LES ACTES DE SAINT ACACE ET DE SES COMPAGNONS

fêtés le 3 juin

(L'an de Jésus Christ 303)

L'ennemi de tout bien, le diable qui ne cherche qu'à faire le mal, avait excité une troisième fois la persécution contre les serviteurs de Dieu par la main du gendre de Dioclétien, l'empereur Maximien, qui était lui-même le plus fidèle auxiliaire de Satan, son digne père. L'édit impérial ordonnait que dans toutes les villes, ceux qui refuseraient d'honorer les dieux fussent livrés, sans rémission aucune, au dernier supplice. Les chefs de l'armée devaient aussi traduire devant leur tribunal et condamner à mort tout soldat qui ne rendrait pas son culte aux divinités de l'empire, ou plutôt aux démons.
En ce temps-là, saint Acace martyr fit éclater sa généreuse fermeté dans les tortures, et montra, comme son nom l'indiquait, qu'il ne participait en rien aux Ïuvres malicieuses du prince des ténèbres. Il était Cappadocien de naissance, soldat de profession, mais devenu par l'ardeur de sa volonté athlète du Christ, il rehaussa par ce titre et sa condition et son origine. Voici comment se passèrent les faits qui concernent son martyre. Un officier du nom de Firmus qui commandait comme tribun ceux que l'on appelle les hommes de Mars, et sous lequel Acace exerçait la charge de centurion, fit appeler un à un chacun de ses soldats, pour savoir quelles étaient leurs dispositions touchant les ordres de l'empereur. Un grand nombre cédant soit aux exhortations, soit aux menaces de leur chef, sacrifièrent aux idoles, sans craindre la perte de leur âme; mais quand il en vint à interroger Acace, le généreux centurion lui dit à haute voix : «Je suis né dans la religion chrétienne, je suis donc chrétien, et toujours je le serai avec le secours de mon Seigneur Jésus Christ, comme mes parents et mes ancêtres.» Quand il eut prononce ces paroles, Firmus essaya par trois fois, tantôt avec de grandes promesses, tantôt avec de terribles menaces, de changer sa courageuse résolution; mais le bienheureux demeura si ferme et si constant dans la profession de sa foi, que le tribun se vit forcé, d'après l'édit impérial, de le charger de fers, et de l'envoyer à Bibianus qui commandait toutes les troupes.
Ce général s'étant assis sur son tribunal pour interroger ceux qui confessaient le nom du Christ, Antonin le gardien de la prison lui dit : «Président Bibianus, hier, Firmus le tribun des soldats appelés les hommes de Mars, t'a envoyé chargé de chaînes le centurion Acace qui refuse d'obéir à l'édit de nos maîtres les invincibles empereurs, parce qu'il suit la religion du Christ. Voici d'ailleurs l'exposé de sa cause que le tribun t'a fait parvenir.» Bibianus dit : «Que l'on donne lecture de ce que nous a écrit le très excellent Firmus, tribun militaire.» On le fit aussitôt en ces termes : «Flavius Firmus au général Bibianus, salut. Le centurion Acace qui servait sous mes ordres, s'est dit chrétien, et malgré me conseils, mes promesses et mes menaces, il a persisté dans la même déclaration. Obéissant alors aux ordres des victorieux empereurs, je te l'ai envoyé chargé de chaînes, afin que soumis par tes ordres à la torture, il obéisse aux lois.»
Cette lettre ayant été lue, Bibianus dit : «Amenez devant nous Acace.» Antonin, le chef de la prison, répondit : «Il est présent.» Aussitôt Acace se plaça devant le tribunal avec un visage joyeux, annonçant déjà le bonheur qui l'attendait. Le juge lui demanda : «Quel est ton nom ?» Il répondit : «Mon nom et celui de toute ma famille est digne d'envie, il vient du Christ : mais celui dont les hommes m'appellent est Acace.» Le juge lui dit : «Pourquoi donc, puisque l'on te nomme Acace, c'est-à-dire bon, es-tu devenu méchant à ce point de refuser d'obéir a l'édit de l'empereur ? Car c'est là ce que m'écrit le tribun Firmus.» Acace répondit : «Ô juge, tu m'adresses là des paroles captieuses; mais je te le déclare ouvertement, je mérite d'autant mieux d'être appelé Acace, que je refuse plus énergiquement toute participation avec ces affreux démons avides de sang, comme avec ceux qui leur obéissent.» Le juge reprit : «Et d'où es-tu donc sorti, toi qui te vantes avec tant d'audace ?» — «Me demandes-tu, répondit Acace , quelle est ma patrie ?» Le juge lui dit : «Nous connaissons les mÏurs et les coutumes des différentes nations; je t'ai donc demandé, en effet, quelle était ta patrie, afin que je sache par là comment je dois agir dans cette affaire.» Acace répondit : «Je suis grec d'origine; mais c'est en Cappadoce que j'ai vu le jour; mes parents y faisaient leur demeure. Je me rendis bientôt à l'armée, et j'apprit que plusieurs de mes compagnons d'armes avaient été mis à mort avant mon arrivée, comme disciples du Christ; depuis, plusieurs autres de mon rang et de mon âge furent aussi massacrés pour le même motif, et nous vîmes après leur trépas que Dieu leur avait accordé la grâce des miracles. J'ai donc préféré suivre leur exemple, plutôt que de déférer à ces ordonnances que vous appelez des lois, parce que n'étant faites que par des hommes, elles périssent avec eux après cette vie.»
