LE MARTYRE DES SAINTS LÉONIDE, PLUTARQUE, SÉRÉNUS ET PLUSIEURS AUTRES, À ALEXANDRIE

(Vers l'an de Jésus Christ 205)


fêtés le 5 janvier


L'empereur Sévère ayant allumé partout le feu de la persécution, dans toutes les Églises aussi de vaillants athlètes du Christ subirent de glorieux martyres. Mais ce fut principalement dans la grande ville d'Alexandrie que les plus braves combattants de l'Égypte et de la Thébaïde se signalèrent comme sur un vaste théâtre, pour mériter les couronnes immortelles que Dieu distribuait à tous ceux qui, pour sa gloire, affrontaient les supplices et la mort. Parmi ces illustres martyrs, on remarque Léonide, père d'Origène, qui, ayant eu la tête tranchée, laissa sans appui son fils en bas âge. Mais il ne sera pas hors de propos, puisque la renommée de ce grand homme vole en tout lieu, de dire en peu de paroles avec quel zèle il embrassa, dès ses premières années, les intérêts de la foi. Car il faudrait de longs discours, ou plutôt un ouvrage tout entier, pour raconter dignement sa vie et livrer à la postérité le récit détaillé de ses grandes actions. Comme nous ne faisons en ce moment qu'un abrégé, nous n'en parlerons que très rapidement, d'après quelques relations venues jusqu'à nous, et quelques récits de ses propres disciples qui ont encore vécu de notre temps.
La dixième année du règne de Sévère, Lætus ayant le gouvernement d'Alexandrie et de l'Égypte, et Démétrius venant de succéder à Julien dans celui des Églises de cette province, la persécution devint si terrible, qu'elle fit périr une infinité de fidèles. Origène, quoique fort jeune, se sentit transporté d'une si grande ardeur pour le martyre, qu'il s'exposait chaque jour à toutes sortes de périls, et brûlait d'impatience de s'élancer, lui aussi, au combat. Il aurait sans doute alors perdu la vie, si Dieu, qui la voulait conserver pour le salut de plusieurs, n'avait, par le moyen de sa mère, arrêté ses transports. Elle employa d'abord les prières, pensant qu'il aurait égard à l'affection maternelle; mais quand il eut appris que son père avait été saisi et jeté dans les fers, rien ne fut plus capable de le retenir; et comme il allait se jeter entre les mains des bourreaux, sa mère cacha ses habits pour le forcer malgré lui à demeurer à la maison. Voyant alors que toutes les voies lui étaient fermées, et cependant ne pouvant modérer l'ardeur si extraordinaire à cet âge qui l'animait, il écrivit à son père pour l'exhorter avec beaucoup de véhémence au martyre, lui disant entre autres choses : «Prends garde, ô mon père, de ne pas changer de sentiment à cause de nous.» C'est là le premier témoignage de l'ardeur de ce jeune caractère et de son profond dévouement pour la foi chrétienne... Il embarrassait quelquefois son père, en lui demandant l'explication de quelques endroits cachés de la sainte Écriture. Léonide le reprenait alors sévèrement, du moins en apparence, l’avertissant de ne pas chercher ce qui était au-dessus de la portée de son âge, et de se contenter du sens clair et naturel de l'Écriture; mais en secret il en ressentait une grande joie et remerciait Dieu de lui avoir donné un tel fils. Souvent même, dit-on, lorsqu'il dormait, il lui découvrait la poitrine, qu'il baisait avec respect, comme un temple où reposait le saint Esprit, se disant trop heureux d'être le père de cet enfant.
Origène faisant paraître dans toute sa conduite de si beaux exemples de lit divine philosophie, plusieurs de ses disciples devinrent les imitateurs de sa vertu. Parmi les païens eux-mêmes, on vit des hommes d'une sagesse consommée et d'une science sans égale, se soumettre à ses leçons et recevoir de lui les lumières de la foi, avec tant de docilité et d'ardeur, que dans la persécution de ces temps-là plusieurs d'entre eux souffrirent glorieusement le martyre. Plutarque fuit le premier; et comme on le conduisait au supplice, Origène s'attacha à ses pas, et l'exhorta jusqu'au dernier moment, au point que les amis du martyr furent sur le point de l’immoler, l'accusant d'être la cause de sa mort. Mais la divine Providence le sauva encore cette fois.
