LES ACTES DE SAINT PONTIUS

(Vers l'an de Jésus Christ 257)

fêté le 29 juillet


Qui peut avoir la foi, s'il ne plaît à Dieu de la lui donner ! qui peut souffrir le martyre, sans une grâce spéciale du Seigneur ? qui peut recevoir la couronne, sinon de la Main de Jésus Christ ? Moi donc, indigne d'une faveur si grande, mais qui ai eu le bonheur d'être élevé et instruit avec le saint martyr Pontius, encore qu'il ne m'ait pas été donné de partager sa fin glorieuse, j'espère néanmoins retirer quelque profit pour mon âme de la généreuse confession, en m'en faisant le narrateur fidèle. J'atteste donc ici, devant le Christ et ses anges, que je n'avance rien en ce récit que je n'aie vu de mes yeux et entendu de mes oreilles, puisque j'étais présent à la plupart des faits que je rapporte. Croyez donc sans réserve à ma sincérité, afin qu'au jour de la résurrection votre foi vous obtienne une part au bonheur dont jouit déjà ce saint martyr.
Il y avait à Rome un sénateur nommé Marc, dont la femme s'appelait Julia. Quoique mariés déjà depuis plusieurs années, ils n'avaient pas encore d'enfants; ce, qui leur causait une affliction bien grande, par la crainte qu'ils avaient de mourir sans héritiers de leur fortune. Cependant, en la vingt-deuxième année de leur union, Julia devint enceinte, et ils en eurent tous les deux une grande joie. Or, cinq mois après, ils allèrent visiter ensemble les temples des idoles, et y présenter leurs offrandes. Ils arrivèrent au temple de Jupiter, qu'on appelait le Grand, au moment même où le sacrificateur s'approchait de l'autel, la tête couverte des voiles sacrés. Saisi aussitôt du démon, ce prêtre arracha ses habits de fête et les déchira en mille pièces. Il poussait en même temps des gémissements affreux, remplissant le temple de hurlements épouvantables. «Cette femme, s'écria-t-il, porte en son sein un enfant qui détruira de fond en comble ce temple magnifique, et en pulvérisera les dieux.» Comme il ne cessait de répéter ces paroles, Marc et Julia, tout effrayés, s'enfuirent dans une maison voisine; là Julia prenant une pierre, s'en frappait violemment le sein en disant : «Plût au ciel que je n'eusse pas conçu cet impie destructeur des temples, cet ennemi de nos dieux. Mieux vaut mille fois que je le fasse périr et que je périsse moi-même avec lui.» Cependant, quand son terme fut arrivé, elle mit au monde un bel enfant sans aucun défaut, lorsqu'elle croyait lui avoir donné la mort par la violence des coups. Elle allait l'étouffer, quand le père survint et l'arrêta en disant : «Laisse-le; si Jupiter le veut, il saura bien se défendre de son ennemi; pour nous , ne souillons point nos mains du sang de notre fils.
L'enfant fut donc ainsi sauvé, et ils lui donnèrent le nom de Pontius; mais, pour éviter tout malheur, jamais on ne le conduisit au temple des idoles. Quand il fut en âge convenable, on le fit étudier sous les plus habiles maîtres; toutes les doctrines des philosophes lui devinrent familières ainsi que les lettres et les arts, en sorte que sa mémoire cultivée retenait facilement plus de livres ou de traités qu'une bibliothèque assez vaste n'en eût pu contenir.