Le juge répondit â ce discours : «Ne pense pas, insensé, que je t'épargne dans les tourments. Cette audace étonnante, et ces pensées extravagantes que tu sembles avoir rapportées de ton pays, méritent de sévères châtiments. Si tu ne veux pas être exposé à la torture, tu n'as qu'à abandonner ces folies, tu n'as qu'à obéir à l'édit impérial, en rendant un culte véritable aux dieux qui ont donné à nos Augustes la victoire et l'empire. Tu dois respecter aussi l'autorité de notre tribunal, tu dois quitter cette hardiesse ridicule et inconvenante, qui te fait croire que tu es plus sage que nous tous, et qui te fait placer tes espérances dans un homme condamné et puni, dit-on, par les lois.» Acace répondit : «Ô juge , les tromperies de Satan t'ont jeté dans une erreur profonde; les empereurs ne doivent point leur puissance au culte des dieux, comme tu le prétends, mais à la volonté du Seigneur très clément qui gouverne toutes choses. Tu dis que j'ai placé mes espérances dans un homme condamné a mort; sache que ce Jésus, notre maître, s'est fait homme pour nous, et qu'il est venu dans ce monde pour nous sauver. Lui qui était le vrai Dieu, il a voulu dans sa miséricordieuse bonté prendre la nature humaine et se l'incorporer. Mais tu ne pourras entendre et comprendre ces grands mystères, qu'en soumettant ton esprit à la foi chrétienne. Je te dirai encore cependant que Jésus étant le vrai Dieu, le Verbe uni au Père, éternel comme lui, il a pourtant voulu, au temps marqué par sa volonté toute-puissante, achever l'Ïuvre de notre rédemption, en nous délivrant de l'esclavage du démon qui avait été notre ennemi dès le commencement.»
Le juge dit alors : «Si les empereurs se déclarent contre ton Christ, pourquoi ne vient-il pas les punir, puisqu'il a pris la nature humaine à cause de nous ? Il lui serait facile de le faire, s'il est vraiment le Dieu tout-puissant.» Acace répondit : «Vous pourriez tous reconnaître sa bonté et son pouvoir, par cela seul qu'il ne vous punit pas à l'instant des injures que vous lui faites; mais il attend encore, afin que vous, qui offrez aux démons le culte et l'honneur qui ne sont dus qu'à lui seul, vous puissiez vous repentir. Il veut aussi achever le choix de ses serviteurs bien-aimés, et les amener à leur perfection par cette conduite providentielle. Si en effet il vous châtiait subitement, vous péririez aussitôt éternellement; ses fidèles serviteurs ne pourraient manifester leur foi, et la puissance de sa grâce demeurerait oisive. En permettant que vous persistiez impunément dans vos coupables habitudes, que vous épuisiez sa longanimité, voici ce qui arrive c'est que vous courez toujours plus à votre perte, et que vous recevrez enfin la condamnation que vous méritez; tandis que nous qui avons toujours reconnu le souverain empire de notre Dieu, nous allons avec lui jouir de la vie éternelle. Mais sa gloire éclate bien plus magnifiquement dans ceux qui reconnaissant leurs forfaits, se repentent et en font pénitence.»
