LES ACTES DES SAINTS PROCESSE ET MARTINIEN

(L'an de Jésus Christ 65)

fêtés le 1 juillet


Le très impie Néron avait livré les bienheureux apôtres du Christ, Pierre et Paul, à la garde d'un citoyen illustre, Paulin, maître des offices. Paulin les tenait enfermés dans la prison Mamertine. Là un grand nombre de chrétiens infirmes les venaient trouver, et les prières des bienheureux apôtres les guérissaient de leurs maladies ou chassaient les démons des corps des possédés. Or, parmi les nombreux soldats préposés à la garde de la prison, se trouvaient deux officiers, Processe et Martinien. Saisis d'admiration à la vue des miracles que le Seigneur Jésus opérait par ses bienheureux apôtres, ils leur dirent : «Hommes vénérables, vous ne pouvez douter que l'empereur ne vous ait oubliés; car voilà déjà neuf mois que vous languissez en prison. C'est pourquoi, nous vous en prions nous-mêmes, quittez ces lieux, et allez où vous voudrez. Seulement, au nom de Celui par lequel vous opérez tant de merveilles, ne nous refusez pas le baptême.» Les bienheureux apôtres répondirent : «Si vous voulez croire de tout votre cœur et de toute votre âme au Nom du Dieu en trois personnes, vous pourrez faire vous mêmes, tout ce que vous nous avez vu faire.»
À cette parole, les autres prisonniers s'écrièrent tout d'une voix : «Donnez-nous donc, de l’eau; car la soif nous dévore.» Le bienheureux apôtre Pierre leur répondit : «Croyez en Dieu le Père tout-puissant, en notre Seigneur Jésus Christ, son Fils unique, et au saint Esprit; et vos vœux seront comblés.»
Tous aussitôt se jetèrent aux pieds des bienheureux apôtres, leur demandant le baptême. Ceux-ci, de leur côté, se mirent à prier; et, quand leur prière fut achevée, le bienheureux Pierre fit le signé de la croix sur le roc du mont Tarpéien, dans lequel la prison était creusée. Au même moment, les eaux coulèrent de la pierre, et les saints Processe et Martinien les premiers fuirent baptisés par le bienheureux apôtre Pierre. Les autres, au nombre de quarante-sept, de tout sexe et de tout âge, prosternés aux pieds du bienheureux apôtre, redoublaient leurs instances; il les baptisa tous. Il offrit ensuite pour eux le sacrifice d'action de grâces, et les fit participer au Corps et au Sang de notre Seigneur Jésus Christ, Processe, et Martinien dirent alors aux saints apôtres : «Sortez maintenant, et allez où vous voudrez; car Néron vous a oubliés.»
Les bienheureux apôtres sortirent donc de prison; et, suivant la voie Appienne, ils arrivèrent près de la porte à laquelle cette voie a donne son nom. Là, une bandelette (fasciola)1 qui enveloppait le pied du bienheureux apôtre Pierre, que les chaînes avaient meurtri, se détacha et tomba près d'un buisson, sur la nouvelle voie. Un peu plus loin, à la porte même, le bienheureux Pierre vit le Seigneur Jésus; il le reconnut et Lui dit : «Seigneur, où allez-vous ?» Et le Seigneur répondit : «Je vais a Rome, pour y être crucifié de nouveau; rentre avec moi dans la ville.» Le bienheureux Pierre rentra donc à Rome dès le matin, et des soldats l’arrêtèrent.
Cependant on avait annoncé au maître des offices, le noble Paulin, que, Processe et Martinien s’étaient faits chrétiens. Il les fit prendre et jeter en prison. Le lendemain,
il ordonna qu'on les lui présentât. Quand ils furent devant son tribunal : «Quoi ! s'écria-t-il, vous êtes devenus assez insensés pour abandonner les dieux et les déesses que nos invincibles princes honorent et que toute l'antiquité a vénérés; et, afin de suivre de vaines lois, vous renoncez aux serments prêtés sur vos étendards !» Martinien répondit d'une voix ferme et éclatante : «Un autre prince a reçu nos serments; nous sommes enrôlés dans la milice céleste.» Paulin dit : «Quittez cette folie qui aveugle vos âmes et adorez les dieux immortels, à qui, depuis votre enfance, vous avez toujours adressé vos hommages.» Les deux saints répondirent : «Nous avons été faits chrétiens.» Le noble Paulin dit : «Compagnons et frères ! d'armes, écoutez-moi : Soyez toujours pour moi des amis et, pour vous, jouissez des avantages que vous assurent vos services militaires. Sacrifiez aux dieux tout-puissants et vivez; vivez dans les honneurs auprès de nos princes.» Ils répondirent : «Qu'il te suffise de savoir que nous sommes de vrais chrétiens, les serviteurs de notre Dieu et Seigneur Jésus Christ, que les bienheureux apôtres Pierre et Paul ont annoncé.»