Un jour qu'il s'était levé de grand matin pour aller trouver son précepteur, il entendit en traversant une rue le chant des chrétiens qui, présidés par le saint pape Pontien, célébraient l'office de l'aurore. «Notre Dieu, disaient-ils, est au plus haut du ciel; il règne dans le ciel et sur la terre : Il a créé tout ce qu'Il a voulu. Mais les idoles des nations ne sont que de l'or et de l'argent : elles sont l'ouvrage de la main des
hommes. Elles ont une bouche, et ne parlent point; des yeux, et ne voient point; des oreilles, et n'entendent point. Leurs mains ne peuvent rien toucher, Ieurs pieds ne sauraient se mouvoir. Leur gosier ne peut rendre aucun son; leurs lèvres sont muettes; car il n'y a point d'âme dans ces images trompeuses. Puissent donc tous ceux qui les ont faites
leur devenir semblables, ainsi que quiconque se confie en elles !» Entendant ces paroles, l'enfant s'arrêta, et poussant un profond soupir, il entra dans des réflexions profondes, se demandant ce que c'était que ce cantique. Enfin, touché de l'esprit divin, il fondit en larmes et s'écria : «Ô Dieu, dont on chante ici les louanges, daignez vous faire connaître à moi.» Et s'approchant résolument du lieu de l'assemblée, il frappa à la porte à coups redoublés. Quelqu'un regarda d'en haut par une fenêtre et dit : «C'est un enfant qui demande à entrer.» Sur quoi le saint pape Pontien, touché par un mouvement secret du saint Esprit, répondit aussitôt : «Ouvrez-lui, et laissez-le venir à nous; car le royaume
des cieux appartient aux petits enfants.» Pontius quitta donc ses maîtres dans la rue, et prenant seulement avec lui un autre enfant nommé Valère, qui était son condisciple, il entra. Quand ils furent montés au cénacle , et qu'ils eurent vu qu'on célébrait les saints mystères, ils se retirèrent un peu à l'écart en attendant la fin du sacrifice. Après quoi Pontius se prosternant aux pieds du pape, les embrassa avec larmes, et dit : «Je vous prie, ô très saint père, de m'expliquer ce cantique que vous chantiez tout à l'heure et où vous disiez : «Notre Dieu est dans le ciel; les idoles des nations sont muettes, aveugles et sourdes; elles ne sentent point et ne peuvent rien toucher.» Mais surtout, et c'est ce qui nous concerne davantage, je vous ai entendus dire : «Puissent leur devenir semblables tous ceux qui se confient en elles !»
Le vénérable évêque lui répondit : «Je sais, mon fils, que Dieu a éclairé ton cÏur pour que tu Le cherches dans la vérité. Ne vois-tu donc pas que toutes ces statues sont faites de métaux, d'or, d'argent, d'airain ou de terre ? Qui ne sait que ces marbres ont été tirés de la carrière, placés sur des chariots, traînés par des bÏufs et ainsi amenés sur le forum ? Ce ne sont donc point des dieux, ces objets tirés du sein de la terre et qui y rentreront bientôt. Notre Dieu, au contraire, en qui nous mettons notre espérance, est dans le ciel. Il ne peut Se voir des yeux du corps, mais seulement de ceux du cÏur. Car comment peut-on dire qu'on a l'espérance de voir une chose quand déjà on la voit clairement ?» Pontius répondit: «Mon seigneur et mon père, qui ne sait que toutes ces idoles sont sans mouvement et sans vie ? Les rues et les places en sont pleines, ainsi que le forum, le Capitole et tous les temples; là on en voit de toute forme et de toute espèce, faites sans autre règle que le caprice de l'ouvrier. Qui ne les a vu placer sur leurs bases et consolider à l'aide du fer et du plomb pour qu'elles y puissent tenir contre l'effort des vents et des tempêtes ? Nous savons en outre qu'elles ont été souvent enlevées par les voleurs; comment en effet ces dieux qui ne savent pas se défendre pourraient-ils protéger ceux qui les adorent ?»