Bibianus dit alors : «Tu as donc étudié les belles-lettres, pour parler avec tant d'éloquence ? Vraiment, par les dieux immortels, tu nous es fait un raisonnement irréfutable, pour nous montrer que le salut des hommes dépend de la puissance de Dieu.» Acace répondit : «Ceci même peut te faire reconnaître le pouvoir souverain de notre Dieu, puisque n'ayant pas étudié les belles-lettres que vous estimez tant, si ce n'est pour ce qui nécessaire à la compréhension des divines Écritures, j'ai obtenu de mon Maître divin, malgré mon indignité, d'être un objet d'admiration pour les hommes, et même pour vous qui êtes des personnes d'une haute instruction. Notre Dieu, lui aussi, quand il commença sur la terre l'Ïuvre de sa divine miséricorde, et qu'il envoya publier dans tout l'univers l'établissement de son royaume, ne s'adressa point à des hommes puissants par les richesses, par la naissance, par le talent de la parole, mais il se servit de pauvres gens; il envoya des pêcheurs, des publicains pour prêcher son Évangile. Il agit ainsi afin de faire connaître sa force merveilleuse qui dépasse toute imagination; car c'était son Esprit saint qui soutenait seul ses disciples.»
Le juge reprit et dit : «Je m'amuse à te faire parler, et j'oublie ce que je dois exécuter. Tu sais, Acace, que l'édit de l'empereur ordonne, sous les peines les plus sévères, à vous tous chrétiens, de sacrifier aux dieux et de les honorer en toute manière, afin qu'ils vous en récompensent; et si vous le refusez, il veut que vous soyez condamnés et livrés aux derniers supplices. Je désirerais donc savoir si tu es disposé ou non à présenter des offrandes aux dieux et à te soumettre à nos lois.» Acace répondit : «Plusieurs fois déjà, interrogé, par Firmus, j'ai confessé que j'étais chrétien je répète donc de nouveau que je suis disciple du Christ, et que je ne veux pas sacrifier à ces démons impurs.» Le juge dit : «J'ai eu pitié de ton âge; car tu n'as pas plus de vingt-cinq ans, à ce que je vois. Je n'ai pas voulu non plus, par égard pour ton grade militaire, te soumettre aussitôt à la torture; mais, si tu t'obstines plus longtemps dans ta folie, tu vas me contraindre à te livrer aux tourments.» Acace répondit : «Ce n'est pas une folle résolution, mais bien plutôt une détermination prudente et très agréable à Dieu, que de ne pas vouloir abandonner celui qui m'a créé, dont la providence m'a protégé jusqu'à ce jour, et qui seul est vrai Dieu.» — «Comment donc, reprit le juge, soutiens-tu qu'il n'y a qu'un seul vrai Dieu, puisque tu dis que le Christ est Fils de Dieu ? car il faut de toute nécessité que s'il est Fils et égal au Père, il y ait deux dieux et non un seul Dieu. Si donc vous parlez de deux dieux, pourquoi me dis-tu maintenant qu'il n'y en a qu'un seul ? Vraiment tu me forces, par tes rêveries insensées, de plaisanter avec toi.» Acace dit alors : «Je crois et j'espère que Jésus, qui a été crucifié sous Ponce-Pilate, me donnera par son saint Esprit la facilité de répondre clairement à tes demandes; car ce n'est pas une question de peu d'importance, que de savoir comment nous faisons profession de n'honorer qu'un seul Dieu, quand nous parlons de deux personnes divines. Je te dis donc que le saint Esprit est inséparable du Père et du Fils, et que ce sont trois personnes ayant des noms différents, mais qui ne forment qu'une seule puissance, une seule divinité. Nous ne reconnaissons en effet qu'un Dieu possédant en lui-même et le Verbe et l'Esprit saint. Ne serait-il pas absurde que Dieu fût sans le Verbe et sans l'Esprit de vie ? Un exemple te fera comprendre ce mystère, autant qu'il est permis à l'intelligence humaine. L'empereur qui maintenant nous gouverne, et que tu appelles toi le seigneur, et moi un homme comme un autre, puisqu'il est soumis au jugement de plus fort que lui, l'empereur Maximien, dis-je, et son fils Maxence, forment deux personnes; l'une et l'autre cependant sont d'une même condition humaine, et dont la puissance dans l'empire est inséparable, en telle sorte que l'honneur du père rejaillit sur celui du fils, et la gloire du fils sur celle du père; il en est ainsi de notre Dieu; car l'essence divine du Père, du Verbe et de l'Esprit saint étant une et immuable, elle ne forme qu'un seul et vrai Dieu que nous adorons.»
