SAINT FRÉDÉRIC, ÉVÊQUE D'UTRECHT ET MARTYR

En 838

fêté le 18 juillet


Saint Frédéric était d'origine frisonne et de race noble. Il fut mis sous la conduite de saint Ricfrid, évêque d'Utrecht, qui en prit un soin tout particulier et le fit avancer successivement dans les ordres sacrés. Après la mort de Ricfrid, le clergé et le peuple le choisirent pour lui succéder. Malgré sa vive opposition, il fut sacré et intronisé, en présence de Louis le Débonnaire. Il déploya un grand zèle dans l'exercice de son ministère, réforma l'île Walacrie, à l'embouchure du Rhin; aidé de saint Odulphe, il combattit les erreurs touchant la Trinité en Frise. Plusieurs fois le saint évêque adressa des remontrances à l'empereur au sujet des scandales de l'impératrice Judith.
Le pontife saint Frédéric, évêque d'Utrecht, voyant que le crieur de Louis était endurci, lui annonça par lettre qu'il allait l'excommunier, et, appuyant ses paroles de citations d'un grand nombre de Pères, il ajoutait : «Si tu te dis serviteur du Christ, pourquoi donc as-tu condamné sans raison des évêques qui sont les ministres du Christ, à savoir Anselme de Milan, Wolfold de Crémone, Théodulfe d'Orléans, Jessé d'Amiens, Ebbon de Reims ? T'a-t-il ordonné d'agir ainsi, Celui qui a dit par ses prophètes : «Celui qui porte le main sur vous me touche moi-même à la pupille de l'oeil» ? Et encore : «Est-ce que vous prétendez tirer vengeance de moi ? Mais si vous tentez semblable folie, sachez que tous vos efforts retomberont promptement sur votre tête.» Tu as également entendu dire à l'Apôtre : «Qui es-tu donc pour entreprendre de juger l'esclave d'autrui ? C'est à son maître seul à examiner s'il se tient droit ou s'il tombe.» Tu ne souffrirais certes pas qu'un autre se mêlât de juger ton esclave; s'il vient à commettre quelque faute, tu ne cèdes à personne le droit de s'irriter contre lui ou de le châtier. Et alors pourquoi donc fais-tu au Seigneur des seigneurs ce que tu ne veux pas qu'on te fasse à toi-même ? Tu as fait là une mauvaise action : car c'est à Dieu et non aux hommes à juger les prêtres; ce n'est point aux gens de moeurs dépravées à condamner les évêques; mais ils doivent plutôt endurer leurs réprimandes. En outre, tout entiers chaque jour à vos festins, auxquels vous invitez les joueurs de cithare, de lyre et de tympan, vous n'avez aucun souci de l'oeuvre de Dieu, aucune considération pour l'ouvrage de ses mains. Aussi Dieu vengera-t-il sur vous ses serviteurs; l'enfer tient au-dessous de vous ses entrailles dilatées et sa gueule béante; si vous ne faites pénitence, il vous saisira, vous descendrez au plus profond de ses abîmes, et vos regards orgueilleux seront humiliés, parce que vous avez considéré l'amer comme doux et le doux comme amer.»
Ces remontrances ne firent qu'irriter davantage le monarque contre l'homme de Dieu, et comme l'impératrice Judith réclamait sans cesse auprès de lui vengeance contre cet évêque, il finit par lui permettre d'accomplir le meurtre qu'elle désirait tant. L'empereur se rendit alors en France, et laissa sur les bords du Rhin l'impératrice impie, afin qu'elle pût mener à bonne fin ses projets sanguinaires. Elle commença par tendre des embûches au saint évêque; mais, n'ayant réussi ni par les prières, ni par les promesses, à le faire choir, elle résolut d'en finir avec lui. Elle fit choix d'un jour d'été, où l'évêque, ne conservant que quelques gardes autour de lui, se reposait au milieu de ses clercs, connaissant d'ailleurs par révélation que sa fin approchait; elle réunit autour d'elle ses amis et les fidèles de l'empereur et leur parla en ces termes : «Votre lâcheté n'ignore pas, je pense, les perpétuelles et insupportables tracasseries que me cause, plus que tous les autres évêques, le prélat Frédéric de Frise. C'est pourquoi je vous demande ardemment, à vous qui vous faites un plaisir d'exécuter mes ordres, de me venger de cet homme, de le tuer d'une manière habilement secrète, non pas à découvert, car il pourrait en résulter un grand péril pour vous. Tout ce que vous désirerez pour votre récompense, fut-ce une partie de notre royaume, nous vous l'accorderons immédiatement.»
Un pareil langage déplut souverainement à tous ceux de l'assistance qui possédaient la crainte de Dieu; mais deux jeunes gens, aussi orgueilleux qu'ambitieux, se levèrent et promirent d'exécuter tout ce qu'on voudrait si l'on consentait à les récompenser. La promesse faite, ils firent serment de ne rien révéler à l'évêque, cachèrent des poignards dans leurs manches, et le jour où le soleil entrait dans le signe du Lion, ils arrivèrent à Utrecht, se donnèrent comme envoyés de la reine et sollicitèrent un entretien secret avec l'évêque. Frédéric se préparait à célébrer la liturgie quand on vint le prévenir. Il leva les yeux et les mains vers le ciel en poussant un soupir, et rendit à Dieu d'ardentes actions de grâces pour la faveur, depuis si longtemps désirée par lui, qu'il allait lui accorder; puis, tournant vers ses assistants des regards d'une douceur angélique, il dit : «Je sais ce que me veulent ces messagers; mais j'ordonne qu'ils attendent jusqu'à ce que j'aie achevé le saint sacrifice.»
