui sacrifient, et il refuse d'adorer votre image.» L'empereur dit : «Faites amener devant moi ce rebelle.» Alors quelqu'un parmi les assistants s'écria : «Si vous le faites venir, vous vous laisserez fléchir, tant ses discours sont adroits et insinuants.» L'empereur dit : «Quoi donc, vous supposez qu'il serait capable de me persuader et de changer mes sentiments ?» «Non pas vous, seigneur, répondit le préfet, mais il convertira tout le peuple grossier. Sa vue seule est propre à entraîner les autres dans son erreur.» Malgré ces observations, l'empereur persista à commander que l'on amenât Eusèbe.
Quand il arriva, tous admiraient la beauté de son visage, le doux éclat de ses yeux et la magnificence de sa chevelure; car Dieu lui avait donné une grâce capable de faire impression sur tous les curs. Et aussitôt une voix se fit entendre, qui disait : «Sois courageux, Eusèbe; car la victoire t'attend et ta couronne est prête.» L'empereur le regarda, et voyant en lui quelque chose de divin, il lui dit : «Vieillard, pourquoi es-tu venu me trouver ? Réponds, ne crains pas.» Et comme Eusèbe se taisait : «Romps le silence, ajouta l'empereur, et réponds à mes questions; car je désire te sauver.» Eusèbe répondit : «Si j'attendais mon salut d'un homme, je ne pourrais plus l'espérer de Dieu. Car, malgré tout l'éclat de ta puissance, nous sommes cependant égaux quant à la condition et à la nature, puisque tous deux nous sommes mortels. Au reste, je ne veux pas taire devant toi, ô empereur, ce que j'ai dit précédemment. Je suis chrétien; je ne puis donc adorer le bois et les pierres; mais je m'empresse d'obéir au Dieu que j'ai reconnu, et de qui j'ai éprouvé les bontés.» L'empereur dit au préfet : «Je ne vois rien de mauvais dans sa doctrine, puisqu'elle consiste seulement dans la reconnaissance et l'adoration d'un Dieu suprême.» Maxence répondit : «Prends garde, ô empereur, car ce Dieu dont il parle n'est pas tel que tu le penses. C'est un certain Jésus que nous ne connaissons pas, dont nos ancêtres ne nous ont pas transmis le nom, et qu'aucune nation ne reconnaît.» L'empereur dit au préfet : «Sors, et hâte-toi d'instruire la cause de ce vieillard selon ce que la justice ordonne; pour moi, je ne puis pas être juge dans cette affaire.» Maxence aussitôt sortit et monta sur son tribunal, et s'étant fait représenter Eusèbe, il lui ordonna de nouveau de sacrifier. Eusèbe répondit : «Je ne sacrifierai point à des divinités que chacun sait être sourdes et aveugles.» Maxence dit : «Sacrifie, si tu veux éviter les tourments et le bûcher; car celui que tu adores ne pourra t'arracher au supplice.» Eusèbe répondit : «Ni le fer ni le feu ne pourront changer ma résolution; déchire donc selon ton plaisir ce faible corps. Quant à mon âme qui appartient à Dieu, elle ne peut être atteinte. Depuis ma première enfance jusqu'à ce jour, j'ai été inviolablement attaché à cette foi. Les pierres et le bois sont des matières propres à bâtir des édifices, non à être adorées : pour toi qui refuses de connaître la voie du salut, tu cours au précipice.» Le préfet irrité ordonna de lui trancher la tête. Alors Eusèbe dit à haute voix cette prière : «Seigneur Jésus Christ, je rends grâces à votre puissance de ce que vous avez daigné m'éprouver, pour me mettre au nombre de vos autres brebis.» Et aussitôt une voix du ciel se fit entendre; elle disait : «Si tu n'avais pas été digne d'être admis à t'asseoir parmi les justes avec le Christ, tu n'y serais pas reçu.» La suite des pièces du procès nous apprend qu'il se mit à genoux et qu'on lui trancha la tête, et il termina ainsi par une fin digne d'être enviée sa glorieuse vie. Dépouillé des taches de la vie terrestre, il entra dans le royaume des cieux. Maxence, au contraire, qui avait recherché sa ruine d'une manière si obstinée, périt au milieu des souffrances, sans avoir pu plaire ni au monde ni à Dieu.