Le juge dit : «Plusieurs fois déjà je t'ai exhorté à revenir au sujet de l'accusation; mais tu cherches toujours, par des divagations complètement inutiles, à t'en éloigner, fais donc ce que je t'ai commandé, offre un sacrifice pour honorer les dieux de la patrie qui conservent tout cet univers; car je t'ai déjà épargné trop longtemps.» Acace dit : «Ne crois pas m'effrayer par ces menaces. Voilà mon corps tout prêt à subir les tourments; fais-en ce que tu voudras; quant à ma résolution, ni toi, ni ton empereur, ni tous tes démons, ne pourront la changer et me décider à commettre un forfait.» Le juge dit alors : «Eh bien, puisque tu le veux absolument, tu vas être livré à la torture; car il faut que l'édit de l'empereur s'exécute; et je ne pourrais souffrir qu'amené devant mon tribunal et sommé d'obéir aux lois, tu t'en retournes après avoir méprisé mon autorité.» Plein de colère, le président dit en s'adressant aux exécuteurs : «Plantez en terre quatre pieux, attachez-y Acace, et frappez-le avec des nerfs de bÏuf sur le dos et sur le ventre, afin de lui apprendre à plaisanter avec nous et à se croire un grand sage, lui qui ne sait rien. Voyons si son Dieu viendra le secourir, et si sa détermination est aussi irrévocable qu'il le prétend.» Pendant que le martyr était tiré aux quatre pieux, et qu'on le battait cruellement, il disait ces seules paroles : «Ô Christ, venez secourir votre pauvre serviteur; Seigneur, mon Dieu, ne m'abandonnez pas.» Le juge, voyant que les six bourreaux fatigués étaient obligés de se faire remplacer par leurs compagnons, et que le corps du bienheureux martyr, déchiré de coups, laissait échapper des flots de sang qui inondaient la terre, sans que sa constance pût être vaincue, lui dit : «Sacrifieras-tu maintenant, malheureux ? Est-ce que tu préfères ce supplice à l'amitié de César ?»
Acace lui répondit : «Je ne sacrifierai jamais; mon Seigneur Jésus Christ est venu à mon aide, et les tourments que tu m'as fait endurer m'ont rendu plus fort et plus résolu qu'auparavant. Jusqu'à ce moment l'attente où j'étais de la torture ne laissait pas de troubler un peu mon esprit; mais dès que l'on a commencé à me frapper, Jésus Christ m'a communiqué une si grande énergie, que je me suis senti beaucoup plus vigoureux, et disposé dès lors par cette force divine à braver tous les supplices.» Le juge dit : «Tu parles ainsi, parce que tu n'as pas encore été soumis à la grande torture; mais je saurai abattre ton arrogance, puisque la compassion dont j'usais envers toi, te rend, de ton propre aveu, si téméraire.» Acace répondit : «Fais donc tout cela promptement; car les souffrances dont tu veux m'accabler seront pour moi très utiles, et plus tu les redoubleras, plus aussi tu me procureras, que tu le veuilles ou non, la grâce puissante de mon Dieu.» Le juge dit : «Tu fais ces beaux discours, parce que ta chair n'est pas encore réduite en lambeaux.» Acace répondit : «Je t'ai dit déjà de me tourmenter autant que tu le voudrais; pour moi, je ne sacrifie pas aux démons impurs, et ne veux point me conformer à tes désirs ni à ceux de ton père Satan.» Entendant ces paroles, le juge transporté de colère, dit : «Brisez-lui les joues avec des masses de plomb; car il abuse de notre trop longue patience.» Quand on l'eut fait, Acace dit : «Voilà qu'on t'a obéi, mais tu n'as rien gagné; toutes les inventions diaboliques ne pourront triompher de mon amour pour le Christ.» — «Sacrifie, lui cria le juge, et tu seras délivré des tourments que l'on te prépare encore.» Acace répondit : «Non, jamais je ne sacrifierai; je méprise les tourments à venir, comme ceux qui ont passé; car Dieu fortifie mon courage.»
