LES ACTES DE SAINT FAUSTIN ET DE SAINT JOVITE

(L'an de Jésus Christ 121)


fêtés le 15 février


Les bienheureux Faustin et Jovite, issus d'une des plus nobles familles de Brescia, prêchaient avec un grand zèle la foi de Jésus Christ, qu'ils avaient reçue avec une pieuse avidité. Unis en effet, moins encore par les liens du sang que par la vertu de l'Esprit saint qui les animait, ces deux frères travaillaient ardemment de concert à faire connaître partout le Nom du Christ; et tels étaient leurs succès qu'ils attiraient au culte du vrai Dieu tous les habitants de la contrée. La ville de Brescia avait alors pour évêque Apollonius, qui se tenait caché par crainte de la persécution. Témoin de la ferveur de ces serviteurs de Dieu pour la prédication de l'Évangile, il les fit venir auprès de lui et les éleva aux ordres de la hiérarchie de l'Église. À Faustin, qui était l'aîné, il conféra le sacerdoce, et il enrôla Jovite le plus jeune parmi les diacres du Christ. Ainsi revêtus d'un caractère sacré, les deux saints se livrèrent encore avec plus d'ardeur à la prédication. Comme chaque jour ils conquéraient à la loi du Christ un peuple nombreux, et que personne ne s'opposait à leur enseignement, le bruit de leur prédication se répandit bientôt dans les provinces voisines.
Or, à cette époque, les peuples des Rhéties avaient pour gouverneur le comte Italicus, païen zélé et dévoué, tout entier au culte des démons. S'enveloppant dans les ténèbres de son aveuglement, il ne se contentait pas de rejeter pour lui-même la lumière de la foi, il s'efforçait encore de l'éloigner de sa province. C'est pourquoi, lorsque l'empereur Adrien visita la Ligurie, Italicus vint au-devant de lui jusqu'à l'Adda, et d'une voix sacrilège lui adressa ces plaines : «Grand empereur, triomphateur invincible, sauve la république romaine, prends en main la défense des divinités sacrées que nous honorons. Il y a dans la ville de Brescia deux hommes qui annoncent je ne sais quel Christ, et déjà ils ont détourné un grand nombre de citoyens du culte de nos grands dieux. Si la puissance divine de ta parole ne les arrête, il est certain que par leur funeste influence notre culte va disparaître de ces contrées.» À ces paroles, l'empereur Adrien, qui connaissait le zèle emporté du gouverneur pour ses idoles, lui donna, par un écrit signé de sa main sacrée, tout pouvoir pour ramener aux divinités de l'empire, ou exterminer dans les supplices, tous les chrétiens, quelque part qu'il. les trouvât.
Le comte Italicus, investi, comme il l'avait désiré, de cette puissance de sévir contre les chrétiens, se rendit aussitôt à Brescia, selon les ordres d'Adrien. À peine arrivé dans cette ville, il envoya son conseiller Libérius notifier à Faustin et à Jovite la volonté de l'empereur; mais ils demeurèrent immobiles dans leur foi; alors Italicus les fit arrêter par ses soldats, et ordonna qu'on les lui présentât. Quand ils eurent été amenés devant son tribunal, il leur adressa la parole en ces termes : «Le très invincible empereur a décrété, par sa volonté sacrée, que tous les chrétiens devaient embrasser la religion de nos dieux, et que ceux qui refuseraient d'obéir à ses ordres expieraient dans les supplices le crime de leur révolte. Il est donc juste, Faustin et toi Jovite, que vous vous soumettiez à ces conseils salutaires, et que, renonçant aux erreurs d'une superstition nouvelle, vous reveniez à l'ancien culte de nos dieux que la république a consacré.» Les bienheureux Faustin et Jovite répondirent : «C'est maintenant pour nous le temps de nous livrer à la joie et non à de vaines frayeurs. Sache donc que, initiés à la foi de notre Seigneur Jésus Christ, nous ne pouvons en aucune manière L'abandonner ni obéir à tes ordres.» À cette réponse, le comte Italicus ordonna qu'on les gardât en prison jusqu'à l'arrivée de l'empereur, qu’on espérait revoir bientôt.