Il se leva alors de son trône en habits pontificaux et commença la liturgie avec toute la dévotion que put lui inspirer la crainte de Dieu. Après la lecture du saint évangile, il adressa la parole au peuple et prédit sa mort très prochaine, mais seulement à mots couverts et par allégorie (car le peuple, qui l'aimait comme un père, en aurait ressenti trop de peine) : il dit donc que ce jour-là même il allait recevoir la nourriture éternelle en la compagnie des saints, dans le royaume des cieux; et lorsqu'il distribua le sang et le corps du Seigneur, il dit adieu à tous. En fidèle pasteur qu'il était, il recommanda avec larmes au bon Pasteur notre Seigneur Jésus Christ les brebis qu'il avait placées sous sa garde. Le clergé et le peuple fondaient en larmes, ne sachant ce que leur évêque voulait dire par là.
Le saint sacrifice achevé, l'évêque, gardant les ornements sacrés, entra dans la chapelle de Saint-Jean-l'Évangéliste, où il avait précédemment fait creuser son tombeau, et, congédiant tout le monde, excepté un chapelain, il implora avec larmes et gémissements l'assistance des saints et fit introduire dans la chapelle les deux messagers. Quand ils entrèrent, l'évêque ordonna à son clerc de se promener derrière l'autel du Saint-Sauveur et de ne revenir que lorsqu'il l'appellerait. Dès que le chapelain se fut éloigné, l'évêque vit trembler et se troubler les deux envoyés, et il leur dit : «Accomplissez le message dont vous êtes chargés, ne craignez point; j'ai connu avant votre arrivée de quoi il s'agissait.» En entendant ces paroles, les deux assassins comprirent que l'évêque s'offrait de lui-même à la mort; ils tirèrent aussitôt de leurs manches deux longs poignards, les lui enfoncèrent dans les entrailles, et dirent l'un après l'autre : «Voilà maintenant que notre reine s'est vengée sur toi.»
Cependant le martyr serra du mieux qu'il put ses blessures avec la main pour empêcher le sang et les entrailles de s'épandre au dehors, et ordonna aux meurtriers de fuir promptement, de crainte qu'ils ne fussent arrêtés. Ceux-ci s'enfuirent à toutes jambes, et quelques instants après, le saint évêque appela son chapelain et lui ordonna de monter sur le mur, pour voir si les messagers avaient déjà traversé le Rhin, et de lui dire avec quelle rapidité ils marchaient. Le clerc fit ce qu'on lui demandait, et revint en disant que les envoyés avaient passé le Rhin et qu'ils se hâtaient comme des fuyards. Ayant alors regardé attentivement son maître, le chapelain s'aperçut que ses traits étaient tout bouleversés et qu'il paraissait comme sur le point de rendre le dernier soupir. Il s'empressa de lui demander ce qu'il avait et ce qui lui était arrivé. Le saint, après l'avoir supplié de ne pas s'attrister, lui dit : «Je suis frappé à mort, mon fils. Fais venir ici mes frères et mes compagnons d'armes, convoque le peuple fidèle, pour qu'on me restitue à la terre d'où je suis sorti; et qu'on prie pour que mon âme, quoique indigne, s'envole vers le Seigneur, pour la loi et l'amour duquel je viens d'arroser aujourd'hui la terre de mon sang. En entendant ces paroles, le chapelain s'arracha les cheveux de désespoir et se mit à pleurer en Vé, Vé et Vah ! Et quand il eut raconté à tous ce qui venait de se passer, qui pourrait dire les gémissements, les pleurs, les sanglots, les lamentations qui retentirent de toutes parts ? Il faut les avoir entendus pour s'en faire une idée.
Enfin, tandis que le coadjuteur du saint évêque, saint Odulphus, le clergé et le peuple tout entier, réunis autour du moribond, répétaient sans cesse avec désolation : «Pourquoi donc, ô Père, nous laissez-vous orphelins ?» le glorieux martyr, laissant couler ses larmes, dit avec un accent prophétique : «Mes frères et fils très chers, si je puis trouver une petite place parmi les saints du paradis, je vous promets de ne pas vous laisser dans la désolation, mais je demeurerai toujours un fervent intercesseur de votre salut et de votre santé. Cependant, sachez bien que, à cause de l'empereur, de son épouse et de ses grands, ce royaume sera complètement dévasté par les incursions des Danois; et aussi, hélas ! à cause de nos crimes, cette ville éprouvera le même sort, et le clergé expiera nos fautes.» Après ces mots il donna sa bénédiction au peuple, et s'étendit vivant dans le sarcophage qu'il s'était depuis longtemps fait préparer. Il fit chanter les psaumes et les prières de l'office des défunts, donnant lui-même l'intonation et disant : Placebo Domino in regione vivorum. Puis il répéta à maintes reprises ce verset : «Seigneur, je remets mon esprit entre vos mains.» Ensuite il s'étendit sur le dos, les regards dirigés vers le ciel, et dit : «Voilà le lieu de mon repos dans les siècles des siècles; c'est ici que je demeurerai, parce que j'ai choisi ce tombeau.» Il rendit alors sa belle âme à Dieu, et aussitôt l'église tout entière fut remplie de parfums de suave odeur, de sorte que tous les assistants comprirent que les cohortes angéliques étaient descendues en ce lieu, pour emporter aux cieux et conduire au triomphe l'âme du saint martyr. Puisse là aussi nous faire parvenir Celui qui vit et règne dans les siècles des siècles ! Amen.