LES ACTES DE SAINT NESTOR, ÉVEQUE


(l’an de Jésus Christ 251)

fêté le 26 février


La foi nous invite à conserver la mémoire des saints martyrs, à contempler la victoire de ces athlètes du Christ, que le Fils de Dieu a couronnés, que le Père a glorifiés, et qui nous ont laissé souvent de si grands exemples en tout genre. Et quand je dis les athlètes, je n'entends pas parler de ceux qui combattent comme en figure, dont l'éloge est douteux, la victoire incertaine et la couronne corruptible; mais j'ai en vu ces glorieux et saints personnages qui ont combattu jusqu'à la mort, pour ne pas renier le Fils de Dieu, se souvenant de cette promesse du Sauveur, qui disait : «Si quelqu'un confesse mon Nom devant les hommes, Je le reconnaîtrai, Moi aussi, devant mon Père qui est clans les cieux.»
Le bienheureux Nestor est un de ces célestes champions. Lorsque Décius, cet homme odieux au Seigneur, était à la tête de l’empire romain, il donna l’ordre d'entraîner à ses profanes mystères tous ses sujets, et spécialement d'inviter à d’Immondes sacrifices ceux qui invoquent le Nom de notre Seigneur Jésus Christ; déclarant, en outre, que tous ceux qui refuseraient d'obéir seraient conduits devant le juge et tourmentés par toutes sortes de supplices. Cet édit très inique fut donc publié dans la Pamphylie, au temps où le président Pollion gouvernait cette province. Celui-ci, sans différer au lendemain, envoya partout des cavaliers, avec un exemplaire dit décret impérial; afin que, s'ils trouvaient quelque part des chrétiens, ils les contraignissent à manger des viandes offertes aux idoles. En ce même temps, plusieurs chrétiens furent martyrisés, savoir : Papias, Diodore, Claudien et Conon, dont nous donnerons les actes en leur temps. En attendant, nous allons raconter les gestes du bienheureux Nestor.
Le bienheureux Nestor fut évêque de Magyda; niais il reçu la couronne du martyre dans la ville de Perge. Ainsi que nous l'avons déjà dit, sa foi et sa religion le rendirent illustre; il fût très fidèle à Dieu durant sa vie tout entière; son humilité et sa modestie éclataient partout : de sorte que celui qui devait être l'agent de la persécution redoutait sa sainteté; mais il n'osait contrevenir aux édits du tyran. S'adressant donc à ses conseillers, il leur dit : «Nous ne pourrons rien contre les chrétiens, tant que nous n'aurons pas entre les mains leur évêque; car tous lui défèrent aveuglément, et n'oseraient s'opposer à sa volonté.» Le bienheureux Nestor, connaissant leurs pernicieux desseins, fit éloigner tout son peuple; «de peur, disait-il, que le loup, entrant dans la bergerie du Christ, ne déchire quelqu'une des brebis.» Pour lui, il ne quitta point sa maison; mais il y demeura jour et nuit en prières, ne demandant autre chose, sinon que le troupeau du Christ fût préservé.
Les persécuteurs s'étant donc présentés au logis de l'évêque Nestor, accompagnés de quelques citoyens sectateurs de l'iniquité, ils cernèrent sa maison, et l'un d'eux s'approchant de la porte, se mit à crier. En ce moment le bienheureux martyr était en oraison, et l'un de, ses serviteurs alla lui dire qu’on le demandait dehors. Après qu'il eut achevé sa prière et dit amen, ce bélier sans malice sortit, portant sur sa tête sa coiffure ordinaire. Et lorsqu’il parut devant ceux qui étaient venus pour le prendre, ils ne purent supporter la majesté de son visage et se prosternèrent à ses pieds. Il leur dit alors : «Mes chers enfants , quel est le motif qui vous amène vers moi ?» Ils lui répondirent : «L'irénarque et toute la cour vous demandent.» Nestor, se signant au Nom de notre Seigneur Jésus Christ, les suivit aussitôt, semblable à une brebis destinée ait sacrifice. Lorsqu'ils arrivèrent au forum, toute la cour se leva et le salua. Il leur dit alors : «Que le Seigneur vous pardonne pourquoi faites-vous cela ?» Ils lui répondirent : «Ta vie est vraiment digne, d'éloges.» Et le plaçant au milieu d'eux, ils se retirèrent en un lieu sépare, hors des regards de la multitude; et après qu'on eut disposé des sièges en grand nombre, ils firent apporter un siège d’honneur, qu’on revêtit d'ornements, pour y faire asseoir l'évêque. Celui-ci leur dit : «C'est assez pour moi de l’honneur que vous m'avez fait en m'appelant; maintenant, dites-moi pour quel sujet vous me faites venir ici.»