En effet, cinq jours après l'empereur fit son entrée à Brescia. Alors le comte Italicus lui annonça que les bienheureux Faustin et Jovite avaient méprisé ses ordres, et qu'il les avaient en conséquence fait jeter en prison pour les lui présenter. L'empereur Adrien dit : «Et quelle est leur famille, pour qu'on leur accorde d’être entendus devant notre majesté ?» Le comte Italicus répondit : «Ils sont issus d'une race illustre, et leurs parents, qui occupent les premières places du sénat dans cette cité, ont montré pour nos dieux un si grand respect, que partout où ils ont pu découvrir des chrétiens, ils les ont poursuivis avec le plus grand zèle. Quant aux deux coupables, je ne sais quelle folie les a aveuglés et leur a fait rejeter notre culte avec obstination et blasphème, pour adorer le Christ qu'ils disent avoir été attaché sur une croix par les Juifs.» Adrien dit : «Ces hommes me sont très nécessaires; leur supplice en ramènera un grand nombre aux dieux de l'empire.» Il ordonna donc qu'on les tirât de prison, se les fit amener, et leur dit : «Vous qui abandonnez le culte du soleil, est-il un autre dieu plus grand que lui, et à qui vous deviez de préférence le tribut de vos hommages ?» Le bienheureux Jovite répondit : «Nous adorons le vrai Dieu, le Dieu du ciel et de la terre et de toute créature, Celui qui a fait le soleil et lui a donné pour mission de nous éclairer pendant le jour, comme Il a ordonné à la lune et aux innombrables légions d'étoiles d'éclairer les ténèbres de la nuit.»
Adrien reprit : «Vous seriez plus prudents et plus sages d'obéir à notre volonté; vous pourriez vous assurer par là les premières places dans notre palais, au lieu qu'en persévérant dans cette folie, vous vous condamnez vous-mêmes à la mort la plus cruelle.» Les très saints martyrs Faustin et Jovite répondirent : «Jamais nous ne commettrons ce crime infâme, qui nous conduirait à la mort éternelle.» Adrien dit : «Votre crime, c'est de vous déclarer chrétiens, et de refuser de jouir en paix de nos faveurs auprès de notre trône, préférant ainsi voir attacher à vos personnes la note d'infamie.» Jovite répondit : «C'est un devoir pour nous de nous dire chrétiens et de le proclamer hautement; car tes faveurs, nous devons les fuir pour mériter les bonnes grâces du Roi éternel.» L'empereur Adrien dit : «Il faut que votre cœur soit bien dur pour n'être pas touché de nos paroles; car notre amour pour vous est grand, et notre plus ardent désir serait de vous faire renoncer à vos erreurs, afin que vous pussiez jouir près de nous d’un rang honorable dans nos armées.» Le bienheureux Faustin reprit : «Ce rang honorable, nous l'avons dans la milice où notre Christ nous a enrôlés; car votre milice finira avec le temps, puisque le temps doit t’emporter toi-même; la au contraire, demeurera durant l’éternité.»
Adrien dit : «Il suffit; ma patience a supporté assez longtemps vos outrages. Ou sacrifiez au soleil, le dieu invincible, ou je vous châtierai, et vous périrez dans de nombreux supplices.»
Faustin et Jovite répondirent : «Nous sacrifions au Dieu vivant, qui a fait le soleil pour l'ornement de la création; et le soleil que tu veux nous faire adorer, Dieu nous l'a donné pour servir à nos besoins.» Alors l'empereur enflammé de colère, les fit conduire devant le temple du soleil, où le dieu avait une statue entièrement dorée, et dont la tête était ornée de rayons de l'or le plus pur. Là, il dit aux saints martyrs : «Vous voyez la gloire de l'invincible soleil. Approchez (du dieu et sacrifiez-lui, si vous voulez être trouvés dignes de jouir de sa présence, et délivrés des tourments qui vous sont réservés.» Le bienheureux Faustin répondit : «Tu vas voir éclater tout à l'heure la gloire de notre Dieu, et tu apprendras combien est impuissant celui que tu honores.» En même temps tous deux dirent d'une commune voix: «Le soleil connaît le terme de sa carrière; vous avez Seigneur, étendu sur lui les ténèbres, et la nuit a été faite !» Adrien dit : «Quelles sont ces paroles que vos lèvres murmurent ? Approchez davantage et sacrifiez au soleil, le dieu invincible.»