Le second martyr qui sortit de l'école d'Origène fut Sérénus, dont la foi inébranlable fut éprouvée par le feu. Le troisième se nommait Héraclide; et le quatrième, Héron : ces deux derniers eurent la tête tranchée; l’un n'était pas encore baptisé, et l'autre ne l'était que depuis peu. Après eux, un autre athlète qui portait aussi le nom de Sérénus et qui sortait de la même école de sainteté, fit courageusement l'épreuve de toutes sortes de tourments, et eut à son tour la tête tranchée.
Une femme nommée Héraïde, ayant, comme dit Origène quelque part, reçu son baptême par le feu, sortit glorieusement de la vie. Le septième martyr fut un soldat appelé Basilide, celui-là même qui conduisit au supplice l’illustre Potamienne. Cette vierge, dont la mémoire se conserve, encore parmi les habitants de la contrée, aussi belle de corps qu'admirable par son esprit, et très jalouse de conserver intacte sa chasteté, soutint pour la défendre bien des combats contre ses amants. Elle n'eut pas moins à souffrir pour conserver sa foi moins le Christ, et après des tourments horribles, qu'on ne pourrait rapporter sans frémir, elle fut consumée par le feu avec sa mère Marcella. On dit que son juge (il s'appelait Aquila) l'ayant menacée de la faire violer par les bourreaux, elle se recueillit un instant en elle-même, et répondit à ceux qui lui demandaient enfin de se décider par des paroles qui semblèrent aux gentils une grande impiété.
Basilide, un des gardes, conduisit aussitôt la condamnée au supplice, et comme la populace les suivait en insultant par des paroles grossières la vierge innocente, il repoussait cette vile multitude, et se montrait plein d'égards et d'humanité pour la sainte. Elle lui témoigna sa reconnaissance de la conduite dont il usait envers elle, lui dit d'avoir bon courage et l'assura qu'après sa mort elle obtiendrait de Dieu qu'il fût sauvé, et le récompenserait bientôt de ses bons services. À peine eut-elle achevé de parler, qu'on lui appliqua peu à peu de la poix fondue sur tout le corps, et elle finit ainsi sa vie par une mort lente et cruelle sans que sa constance vînt à se démentir. Tel fut le dernier combat de cette noble vierge.
Quelques jours après, les compagnons de Basilide l'ayant voulu obliger de faire un serment, il leur dit que ce serait un crime à lui de jurer, parce qu'il était chrétien; il l'avouait publiquement. Ils crurent d'abord qu'il plaisantait; mais lorsqu'ils le virent persister sérieusement dans sa confession de foi, ils le menèrent devant le juge, qui, n'ayant pu lui faire changer de sentiment, ordonna de le jeter dans les fers. Les fidèles le vinrent trouver aussitôt, et lui demandèrent la cause d'un changement si prompt et si extraordinaire; il leur raconta que Potamienne, trois jours après son martyre, lui avait apparu pendant la nuit, et, mettant une couronne sur sa tête, lui avait dit que le Seigneur avait exaucé les prières qu'elle avait faites en sa faveur, et qu'il serait bientôt avec les bienheureux. Il reçut ensuite de leurs mains le sceau du baptême, et dès le lendemain, après avoir glorieusement confessé Jésus Christ, il eut la tête tranchée. On rapporte qu'à cette même époque plusieurs citoyens d'Alexandrie embrassèrent la foi chrétienne par l'entremise de Potamienne, qui leur apparaissait en songe pour les y exhorter. Tous ces faits sont d'une exacte vérité.