L'irénarque lui dit : «Tu connais, ô maître, le décret de l'empereur? » Nestor : «Je connais le précepte du Tout-Puissant, mais pour celui de l'empereur,je l'ignore.» L’irénarque : «O Nestor, donne ton consentement avec calme, de crainte qu'on ne te mette en jugement.» Nestor : «Et à quoi consentirais-je !» L'irénarque : «Aux ordonnances du prince.» Nestor : «Je consens et me soumets aux commandements du roi des cieux.» L’irénarque : «Tu es possédé du démon.» Nestor : «Ah ! qu’il serait à souhaiter que vous ne fussiez pas vous-mêmes possédés des démons, et que vous ne leur rendissiez point vos adorations !» L'irénarque : «Comment oses-tu appeler les dieux des démons ?» Nestor : «Je le dis, d'accord avec la raison et conformément à la confession de ceux qu'on exorcise; afin que tu comprennes que ce sont les démons que vous adorez.» Et l'irénarque, agitant sa tête vers le saint martyr, lui dit :«Eh bien ! moi, je te ferai confesser aux moyen des tourments, en présence du président, que ce sont des dieux.» Le bienheureux Nestor, faisant aussitôt le signe du Christ sur son front , lui répondit : «À quoi bon me menacer
des tourments ? je redoute les supplices de mon Dieu; mais je n'ai peur ni des tiens ni de ceux de ton juge. Cependant, et dans les tourments, et sous les tourments, je confesserai toujours le Christ Fils du Dieu vivant.»
L’irénarque, sans perdre de temps, partit le jour même pour Perge, et y conduisit le saint martyr, qu’il confia à la garde de deux licteurs : l’agneau suivait le loup. Lorsqu'ils étaient en route, il se fit un grand tremblement de terre, et il vint du ciel une voix qui réconfortait son martyr. Ceux qui l'accompagnaient en furent d'abord tout étonnés, puis saisis
de crainte; car leur conscience leur reprochait la captivité du saint homme. Ils lui demandèrent donc : «Seigneur évêque, d'où vient ce son et ce tremblement de terre ?» Il leur dit : «C'est un signe de mon Dieu.» Ils arrivèrent à la ville le quatrième jour de la semaine à la dixième heure, et ils n'y entrèrent point.
L'irénarque ayant fait son rapport au président sur l'affaire du saint martyr, dès le matin le président s'assit sur son tribunal , et on lui amena Nestor. L'irénarque présenta alors son rapport à l'assesseur Urbain, qui le lut en ces termes : «Eupator, Socrates et toute la curie romaine, au très excellent seigneur président, salut. Lorsque ta Grandeur reçut les divines lettres de notre seigneur, l'empereur, par lesquelles il ordonnait que tous les chrétiens sacrifiassent, et qu'on les fit renoncer aux idées qui leur avaient été malheureusement inculquées, ton Humanité voulut en venir à l'exécution de ces ordres sans dureté, sans trouble , mais dans le calme et
la paix. Mais ta mansuétude n'a pas obtenu grand résultat, car ces gens-là, obstinés comme ils sont, méprisent l'édit impérial. Cet homme surtout, étant prié par nous et par toute la curie, non seulement n'a pas voulu se rendre à nos avis; mais tous ceux qui dépendent de lui, voulant suivre l'exemple de leur chef, ont refusé de se disposer à exécuter les ordres intimés. Cependant nous n'avons cessé de l'engager à venir au temple de Jupiter, conformément au rescrit du victorieux empereur. Mais il a attaqué les dieux immortels par des outrages et des contumélies : l'empereur lui-même, quoique absent, a reçu sa bonne part d’injures, et sa langue maligne, ne t'a pas épargné non plus. La curie s'est donc vu forcée de t'adresser à ta Grandeur.»
