(L'an de Jésus Christ 256)
fêtés le 30 janvier
Sous le consulat de Valérius et d'Acilius, un chrétien, citoyen romain, nommé Hippolyte, menait la vie solitaire dans les cryptes. Comme il possédait la science apostolique, un grand nombre de gentils se réunissaient auprès de lui; et après qu'ils avaient été aspirants à la milice du Christ, ils étaient baptisés. Or, ce même Hippolyte se présentait fréquemment aux pieds de l'évêque Étienne, accompagné de ceux qu'il avait convertis au christianisme, pour les faire baptiser par lui; et ces visites se répétant souvent, des délateurs en informèrent le préfet de la ville Mummius, qui en fit son rapport à l'empereur Valérien. Hippolyte, ayant appris cette nouvelle, en fit part au saint évêque Étienne.
Le bienheureux Étienne, ayant alors assemblé la multitude des chrétiens, leur adressa à tous de saints avertissements et les fortifia par la doctrine des Écritures, leur disant, entre autres choses: «Mes petits enfants, écoutez-moi, bien que pécheur. Tandis que nous en avons le temps, faisons le bien, et à nous-mêmes avant tout. Le premier avis que je vous donne, c'est de prendre chacun votre croix et de suivre notre Seigneur Jésus Christ, qui a daigné nous dire : «Qui aime son âme la perdra; mais celui qui la perdra pour Moi, la trouvera pour l'éternité.» C'est pour cela que, comme nous devons être zélés, non seulement pour nous-mêmes, mais encore pour les autres, si quelqu'un d'entre vous a un ami, un parent encore gentil, je l'engage à me l'amener sans retard, afin qu'il reçoive le baptême.» Hippolyte se prosterna alors aux pieds du bienheureux évêque Étienne, et lui dit : «Bon père, j'ai une prière à vous faire : j'ai mon jeune neveu et sa soeur que j'ai nourris et qui sont encore dans les erreurs de la gentilité; le garçon a dix ans, plus ou moins, et la fille treize; leur mère, qui se nomme Pauline, est encore païenne, de même que le père, nommé Adrias, lequel les envoie quelquefois dans ma retraite.» Sur cela, le bienheureux Étienne lui suggéra de les retenir lorsqu'on les lui enverrait, afin que, les parents venant pour les chercher, il profitât de l'occasion pour les instruire.
Deux jours après, les deux enfants vinrent chez Hippolyte, portant avec eux quelques provisions de bouche. Il les retint auprès de lui, et alla annoncer leur arrivée au bienheureux évêque Étienne. Le pontife étant venu les trouver, les embrassa et leur fit mille caresses. Les parents, inquiets du retard de leurs enfants, étant accourus vers eux, Étienne les entretint du futur jugement de Dieu si redoutable, et de la gloire des bienheureux; puis il les exhorta longuement à quitter le culte des idoles. Hippolyte leur fit aussi de vives instances. Adrias, le père des enfants, répondit qu'il craignait de se voir dépouillé de ses biens, et même d'avoir la tête tranchée, ajoutant que tout était préparé contre ceux qui se diraient chrétiens. Pauline, soeur d'Hippolyte, exprima les mêmes appréhensions; elle s'emporta contre son frère de ce qu'il cherchait à leur persuader de telles extravagances; car la soeur d'Hippolyte avait en horreur la religion des chrétiens. Ceux qui étaient présents ayant entendu ces discours de part et d'autre, se retirèrent, sans avoir terminé l'affaire, mais toutefois sans l'abandonner.
Le bienheureux Étienne ayant mandé près de lui un prêtre très docte nommé Eusèbe et le diacre Marcel, leur dit d'aller trouver Adrias et Pauline, qu'il fit venir dans l'arénarium, où était Hippolyte. Dès qu'ils y furent arrivés, Eusèbe leur adressa ces paroles : «Le Christ vous attend, afin que vous entriez avec Lui dans le royaume des cieux.» Comme Pauline opposait de la résistance et lui objectait la gloire de ce monde, il leur adressa un long discours sur la gloire du royaume céleste, et conclut en leur disant qu'ils ne pourraient en jouir que par la foi, dans laquelle même ils devaient être baptisés. Pauline remit sa réponse au lendemain. Dans la même nuit deux fidèles amenèrent à Eusèbe, dans l'arénarium, leur fils Pontien qui était paralytique, le priant de le baptiser. Eusèbe le baptisa avec les prières accoutumées, et l'enfant reçut avec le baptême une parfaite guérison: sa langue même s'étant déliée, il chantait les louanges de Dieu. Eusèbe offrit alors le sacrifice, et tous participèrent au Corps et au Sang du Christ. Ce qu'ayant appris l'évêque Étienne, il se rendit auprès d'eux, et ils se livrèrent à une commune joie.
