LES ACTES DES SAINTS FIRMUS ET RUSTICUS

(L'an de Jésus Christ 303)

fêtés le 31 janvier


Sous le règne de l'impie Maximien, il s'éleva dans la cité de Milan une violente persécution contre les chrétiens, et beaucoup de fidèles ayant subi un glorieux martyre pour le nom du Seigneur, montèrent couronnés dans le royaume des cieux. En ce temps-là vivait un homme de noble race, du nom de Firmus , il était citoyen de Bergame, et l'empereur, qui le connaissait très particulièrement, lui était favorable. Sa fortune était grande, et il passait ses jours dans la prière et le jeûne, donnait largement de son bien aux pauvres, auxquels il faisait des distributions journalières, et exerçait surtout une généreuse hospitalité envers ceux qui souffraient pour le Christ. Les pontifes des temples d'idoles annoncèrent alors à l'empereur que Firmus s'était fait chrétien, et qu'il blasphémait contre les dieux, en les appelant des démons. L'empereur, ayant entendu ce rapport, envoya aussitôt son questeur avec des soldats pour se saisir du coupable. Ceux-ci se rendirent à la demeure du bienheureux Firmus, qu'ils trouvèrent assis dans un bosquet de ses jardins, et lisant le passage de l'Évangile où le Seigneur dit : «Si quelqu'un abandonne sa maison, ses champs, ses richesses, ou son épouse, ou ses enfants, ou ses parents, pour la gloire de mon nom, il recevra le centuple, et ensuite la vie éternelle.»
Les soldats l'entendant lire ces paroles, se jetèrent en même temps sur sa personne, et le maltraitant de coups, ils le chargèrent de chaînes, et le tirent sortir de sa maison pour le conduire à Milan. À peine avaient-ils quitté ensemble la ville qu'ils rencontrèrent un homme appelé Rusticus, parent lui-même du bienheureux Firmus et chrétien plein de zèle. Voyant les chaînes qui chargeaient les mains et le cou de Firmus, il se mit à pleurer en s'écriant : «Ô mon très cher Firmus, je veux mourir aussi avec toi !» Et il suivait la troupe en répétant souvent ces paroles. Les soldats lui dirent : «Es-tu donc adonné à ces mêmes arts magiques, toi qui cries ainsi après nous ?» Il répondit : «Non, je ne suis pas magicien, comme vous le dites, mais chrétien, et tout disposé à me laisser enchaîner ainsi que Firmus pour la gloire du nom de notre Seigneur Jésus Christ, qui a souffert pour le monde entier.» Le questeur demanda : «Quel est celui qui a souffert pour vous ?» Ils répondirent tous deux : «Notre Seigneur Jésus Christ, Fils du Dieu vivant, et dont nous sommes les serviteurs.» Le questeur dit : «Nous verrous bientôt si votre Christ pourra vous délivrer des mains de l'empereur.» Et il les fit enchaîner l'un et l'autre, commandant en outre d'imposer une lourde charge sur leurs épaules. Le bienheureux Firmus dit alors : «Confirmez, Seigneur, ce que vous avez commencé en nous.» Ils allaient cependant l'un et l'autre psalmodiant et disant : «Seigneur, conduisez nos pas dans la voie de vos commandements, afin que nous marchions toujours dans votre vérité;» et encore : «Qu'il est doux, qu'il est agréable à des frères d'habiter ensemble dans l'union.»
Le lendemain ils arrivèrent à Milan, et aussitôt le chef de la troupe fit connaître à l’empereur qu'il avait amené celui qu'ils devaient saisir, et avec lui un certain homme appelé Rusticus, qui se disait chrétien et prêt à mourir avec joie pour le Christ. L'empereur ordonna qu'ils fussent l'un et l'autre emprisonnés, et mis sous la garde de son conseiller Anulinus. Le jour suivant, ayant fait dresser soir tribunal dans l'hippodrome du cirque, il se fit amener les serviteurs de Dieu Firmus et Rusticus. Quand ils furent en sa présence, il leur demanda : «Combien avez-vous de dieux ?» Ils répondirent : «Nous n'avons pas plusieurs dieux; car il n'y a qu'un seul Dieu qui a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent; c'est à lui que, nous chrétiens, nous adressons nos hommages.» L'empereur dit : «Écoutez-moi; sacrifiez aux dieux Saturne et Apollon, afin d'échapper aux tourments, et de recevoir des honneurs, comme tours les autres membres de vos nobles familles; car je le jure par les dieux immortels, par mon propre salut et par la prospérité de la république romaine, si vous refusez de sacrifier, je ferai de vous un exemple terrible.» Les bienheureux martyrs répondirent tout d'une voix : «Fais ce que tu voudras, et sache que jamais nous n'adorerons des statues travaillées de main d'homme, sourdes et muettes, qui ne voient pas, qui ne sentent pas et ne peuvent pas même se mouvoir. Nous ne craignons par tes menaces, qui passeront comme ton règne terrestre et périssable. Nous avons dans les cieux un Sauveur, notre Seigneur Jésus Christ; c’est lui que nous vénérons, c'est lui que nous adorons, c’est à lui seul que nous offrons le sacrifice de nos louanges.»