Le juge dit alors : «Comment se fait-il qu'un soldat illettré comme toi, défende sa cause avec tant de hardiesse ?» Acace répondit : «Crois-tu donc que nous répondons ainsi par notre propre force ? Ce n'est pas nous qui parlons; mais l'Esprit de Dieu riche et puissant, qui donne a ses serviteurs une parole libre et ferme avec la constance dans la douleur. C'est ce que notre Sauveur avait promis à ses disciples, en leur disant : Quand vous serez livrés aux princes et aux gouverneurs à cause de mon nom, soyez sans inquiétude sur ce que vous aurez a dire; il vous sera donné à cette heure de parler comme il conviendra : car ce n'est pas vous qui parlerez alors, mais l'Esprit de votre Père qui parlera en vous.» Antonin, le chef de la prison, dit au saint martyr : «À quoi t'aura servi, malheureux, de résister sur la foi de ces paroles, si, vaincu par la violence de la torture qui t'attend, tu te vois obligé d'obéir à l'édit impérial ?» — «Allons, dit Acace, garde pour toi tes conseils; si je n'écoute ni le président, ni ses menaces, si je méprise, avec l'aide de mon Dieu, les supplices que l'on m'a fait subir, penses tu que je puisse faire attention à tes paroles ?» Le juge dit alors aux ministres de la justice : «Emmenez l'impie Acace, jadis centurion, pour le jeter dans la prison intérieure; mettez-lui des entraves, et entourez tout son corps d'une lourde chaîne jusqu'à demain, où il sera présenté de nouveau devant notre tribunal. Empêchez que les gens de sa secte ne pénètrent jusqu'à lui, parce qu'ils en feraient un bienheureux, et le rendraient par ces louanges plus opiniâtre encore dans les supplices qui l'attendent.» Le saint martyr Acace fut donc jeté dans le cachot de la ville de Périnthe; il y demeura sept jours entiers, comblé de joie au souvenir des tourments qu'il avait déjà subis, et plein d'espérances dans les promesses que le vrai Dieu a faites à ceux qui souffrent pour son nom.
Sur ces entrefaites, Bibianus reçut des lettres du proconsul Flaccinas, qui lui prescrivait de le précéder à Byzance; il ordonna donc que les prisonniers le suivraient dans cette ville. Le bienheureux Acace, dont les blessures s'étaient envenimées dans le cachot, était brutalement conduit, chargé de chaînes, par les soldats qui ne lui permettaient de prendre ni repos, ni nourriture, et qui écartaient même ses amis et ses parents, dont la présence l'aurait beaucoup consolé. Sentant alors que tant de souffrances et de fatigues allaient lui enlever ses dernières forces, et que les autres prisonniers, poussés par les soldats, le suivaient toujours de très près, il demanda à ses gardes la permission de prier Dieu pendant un moment. Toute la troupe s'étant donc arrêtée. Il s'adressa ainsi au Seigneur : «Gloire vous soit rendue, ô mon Dieu, qui vous montrez toujours miséricordieux pour ceux qui chérissent votre loi. Gloire vous soit rendue pour m'avoir appelé, malgré mes péchés, à imiter votre Passion. Oui, gloire à vous, ô Jésus, qui avez éprouvé la faiblesse de notre chair, et m'avez accordé la constance par laquelle j'ai triomphé de la torture. Vous voyez maintenant, mon Seigneur, tous les maux dont je suis accablé, et qui semblent réduire mon corps et mon âme à l'extrémité; veuillez donc, Seigneur, envoyer vous-même votre ange pour me guérir et me délivrer de ces peines; accordez-moi aussi cette grâce que je puisse, malgré tout événement, subir le martyre par sentence du Juge, et enfin me réunir à vous.» À peine cette prière était-elle achevée, que l'on entendit sortir une voix des nuages (le ciel en était alors tout couvert); elle disait : «Acace, sois fort et robuste.» Le son de cette voix fut si éclatant, que les bourreaux, les gardes et les autres captifs l'ayant entendu, furent dans la stupéfaction, et se dirent les uns aux autres : «Les nuages parlent-ils donc maintenant ? A-t-on jamais entendu ce qui vient de retentir à nos oreilles.» Et ils ne savaient que penser.