Le matin étant venu, Adrias et Pauline revinrent à larénarium. Lorsqu'ils eurent connaissance de la guérison de l'enfant, ils en furent stupéfaits. Se sentant dès lors le coeur touché et repentant, ils se prosternèrent et demandèrent qu'on leur administrât aussi le baptême. Hippolyte, témoin de ce changement, rendit grâces à Dieu, et alla dire au bienheureux Étienne : «Vénérable seigneur, ne différez pas plus longtemps de les baptiser.» Le bienheureux Étienne répondit : «Que l'on accomplisse la solennité, et qu'on fasse les interrogations accoutumées; afin que, s'ils croient véritablement, et qu'il n'y ait dans leur coeur aucune hésitation, on les puisse baptiser.» Après les interrogations, il leur prescrivit le jeûne, et les catéchisa tous; puis il les baptisa au nom de la Trinité. Après quil leur eut imposé le signe du Christ, il nomma le garçon Néon et la fille Marie. Il offrit ensuite pour eux le sacrifice, auquel ils participèrent tous; après quoi le bienheureux Étienne se retira. Depuis ce moment, les nouveaux baptisés fixèrent leur demeure dans le même arénarium avec Hippolyte, le prêtre Eusèbe et le diacre Marcel : quant aux biens qu'ils possédaient dans la ville, ils les distribuèrent aux pauvres. La renommée ne tarda pas à publier ce qui venait de se passer, et le bruit en parvint jusqu'aux oreilles de l'empereur Valérien. Dès qu'il en eut connaissance, il donna l'ordre de faire la recherche des néophytes, promettant à ceux qui les découvriraient la moitié de leurs biens. Le greffier Maxime, pour les trouver plus sûrement, usa de cet artifice. Il feignit d'être chrétien et simula l'indigence; puis, se rendant sur la place Carboniana, au mont Coelius, il s'y livra à la mendicité. Or, il arriva qu'Adrias vint à passer avec sa famille, distribuant des aumônes. Maxime voulant s'assurer si cet homme n'était point celui qu'il cherchait, lui dit : «Au nom du Christ, en qui je crois, je te prie d'exercer la miséricorde envers moi pauvre indigent.» Adrias, ayant pitié de lui, lui dit de le suivre. Mais comme ils entraient au logis, Maxime fut saisi du démon et s'écria : «Homme de Dieu, je venais pour te trahir; je vois au-dessus de moi un feu très épais : prie pour moi; car je suis tourmenté par ce feu.» Ils se prosternèrent aussitôt, et se mirent à prier avec larmes, et Maxime fut délivré. Et comme ils se relevaient de terre, il se mit à crier : «Périssent les adorateurs des démons ! je demande le baptême.» On le conduisit aussitôt au bienheureux Étienne, qui, après l'avoir instruit, le baptisa. Maxime étant ainsi devenu chrétien, désira rester quelques jours avec l'évêque Étienne.
Un certain temps s'étant écoulé, on demanda le greffier Maxime; et comme on ne le trouva point, Valérien fut informé qu'il s'était fait chrétien. À cette nouvelle, il envoya à sa recherche d'autres membres de la chancellerie : ils le trouvèrent priant, prosterné par terre. Ils se saisirent de lui, et le conduisirent à l'empereur. Valérien lui dit : «Tu es donc tellement aveuglé par tes richesses, que tu n'as pas craint de me tromper en me faisant de vaines promesses ?» Maxime : «Oui, jusqu'à présent j'ai été aveugle : maintenant que je suis éclairé, je vois.» Valérien: «Quelle est donc ta lumière ?» Maxime : «La foi de notre Seigneur Jésus Christ.» Valérien irrité ordonna de le précipiter dans le Tibre. Eusèbe ayant ensuite trouvé le corps du martyr, lensevelit dans le cimetière de Callixte, sur la voie Appienne, le 13 des calendes de février.