Alors Jovite se tournant vers la statue du soleil, dit : «Nous adorons le Dieu qui règne au ciel et qui a établi le soleil pour nous éclairer. Toi donc, statue, vaine image de ce soleil, change de nature et parais à nos yeux comme une poix vile, pour la confusion de ceux qui t'adorent comme un Dieu.» Il dit, et aussitôt la statue, aux yeux de tout le peuple, devint noire comme de la suie; les rayons dont sa tête était ornée tombèrent à terre, semblables à des charbons éteints. À ce prodige, Adri en s'écria : «Qu'est-ce que je vois !» Le comte Italicus lui dit : «Ordonnez à vos ministres d'essuyer la statue avec des éponges et de lui rendre son premier éclat.» Adrien ordonne alors à ses officiers de monter à la statue, et avec des éponges, d'enlever la suie qui la couvre. Mais tandis qu'ils font de vains efforts pour exécuter ses ordres, la statue tout entière s'évanouit comme une étincelle, en sorte qu'il n'en resta pas une trace. Le bienheureux Faustin dit à l'empereur : «Vois-tu ce qu'est devenu le dieu que tu honores ? et comment il a été réduit à néant ?»
L'empereur furieux condamna les martyrs aux bêtes; et lorsqu'on les eut amenés au milieu du cirque, il dit à Italicus : «Qu'on lance contre eux les plus cruelles, afin qu'à leur seul aspect ces insensés sentent leur courage défaillir.» Puis se tournant vers les martyrs : «Faustin et Jovite, leur dit-il, voyez la mort qui va vous saisir; encore un instant et votre carrière touche à son terme. Croyez donc à mes conseils, et sacrifiez au dieu Saturne ou à Diane, pour échapper à la dent des bêtes.» Faustin répondit : «Celui que vous appelez Saturne était un homme souillé des infamies les plus monstrueuses, et qui dévora,dit-on, la chair de ses fils. Quant à Diane, ce fut une femme de mœurs trop libres, qui, abjurant la pudeur de son sexe, rattachait, à la façon des chasseurs, ses vêtements avec sa ceinture, afin de poursuivre, dit-on, les bêtes sauvages. Et ce sont là les dieux que tu nous ordonnes d'adorer, pour nous faire outrager le Dieu Très-Haut ?» L'empereur Adrien reprit : «La mort déjà vous saisit, et vous persévérez dans vos blasphèmes ?»
Alors il se tourna vers ses gardes, et leur ordonna de lancer quatre lions contre les athlètes du Christ; ce qui fut aussitôt exécuté. Les yeux de ces bêtes sauvages lançaient des flammes, et leur aspect inspirait la terreur. Mais on les vit accourir d'un bond rapide et se rouler aux pieds des saints, en poussant d'affreux rugissements qui glaçaient de terreur la foule des païens. Ils abaissaient à terre leurs têtes superbes, et léchaient avec respect les endroits que les saints avaient foulés. À cette vue, Adrien ordonne à ses officiers de lancer les léopards. Mais ceux-ci, arrivés au lieu où se tenaient les serviteurs de Dieu, se roulèrent également à leurs pieds. Alors les spectateurs s'écrièrent : «Qu'on enlève du milieu de nous les magiciens, afin que nous puissions librement adorer nos dieux.» Adrien, de plus en plus irrité, dit à ses officiers : «Envoyez contre eux les ours; mais auparavant, afin d'exciter par la douleur ces bêtes féroces à dévorer les martyrs, qu'on leur applique autour des flancs des torches ardentes.» Les officiers exécutèrent l'ordre de l'empereur et lancèrent les ours. Arrivés à leur tour près des serviteurs de Dieu, comme de concert avec les lions et les léopards, ils se jetèrent tous ensemble sur les officiers et les déchirèrent de leurs morsures; pas un seul n'échappa.