Le saint évêque Pontien, entendant des paroles si sages sortir de la bouche de cet enfant, le prit par la main et voulut le faire asseoir à côté de lui. Mais Pontius résista en disant : «Le respect que je crois devoir aux maîtres qui m'enseignent les futilités des sciences profanes m'empêche de m'asseoir en leur présence; comment donc oserais-je partager le siège de celui qui m'enseigne la voie de la vérité, en m'arrachant à l'erreur, et qui me ramène des ténèbres à la lumière ?» L'évêque répondit : «Le seigneur Jésus notre Maître nous a donné cet enseignement divin, de nous considérer tous comme égaux devant lui, en sorte que chacun traite son prochain comme il désire être traité lui-même.» Ensuite il ajouta : «As-tu encore ton père et ta mère ?» — Ma mère, répondit l'enfant, il y a deux ans qu'elle est morte. Mon père vit encore; mais il est bien vieux et je suis son unique enfant. — Est-il chrétien, demanda l'évêque, ou bien encore idolâtre ?» Pontius répondit que son père était plus que personne entêté de ses erreurs et attaché au culte des démons. «Eh bien ! mon fils , repartit l'évêque, Dieu qui, sans le secours d'aucun homme, a daigne éclairer les yeux de ton cÏur, peut aussi dissiper les préjugés de ton père, et se servir de toi pour amener à la vie éternelle celui qui t'a donné cette vie du corps. Pour toi, mon cher fils, écoute-moi : crois en Jésus Christ et reçois le baptême de la régénération, afin d'éteindre les ardeurs du feu éternel.» Il continua donc pendant plus de trois heures de l'instruire par de saints discours, en lui faisant connaître le royaume du Seigneur Jésus, après quoi il le fit catéchumène, ainsi que son petit compagnon. Ils sortirent ensuite, joyeux comme deux agneaux qui reviennent d'un frais pâturage; car ils avaient trouvé la véritable voie du salut. Chaque jour ils venaient ainsi vers le serviteur de Dieu pour se perfectionner dans la saine doctrine. Et le saint enfant Pontius, bien qu'encore seulement catéchumène, montrait tant d'ardeur pour observer les commandements de Dieu qu'il justifiait cette parole de l'Apôtre : «La grâce a surabondé là où le péché abondait auparavant.»
Quand l'heure de rentrer était arrivée, il saluait avec respect le vénérable évêque Pontien, et tous les saints qui étaient avec lui; puis il retournait chez son père. Celui-ci, le voyant arriver, lui demandait souvent : «Mon fils, qu'as-tu appris aujourd'hui de tes maîtres ? — Depuis que j'étudie, répondait Pontius, jamais je n'ai eu de leçon aussi intéressante que celle d'hier ou d'aujourd'hui.» Son père se réjouissait là-dessus, croyant qu'il parlait de quelque nouvelle doctrine des philosophes. Mais Pontius ne cherchait qu'une occasion favorable pour le gagner à la foi de Jésus Christ, et il lui dit un jour : «Mon seigneur et père, j'entends dire assez souvent que ces dieux à qui nous rendons hommage sont vains et sans pouvoir. Cette opinion commence à se répandre, et il nous est facile à nous-mêmes d'en vérifier jusqu'à un certain point la justesse; car ces statues, quoiqu'elles aient des membres imités de ceux du corps humain, ne peuvent toutefois s'en servir. Ne dépend-il pas du premier venu d'amener chez lui un ouvrier, et, en lui fournissant la matière convenable, de faire faire son Dieu comme il l'entend ? En sorte que, selon la différence des fortunes, l'un adore l'or, un autre l'argent, un troisième l'airain, et ainsi des autres métaux. Je t'en prie, dis-moi si ceux que nous avons dans cette maison ont servi à quelque chose depuis qu'on les a placés là. —Non, jamais. Alors, reprit le bienheureux Pontius, pourquoi les honorer, pourquoi leur offrir de l'encens ?» Le père à ces mots entra dans une grande colère, jusqu'à vouloir percer son fils d'un coup d'épée, et s'écria : «Tu fais injure à mes dieux.» Mais sa fureur s'apaisant par degrés, il lui dit : «Veux-tu donc, ô mon fils , que seuls dans toute la ville nous soyons sans dieux et sans sacrifices ? — Mon père, répondit Pontius, nous ne serions pas seuls; car il est déjà grand dans Rome le nombre de ceux qui offrent le véritable sacrifice au vrai Dieu. — Où donc les trouverons-nous, demanda le sénateur ? — Tu n'as qu'à ordonner, répondit Pontius, et je t'amènerai quelqu'un qui t'expliquera tout ceci plus clairement. — Va donc, j'y consens, répondit le père. Sur quoi, Pontius se tournant vers le jeune Valère , lui dit : «Voilà un coup parti de la main même de Dieu.» Et aussitôt, allant chercher le saint évêque Pontien, il le conduisit chez son père qui, après avoir été instruit, fut touché de la grâce, crut en Jésus Christ, brisa de ses propres mains toutes ses idoles, et reçut le baptême avec son fils et toute sa maison.