Valérien employa ensuite tous ses soins à découvrir les chrétiens qu'on lui avait dénoncés, et chargea de cette perquisition soixante-dix soldats. Ceux-ci trouvèrent enfin Eusèbe, Adrias, Hippolyte, Pauline et les enfants; ils les amenèrent enchaînés au forum de Trajan. Le diacre Marcel, qui s'y rencontra, reprocha à Valérien l'ordre qu'il avait donné de se saisir des amis de la vérité. Secundianus Togatus dit alors : «Celui-ci est chrétien comme les autres.» On introduisit d'abord le prêtre Eusèbe, et le juge l'interrogea : «C'est donc toi, lui dit-il, qui troubles la ville ? Dis-moi quel est ton nom ?» Il répondit : «Je me nomme Eusèbe, et je suis prêtre.» Le juge ordonna de le faire retirer et d'amener Adrias. Lorsque celui-ci fut entré, on lui demanda son nom, et il répondit : «Adrias : ce que tu cherches, la nouvelle en est venue trop tard jusqu'à toi.» Le juge : «De quel droit possèdes-tu une telle abondance de biens et cette quantité d'argent, dont tu te sers pour séduire le peuple ?» Adrias : «Au Nom de mon Seigneur Jésus Christ, ce sont mes parents qui ont acquis tout ce bien par leur travail.» Le juge : «Si tes parents t'ont laissé cet héritage, uses-en, à la bonne heure; mais tu ne dois pas t'en servir pour corrompre les autres.» Adrias : «J'emploie mes biens pour mon usage et pour l'avantage de mes enfants, et j'en use en homme intègre, et sans fraude.» Le juge : «Tu as des enfants, et peut-être une épouse ?» Adrias : «Ils sont ici enchaînés avec moi.» Le juge : «Qu'on les amène.»
On introduisit derrière le voile Pauline avec ses enfants Néon et Marie : le diacre Marcel et Hippolyte les suivaient. Le juge dit à Adrias : «C'est là ta femme ? et ceux-ci, ce sont tes enfants ?» Adrias : «Ce sont eux.» Le juge : «Et ces deux hommes, qui sont-ils ?» Adrias : «Celui-ci est le bienheureux Marcel, diacre; l'autre, c'est mon propre frère, un fervent serviteur du Christ.» Le juge, se tournant vers eux, leur dit : «Dites vous-mêmes de quel nom l'on vous appelle.» Marcel répondit : «Je m'appelle Marcel, diacre.» Le juge dit à Hippolyte: «Dis aussi ton nom.» Hippolyte répondit : «Hippolyte, serviteur des serviteurs du Christ.» Le juge ordonna alors de faire retirer Pauline et ses enfants, puis il dit à Adrias : «Fais-nous connaître tes trésors, puis sacrifie avec ceux qu'on a arrêtés avec toi, et jouissez de la vie : autrement, le moment n'est pas éloigné où il vous faudra la perdre.» Hippolyte répondit : «Nous avons perdu et méprisé les conseils de la vanité, et nous avons trouvé la vérité.» Le juge : «Qu'est-ce donc que l'on vous a conseillé ?» Hippolyte : «De rejeter de vaines idoles pour trouver le Seigneur du ciel, de la terre et de l'abîme des mers, le Christ Fils de Dieu, en qui nous croyons.» Alors le juge donna ordre de les mettre tous dans la prison publique, et de ne pas les séparer. Ils furent donc conduits à la prison Mamertine.
Trois jours après, le juge, ayant pris pour assesseurs Secondien et Probus, fit préparer son tribunal dans la Tellude, et ordonna qu'on y apportât toutes sortes d'instruments de supplices. Adrias ayant été introduit, il fut de nouveau question de ses richesses. Et comme on n'en trouva point, le juge fit allumer du feu sur l'autel devant la statue de Pallas, et leur ordonna d'y offrir de l'encens. Mais tous crachèrent dessus, en se moquant du juge. Il les fit aussitôt dépouiller et étendre nus; puis on les frappa avec des bâtons noueux. Et comme la bienheureuse Pauline était frappée plus cruellement, elle rendit son âme à Dieu. Ce que voyant le juge, il prononça la sentence capitale contre Eusèbe et Marcel. On les conduisit à la Pierre Scelerata, près de l'amphithéâtre, vers les bords du lac du Pasteur; et ils furent décollés le bienheureux prêtre Eusèbe et le diacre Marcel, le 13 des calendes de novembre. Leurs corps furent laissés en pâture aux chiens; celui de Pauline fut jeté a la voirie. Mais un diacre, nommé aussi Hippolyte, les recueillit et les ensevelit sur la voie Appienne, à un mille de la ville, dans l'arénarium où ils s'assemblaient fréquemment.