Quant aux élus de Dieu, ils se tenaient sans crainte au milieu des bêtes. Adrien leur dit : «Vous voyez, Faustin et Jovite, de quelle miséricorde use à votre égard le dieu Saturne, que vous avez insulté; il a défendu aux bâtes de vous toucher.» Faustin répondit : «Rougis de honte, odieux tyran des chrétiens ! Ce n'est point, comme tu le penses, ton Saturne qui nous a arrachés à la fureur des bêtes, mais bien plutôt le vrai Dieu que nous servons, et qui règne au ciel. Où sont donc ces menaces dont tu cherchais à nous épouvanter ? Les bêtes dont tu as déchaîné contre nous la fureur sauvage, les voilà qui, oubliant leur férocité, adorent notre Dieu et se prosternent à nos pieds ! Si donc il te reste contre nous quelques moyens plus puissants, hâte-toi de les employer, afin que sur tous les points tu reconnaisses ta défaite.» Adrien reprit : «Soyez moins empressés, j'ai fait préparer des tourments plus terribles, et tout à l'heure j'ordonnerai qu’on vous les fasse subir.»
À ce moment, un prêtre nommé Orphetus dit à l'empereur, dont il était le parent : «Si votre clémence l'ordonne, nous prendrons avec nous Saturne, le dieu invincible, et nous irons à ces malheureux pour les délivrer des bêtes et essayer de gagner leurs âmes ?» Adrien lui dit : «Faites comme vous le croirez convenable.»
Orphetus donc, avec les autres prêtres et le comte Italicus, prennent la statue de Saturne et se dirigent vers le lieu où les saints se tenaient au milieu des bêtes. Mais à peine s'en étaient-ils approchés, que, se jetant aussitôt sur cette troupe de païens, ces animaux furieux les mirent tous en pièces, malgré les prières des spectateurs qui criaient : «Dieu Saturne, secours tes ministres.» La statue elle-même foulée aux pieds des bêtes, resta à terre, souillée du sang de ses prêtres.
Quand la femme d'Italicus, nommée Afra, eut appris que son mari venait d’être dévoré par les bêtes, elle se hâta d'accourir au théâtre, et se mit à crier à haute voix devant l'empereur : «Quels sont donc, Adrien, ces dieux que tu honores, s'ils n'ont pu ni sauver leurs prêtres, ni se délivrer eux-mêmes ? Et moi, malheureuse, victime de leur impuissance et de ta perfidie, je perds aujourd'hui mon époux !» Enfin la foule, témoin de ce qui venait de se passer, glorifiait le Dieu de Faustin et de Jovite; un grand nombre crurent au Seigneur, entre autres un ministre de l'empereur, Calocérus, avec presque tous les officiers. Afra elle-même, l'épouse d'Italicus, renonçant aux erreurs de l'idolâtrie, s'associa à ces nouveaux fidèles.
L'empereur Adrien dit alors aux martyrs : «Si le Dieu que vous honorez est le véritable, délivrez-vous de ces bêtes et sortez du cirque.» Les bienheureux athlètes répondirent : «Oui, sur ce point encore nous te montrerons la puissance de notre Seigneur Jésus Christ.» Alors se retournant vers les bêtes, ils leur dirent : «Au Nom du Seigneur, nous vous commandons de sortir de la ville, sans faire de mal à personne.» Aussitôt ces bêtes sauvages, comme d'innocentes brebis, s'éloignent, sortent des portes de la ville et gagnent les déserts des montagnes. Adrien donna ordre de reconduire en prison les généreux soldats du Christ.
