LES ACTES DES SAINTS VITAL, VALÉRIE, GERVAIS ET PROTAIS

(Vers l'an de Jésus Christ 64)


fêtés le 23 juillet

Moi, Philippe, serviteur du Christ, avec mon fils, j'ai enlevé et enseveli, dans ma maison, les corps de ces deux saints. Leur mère se nommait Valérie et leur père Vital. C'étaient deux jumeaux, dont l'un s'appelait Protais et l'autre Gervais.
Vital, leur, père, était un personnage consulaire, qui avait servi avec distinction dans les armées. Il était venu à Ravenne avec le juge Paulin, qu’il assistait dans ses fonctions. Un jour, il vit devant le tribunal un chrétien, nommé Ursicinus, médecin de profession et Ligurien d'origine, qui, après avoir subi d'affreux tourments, venait d'être condamné à avoir la tête tranchée. Le lieu d'exécution pour les chrétiens se nommait à la Palme (ad Palmam), parce qu'il était planté de vieux palmiers. Lors donc que le condamné fut arrivé à la Palme, il eut peur et allait prendre honteusement la fuite, quand Vital lui cria : «Arrête, Ursicinus, arrête ! toi qui guérissais les autres, tu voudrais enfoncer dans ton âme le trait de l'éternelle mort ? Arrivé par mille supplices jusqu'à la Palme, ne va pas perdre la couronne que le Seigneur t'a préparée.» Ursicinus, entendant ces paroles, se mit à genoux, et demanda au bourreau de le frapper; ainsi il réparait par le repentir un moment de frayeur et mourait martyr du Christ. Aussitôt Vital lui-même enleva son corps, l'ensevelit à Ravenne, avec tous les honneurs dus à son martyre, et ne voulut plus reprendre ses fonctions auprès du juge. C'est pourquoi Paulin le fit arrêter, moins à cause de ce refus que parce qu'll s'était déclaré chrétien, en empêchant Ursicinus de sacrifier, et lui rendant ainsi la couronne du martyre, et à Dieu une perle précieuse que le démon allait lui enlever.
Paulin fit étendre Vital sur le chevalet, espérant par les supplices l'amener à sacrifier aux idoles. Mais le martyr lui dit : «C'est une grande folie à toi de croire que je me jetterai dans l'erreur de tes mensonges, après en avoir arraché les autres.» Paulin dit aux gardes : «Conduisez-le à la Palme, et là, s'il refuse de sacrifier, vous ne lui trancherez pas la tète; mais, creusant une fosse profonde, jusqu'à ce que vous trouviez l'eau, vous l'y étendrez de tout son long sur le dos et vous l'écraserez sous une masse de pierres et de sable.» L'ordre fut exécuté; et tel fut le supplice par lequel Dieu donna à Vital la consécration du martyre. Mais le prêtre d'Apollon, qui avait donné ce conseil à Paulin, fut saisi par le démon, et pendant sept jours, au lieu même où saint Vital avait été enseveli vivant, le nouvel énergumène ne cessa de crier : «Tu me brûles, Vital, saint martyr du Christ, tu me déchires dans d'affreux supplices !» Au bout des sept jours, il fut entraîné par le démon. Le corps du glorieux martyr fut enseveli près des murs de Ravenne, où il est honoré par les fidèles.