Peu de temps après, Secondien fit venir dans sa maison Adrias et ses enfants, avec Hippolyte, et leur parla encore de leur argent. Ils lui répondirent : «Ce que nous avions, nous l'avons distribué aux pauvres : nos trésors, ce sont nos âmes, que nous n'avons nullement envie de perdre. Fais ce qui t'est commandé.» Alors Secondien fit mettre les enfants à la torture; et leur père leur disait : «Courage, mes enfants ? montrez de la constance.» Pour eux, tandis qu'on les frappait, ils disaient seulement : «Ô Christ, secourez-nous !» Le juge ordonna ensuite de tourmenter Adrias et Hippolyte, et leur fit brûler les flancs avec des torches. Hippolyte disait : «Fais bien ce que tu as à faire.» Secondien leur dit : «Sacrifiez, consentez à ce qu'on vous demande; dites seulement : «Nous allons le faire.» Hippolyte répondit : «Voici un festin agréable et incorruptible.» Après qu'ils eurent beaucoup souffert, Secondien dit : «Qu'on relève vite de terre l'enfant Néon et sa soeur Marie; quon les mène à la Pierre Scelerata, et que là on les mette à mort en présence du père.» Quand ils y furent arrivés, on les frappa du glaive, et leurs corps y restèrent étendus. Les fidèles les recueillirent et les inhumèrent ensuite dans le même arénarium où ils se réunissaient habituellement, sur la voie Appienne, à un mille de la ville, le 6 des calendes de novembre.
Secondien fit à Valérien son rapport sur tout ce qui s'était passé; et, huit jours après, il fit dresser son tribunal dans le cirque de Flaminius, et donna l'ordre qu'on lui amenât Hippolyte et Adrias chargés de chaînes, tandis qu'un héraut criait à haute voix : «Ce sont des sacrilèges qui détruisent la cité !» Et quand ils eurent été introduits, le juge les entretint encore de leurs richesses, et leur dit : «Donnez cet argent dont vous vous serviez pour induire le vulgaire en erreur.»
Adrias répondit : «Nous prêchons le Christ, qui a daigné nous délivrer de l'erreur, non pas pour que nous donnions la mort aux hommes, mais plutôt la vie véritable.» Secondien, voyant qu'il ne pouvait rien obtenir, ordonna de les frapper vivement à la mâchoire avec des lanières garnies de balles de plomb, et faisait crier par la voix du héraut : «Sacrifiez aux dieux, en brûlant de l'encens !» Car il avait fait apporter un trépied avec de l'encens. Mais Hippolyte, tout couvert de sang, s'écriait : «Fais, malheureux, ce que tu as à faire; ne t'arrête pas !» Secondien ordonna aux bourreaux de suspendre les tourments, et dit aux patients : «Il est temps que vous preniez enfin conseil de vous-mêmes : je veux bien ménager votre folie.» Ils répondirent : «Nous sommes disposés à endurer toutes sortes de tourments; mais nous ne ferons point ce que toi ou le prince exigez de nous.» Secondien en référa à Valérien, lequel ordonna de les faire mourir en présence du peuple. Secondien les fit donc conduire au pont d'Antonin, et donna l'ordre de les frapper sans relâche avec des balles de plomb, jusqu'à ce que la mort s'ensuivit; et pendant qu'on les battait ainsi, ils rendirent l'esprit.
Leurs corps restèrent dans le même lieu, près de l'île Lycaonia. Pendant la nuit, Hippolyte, diacre de l'Église romaine, vint en ce lieu, enleva les corps et les ensevelit sur la voie Appienne, à un mille de la ville, dans l'arénarium, près des autres corps des saints, le 5 des ides de décembre.
Neuf mois après vint à Rome une femme nommée Martana, Grecque d'origine, avec sa fille Valéria, toutes deux chrétiennes et parentes d'Adrias et de Pauline. Comme elles s'informaient d'eux, elles apprirent qu'ils avaient reçu la couronne du martyre : ce qui les remplit de joie. Elles se mirent ensuite à la recherche de leurs corps; et, quand elles les eurent trouvés, elles passèrent treize années auprès de leurs tombeaux, veillant et priant les jours et les nuits. Enfin elles rendirent en paix leur âme à Dieu, et furent inhumées au même endroit, le 4 des ides de décembre, en l'honneur du Christ Jésus notre Seigneur, qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.