Le lendemain, il fait dresser son tribunal au Capitole; et là, se faisant amener les saints de Dieu, il les pressait de sacrifier à Jupiter. Comme rien ne pouvait ébranler leur foi, Adrien fit allumer un vaste bûcher, et ordonna qu'on les jeta au milieu du brasier. Les soldats du Christ, environnés de flammes de tous côtés, demeuraient debout, immobiles; et les mains étendues vers le ciel, ils chantaient un hymne au Seigneur. Alors l’empereur, saisi plus que jamais d'une violente fureur, répète à grands cris que ce sont des magiciens et des scélérats; il ordonne qu'on les ramène en prison, que personne ne soit admis à les visiter, et qu'on les laisse mourir de faim. Mais au milieu de la nuit, les anges du Seigneur descendirent vers les martyrs. À la présence des esprits célestes les ténèbres se dissipèrent, et la prison fut éclairée comme par les rayons d'un brillant soleil. Cette lumière ne disparut qu'après avoir fortifié le courage de ces bienheureux athlètes de Jésus Christ.
Après ce nouveau prodige, l'empereur fit préparer son tribunal devant le temple de Mars, et ordonna qu'on amenât de nouveau les bienheureux Faustin et Jovite. Calocérus, chargé de cette mission, vint avec tous ses gardes chercher les saints martyrs; et jusqu'au temple de Mars, ils les comblèrent de témoignages d'honneur. Lorsque Adrien vit tous ses gardes d'un commun accord traiter les saints avec tant de respect, il poussa un profond soupir, et, vaincu par la douleur, il se retira dans son palais où il ordonna qu'on lui amenât à l'insu du peuple Faustin et Jovite, et leur dit : «Croyez-vous, par vos maléfices, m'avoir réduit à l'impuissance moi et mon peuple ? Si vous ne sacrifiez aux dieux, je vous ferai traîner chargés de chaînes par les nombreuses villes de l'empire, jusqu'à ce qu'enfin je termine vos jours au milieu des supplices.» Le bienheureux Faustin répondit : «Quelque part que tu nous fasses conduire, sache que partout, au nom de notre Seigneur, tu seras confondu; car il nous protège et il est toujours avec nous.» Adrien dit : «C'est ce que vous nous montrerez, quand je vous aurai appliqué à des supplices plus terribles.» Le bienheureux Jovite, reprit : «Quels que soient ces supplices, la douleur ne nous effraiera pas; car le Seigneur nous soutiendra.» Adrien les fit encore conduire en prison pour y rester jusqu'au jour de son départ, avec l'ordre de ne permettre à personne de les voir; et il fit sceller la porte de la prison avec le sceau de son anneau impérial.
Cependant la foule du peuple qui avait cru, et avec eux Calocérus et ses officiers, cherchèrent Apollonius, qui se tenait caché par crainte des infidèles. Ils le trouvèrent non loin de la ville de Brescia. Quand Apollonius eut appris par eux tout ce qui s'était passé, il bénit le Seigneur, et les conduisit au pied d'une montagne, dans un lieu plus écarté. Là, après leur avoir exposé, selon la coutume, l'ensemble des dogmes de la foi, il les baptisa au nom du Père, du Fils et du saint Esprit les confirma dans le Christ et les congédia. Mais on avait annoncé à l'empereur que Calocérus et ses gardes avaient embrassé la foi; aussitôt, plein de colère, il ordonna qu'on les prit et qu'on les lui amenât chargés de chaînes au cirque. Là, s'adressant à Calocérus : «Malheureux ! quelle est donc cette folle qui s'est emparée de toi et qui t'a rendu le plus abject de tous les officiers de mon palais !» Puis, se tournant vers les gardes : «Et vous, misérables victimes que la mort se prépare, dites par quel excès de démence vous abandonnez nos dieux, sans craindre les châtiments qui frappent les grands coupables ?» Ils répondirent : «Nous ne craignons point la mort de ce monde, parce que le Dieu qui règne au ciel est notre appui.» Alors Adrien, dans un violent accès de fureur, les fit envelopper et décapiter au même lieu. Quant Apollonius l’eut appris, il vint avec des chrétiens, enleva les corps des martyrs, et les ensevelit avec honneur, le treize des calendes de décembre.