Peu de temps après, ce bon vieillard vint à mourir. Le saint jeune homme, alors âgé de vingt ans, se trouva ainsi maître absolu de son sort. Il vint trouver le saint pontife et lui apprit dans tous ses détails la mort de son père. Six mois après, des soldats vinrent le chercher pour le conduire malgré lui au sénat, où on le fit asseoir à la place laissée vacante par la mort de son père. Ce qui ne se fit point sans un dessein de la Providence, afin que, par l'entremise de Pontius, non seulement le peuple, mais encore les empereurs eux-mêmes fussent appelés à la vraie religion. Dieu lui avait, du reste, donné une telle grâce que tous, tant au sénat qu'au palais, se sentaient prévenus en sa faveur.
Vers ce temps arriva la mort glorieuse du saint pape Pontien. Antéros lui succéda, et ne siégea guère plus d'un mois. Il fut remplacé par Fabien, qui montrait à l'égard du jeune Pontius une bienveillance vraiment paternelle. Ce saint jeune homme, déjà parfait dans l'amour de Dieu, livra tous ses biens à l'évêque, afin qu'ils fussent distribués aux pauvres, surtout aux fidèles indigents. Il me reste à dire comment, le premier, il a procuré la conversion des empereurs, et comment, combattant vaillamment le démon, il a mérité la palme du martyre par une glorieuse victoire.
En ce temps-là régnait l'empereur Philippe avec le prince Philippe son fils, et le bienheureux Pontius était leur ami intime. Comme il avait toujours ses entrées libres dans le palais, il alla un jour trouver les empereurs (c'était en la troisième année de leur règne, au millième anniversaire de la fondation de Rome). Comme donc ils allaient dans cette occasion solennelle offrir un sacrifice à leurs dieux, ils dirent au bienheureux Pontius : «Allons rendre grâces aux dieux immortels qui nous font voir aujourd'hui révolue la millième année de Rome.» Pontius cherchait à s'excuser de son mieux; les princes au contraire redoublaient leurs amicales instances pour l'emmener avec eux à ce sacrifice. Enfin, voyant que la Providence lui donnait une occasion favorable, Pontins leur dit : Ô très pieux empereurs, puisque vous avez reçu de Dieu votre couronne, pourquoi n'adorez-vous pas celui qui vous a placés en ce haut rang ? Pourquoi ne lui offrez-vous pas à lui seul le sacrifice de louange ? — Quoi donc ! répondit l'empereur. Mais c'est ce que je fais, et ce sacrifice que je vais offrir au grand dieu Jupiter n'est que pour le remercier d'avoir mis en mes mains la puissance souveraine.
Pontius sourit et ajouta : «Prends garde, ô grand empereur, de te laisser aller à une erreur funeste. Dieu est au ciel; Il a tout créé par son Verbe, et Il a donné la vie à tout par la grâce de son saint Esprit.» Le fils de l'empereur et l'empereur lui-même se récrièrent en disant : «Nous ne savons où tu veux en venir.»
Il leur demanda de nouveau : «Pensez-vous que Jupiter ait toujours existé ? — Non, répondirent-ils, car avant lui Saturne son père gouvernait paisiblement les peuples de l'Italie. — Et quand Saturne régnait encore en Crète, avant d'en être chassé par son fils Jupiter, l'Italie n'avait-elle donc pas déjà des peuples ? Chassé de son royaume, n'a-t-il pas trouvé ici des hôtes pour le recevoir ? Ô très pieux princes, ne vous laissez donc pas séduire par les vaines imaginations des poètes. Il n'y a qu'un Dieu qui est au ciel, Père de toutes choses avec son Fils et le saint Esprit. Il a créé tout l'univers et le gouverne sans cesse par sa providence.» L'empereur l'interrompant aussitôt, s'écria : «Tu nous dis qu'il n'y a au ciel qu'un seul Dieu, et maintenant tu nous parles de son Fils ? — Je vous le répète, dit Pontius, il n'y a qu'un seul Dieu qui a créé le ciel et la terre, la mer et tout ce que nous voyons dans le monde. Il a terminé son ouvrage par la création de l'homme, le faisant à son image et le douant de l'immortalité. Il a soumis à la volonté de cette créature privilégiée tout ce qui est sur la terre, dans la terre et dans les eaux. Mais le diable, qui avait été chassé du ciel, voyant l'homme en si grand honneur, fut rempli d'envie et lui persuada de se montrer ingrat et désobéissant envers celui de qui il tenait tous ces biens. L'homme, par son péché, perdit cette vie immortelle à laquelle il était destiné. Par sa désobéissance, il encourut la mort, non seulement pour lui-même, mais aussi pour tous ses descendants. Enfin le diable, non content d'avoir ainsi dégradé l'homme, inventa, pour achever de le séparer de son Dieu, ces idoles que vous adorez maintenant comme des divinités.