Mais plusieurs de ceux qui étaient conduits enchaînés, ayant ouï ces paroles venues du ciel, crurent au Fils de Dieu, et se jetant aux pieds du martyr, le prièrent de leur exposer là doctrine chrétienne. Alors le bienheureux Acace, tout en cheminant avec eux, leur dit : «Je ne suis pas soldat depuis longtemps; des prêtres pieux m'ont élevé, et c'est d'eux que je tire même mon origine. Je me souviens donc qu'ils m'ont appris comment Dieu, voulant sauver l'homme, qui avait été chassé du paradis, et le retirer des enfers, envoya dans ce monde son Verbe qui lui est coéternel. Le Fils de Dieu vint ici-bas, prenant chair en la sainte Vierge Marie, et sous la forme humaine subit le supplice de la croix, afin que par le bois de cette croix, il pût réparer la faute d'Adam rebelle à son Dieu, et nous arracher, lui notre Maître, à la condamnation qui pesait sur nous tous. Attaché en effet à cette croix, il déchira l'acte de la damnation éternelle porté contre nous, il vainquit le péché, détruisit l'empire de la mort par son propre trépas, enleva à l'enfer ses victimes, et anéantit la puissance de Satan. Ayant donc mis en fuite les légions infernales, brisé les portes de fer et les remparts d'airain, il ressuscita le troisième jour d'entre les morts, donnant le même pouvoir à tous les homme, pour qu'ils puissent vivre durant toute l'éternité car ce monde présent dure encore pour un peu de temps, mais bientôt il ne sera plus.» Ceux qui entendirent ces paroles se convertirent à la foi du Christ.
Le lendemain, pendant la nuit, dans ce même lieu où la troupe s'était arrêtée, les captifs aperçurent certains personnages magnifiquement vêtus et ornes des insignes militaires, qui s'entretenaient avec le bienheureux Acace. Les uns pensaient que ce pouvaient être de ses amis et frères d'armes, qui craignant l'édit impérial, venaient le visiter à la faveur des ombres de la nuit; les autres croyaient plutôt à une vision céleste. On arriva le jour suivant à Byzance, et tous les prisonniers, ayant été enfermés dans un même lieu, ils virent encore les mêmes personnages parlant avec Acace, lavant ses plaies avec de l'eau tiède, et les faisant ainsi disparaître. Ils reconnurent alors qu'ils étaient vraiment des anges du Seigneur. Le bienheureux martyr fut peu après jeté dans la prison intérieure et mis aux fers, tandis que ses compagnons étaient gardés à l'extérieur. Ils virent encore pendant la nuit des lumières briller auprès d'Acace que des anges entouraient. Les uns le débarrassaient de ses chaînes, d'autres soignaient son corps et lui apportaient de la nourriture. Après avoir longtemps considéré ce spectacle, ils appelèrent le geôlier, afin qu'il pût le voir de ses propres yeux. Cet homme, émerveillé à cette vue, raconta la chose à tous ses amis.
Le président Bibianus étant arrive sept jours après à Byzance, voulut qu'on lui amenât le martyr, et dit : «Que l'on fasse comparaître Acace, le défenseur de la religion impie des Galiléens.» Antonin, le chef de la prison, lui répondit : «Celui que tu demandes est tout près d'ici.» Le bienheureux martyr fut donc amené devant le tribunal; et le président voyant la douce joie répandue sur tout son visage, qui brillait comme celui d'un ange, demeura dans l'étonnement. Il avait pensé que les plaies dont son corps était couvert, le poids des chaînes, le manque presque total de nourriture et les fatigues de la route, l'auraient réduit au plus fâcheux état, et il le voyait joyeux et bien portant. Ne pouvant revenir de sa surprise, il dit à Antonin et aux gardes : «Ne vous avais-je pas recommandé, méchants soldats, d'enfermer cet homme dans la prison la plus basse, de l'attacher aux pièces de bois, de jeter à son cou et autour du corps une grosse chaîne et de ne laisser personne approcher de lui, à l'exception du geôlier qui apporte la nourriture; mon but était d'épuiser ses forces et sa jeunesse; maintenant, au contraire, vous me le ramenez aussi fort qu'un athlète, gras et frais, ayant même une meilleure apparence qu'avant la torture.» Antonin, le chef de la prison, répondit : «Je le jure par ta puissance, tes ordres, président, ont été exécutés. Acace a été traité avec toute la rigueur que tu avais marquée, et depuis Périnthe jusqu'ici, il a fait toute la route chargé de lourdes chaînes de fer. Si ton Excellence désire s'assurer quel est le métal de ces chaînes et les peser, elles sont encore là à ta disposition; car le prisonnier ne les a pas quittées un seul instant. Fais appeler le geôlier, et demande-lui, même avec menaces, si on ne lui a pas transmis les ordres que tu avais donnés.»
