LES ACTES DE SAINT SERGIUS

(L'an de Jésus-Christ 301)

fêté le 24 février


La vingtième année de l'empire de Dioclétien et de Maximien, on publia par tout l'univers des édits sanguinaires contre les chrétiens, et on les adressa aussitôt aux juges des diverses provinces, qui les reçurent avec un respect mêlé de terreur; car ils devaient les exécuter sous peine de la vie. Les édits portaient que tous ceux qu'on découvrirait adonnés au culte de la religion chrétienne devaient périr par divers genres de tourments. Lorsque ces ordres inhumains furent connus en Orient, il s’éleva aussitôt une horrible persécution; et dans les deux Provinces de l'Asie, tous ceux qui furent reconnus pour chrétiens furent mis à mort au milieu d'affreux tourments. Peu de temps après, par une disposition particulière de la divine Providence, les deux empereurs, désirant mener une vie paisible et retirée, déposèrent la pourpre, l’un à Nicomédie, et l’autre à Milan. Et c'est ainsi que le Seigneur procura un peu de repos aux saintes Églises et aux adorateurs de son Christ.
À la même époque, l'Arménie et la Cappadoce étaient simultanément gouvernées par un nommé Saprice, originaire de Malte. Comme il avait dessein de se rendre en Arménie, en traversant la Cappadoce, il s'arrêta à Césarée. Durant son séjour en cette ville, il fit rechercher les chrétiens, et ordonna à ses satellites de lui amener tous ceux qu'on trouverait. Deux hommes, ennemis du nom chrétien et adorateurs des profanes idoles, l'assurèrent qu'il y avait dans la ville un grand nombre de chrétiens. Le président donna aussitôt l'ordre de les lui présenter. Sa barbare férocité fit d'abord tourmenter et périr la vierge Dorothée, Barlaam et d'autres encore. Ce méchant homme fit ensuite publier par toute la Cappadoce les édits impies des exécrables Dioclétien et Maximien, et il ajouta de lui-même que, si l’on trouvait des chrétiens en quelque lieu que ce fût, il fallait les tourmenter jusqu'à la mort par des supplices raffinés. Lors donc que les édits des princes et les ordres du juge furent connus à Césarée, métropole de la Cappadoce, les chrétiens de cette ville, qui étaient en petit nombre, ne furent point effrayé de la teneur de ces ordonnances, ni de la menace des atroces supplices qu'on leur destinait : ils furent même consolés par le grand nombre de païens qui, chaque jour, se réunissaient à eux pour embrasser la foi; et Dieu leur préparait au ciel des couronnes de justice.
Au milieu de ces terreurs arriva le jour des sacrifices qu'on avait coutume de faire annuellement, dans le Capitole, situé près de la basilique du président, à l’infâme Jupiter, que les gentils regardent comme le prince des profanes idoles. Des troupes de sacrilèges adorateurs y accouraient avec d'immondes victimes; d'autre s'y rendaient par la voie Saurée, d'après l’usage, avec des taureaux blancs couronnés de lauriers, qu'on devait sacrifier aux démons; et tous faisaient éclater la joie la plus bruyante en allant célébrer l'exécrable fête d'un vain simulacre.
En ce temps-là demeurait non loin de la ville un saint moine nommé Sergius. Il avait été imbu par ses parents des dogmes et des préceptes du christianisme, et il s'était toujours montré un fidèle serviteur de Dieu. Il avait d'abord exercé la magistrature sous les princes de l'empire; mais, redoutant les agitations d'un monde sacrilège, et se souciant peu du vain bruit de la gloire humaine, il quitta tout, distribua ses biens aux pauvres et se retira dans une vaste caverne au pied d'une montagne voisine, pour suivre dans ce dénuement Jésus Christ pauvre. Couvert d'un habit rude et d'une cilice, il s'adonnait aux jeûnes et à la prière, s'efforçant ainsi de plaire à Jésus Christ. Le jour de la fête annuelle de Jupiter, par une inspiration d'en haut, il se rendit dans la ville et se mêla à la foule des païens, attendant comme eux les apprêts du sacrifice.