Cependant, comme il répugnait à la Bonté de Dieu de laisser ainsi périr la créature qu'il avait faite à sa ressemblance, Il a envoyé du ciel en terre son Fils unique par lequel toutes choses avaient été créées. Le Verbe prit donc une chair immaculée dans le sein d'une vierge, et se fit homme pour régénérer l'homme déchu, pour rejeter dans le feu éternel le diable et ses satellites. Il s'est fait connaître par de nombreux et éclatants miracles, tels qu'on n'en avait jamais vu avant lui. Il a rendu la vue à des aveugles-nés; à sa voix, les paralytiques ont recouvré leur santé première qu'ils avaient perdue depuis de longues années. Il a guéri des lépreux dont les chairs tombaient déjà en pourriture. Il a enfin ressuscité des morts, des morts de quatre jours, comme ce Lazare qu'il fit sortir du tombeau en présence d'une grande multitude de peuple. Il fit encore un nombre infini d'autres merveilles; et qu'y a-t-il là d'étonnant ? Puisqu'Il était l'auteur de la nature, Il pouvait bien en suspendre les lois selon sa Volonté. Mais les Juifs endurcis, loin de vouloir Le reconnaître, le livrèrent au préfet Ponce Pilate et crucifièrent le Dieu qui venait pour les sauver. Néanmoins, le troisième jour, Il ressuscita et demeura encore quelque temps sur la terre après sa résurrection, conversant avec les hommes. Par sa Mort volontaire, Il a détruit la mort que le diable nous avait donnée, et Il nous a rendu la vie, afin que, comme lui-même une fois ressuscité ne meurt plus, nous aussi, après cette vie si courte et si misérable, nous ressuscitions pour vivre à jamais avec Lui. Car en montant au ciel, il a ouvert la route à ses fidèles serviteurs. Voilà pourquoi celui qui méprisera cette voie de salut sera damné à jamais avec le diable; celui qui, au contraire, embrasse la sainte foi, habitera dans les royaumes célestes avec le Christ notre Seigneur.»
Pontius ayant fini ce discours et beaucoup d'autres que son zèle lui suggéra, la grâce divine toucha le cÏur des empereurs, et ils crurent. Ils le prièrent d'achever dès le lendemain de leur exposer cette doctrine, afin de leur apprendre ce qu'ils devaient faire pour éviter la damnation, et pour jouir de l'immortalité avec les saints dans le ciel. Mais dès ce jour même ils renoncèrent aux sacrifices des idoles, et ordonnèrent qu'on célébrât seulement par des jeux le millième anniversaire de la fondation de Rome. Le bienheureux Pontius alla trouver aussitôt le saint évêque Fabien, qui gouvernait alors l'Église de Dieu, et lui raconta tout ceci en détail. Et le saint pape, se jetant à genoux avec lui, rendit grâces à Dieu en ces termes : «Seigneur Jésus Christ, je rends grâces à votre saint Nom de ce que, par le ministère de votre serviteur Pontius, vous avez attiré les empereurs à notre sainte foi.»
Le lendemain, ils se rendirent ensemble au palais, et le saint pape, ayant achevé d'instruire les empereurs, les baptisa. Par l'influence d'un tel exemple, beaucoup de romains, abandonnant les faux dieux, vinrent en foule pour être instruits et recevoir le baptême.