ÉGLISE DE SAINT VITAL À RAVENNE

Valérie son épouse revint à Milan. En approchant de la ville, elle rencontra des idolâtres qui sacrifiaient à Sylvain. Ils la firent descendre de son char, et l'invitèrent à prendre part à leurs festins. Valérie répondit : «Je suis chrétienne, et il ne m'est pas permis de manger des victime, offertes à votre Sylvain.» L'entendant parler ainsi, les hommes sauvages la frappèrent si cruellement que ses serviteurs la reconduisirent avec peine et mourante jusqu'à Milan, où trois jours après son âme s'envola vers le Christ. Gervais et Protais recueillirent, sans testament, la succession de leur père et de leur mère. Ils s'empressèrent de vendre leur propre maison, les biens et les modestes habitations de leurs parents, et en distribuèrent tout le prix aux pauvres et à la petite famille de leurs esclaves qu'ils affranchirent. Pour eux, ils s'enfermèrent dans une petite chambre, où ils s'exercèrent, pendant dix ans, à la prière, à la lecture et aux jeûnes. La dixième année, qui était la onzième depuis leur conversion, ils parvienrent à la palme du martyre, en la manière que nous allons raconter.
Le général romain Astasius partait contre les Marcomans qui venaient de déclarer la guerre à l’empire, quand les adorateurs des dieux, avec leurs prêtres, virent au-devant de lui, et lui dirent : «Si tu veux revenir de la guerre, à la cour de nos princes, dans l'éclat d'un joyeux triomphe, contrains Gervais et Protais à sacrifier; car nos dieux sont tellement irrités de se voir méprisés par ces deux misérables, qu'ils refusent de nous rendre leurs oracles.» Astasius, sur cette dénonciation, les fit arrêter et conduire devant son tribunal : «Je vous exhorte, leur dit-il, à cesser vos injures contre nos divinités et à leur sacrifier au contraire avec un zèle religieux, afin que mon expédition soit heureuse.» Gervais répondit : «Il est vrai, c'est du ciel que vient la victoire; mais c'est au Dieu tout-puissant qu’il la faut demander, et non à de vaines images, qui ont des yeux et ne voient pas, des oreilles et n'entendent pas, un nez et ne sentent pas, une bouche et ne parlent pas, des mains et ne touchent pas, des pieds et ne marchent pas, et qui n'ont point en elles le souffle de la vie.» Astasius, irrité de cette réponse, le condamna à être frappé, à coups de fouets garnis de plomb, jusqu'à ce qu'il expirât.
On l'emmena aussitôt, et Protais fut à son tour présenté au tribunal d’Astasius, qui lui dit : «Malheureux, songe à vivre, et ne cours pas, comme ton frère, à une mort violente.» Protais répondit : «Qui donc ici est malheureux ? Est-ce moi, qui ne te crains pas ? ou bien toi, qui ne dissimules pas les frayeurs que je t’inspire ?» Astasius dit : «Moi, craindre un misérable comme toi,» Le bienheureux Protais répondit : Oui, toi; car tu crains de recevoir de moi quelque dommage, si je ne sacrifie à tes dieux; et si tu ne le craignais pas, tu n'essaierais point de me forcer à sacrifier. Moi, au contraire, je ne te crains pas, et je méprise tes menaces; toutes tes idoles sont pour moi comme de dégoûtantes ordures; je n'adore que le seul Dieu qui règne au ciel.» Astasius, pour punir cette hardiesse, le fit frapper à coups de bâton; puis, le faisant relever, il lui dit : «Eh bien ! misérable, pourquoi te montres-tu si fier et si rebelle ? Veux-tu périr comme a péri ton frère ?» Protais répondit : «Astasius, je n'ai contre toi ni emportement ni colère, et je ne me permets pas même de te condamner, car les yeux de ton cœur sont fermés à la lumière; l’incrédulité pèse sur ton âme et ne te permet pas de voir les choses de Dieu. Jésus Christ mon Maître n'a pas maudit ceux qui Le crucifiaient; au contraire, Il a demandé grâce pour eux, en disant qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. C'est pourquoi, moi aussi, j'ai compassion de ta misère, parce que tu ne sais pas ce que tu fais. Achève donc ce que tu as commencé, afin que la douce bénignité de notre Sauveur daigne m'accueillir aujourd'hui avec mon frère.» Astasius lui fit trancher la tête.
Après son supplice, moi, Philippe, serviteur du Christ, avec mon fils, j'ai enlevé secrètement, pendant la nuit, les saints corps; et, dans ma maison, sous les Yeux de Dieu seul, je les ai déposes dans ce tombeau de marbre, plein de confiance que par la prière des bienheureux martyrs, j’obtiendrai miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne avec le Père et l'Esprit saint, dans les siècles des siècles. Amen.