Alors le juge dit : «Que l'on fasse venir le geôlier.» Quand il fut arrivé, le juge l'interrogea ainsi : «Comment, misérable, as-tu bien osé nous désobéir, et nous amener ce prisonnier aussi grassement nourri qu'un gladiateur qui va combattre ?» Acace dit alors : «Ma force pour combattre m'a été donnée du ciel par Jésus Christ, le véritable préfet du combat; notre maître guérit ainsi ses serviteurs par une seule de ses paroles.» Le juge cria : «Brisez-lui le dents, pour lui apprendre à ne point parler, quand il n'est a pas interrogé.» Puis s'adressant de nouveau au geôlier : «Eh bien, scélérat, qu'as-tu à répondre ?» Cassius le, geôlier dit : «Je le jure par ton Excellence, président, j'ai exécuté tous les ordres que tu as donnés; j'y ai même ajouté de nouvelles rigueurs. D'ailleurs il y avait d'autres prisonniers enchaînés avec Acace, comme tous le savent; interroge-les; et si ce que je vais dire n'est pas la vérité, voici ma tête, prends-la. Tu as tout pouvoir, fais ce qu'il te plaira. Mais voici ce que nous avons vu : souvent autour d'Acace, ont apparu plusieurs personnages couverts de splendides vêtements; les uns, nous semblaient des avocats, d'autres des médecins. Ils pansaient ses blessures, ils le soignaient en toute manière, et lui présentaient différentes nourritures qu'ils partageaient avec le prisonnier. Tous les captifs enchaînés avec Acace depuis la ville de Périnthe ayant vu souvent se renouveler cette scène pendant la route et même ici, ils me l'ont rapportée. Comme je ne voulais pas les croire, et que je désirais cependant connaître la vérité, j'ai cherché à voir de mes yeux, et j'ai pu constater qu'ils disaient vrai. Quelquefois, pendant que je considérais cet étrange spectacle, j'ai ouvert brusquement la porte de la prison, pour savoir quelles étaient ces personnes, et par où elles avaient pu s'introduire; mais quand j'étais entré, je n'en voyais plus aucune, et je ne trouvais plus cette table chargée de mets qu'ils avaient dressée devant le prisonnier. Pour Acace, il était, comme auparavant, fortement attaché à ses pièces de bois, louant le Seigneur son Dieu, et parfois profondément endormi.» Le juge dit : «Tu as reçu de l'argent des parents d'Acace, et tu me contes ces sornettes pour éviter le châtiment.» Et aussitôt il commanda qu'on le battît avec des fouets garnis de plomb. Pendant ce supplice le malheureux criait de toutes ses forces : «Ô juge, je t'en prie, fais-moi mourir, si je n'ai pas raconté la vérité.» Le président dit : «Tu affirmes alors que cet homme est un magicien ?» Le geôlier répondit : «Je dis ce que j'ai vu; mais je ne sais s'il est ou non adonné à la magie.»
Le bienheureux Acace, entendant cette discussion, se prit à rire de leur folie, quoiqu'il eût les mâchoires toutes brisées. Le juge voyant qu'il se moquait d'eux, entra en fureur et lui dit : «Es -tu donc venu ici pour nous tourner en ridicule avec ces prestiges qui font ta force ?» Acace répondit : «Si je ris, ce n'est pas que je me réjouisse de votre perte, car je gémis profondément sur votre damnation éternelle; mais c'est vous-mêmes qui vous rendez ridicules en abandonnant ce vrai Dieu qui a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent, et en adorant des statues de pierre.» Le juge lui dit alors : «Ne crois pas triompher par ton opiniâtreté; ou tu mourras, ou tu obéiras aux invincibles empereurs, en sacrifiant aux dieux.» Acace répondit : «Si tes menaces m'inspiraient quelque crainte, je ferais ce que tu m'ordonnes; mais comme ma détermination est meilleure que la tienne, je méprise tes menaces. Fais ce qu'il te plaira.»