Ceci dura pendant quatre ans, qui fut le temps du règne de ces empereurs, jusqu'à ce que, avant été trahis et assassinés, Décius, leur meurtrier, montât sur le trône à leur place. Alors le Seigneur voulant purifier son Église comme l'or par le feu de la tribulation, et jeter au feu la paille après l'avoir séparée du bon grain, permit que l'empire vînt ensuite aux mains des princes Gallus et Volusien, qui régnèrent deux ans et quatre mois dans l'idolâtrie. À peine parvenus au trône, ils rendirent, tous deux de concert, de sacrilèges décrets, ordonnant que quiconque donnerait asile à des chrétiens et ne les livrerait pas immédiatement subirait les mêmes peines que ces impies. Ainsi, après quelque temps d'une tranquille paix, les enfants de l'Église eurent à supporter de nouveau une effroyable tempête.
Le bienheureux Pontius, voyant la fureur de la persécution, se cacha quelque temps dans Rome, en butte aux persécutions les plus acharnées des prêtres païens. Mais bientôt, ne trouvant plus de retraite assez sûre, il sortit de la ville pour obéir au précepte du Seigneur : «Quand on vous persécute dans une cité, fuyez dans une autre.» Car, selon qu'il est écrit ailleurs, «l'esprit est prompt, mais la chair est faible.» Il sortit donc de l'Italie, et alla se fixer dans une petite ville cachée au pied des Alpes et nommée Cimélia. Cependant la rage des tyrans ne cessait de s'accroître; ils résolurent de détruire entièrement le nom chrétien, et envoyèrent pour cet effet dans toutes les provinces des ministres de Satan avec des soldats pour faire exécuter leurs ordres. Celui qui fut envoyé en Gaule s'appelait Claudius, et Anabius était son assesseur. La première ville où ils entrèrent fut celle de Cimélia, et ils y offrirent un sacrifice aux démons. Puis, s'asseyant sur leur tribunal, ils ordonnèrent qu'on leur amenât tous les chrétiens que l'on pourrait saisir. On traîna le bienheureux Pontius à ce tribunal où Claudius et Anabius étaient assis. Le préfet s'écria d'une voix irritée : «Que l'on introduise Pontius.» (Ce qui se disait pour la forme, car il était déjà présent.) On répondit, suivant l'usage : «Le voici.» Alors CIaudius lui dit : «Es-tu ce Pontius qui as troublé la ville de Rome par tes intrigues, et qui as séduit le cÏur même des empereurs pour leur faire abandonner le culte des dieux ? — Je n'ai point causé de troubles, répondit le saint; je n'ai nui à personne; je n'ai fait que détourner les hommes du culte des démons pour les amener au service du Verbe de Dieu.» Le préfet dit : «Nos puissants empereurs savent que tu es de famille noble : ils ont donc ordonné que tu adores les dieux, ou que tu subisses le châtiment de ton crime avec les esclaves et les plus vils malfaiteurs.» — Le Christ est mon unique consolation, répondit le saint; si, pour l'amour de Lui, j'abandonne les biens terrestres, j'en acquerrai de célestes; et ce ne seront plus des richesses périssables, mais la gloire éternelle avec les saints anges : tel sera mon partage. Le préfet reprit : À quoi servent ces vaines paroles ? Sacrifie aux dieux, ou je vais briser ton corps dans les tortures. — J'ai déjà dit, répéta le saint martyr, que je suis chrétien; jamais je n'offrirai de sacrifices aux démons.
Claudius, voyant cette fermeté, ordonna de reconduire l'accusé en prison, jusqu'à ce qu'il eût fait son rapport aux empereurs, auxquels il écrivit en ces termes :
«Aux très pieux et très invincibles seigneurs toujours augustes Valérien et Gallien empereurs, vos serviteurs.
À notre entrée en Gaule, nous avons trouvé ce Pontius qui a excité tant de troubles à Rome; il n'a point cessé d'être rebelle à vos ordres. Mais, comme il est du nombre des premiers sénateurs, nous l'avons seulement fait mettre en prison jusqu'à ce que vous ayez décidé comment il doit être puni.»
Les empereurs répondirent : «Notre Majesté ordonne que, s'il refuse encore de sacrifier, vous le fassiez périr par tels supplices que vous voudrez.»
Le préfet Claudius se fit amener de nouveau son prisonnier et lui dit . «Écoute les ordres salutaires de tes maîtres : ils ordonnent que tu sacrifieras aux dieux, ou que tu souffriras les tourments avec les autres condamnés.»
Le bienheureux Pontius répliqua : «Je n'ai point d'autre maître que mon Sauveur Jésus Christ, qui peut facilement me délivrer de ces tourments dont tu me menaces.
