LES SAINTS GEORGES, DIACRE, AURÉLE, FÉLIX, NATALIE ET LILIORA
fêtés le 27 juillet
Au nom du Père, du Fils et du saint Esprit. À toute l'Église catholique, salut en notre Seigneur Jésus Christ, de la part de moi, Georges, moine indigne et pécheur, diacre, frère et collègue des cinq cents religieux, serviteurs de Dieu et fils de saint Sabas.
Vous savez, mes frères très chers, que l'unique motif qui m'a conduit en Espagne a été de vous procurer quelques ressources, à vous qui vivez à Jérusalem sous la règle la plus étroite et sous le gouvernement du saint père David. Envoyé par mes supérieurs en Afrique, j'ai passé ensuite en Espagne. Comme je trouvai cette presqu'île sous le coup de la persécution, j'entrai en de grandes perplexités, et je me demandai si je devais regagner mon pays natal ou bien passer dans le royaume très chrétien, c'est-à-dire la France. Ayant consulté sur ce point mes proches et mes amis, les uns furent d'avis que je poursuivisse mon voyage, les autres que je retournasse en mon monastère. Je demeurai dans l'incertitude, ne sachant trop lequel des deux avis je devais suivre. Je quittai alors Cordoue et je me rendis au monastère double de Tabenne, dans l'espérance que les prières des frères et des soeurs qui y vivaient saintement béniraient et feraient prospérer mon voyage. L'abbé Martin et sa soeur l'abbesse Élisabeth, informés de mon dessein, m'invitèrent gracieusement «Viens, frère, me firent-ils dire, et tu recevras la bénédiction de la servante du Seigneur, Labigotho.» Dès que cette religieuse m'aperçut, elle dit : «Voici le moine qui nous a été promis comme compagnon et frère d'armes dans notre combat suprême.»
Quand on m'eut expliqué la raison de ces paroles, qui faisaient allusion à des révélations précédentes, je ne fis aucune difficulté, et, me prosternant aux pieds de la sainte femme, je la conjurai de prier pour moi le Seigneur, afin que, illuminé et fortifié par l'Esprit saint, je méritasse d'être à la hauteur de tout ce qu'on attendait de moi. La sainte me répondit : «D'où nous vient cet honneur, mon père, que vous consentiez à faire route avec des pécheurs comme nous ?» Je m'installai donc en ce monastère, et pendant la nuit suivante je rêvai et vis la vénérable religieuse Labigotho, qui préparait un parfum avec je ne sais quelle plante précieuse, et qui me dit : «Ce parfum sera mon plus riche trésor.» Le lendemain matin je descendis à la ville, en compagnie de la vénérable Labigotho, et j'allai me prosterner aux pieds de son mari, Aurèle, le conjurant de prier pour que je fusse associé à leur martyre. Aurèle y consentit volontiers, et aussitôt, grâce aux prières de ces saints, le feu céleste s'alluma en moi. Je devins désormais leur compagnon inséparable, et tous ensemble nous demeurâmes dans la maison de saint Aurèle, faisant monter avec allégresse vers le Seigneur nos voeux et nos louanges. Là même se trouvaient le bienheureux Félix et sa femme Liliora, qui avaient déjà vendu tous leurs biens et distribué le prix aux pauvres, de sorte qu'ils se disaient prêts à endurer tous les tourments pour l'amour du Fils de Dieu. Je sortis alors un moment et j'allai terminer en toute hâte quelques affaires dont j'étais chargé; puis je revins en hâte, désormais préparé et fortifié pour la lutte suprême. Les frères, en me voyant de retour, se réjouirent, rendirent grâces à Dieu et me dirent : «Oui, nous savons à n'en pas douter, frère très cher, que c'est le Seigneur qui t'a envoyé vers nous.»
Nous nous mîmes alors à chercher ensemble le moyen pour nous de parvenir à la couronne que nous ambitionnions; et Dieu aidant, nous décidâmes que nos soeurs se rendraient à l'église, le visage découvert : ce qui nous procurerait probablement l'occasion d'être mis en prison. De fait, les choses se passèrent comme nous l'avions prévu. Nos femmes, en effet, étaient à peine rentrées de l'église, qu'un officier se présenta et interrogea les maris sur l'acte de religion que s'étaient permis en public leurs épouses, demandant ce que signifiait cette démonstration des femmes aux sanctuaires des chrétiens. Les martyrs répondirent : «C'est la coutume des fidèles de visiter les églises et de rechercher, par esprit de dévotion, les demeures des vénérables martyrs. Comme donc nous sommes chrétiens, nous portons haut l'étendard de notre foi.» Aussitôt le délateur, se rendant près du juge, lui révéla malicieusement qui nous étions et ce que nous faisions. Aurèle, après avoir dit adieu aux saintes femmes, s'avança immédiatement au combat, soutenu par la vertu céleste.