Le président lui dit alors : «Comment t'appelles-tu ?» Le bienheureux Nestor : «Je suis le serviteur de mon Seigneur Jésus Christ.» Le président : «Ce n'est pas ta qualité que je demande, mais ton nom.» Nestor : «Mon nom propre, c'est : Je suis chrétien. Mais si tu veux mon nom temporel, on m’appelle Nestor.» Le président : «Qu'est-ce que cela fait ? Sacrifie et laisse-toi persuader, sans qu'on emploie les tortures, de jurer par les dieux. J'écrirai de suite au seigneur, empereur et le prierai de te nommer prince des prêtres; ce qu'il fera sans difficulté. Tu seras alors comblé d'honneurs et de présents, et tout sera soumis à ta puissance; tu deviendras aussi notre collègue, et tu vivras ainsi de longues années au faite de la grandeur.» Mais le saint martyr, levant les yeux au ciel, et faisant le signe de la croix, dit au président : «Lors même que tu tourmenterais ma chair en toutes manières, et me menacerais des chaînes, des bêtes et du glaive; tant que j'aurai un souffle, jamais je ne renierai le Nom de mon Seigneur Jésus Christ.» Le juge ordonna aussitôt de le suspendre au chevalet et de le tourmenter le plus cruellement qu'on pourrait. Les bourreaux, exécutant ces ordres, lui firent de si profondes blessures avec les ongles de fer, que ses côtes furent dénudées. Mais le bienheureux Nestor chantait le psaume : «Je bénirai le Seigneur en tout temps; sa louange est toujours sur mes lèvres.»
Le juge, stupéfait de la patience du martyr, lui dit : «Malheureux que tu es, tu ne rougis donc point de mettre toujours ton espoir en un homme, et un homme mort de mort violente ?» Nestor répondit : «J'accepte cette confusion pour moi et pour tous ceux qui invoquent le Nom de notre Seigneur Jésus Christ.» La foule, demanda alors par des cris tumultueux qu'il fût exterminé. Le président lui fit demander par le héraut : «Veux-tu sacrifier aux dieux, oui ou non ?» Le saint martyr, plein de confiance en Jésus Christ, lui dit : «Impie et inique fils du diable, non seulement tu ne crains point Dieu, qui t'a donné cette dignité éminente; car c'est par Lui que les rois règnent, que les tyrans obtiennent des possessions terrestres et que les princes exercent la justice; mais de plus, tu veux me contraindre à L'abandonner, Lui, le vrai et unique Dieu, le Créateur et le Sauveur de tous, pour adorer de vains simulacres de pierre !» Le président lui dit : «Voyons, veux-tu être avec nous ou avec ton Christ ?» Le martyr du Seigneur répondit : «Toujours j’ai été, je suis et je serai avec mon Christ.» Le juge, voyant son invincible persévérance , rendit aussitôt cette sentence contre lui : «Nestor, puisque tu n'as point voulu obéir au victorieux empereur ni aux dieux immortels, mais que tu as préféré Jésus, qui a été, à ce que j'apprends, crucifié par les Juifs sous Ponce-Pilate; afin donc que tu ne sois pas sans dévouement pour ton Dieu, tu subiras la même sentence que Lui, et tu périras crucifié.» À peine le juge avait-il donné cet ordre, qu'on prépara en toute hâte le bois pour le crucifiement.
Le bienheureux Nestor étant donc crucifié, enseignait du haut de la croix chacun des chrétiens, et leur disait : «Mes petits enfants, que la confession que nous faisons de notre Dieu soit ferme et permanente, et ne renions point ce même Dieu qui a souffert pour nous, de peur que le diable ne se réjouisse de la chute des serviteurs du Christ. Souffrons avec Lui, afin d'être glorifiés avec Lui. Ne Le renions pas, afin qu'il ne nous renie point Lui-même, Souvenez-vous que le Père l'a envoyé pour être le Rédempteur des âmes et pour détruire nos péchés, Lui qui n’a jamais commis le péché. Et le Père nous a tous donnés à Lui, en sorte que, au Nom de Jésus, tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus Christ est dans la Gloire de Dieu le Père.» Il dit ensuite à la foule qui était présente : «Mes petits enfants, fléchissez les genoux, et prions le Seigneur par le même Jésus Christ.» Tous s'étant mis à genoux pour prier avec lui, à la fin de la prière ils dirent Amen; puis il rendit l'esprit. Il consomma ainsi son martyre le cinquième jour de la semaine, à la troisième heure.