— Je M'étonne, continua Claudius, qu'un homme noble et puissant comme toi descende à une telle abjection. Tu reconnais donc pour ton Maître cet homme pauvre et méprisé que notre collègue Ponce Pilate a fait crucifier pour je ne sais quel motif; et tu ne veux pas donner ce titre aux souverains maîtres de l'État !
— Et moi, répondit le saint, je m'étonne bien plus encore que tu méconnaisses le Dieu du ciel et de la terre sous ces dehors méprisables qu'il a pris pour ton salut. Je m'étonne que tu sois assez insensé pour traiter l'homme obscur celui que les anges adorent dans le ciel. S'il a été condamné par Pilate sur l'accusation des Juifs, c'est parce qu'i l'a bien voulu. Oh ! si tu voulais L'avouer pour ton Dieu et
t'humilier devant Lui, ton esprit s'élèverait jusqu'au ciel, et tu verrais au fond des abîmes ceux que tu reconnais maintenant pour de véritables dieux. Quant à tes princes, que tu dis être maîtres absolus de l'empire, ils iront en enfer pour avoir adoré ces statues de pierre et de bois, et ils y entraîneront avec eux tout le peuple qui leur obéit. Sachez donc que, si vous ne quittez vos erreurs, vous sortirez misérablement de cette vie, et qu'un juste jugement vous plongera dans le feu où brûlent maintenant ceux que vous adorez.»
Alors le préfet furieux cria aux licteurs : «Préparez tous les instruments de supplice : les chevalets, les ongles de fer, les torches, les lanières, et tous les autres que vous pourrez trouver; car il faut mettre au grand jour la folie de cet homme. — Tout est prêt, répondirent les bourreaux. — Eh bien ! dit Claudius, placez-le sur le chevalet, afin qu'il sente la douleur courir par tous ses membres, et alors nous verrons si son Dieu le tirera de nos mains. On obéit, et pendant ce temps le bienheureux Pontius disait : «Ton incrédulité accuse d'impuissance mon Seigneur Jésus Christ; mais je crois fermement qu'Il saura bien empêcher toute ta fureur de me nuire.» Et en effet, dès qu'on l'eut étendu sur le chevalet et qu'on eut commencé de tourner violemment la roue, l'instrument se rompit et fut tellement pulvérisé qu'll n'en resta rien; en sorte que tous les assistants furent remplis d'une incroyable frayeur. Pour le saint, sans s'émouvoir, il disait d'un air joyeux : «Maintenant du moins crois à la puissance de notre Dieu; car de même que dans ce moment il arrache les justes des mains de leurs persécuteurs, de même au jour du jugement il saura bien jeter les impies dans le feu éternel.»
La fureur du préfet redoubla à ces paroles; Anabius le voyant tout hors de lui, lui dit : «Ô le plus sage des hommes, tu sais qu'on nous a amené de la Dalmatie deux ours d'une taille extraordinaire; ordonne que l'on prépare un amphithéâtre pour que ce scélérat soit dévoré par eux.» On dressa donc un amphithéâtre par l'ordre du préfet, et le saint martyr entra dans l'arène. Deux bestiaires y entrèrent aussi, amenant les bêtes féroces qu'ils excitaient à coups de fouet, selon la coutume. Mais, arrivés au milieu de l'arène, les deux ours, à peine sortis de leurs cages, au lieu de se jeter sur l'homme de Dieu, attaquèrent chacun son conducteure leurs corps. Puis, se dirigeant vers Pontius, ils n'osèrent venir jusqu'à ses pieds, étant tout souillés du sang des païens; mais de loin ils léchaient la terre devant lui sans jamais lui faire aucun mal. Alors tout le peuple poussa ce cri qui monta jusqu'au ciel : «Il n'y a point d'autre Dieu que le Dieu de Pontius, le Dieu des chrétiens !»
Le préfet cependant ne fit que s'aveugler davantage, et, dans sa fureur, il se mit à crier : «Élevez un bûcher et placez-y tout ce qui peut activer la flamme; car si l'art magique des Marses fournit à ce rebelle des enchantements contre les serpents et les bêtes féroces, nous verrons s'il pourra charmer aussi le feu.» Le bienheureux Pontius répondit : «Pour quel crime veux-tu ainsi me jeter au feu ? Le feu éternel qui ne s'éteindra jamais deviendra ton partage. Mon Dieu qui a délivré de la fournaise les trois enfants de Babylone, peut bien me délivrer aussi.»