L'empereur, transporté de colère en entendant cette réponse, commanda d'apporter des verges. Il fit étendre par terre les bienheureux martyrs, après qu'on les eut dépouillés, et ordonna à six bourreaux de passer sur eux et de les frapper en disant : «Sacrifiez aux dieux que l’empereur adore.» Pendant ce supplice, Firmus et Rusticus répétaient ces paroles : «Ô Dieu, notre Sauveur, venez à notre aide; Seigneur, délivrez-nous pour rendre gloire à votre nom, afin que les nations ne disent pas : «Où donc est leur Dieu ?» Après qu'on les eut cruellement battus, Maximien les fit relever, et leur dit : «Écoutez-moi : je suis disposé à vous accorder tout ce que vous me demanderez; vous serez les premiers dans l’empire; renoncez seulement à cette vaine superstition, sacrifiez aux dieux immortels que nos pères ont adorés de tout temps.» Les bienheureux martyrs répondirent : «Nous refusons tes offres et tes promesses; car nous attendons la couronne éternelle qui nous est réservée dans les cieux. Ces dieux devant lesquels, pauvres misérables,vous courbez honteusement la tête, ne sont que des démons, et tous ceux qui leur offrent des sacrifices iront brûler avec eux dans le feu éternel.» L'empereur indigné commanda de les jeter dans les cachots, et de mettre leurs pieds dans les ceps. Son grand conseiller Anulinus, étant sur le point de partir pour le pays des Vénitiens, envoya dire ces parole, à Firmus et à Rusticus dans leur prison : «Hommes insensés et pervers, vous êtes pourtant de noble race; songez donc à sauver votre existence. Si vous refusez encore de sacrifier, je le jure par les grands dieux et par la tête de l'empereur, vous allez être soumis aux plus horribles tourments.» Les bienheureux martyrs répondirent au messager d'Anulinus : «Va, et rapporte à ton maître cette réponse : «Les supplices que tu nous prépares sont passagers; Jésus Christ notre Seigneur t'en réserve de bien plus terribles au jour suprême du jugement de Dieu.»
Anulinus se rendit alors auprès de l'empereur, et lui dit : «Ordonnez que ces hommes sacrilèges me soient livrés, et je saurai bien les forcer à sacrifier aux dieux.» L'empereur commanda aussitôt de les tirer de la prison, et quand ils furent en sa présence, il leur dit : «Qu'avez-vous résolu de faire pour sauver votre vie »? Les bienheureux martyrs répondirent : «Le Christ est notre salut et notre vie : son Esprit nous anime.» L'empereur alors les lit livrer au conseiller Anulinus, en disant : «S'ils ne veulent pas sacrifier aux dieux, qu’on les fasse périr dans les tourments.» Anulinus qui devait, comme nous l'avons dit, partir pour la Vénétie, ordonna d'enchaîner les serviteurs de Dieu, et de les conduire à la ville de Vérone, sans leur donner ni pain ni eau pendant le voyage. Lorsqu'ils y furent arrivés, le troisième jour, on les livra à un officier nommé Caïus Ancharius, vicaire de cette ville, qui devait les garder jusqu'au retour d'Anulinus. Ancharius les reçut dans sa demeure, et les fit enfermer dans une salle basse. Vers le milieu de la nuit, on sentit dans la maison un tremblement de terre, et des voix se tirent entendre, qui psalmodiaient et disaient : «Seigneur, faites éclater sur nous votre puissance, afin que ceux qui nous persécutent voient ces prodiges et soient confondus.» Caïus Ancharius accourut aussitôt, et apercevant dans la salle une lumière resplendissante, et les saints martyrs assis à une table couverte de mets délicieux, il tomba comme mort. Le bienheureux Firmus s'approchant de lui, le toucha et lui dit : «Lève-toi; ne crains rien.» Ancharius se leva sur l'heure et demanda à ses prisonniers comment il se faisait qu'ils se trouvassent déchargés de leurs chaînes. Les bienheureux martyrs lui ayant dit que le Christ, pour lequel ils souffraient, les avait ainsi délivrés, et qu'il leur promettait encore des biens éternels, Caïus Ancharius tomba à leurs genoux et crut, ainsi que toute sa famille.