Au moment où le prêtre des idoles conjurait les grands dieux par certaines paroles magiques, Sergius se mit à prier Dieu dans son cœur de faire éclater aux yeux des ces peuples infidèles la grandeur de ses merveilles, en faisant évanouir l'action sacrilège du sacrificateur. Et la chose arriva ainsi : le malheureux ministre des idoles ne put recevoir aucune réponse de ses dieux. Irrité de l'inanité de ses rites, il prit l'oblation dans ses mains, et prononça diverses paroles mystérieuse de son invention, ajoutant à haute voix que ses dieux étaient exaspérés à cause de la liberté qu'on laissait aux chrétiens. À ces mots Sergius, transporté de zèle, s'écrie du milieu de la foule : «Pourquoi, sacrificateur sacrilège, oses-tu feindre la colère de tes dieux ? puisque c'est mon Seigneur Jésus Christ, qui sait rendre disertes les langues des enfants, et qui, pour la gloire de son nom, fait quelquefois taire les langues des démons. C'est Lui scélérat, qui, après avoir entendu la prière de moi son serviteur dans sa clémente bonté, a retenu la bouche mensongère de ce démon : c'est Lui, ô homme superstitieux, qui m'a choisi pour son indigne ministre en cette circonstance, afin que je pusse manifester ton erreur et celle de tout ce peuple, et publier avec intrépidité, devant tout le monde, la vérité, de ma religion.» Le sacrificateur fut stupéfait d'un tel langage. Il se saisit aussitôt de Sergius, et assembla autour de lui tous ceux qu'il avait convoqués pour le sacrifice, lesquels conduisirent le saint solitaire au gouverneur en le maltraitant.
Le président, ayant été informé par les flamines de tout ce qui s'était passé, dit à Sergius : «Qui es-tu, pour oser appeler nos dieux des démons, et nos empereurs des adorateurs des démons ?» Sergius lui répondit : «Je suis serviteur de mon Seigneur Jésus Christ, par la vertu duquel les idoles ont été devant moi comme si elles n'existaient pas, et les menteuses statues des empereurs, bien que pourvues de bouches, sont demeurées muettes.» Le président : «Tous les chrétiens se glorifient de ces arts magiques, et cependant jamais votre Dieu ne vous délivre de la mort.» Sergius : «Il est décrété que tout homme doit mourir une fois. Malheur à vous, qui, après cette vie temporelle subirez une mort éternelle, si vous ne croyez pas au Christ mon Dieu. Pour nous, nous subissons une mort temporelle, parce que Dieu l'a ainsi ordonné; mais après nous entrons en jouissance d'une vie glorieuse et sans fin.» Le président sourit, puis il ajouta : «Je vois bien que tu n'as point de jugement, ou plutôt tu parais atteint de folie. Cependant sache bien que, par tous les dieux, si tu ne sacrifies, loin de défendre ta tête de la sentence capitale, je vais te faire enlever la vie par le glaive, afin que tu fasses l'expérience mensongère de ta vie glorieuse.» Sergius lui répondit : «Je rends grâces à mon Seigneur Jésus Christ de ce qu'il daigne me délivrer de beaucoup de souillures el de la puissance du démon, afin que je ne m'égare plus. Fais-moi donc endurer tous les supplices que tu voudras; je suis prêt; car je ne sacrifierai point aux idoles.» Le juge prononça alors contre lui cette sentence: «Nous ordonnons que Sergius, qui blasphème nos dieux et désobéit à nos empereurs, soit frappé du glaive, et que ses biens soient acquis au trésor publie.» Les satellites se saisirent aussitôt du saint solitaire et lui tranchèrent la tête. La nuit suivante, les chrétiens recueillirent son corps et l'ensevelirent dans la maison d'une pieuse matrone. Il souffrit le martyre le six des calendes de mars.
Dans la suite des temps, les reliques du saint ermite martyr furent transportées en Espagne, où elles reposent honorablement près de la ville de Bétulon, bien qu'aujourd'hui ou ne connaisse plus le lieu précis où elles se trouvent.