Pendant ce temps on construisait le bûcher; quand il fut prêt, le préfet ordonna d'y jeter le serviteur de Dieu, après lui avoir lié les pieds et les mains. On obéit; mais le feu, montant en tourbillons bien au-dessus des gradins de l'amphithéâtre, consuma tout le bois amoncelé sans toucher au serviteur de Dieu, et même sans nuire aucunement à ses habits. Le préfet, vaincu et confus, lui dit alors : «As-tu donc conjuré tous les genres de tourments, et penses-tu m'échapper toujours ainsi ? Voici tout près le temple d'Apollon; viens y et sacrifie.» Le bienheureux Pontius répliqua : «Je sacrifie à mon Seigneur Jésus Christ un corps que j'ai conservé jusqu'ici pur de toutes les souillures des idoles. Vous au contraire, avec vos empereurs, qui persécutez les serviteurs de Jésus Christ, vous tomberez tous sous les coups de la vengeance divine. Au reste, Dieu n'a pas permis que tu pusses me nuire : essaie néanmoins tous les tourments que tu voudras.» Le préfet, voyant sa fermeté, lui dit d'un ton flatteur :C'est toi qui aurais dû être notre juge, puisque tu es un des principaux du sénat; mais maintenant te voilà à notre jugement, puisque, aveuglé par ta folie, tu repousses la puissance et le bonheur. — La puissance de ce siècle, répondit Pontius, et les richesses du monde sont comme les nuées du matin que les hommes croient voir couvrir les montagnes et les mers, et qu'un souffle de vent dissipe en un instant : la gloire que j'attends, l'honneur que je désire, ne finissent jamais. À ce moment les juifs qui assistaient dans l'amphithéâtre se mirent à crier : «À mort, à mort le malfaiteur !» Alors le martyr, levant les mains au ciel : «Je vous remercie, dit-il, ô mon Dieu, de ce que de même que leurs pères criaient contre le Sauveur Jésus : Qu'on le crucifie, qu'on le crucifie; de même ceux-ci sont avides de mon sang.» Le préfet, poussé par le démon, dit : «Non seulement tu m'as fait injure à moi , mais encore aux empereurs nos maîtres. Conduisez-le donc, ajouta-t-il, sur le rocher qui est au bord du fleuve. Tranchez-Iui la tête, et précipitez son corps.» Les satellites exécutèrent cet ordre, et ainsi le vénérable Pontius consomma son martyre, et son âme entra dans le ciel avec la palme de la victoire.
Peu de temps après s'accomplirent les prédictions qu'il avait, faites. L'empereur Valérien fut pris par Sapor, roi des Perses; et, sans avoir l'honneur de mourir par le glaive, il servit, tout le reste de sa vie, de jouet à son vainqueur : juste punition de ses crimes. Car chaque fois que le roi Sapor voulait monter à cheval, il faisait courber le dos à Valérien et s'en servait comme de marchepied. Quant à Gallien , comme il entrait à Milan, il fut assassiné par ses propres soldats. Le préfet Claudius et son assesseur Anabius furent saisis du démon à l'heure même de la mort du saint martyr. Claudius se coupa la langue avec ses dents; les yeux d'Anabius sortirent de leurs orbites par la force de la douleur et pendaient sur ses joues; de sorte qu'en un instant l'un et l'autre périrent misérablement. Ce châtiment remplit d'une grande crainte les païens et les juifs de la ville, et l'on commença à honorer le sépulcre du bienheureux Pontius. Car ce Valère qui avait été le compagnon de son enfance avait enlevé son corps durant la nuit par crainte des païens. Il l'ensevelit au lieu même de son supplice. Ensuite, ayant acheté des greffiers la relation des interrogatoires et du supplice, et trouvant un navire prêt, il s'embarqua pour aller en Libye à cause de la persécution.
À Dieu qui a reçu son martyr dans la vie éternelle soit honneur et gloire, puissance et règne dans tous les siècles des siècles. Amen.