Six jours après, Anulinus rentrait dans la ville de Vérone, et faisait convoquer par des hérauts tout le peuple au spectacle. Le bienheureux évêque Proculus, qui, par crainte des gentils, se tenait caché avec quelques chrétiens dans un oratoire ignoré, non loin des murs de la ville, ayant appris le retour d'Anulinus, et son intention d'interroger les deux vaillants soldats du Christ, passa toute la nuit dans la prière, suppliant le Seigneur de daigner l'admettre lui-même au nombre de ses martyrs. Se levant donc dès l'aurore, il annonça aux chrétiens qu'il voulait aller à Vérone, et visiter les saints martyrs de Dieu. Arrivé à la maison de Caïus Ancharius, où ils se trouvaient encore, il les embrassa avec joie, en disant : «Vous êtes les bienvenus, mes frères mettez votre confiance dans le Seigneur Jésus Christ, et daignez me recevoir comme un compagnon de vos combats, car je désire en les partageant n'avoir plus avec vous qu'une seule intention, subir la même épreuve pour le Seigneur, et mériter comme vous d'entrer dans sa gloire, où nous célébrerons éternellement ses louanges.» Firmus et Rusticus répondirent : «Amen !»
Cependant Anulinus ordonna à ses officiers de faire comparaître les bienheureux martyrs devant son tribunal. Ils coururent aussitôt à la maison d'Ancharius, et, trouvant l'évêque Proculus assis avec eux, ils dirent en se moquant de lui : «Que fait ici ce vieux avec des criminels que l'on va condamner ?» Le bienheureux évêque Proculus répondit : «Ils ne seront point condamnés, mais couronnés par notre Seigneur Jésus Christ; et plût au ciel que je fusse digne d'être compté parmi eux ! car moi aussi je suis chrétien !» Et en disant ces paroles, il présentait ses mains aux soldats pour être enchaîné. Ceux-ci le lièrent aussitôt. Cependant Anulinus s'était assis sur son tribunal, entouré d'une foule nombreuse de peuple. On lui amena alors Firmus et Rusticus, que précédait l'évêque Proculus, les mains attachées derrière le dos. Quand ils furent en sa présence, il demanda d'abord quel était ce vieillard qui précédait les deux autres prisonniers. Les soldats répondirent : «Il s'est présenté lui-même à nous pour être enchaîné et conduit ici.» Anulinus dit : «Ne voyez-vous pas que son grand âge le fait extravaguer ?» Alors les soldats détachèrent les liens de Proculus, et après l'avoir injurié et maltraité, de coups sur le visage, ils le jetèrent hors de la ville. Pour lui il s'éloigna bien triste, parce qu'on le séparait des bienheureux martyrs, et se rendant auprès des siens, il leur raconta, tout ce qui était arrivé. Après qu'on eut chassé l'évêque, Aitulinus regardant Firmus et Rusticus, leur dit : «Voulez-vous enfin sacrifier aux dieux immortels, à Jupiter, là Junon, à Saturne, à Apollon, que tous les hommes révèrent, devant qui l’empereur lui-même fléchit le genou, ou bien préférez-vous mourir ?» Les bienheureux martyrs répondirent : «Nous ne sacrifions pas aux démons; car il est écrit : «Qu'ils leur deviennent semblables, ceux qui fabriquent les idoles ou qui mettent en elles leur confiance !»