Ici s'arrête le récit de Georges; nous allons l'achever nous-mêmes.
Dès le matin du jour où il fut saisi, Aurèle, qui prévoyait ce qui allait lui arriver, vint nous faire ses adieux et nous pria de le recommander au Seigneur, conjurant notre charité fraternelle de l'aider dans le combat qu'il allait soutenir. De notre côté, nous nous recommandâmes à lui, et, lui baisant respectueusement les mains, nous le suppliâmes d'étendre sa protection sur nous et sur toute l'Église. Puis nous l'embrassâmes et nous le quittâmes.
Quand le juge eut pris connaissance de l'accusation que l'on portait contre les saints de Dieu, et qu'il sut que le principal auteur du délit était Aurèle, il se montra très irrité, et ordonna de faire comparaître immédiatement en sa présence les accusés. Les satellites s'élancèrent aussitôt vers la demeure d'Aurèle, où les saints se trouvaient tous réunis, et se mirent à crier devant la porte : «Sortez, misérables; hâtez-vous de venir subir la mort, vous qui êtes dégoûtés de la vie, et regardez la mort comme un sujet de gloire. Le juge vous mande et va vous condamner : il est résolu à écraser les malheureux qui refusent d'embrasser la religion légale; il est prêt à faire tomber les têtes des rebelles. Venez donc payer la dette que vous avez contractée, venez entendre la sentence portée contre votre prévarication.»
Immédiatement les maris et leurs femmes se mettent joyeusement en route, comme s'ils allaient à un festin. Ils s'avancent triomphalement; ils bondissent de joie : on eût cru qu'ils attendaient des récompenses de ce juge, qui ne leur réservait que des supplices. Saint Georges, voyant que les soldats ne le saisissaient point, interpella les licteurs et leur dit : «Pourquoi ces privilèges accordés aux fidèles de Mahomet ? pourquoi voulez-vous contraindre à adorer une vaine divinité ceux que la foi sainte des chrétiens revendique comme siens ? Pourquoi, ennemis du Dieu véritable, cherchez-vous à entraîner avec vous dans la perdition ceux qui sont prédestinés pour la vie éternelle ? Croyez-vous ne pas pouvoir, sans nous, pénétrer dans les prisons de l'enfer ? Vous imaginez-vous que les supplices éternels n'auront d'action sur vous que si nous vous tenons compagnie ? Allez-y donc tout seuls, allez vous précipiter dans les gouffres de perdition; vous jouirez là des délices de l'enfer, avec votre chef, Satan. Qu'y a-t-il de commun entre nous et ce Tartare, où a pénétré le Christ notre Dieu, qu'il a englouti, dépouillé et vaincu, de sorte qu'il n'ose plus actuellement attirer les fidèles, comme il avait coutume autrefois d'absorber les saints par suite de notre prévarication ?»
Il avait à peine achevé de parler, que la main des satellites s'abattait sur le moine, pour châtier son insolence. Ils lui labourent le corps avec des pointes de fer, le jettent à terre, et le frappent à coups de poing et à coups de pied. Sainte Labigotho, craignant qu'il ne fût déjà mort, lui cria : «Allons, frère, lève-toi, et suis-nous !» Georges répondit aussitôt comme s'il ne ressentait rien : «Tout cela, ma soeur, contribue à accroître les mérites et à embellir la couronne.» Les satellites le relevèrent à demi mort et l'emmenèrent avec les saints en la présence du juge. Tout d'abord le juge leur demanda avec un ton doucereux pour quelle raison ils repoussaient la religion officielle, refusaient par là de garder la vie et s'efforçaient de perdre les délicieux avantages que procurent les biens temporels, eux à qui s'offraient les voluptés charnelles, les honneurs et les dignités.
Ils répondirent : «Juge, il n'y a point de biens temporels qui soient comparables aux biens éternels. C'est pourquoi, animés de la foi en Jésus Christ, qui justifie tous les saints, nous méprisons la vie de ce monde en vue de la vie éternelle, et nous espérons avec confiance jouir bientôt du repos béni, qui est promis aux saints. Tout culte qui ne reconnaît pas la divinité de Jésus Christ, qui ne professe pas, selon la vérité, l'essence de la Trinité, qui repousse le baptême, méprise les adorateurs du Christ, renie tout sacerdoce, est considéré par nous comme condamnable et digne de réprobation. Quant aux choses caduques, nous n'en faisons aucun cas, parce que nous n'estimons que ce qui dure toujours. Ainsi les récompenses que le Christ a promises à ceux qui l'aiment sont ineffables et destinées à toujours durer : l'oeil ici-bas ne peut les voir, l'oreille ne peut les entendre énumérer, et l'intelligence ne peut les estimer à leur juste valeur.