Pour Calocérus, Adrien le fit charger de chaînes ainsi que Faustin et Jovite, et ordonna qu'on les traînât à sa suite jusqu'à Milan, où il était sur le point de se rendre. Lorsque les bienheureux martyrs eurent quitté les portes de la ville, les chrétiens en foule, avec leur saint évêque Apollonius, vinrent les accompagner jusqu'au fleuve Mella. Puis, après s'être fortifiés mutuellement dans la foi, ils se donnèrent la paix et se séparèrent en versant d'abondantes larmes. Le peuple rentrait à Brescia; et les bienheureux athlètes Faustin et Jovite, avec Calocérus, tous trois chargés de chaînes, étaient conduits sous bonne escorte à Milan, où ils arrivèrent après trois jours de marche. Aussitôt Adrien donne ordre de dresser son tribunal dans les thermes d'Hercule, et fait comparaître devant lui les généreux martyrs du Christ épuisés par les fatigues de la route. Il espérait, le barbare, qu'affaibli par les douleurs d'un long voyage, le courage des soldats du Très-Haut céderait enfin, et ils obéiraient à ses ordres. Avec l'accent d'une orgueilleuse indulgence, il leur dit : «Malheureux, vous savez comment vous avez été arrachés à votre ville ! au moins, aujourd'hui, revenez aux sacrifices de nos grands dieux; vous pourrez encore échapper aux supplices et arriver même aux premiers rangs parmi les officiers de notre palais ?» Les bienheureux martyrs répondirent : «Nous offrons des sacrifices à notre Dieu, qui en toute occasion nous donne son secours. Cesse de t'agiter pour nous séduire; tes promesses ne sont pour nous que comme un vil néant; jamais nous ne sacrifierons aux démons que tu adores.»
Adrien, enflammé de fureur à ces paroles, ordonne qu'on les renverse à terre, qu'on le y tienne fortement attachés, puis qu'à l'aide de tubes on verse dans leur bouche du plomb fondu, qui, pénétrant dans leur gosier, leur arrachera en même temps la parole et la vie. Les bourreaux exécutent ses ordres; mais bientôt le plomb, rejaillissant sur ceux qui le versaient, se répand de tous côtés, et ses ardeurs brûlantes respectent encore les saints. À la vue de tels prodiges, Adrien frémissait de plus en plus dans sa rage; il les fit étendre sur le chevalet et soumettre à la torture, ordonnant qu'on appliquât autour de leurs flancs des lames de fer rougies au feu. Les bourreaux obéirent; alors Calocérus s'écriant à haute voix : «Bienheureux martyrs, dit-il, priez pour moi; car je suis cruellement brûlé par ces flammes.» Saint Faustin lui répondit : «Calocérus, attends un instant avec patience ; voilà l'ange du Seigneur qui t'apporte du secours;» et presque aussitôt le secours du Seigneur se fit sentir. Calocérus fut fortifié, il commença à rendre grâces au Christ, assurant qu'il n’éprouvait plus aucune douleur. Adrien lui dit : «Est-il vrai Calocérus, que tu ne sens pas le feu qui te brûle ?» «Non, répond Calocérus, les ardeurs de tes flammes n'arrivent pas jusqu'à moi.» Alors l'empereur dit aux bourreaux : «Qu'on apporte des étoupes, de la résine, de l’huile, qu'on allume un grand feu autour des chevalets, et que tout soit brûlé en même temps, et les instruments du supplice et leurs victimes.» Quand ces ordres eurent été exécutés, Adrien, voyant les flammes s'élargir et s'étendre autour des chevalets, ne douta point que les saints de Dieu n'en ressentissent cruellement les atteintes, et il leur fit crier : «Au moins maintenant vous éprouvez la toute-puissance des dieux ?» Mais les bienheureux martyrs bénissaient le Seigneur, et dans leurs traits était peinte la joie la plus vive, en sorte qu'il était clair pour tous que le feu les avait respectés. Le peuple, témoin de tant de merveilles, se mit à crier : «Il est vraiment grand, le Dieu des chrétiens !» Et beaucoup crurent au Seigneur.