Alors Anulinus commanda de semer par terre des cailloux et des fragments de briques pour y rouler les corps des serviteurs de Dieu. Pendant qu'on les tourmentait ainsi, un nuage vint les couvrir, et de ces pierres sortirent des flammes comme d'une fournaise ardente, qui semblèrent aux bourreaux s'élancer sur leurs têtes; ce qui répandit l’effroi parmi tous les païens. Les bienheureux martyrs, au contraire, étaient debout sains et saufs, sans aucune blessure, et ils rendaient grâces à Dieu en disant : «Nous vous glorifions, Seigneur Jésus Christ, Fils du Dieu vivant, qui avez envoyé votre ange pour nous délivrer des tortures que nous préparaient l'impie Maximien et son ministre Anulinus, et qui avez répandu sur nos corps l'huile de votre miséricorde.» La multitude qui assistait à ce spectacle était dans l'admiration et disait : «Il est grand, le Dieu des chrétiens !» Mais ceux qui entouraient Anulinus, aveuglés par le diable, se mirent à crier : «Faites périr ces magiciens, de peur qu'ils ne séduisent nos fils et nos filles.» Aussitôt Anulinus, plein d'une rage infernale, ordonna d'allumer un grand feu, et d'y jeter Firminus et Rusticus. «Nous verrons, dit-il, si leurs maléfices pourront encore les sauver.» Les bienheureux martyrs s'étaient à peine munis du signe de la croix, qu'ils furent lancés dans le brasier, où ils se mirent à chanter au Seigneur, l'hymne qui préserva les trois jeunes Hébreux dans la fournaise, afin que la puissance divine vînt aussi les secourir. Sur l’heure même les flammes se divisèrent en quatre parts, brûlant ceux qui les avaient allumées, tandis qu'elles respectaient même les cheveux, et jusqu'aux franges des vêtements des soldats du Christ. Ils commencèrent alors à louer ensemble le Seigneur, en disant : «Soyez béni, ô Dieu notre Seigneur, qui nous avez visités et délivrés de l'embrasement.» Toute la foule du peuple, voyant ces merveilles, dit à Anulinus : «Qu'as-tu fait ? Pourquoi nous amener ici ces magiciens ? La ville de Vérone va périr toute entière. Délivre-nous donc de ces hommes redoutables.» Excité par ces clameurs, Anulinus ordonna qu'on les conduisît hors de la ville, où ils seraient décapités, après avoir été battus de verges. Les soldats firent ce qu'on leur avait commandé et les martyrs de Dieu Firmus et Rusticus eurent la tête tranchée hors des murs de Vérone, sur les bords du fleuve appelé l'Adige, le cinq des ides du mois d'août.
Après leur mort, Anulinus commanda d'apporter devant lui tous les écrits et tous les actes des chrétiens, pour les jeter au feu; car il disait : «Ceux qui les liraient pourraient tomber dans l’erreur, comme les criminels que nous avons punis, et leur sépulcre serait bientôt plus honoré que les temples de nos dieux qui ont existé de tout temps.» Il défendit aussi d'ensevelir les corps des martyrs, voulant qu'ils fassent dévorés par les bêtes féroces ou les oiseaux de proie. Alors Caïus Ancharius partit avec deux parents du bienheureux Firmus, venus de Bergame pour voir l'issue de l'affaire, et tous trois se rendirent hors de la ville pour veiller cette nuit et garder les corps des saints martyrs. Pendant qu'ils veillaient ainsi, survinrent sept hommes qui se disaient des marchands, et qui portaient une litière avec des linceuls d'une éclatante blancheur. Ayant enveloppé avec respect les précieuses dépouilles, ils les placèrent dans la litière, disant avec des pleurs : «Malheur au peuple de cette ville à cause de ses péchés» Et ils marchaient psalmodiant et répétant ces paroles : «Bienheureux, Seigneur, ceux que vous avez choisis et appelés à vous; ils habiteront dans votre demeure.» Caïus Ancharius et les parents du bienheureux Firmus les suivirent jusqu'au fleuve, où ils trouvèrent un navire. Ces hommes dont nous avons parlé y placèrent les corps saints et partirent; depuis lors ou ne les a plus revus. Caïus Ancharius et ses compagnons retournèrent à Vérone, le cœur pénétré de componction, et reconnaissant que le Dieu des chrétiens est seul grand et véritable. Ils crurent au Seigneur, et furent baptisés au nom du Père, du Fils et du saint Esprit. Après ces événements, les corps des bienheureux martyrs furent transportés dans la province de Carthage dans la ville appelée Précone. C'est là qu'ils furent ensevelis par les anges, à qui Dieu avait confié ce soin.