Le noble Paulin reprit : «Je vous l'ai dit et vous le répète encore, obéissez à mes conseils et vivez.» Ils ne répondirent pas, Paulin, une troisième et une quatrième fois, renouvela ses instances. À la fin, voyant qu'il ne pouvait rien gagner, il ordonna qu'on les frappât au visage à coups de pierres. Mais pendant ce supplice, qui dura longtemps, les deux martyrs ne cessaient de chanter d'une commune voix : «Gloire à Dieu dans les hauteurs des cieux.» Paulin dit à ses soldats : «Apportez le trépied, afin qu'ils sacrifient à la majesté des dieux.» Les saints répondirent : «Nous nous sommes offerts une fois nous mêmes au Dieu tout-puissant.» Quand on eut approché le trépied, Paulin dit : «Faites ce que je vous ai ordonné;» et en même temps on apporta une statue d'or de Jupiter. En la voyant, les saints se prirent à sourire; en face de Paulin, ils crachèrent et sur le trépied et sur Jupiter. Paulin, alors les fit suspendre au chevalet, ordonnant qu'on tirât leurs membres avec violence, et qu'avec des bâtons on les frappât à coups redoublés. Mais les martyrs, avec un visage radieux où se peignait la joie qui enivrait leur âme, chantaient : «Nous vous rendons grâces, Seigneur Jésus Christ.» Le maître des offices, Paulin, enflammé de fureur, fit appliquer sur leurs flancs des torches ardentes. Les martyrs continuèrent leurs saints cantiques : «Béni soit le Nom de notre Seigneur Jésus Christ, que les bienheureux apôtres Pierre et Paul ont annoncé.»
Or, il y avait là une noble matrone romaine, nommée Lucine; elle assistait les martyrs, et par ses discours fortifiait leur courage. «Soldats du Christ, leur disait-elle, soyez fermes, et ne craignez pas des supplices qui ne durent qu'un moment.» Paulin de son côté leur criait : «Malheureux, quelle est donc cette folie qui vous aveugle ?» Mais la parole de Lucine était plus puissante; encouragés par elle, les saints se riaient des tortures. C'est pourquoi Paulin, pendant qu'ils étaient encore sur le chevalet, ordonna d'essayer sur eux cette espèce de fouets armés de fers tranchants, que l’on appelait scorpions, en même temps que la voix d'un héraut répéterait aux victimes : «Ne méprisez pas les princes.» Mais tout à coup, se sentant privé de l'usage de œil gauche, il jeta, avec un cri de douleur, cette exclamation insensée : «Ô puissance de la magie !» et fit descendre du chevalet les martyrs, dont les membres étaient déjà broyés sous les coups.
On les enferma dans la prison Mamertine, où Lucine s'empressa de leur prodiguer ses soins pieux. Cependant le démon était entré, dans Paulin, qui expira au bout de trois jours. Pompinius, son fils, accourut au palais, en poussant des cris entremêlés de sanglots : «Princes et gouverneurs de la république, disait-il, venez à mon secours; exterminez la race impie des magiciens qui ont fait périr mon père.» Le préfet de la ville fit aussitôt connaître à l'empereur Néron, ce qui venait de se passer. Celui-ci ordonna qu'on mit à mort sur-le-champ Processe et Martinien. Pompinius pressa l'exécution de la sentence, et les deux saints furent tirés de prison et conduits hors des murs de la ville, sur la voie Aurélia, où ils eurent la tête tranchée. Leurs corps furent laissés à la voirie, pour servir du pâture aux chiens. Mais la très vénérable matrone Lucine avait suivi avec toute sa famille jusque auprès de l'aqueduc; et quand les bourreaux se furent retirés, elle enleva les corps, les embauma de précieux parfums, et les ensevelit dans l'arenarium de sa villa, près du lieu de leur martyre, le six des nones de juillet.