Adrien, confondu et ne sachant plus à quel moyen avoir recours, fit promptement reconduire les martyrs en prison. Quelques jours après, il partait pour Rome, traînant à sa suite, de ville en ville, les invincibles témoins du Christ chargés de chaînes; il espérait par ce spectacle effrayer les chrétiens, en même temps que les fatigues du voyage finiraient par épuiser les martyrs. Pour Calocérus, il le livra au gouverneur des Alpes Cottiennes, nommé Antiochus, avec ordre de le contraindre à sacrifier aux dieux, ou, s'il ne pouvait triompher de son obstination, de le faire mourir dans les supplices. Antiochus, ayant donc reçu Calocérus, se prépara à regagner son gouvernement, et fit partir devant lui son prisonnier chargé, de chaînes. Peu après, ayant été forcé de suivre Adrien, il envoya aux Alpes Cottiennes, en qualité, de son lieutenant, un certain Fabricius. Celui-ci, après avoir fait souffrir mille tourments au bienheureux Calocéras, le ramena enfin à Milan, où le généreux chrétien consomma son martyre.
Cependant les bienheureux Faustin et Jovite étaient conduits à Rome, et partout sur la route ils entraînaient les peuples à la foi du Christ par leurs prédications. Déjà ils étaient près de la ville, quand un certain Calmérus, qui était chrétien, vint au-devant d'eux, les fit monter sur son char à ses côtés et entra avec eux dans Rome. Touchés d'une foi si vive, les saints martyrs obtinrent de leurs gardes de voir le pontife, romain, qui se tenait alors caché près des catacombes; ils lui demandèrent d'élever Calimérus aux honneurs de l'épiscopat, et de l'envoyer à Milan pour gouverner et fortifier dans la foi les fidèles de cette cité; ce qui en effet leur fut accordé. Enfin, car il serait trop long de raconter, dans tout leur détail, les souffrances et les miracles des bienheureux martyrs du Christ Faustin et Jovite, hâtons-nous de dire quel en fut le glorieux dénouement. Aux portes de la ville, l'empereur Adrien avait voulu les forcer de sacrifier à ses idoles; mais avec le secours de Dieu, toujours fidèle à ses martyrs, ils avaient résisté avec une constance généreuse; même par le courage de leur foi, autant que par leur parole, ils avaient conquis à Jésus Christ un peuple nombreux. Alors l'empereur les livra au comte Aurélien, en disant : «Prenez ces contempteurs de nos dieux, reconduisez-les à Brescia, et là, s'ils ne veulent pas sacrifier, mettez-les à mort.»
Aurélien, prenant donc les bienheureux martyrs, les chargea de chaînes et les fit reconduire à Brescia. Les chrétiens de la ville avec Apollonius leur évêque vinrent au-devant d'eux. Ils se réjouissaient, hélas ! trop tôt de les revoir. Car le comte Aurélien se fit amener les bienheureux martyrs, et, quand il voulut les forcer à sacrifier à ses dieux, ils lui répondirent : «Nous sommes prêts à mourir pour le Nom de notre Seigneur Jésus Christ, plutôt que d'obéir à tes ordres.» À ces paroles, Aurélien ordonna qu'on les conduisit hors de la ville et qu'on leur tranchât la tête. Les généreux martyrs du Christ furent donc traînés hors des murs, sur le chemin de Crémone. Ils se mirent à genoux, et des gladiateurs leur tranchèrent la tête ; c'est ainsi que par une mort d'un moment ils achetèrent la vie éternelle.
Tous ces faits se passèrent sous l'empire d'Adrien, tant à Brescia que dans les autres villes et lieux que nous avons mentionnés. Le dernier acte de ce glorieux martyre fut consommé le quinze des calendes de mars, notre Seigneur Jésus Christ régnant.