LES ACTES DE SAINT FÉLIX, SAINT IRÉNÉE ET SAINTE MUSTIOLE

(Vers l'an de Jésus Christ 275)

fêtés le 3 juillet

Au temps de l'empereur Aurélien, il s'éleva une cruelle persécution contre les chrétiens. Ayant appris que la religion chrétienne florissait dans la région de Toscane, il se sentit animé d'une telle colère qu'il envoya aussitôt à la recherche des fidèles un certain vicaire-lieutenant, nommé Turcius, revêtu de la dignité de préfet. Turcius étant arrivé en une ville qu'on appelle Falérie, il se mit à rechercher les chrétiens. Après qu'on eut fait par toute la ville de sévères perquisitions, on découvrit dans les environs un prêtre nommé Félix. Dès que celui-ci avait appris l'arrivée du persécuteur, il avait réuni les fidèles, et il les encourageait par ces paroles : «Mes pères, mes frères, mes enfants, que ce nuage ténébreux ne vous trouble point; c'est peu de chose; mais il faut redouter les ténèbres éternelles. Courage donc, et combattez vaillamment; car un jour dans les parvis du Seigneur vaut mieux que mille passés au milieu de l'or et de l'argent.» Le préfet Turcius, ayant connu la renommée du bienheureux Félix, le fit saisir et jeter en prison.
Le jour suivant il ordonna d'ériger son tribunal dans la ville de Falérie, et de lui amener le prêtre Félix. Il l'interrogea en ces termes : «Quel est ton nom ?» Le martyr répondit : «Je me nomme Félix.» Turcius : «Dans quelle milice es-tu enrôlé ?» Félix : «Quoique pécheur, je suis néanmoins prêtre du Christ.» Turcius : «Pourquoi fais-tu des réunions en divers lieux et séduis-tu le peuple, pour les détourner de la créance aux dieux et des sacrifices qu'ils leur doivent, d'après les anciennes institutions et les ordres des princes ?» Félix : «Et qu'est-ce que notre vie, si nous ne l'employons pas à prêcher le Seigneur Jésus Christ, et à retirer le peuple du culte immonde des idoles, afin que tous puissent jouir de la vie éternelle ?» Turcius : «Qu'est-ce que la vie éternelle ?» Félix : «Elle exige qu'on craigne et qu'on révère Dieu le Père, et Jésus Christ, et le saint Esprit.» Turcius, irrité de ce langage, donna ordre de lui briser les mâchoires avec une pierre, et ajouta : «Brisez cette bouche qui séduit le peuple.» Tandis qu'on le frappait, il rendit l'esprit. Aussitôt Turcius fit jeter le corps sur la place publique. Un diacre l'ayant enlevé, l'enterra près des murs de la ville de Lusine, le neuf des calendes de juillet.
Turcius, apprenant que le diacre Irénée avait enseveli le corps du prêtre Félix, envoya prendre ce diacre et se rendit à Lusine, ville de Toscane, faisant marcher le prisonnier pieds nus devant son char. Lorsqu'il y fut arrivé, il fit mettre le martyr en prison, et s'arrêta plusieurs jours en ce lieu, afin de tâcher d'y découvrir des chrétiens.
Comme il y en avait déjà bon nombre d'emprisonnés, Mustiole, matrone fort chrétienne, venait la nuit à la prison; et après avoir donné de l'argent aux geôliers, elle entrait pour consoler les détenus, lavait leurs pieds et les oignait d'huile; car les chaînes les avaient blessés. C'est aussi pendant la nuit qu'elle leur donnait à tous des aliments et des vêtements. Un certain Torquatus vint alors dénoncer Mustiole auprès de Turcius et lui dit : «Une très-noble matrone, cousine de Claudius, nommée Mustiole, ne cesse de visiter la prison jour et nuit pour raffermir les coupables par ses paroles persuasives.» Turcius en fut outré de colère; et comme il avait appris qu'elle était de la famille de l'empereur Claude, il se la fit présenter. Dès qu'il l'eut aperçue, il admira sa grande beauté, et il se rendit lui-même dans la maison de Mustiole, où il la questionna sur son illustre origine. La sainte dame Mustiole, remplie d'une ferveur toute divine, lui répondit : «La noblesse que nous estimons ne vient point de l'illustration des ancêtres, mais de l'humilité chrétienne.» Turcius lui dit : «Et pourquoi ne suis-tu pas les exemples de tes pères ?» Mustiole répondit : «Parce que tous ont péri dans leur ignorance par la persuasion du diable; et moi, si indigne, notre Seigneur Jésus Christ a daigné m'appeler au céleste royaume, et non pas seulement moi, mais tous ceux qui espèrent en Lui.» Turcius : «Suis mon conseil, et ne va pas déroger à une si noble origine.» Mustiole : «Si tu connaissais le Don du seigneur Jésus Christ, tu ne perdrais pas la Lumière éternelle.» Turcius : «Quelle est cette Lumière éternelle ?» Mustiole : «Esprit et force.» Turcius : «Quelle est cette démence qui te porte à visiter fréquemment les prisonniers et à jouir affectueusement de leur amitié ?» Mustiole : «C'est pour l'amour du Seigneur Jésus Christ, pour l'amour duquel pareillement ils supportent les chaînes de la prison.» Turcius : «Laisse là cette folie et écoute-moi. Ne néglige pas les ordres des princes, et ne les tourne pas en dérision.» Mustiole : «Quels sont les ordres de tes princes ?» Turcius : «Ils exigent que tu sacrifies, et que tu vives pour jouir de tes richesses.» La sainte répondit : «Tu dis là un blasphème insensé.»
Turcius ordonna alors que l'on tranchât la tête à tous les saints qui étaient dans la prison, et que le bienheureux Irénée fût suspendu au chevalet. Et durant le supplice il lui disait par la bouche du crieur public : «Sacrifie aux dieux.» Irénée répondit : «À ce que je vois, tu es devenu insensé, pour dire une chose si peu raisonnable.» Turcius, devenu furieux, donna l'ordre de lui sillonner les flancs avec les ongles de fer et d'y appliquer ensuite le feu. Irénée s'écriait : «Je Te rends grâces, ô Seigneur Jésus Christ, de ce que j'aurai le bonheur de paraître devant ta Face.» Et en disant cela, il rendit l'esprit. Mustiole, qui était présente, dit à Turcius : «Misérable, pourquoi répands-tu le sang des innocents ? Pour eux, ils vont à la gloire éternelle; mais toi, ta demeure sera dans un brasier éternel.» Turcius, entendant ce discours, prononça contre elle la sentence capitale, et la fit battre, en sa présence, avec des balles de plomb, jusqu'à ce qu'elle expirât. En effet, pendant qu'on la frappait ainsi cruellement, elle rendit à Dieu sa sainte âme : ce qui arriva le cinq des nones de juillet. Son corps fut recueilli par un serviteur de Dieu, nommé Marc, qui l'ensevelit près des murs de la ville de Lusine; et c'est là que jusqu'à ce jour on éprouve la puissance de son intercession, dans les miracles qui s'y opèrent par le Christ, notre Seigneur.