Les saints ayant continué à parler ainsi en toute liberté pour la défense de leur religion, et ayant vertement tancé la secte impie des musulmans, le juge entra en colère. Il ordonna de les emmener rapidement en prison, et de les accabler sous le poids des plus lourdes chaînes.
Les martyrs s'acheminèrent rayonnants de joie vers la prison; la pensée du supplice qui les attendait les faisait tressaillir de bonheur, loin de les effrayer; ils chantaient des hymnes, récitaient des psaumes. En un mot, ils s'adonnaient à la prière par le moyen de laquelle ils espéraient recevoir de Dieu le pouvoir de triompher. Bientôt ils furent visités par les anges, qui firent éclater autour d'eux les miracles et brisèrent leurs chaînes. Personne n'osa remettre les fers à ceux que le Christ avait délivrés. Dieu leur révéla en même temps le sort glorieux qui leur était réservé dans le ciel. Assurés alors de remporter la palme, et brûlant du désir de voir le Christ, qu'ils avaient servi avec fidélité, ils virent cependant leur mort retardée jusqu'au cinquième jour et trouvèrent trop long ce délai qui les privait de la suavité du royaume des cieux, dont ils savouraient déjà un avant-goût.
Comme on venait les tirer de prison pour les conduire de nouveau sur le forum, la vénérable Labigotho se mit à fortifier et à prémunir son mari par de saintes exhortations. On les introduisit dans le palais; ils comparurent en présence des grands officiers, et on étala devant leurs yeux des richesses et les insignes des dignités qu'on leur réservait s'ils consentaient à embrasser la foi de Mahomet. Comme les martyrs déclaraient sans hésitation être déterminés à rester fidèles au Christ, les officiers les remirent entre les mains des licteurs pour être exécutés. Toutefois, ils résolurent de renvoyer indemne le bienheureux Georges, parce que les officiers et les grands du palais ne l'avaient pas entendu proférer d'outrages contre le prophète.
Mais dès que cet illustre maître de la sainteté vit qu'on le laissait de côté, et qu'il n'aurait pas la gloire de mourir en la compagnie de ses amis, il s'écria : «Pourquoi, donc, seigneurs, doutez-vous encore de la profession de foi que j'ai émise en votre présence ? Croyez-vous que je puisse penser quelque bien d'un suppôt de Satan? Si vous voulez savoir clairement ce que je pense de l'ange qui, se transformant en esprit de lumière, apparut à votre législateur, sachez que je le considère comme un démon, et votre prophète comme le plus abject des hommes, puisqu'il a été l'âme damnée du diable, le ministre de l'Antichrist, le labyrinthe de tous les vices, qui ne s'est pas contenté de se précipiter lui-même dans les gouffres de l'enfer, mais qui a livré, par ses vaines institutions, les générations qui l'ont suivi aux flammes éternelles.» Cette tirade exaspéra les officiers, qui rendirent aussitôt la sentence de mort contre saint Georges. Félix fut exécuté le premier, puis saint Georges, puis la vénérable Liliora, et enfin les fiers athlètes Aurèle et Labigotho : ce qui arriva le 6 des calendes d'août, de l'ère d'Espagne 890.
Plusieurs de nos chrétiens ravirent leurs corps et les ensevelirent en divers lieux. Les saints Georges et Aurèle sont ensevelis dans le monastère de Pilemelaria. Le bienheureux Félix est conservé dans le monastère de Saint-Christophe situé au delà du fleuve. Sainte Labigotho a été partagée entre trois monastères. La vénérable Liliora repose en la demeure du martyr saint Genès. Les têtes des saints Georges et Labigotho se trouvent ailleurs.
Tels sont ceux qui, luttant jusqu'à la mort pour rendre témoignage à Dieu et garder la foi de Jésus Christ, n'ont rien préféré à son amour, ni enfants, ni parents, ni proches, ni conjoints, ni amis, ni biens, ni terres. Mais abandonnant tout, et coupant par la racine les vices et les concupiscences de leurs corps, ils se sont élancés vers l'immortalité bienheureuse, où règne notre Seigneur Jésus Christ dans les siècles des siècles. Amen.