Alors le juge plein de colère lui cria : «Sacrifieras-tu, misérable, ou bien vas-tu continuer encore tes folies ?» Acace répondit : «Bibianus, continue de faire souffrir des hommes qui n'ont commis aucun mal, et qui ne t'ont adressé aucune offense.» Entendant ces paroles, le juge ordonna d'apporter des lanières faites de peau de brebis, et de l'en frapper sur le dos et sur le ventre. Les dix hommes qui le flagellaient durent, à cause de la fatigue, se faire remplacer par dix autres, et pendant ce temps le saint martyr disait à haute voix : «Ô Christ, secourez votre pauvre serviteur.» Irrité, le juge commanda de le frapper encore plus fort sur le ventre; le bienheureux, au milieu de ce cruel tourment, s'écria encore : «Seigneur Jésus Christ, aidez votre serviteur Acace.» Dès que cette parole fut prononcée, on entendit une voix du ciel qui disait : «Ne crains rien, Acace, mais sois courageux; tu iras rejoindre tes pères et te réjouir avec eux dans le ciel, parce que tu as été ferme dans la confession de mon nom.» Aux éclats de cette voix venue d'en haut, les hommes qui frappaient le martyr furent saisis de stupeur, et ne pouvaient plus faire mouvoir leurs bras. Voyant leur impuissance, le juge plein de fureur, mais ne sachant que faire, résolut d'envoyer Acace à un tribunal supérieur, c'est-à-dire à Flaccinus, proconsul d'Europe, avec le rapport suivant : «Au très grand et très admirable juge Flaccinus proconsul, Bibianus, très illustre procurateur, salut. Firmus, le tribun des hommes de Mars, m'a envoyé il y a vingt jours cet Acace, l'un des principaux sectateurs de la religion des chrétiens, qui ne veut pas obéir à l'édit de nos empereurs; je lui ai fait subir un sévère interrogatoire, sans pouvoir le persuader; car il est très opiniâtre dans sa résolution. Ayant appris que tu venais en ces lieux, et pensant que ta haute puissance imposerait davantage à cet homme, je te l'envoie avec les actes du procès, après l'avoir châtié selon les lois.»
Flaccinus ayant reçu cette lettre, ordonna de renfermer le martyr dans une prison, mais sans le charger de chaînes et sans le mettre dans les cruelles entraves. C'est que la femme du proconsul, qui était chrétienne, avait obtenu de son époux la promesse secrète de ne pas faire souffrir longtemps ni beaucoup, ceux que l'on amènerait a son tribunal comme coupables de professer la religion du Christ. Cinq jours après Flaccinus commanda d'amener Acace devant lui, et fit lire les actes du procès. Ayant entendu à quels affreux tourments Bibianus avait soumis le bienheureux martyr, et quelle constance, quelle fermeté Acace avait montrées pendant la torture, ainsi que les miracles survenus à son occasion, le proconsul blâma le procurateur de n'avoir point fait mourir le rebelle, quoiqu'il eût déployé une si grande rigueur contre un militaire de ce grade; et il condamna le bienheureux Acace à subir la peine capitale devant la porte de Byzance. Voici la sentence : «Notre tribunal ordonne de frapper du glaive Acace, fauteur des Galiléens, déserteur des enseignes glorieuses de nos empereurs, et qui, dans ses réponses, a montré qu'il méritait une pareille fin, ne voulant pas obéir aux lois.»
Le bienheureux Acace, voyant qu'il approchait enfin, par la permission du saint Esprit, du terme de sa carrière, s'écria : «Ô Christ, principe de la vie et Fils de Dieu, je voudrais avoir mille voix pour célébrer vos louanges, à vous qui daignez enfin, dans votre miséricorde, m'accorder, malgré mes péchés un sort si digne d'envie.» On le conduisit hors des murs de Byzance, et quand il fut arrivé au lieu où il devait consommer son martyre, il demanda aux bourreaux de le laisser prier pendant quelques instants. S'étant mis à genoux sur la terre nue, il adressa au Seigneur cette dernière prière : «Gloire vous soit rendue, ô mon Dieu, et soit louée éternellement votre éternelle puissance; car vous la montrez avec éclat en des pécheurs couverts de crimes. Mais la splendeur de votre miséricorde s'augmente de la grandeur de nos offenses et de l'abondance de vos bienfaits. Béni soit votre nom glorieux, pour avoir bien voulu honorer l'homme lui-même dans votre Fils unique et dans l'Esprit saint, et pour m'avoir appelé à ce grand honneur, malgré mon indignité, et non à cause de mes Ïuvres, mais par un pur effet de votre divine bonté. Je vous bénis, Dieu saint et tout-puissant, avec votre Fils unique, et avec l'Esprit saint, à qui sont dus gloire et honneur, maintenant et dans tous les siècles. Amen.» Ayant prononcé ces paroles, il fut frappé du glaive et décapité. C'est ainsi que le bienheureux Acace acheva son martyre, le huit des ides de mai, sous l'empereur Maximien. Des hommes pieux recueillirent religieusement son corps, et l'ensevelirent avec soin dans le lieu qui est appelé Staurion, sous le règne de Jésus Christ notre Seigneur, à qui est dû le règne et la gloire dans tous les siècles. Amen.