ACTES DES SAINTS MARTYRS JONAS, BRICH-JÉSUS, ZÉBINAS, LAZARE, MARUTHAS, NARSÈS, ÉLIAS, MAHARÈS, HABIBHUS, SABAS ET SCEMBÉTAS

(La 18e année du règne de Sapor II, l'an du Christ 327)

fêtés le 29 décembre


La dix-huitième année de son règne, Sapor, croyant qu'il était de sa politique de persécuter l'Église du Christ, se mit à renverser les églises et les autels, à brûler les monastères et à accabler de vexations tous les chrétiens. Il voulait leur faire renier le culte du Dieu créateur pour celui du feu, du soleil et de l'eau : quiconque refusait d'adorer ces divinités était soumis à d'intolérables tortures.
Il y avait dans la ville de Beth-Asa deux frères également vertueux et chers à tous les chrétiens; ils se nommaient Jonas et Brich-Jésus. Ayant appris les tourments qu'on faisait subir, en certains lieux, aux témoins de la foi chrétienne, pour les forcer à renier leur Dieu, ils résolurent de s'y rendre, et partirent incontinent. Arrivés à la ville de Hubaham, comme ils désiraient tout voir par eux-mêmes, ils pénétrèrent jusqu'à la prison publique, pour y visiter les chrétiens détenus pour la foi. Ils en trouvèrent un grand nombre qui déjà avaient résisté à plusieurs épreuves; ils les animèrent à persévérer dans leur constance, leur apprirent à trouver dans les saintes lettres des réponses pour confondre les juges; et tel fut le succès de leurs exhortations, que, parmi ces chrétiens, les uns firent devant les tyrans une confession glorieuse, et les autres cueillirent la palme du martyre : ces derniers furent au nombre de neuf : Zébinas, Lazare, Maruthas, Narcès, Élias, Maharès, Habibus, Sabas et Scembétas.
Quand ces neuf martyrs furent couronnés, les deux frères Jonas et Brich-Jésus prirent leur place : on les accusait d'avoir poussé à la mort, par leurs exhortations, les chrétiens qui venaient d'être immolés. Le juge, usant de dissimulation, leur adressa d'abord de douces paroles. «Par la fortune du roi des rois, leur dit-il, ne rendez pas inutile la bienveillance dont je veux user envers vous; soumettez-vous au roi, et adorez, selon les rites nationaux, le soleil, la lune, le feu et l'eau.» — Les martyrs : «Vous que le roi a établi pour rendre la justice, prenez garde à ne pas vous rendre criminel par d'iniques arrêts. Vous devez respecter sans doute le roi de qui vous tenez la puissance, mais bien plus encore celui qui vous a donné l'intelligence et la raison. Il vous faut donc, avant tout, chercher qui est ce Roi des rois, ce maître suprême du ciel et de la terre, qui fixe les temps et les change à son gré, qui dispense aux hommes la sagesse, qui fait les juges et leur donne la puissance pour défendre la vérité. Et, nous le demandons à vous-même, à qui devons-nous plutôt obéir, nous autres mortels, à ces créateur et maître des choses, ou bien à ce roi que la mort enlèvera bientôt pour le réunir à ses pères ?»
Les princes des mages furent indignés de leur entendre dire que le roi n'était pas immortel. Ils firent préparer des verges, faites de branches d'arbres encore garnies de leurs épines; puis ils séparèrent les deux frères. Brich-Jésus fut enfermé dans une obscure prison, et des précautions furent prises pour qu'il ne sût rien de ce qui arriverait à son frère. Jonas fut traduit devant les juges. «Choisissez, lui dit-on : ou brûler de l'encens en l'honneur du feu, du soleil et de l'eau, suivant les ordres du roi, ou bien attendez-vous aux plus affreux supplices. Sachez bien qu'il n'y a qu'un moyen pour vous d'y échapper, c'est d'obéir.» Jonas fit cette réponse : «Je fais trop de cas de mon âme, et de cette vie éternelle qui nous attend dans le sein de notre Seigneur Jésus-Christ, pour abjurer jamais son nom, mon unique espérance. Quiconque s'est confié en lui n'a jamais été confondu; il a scellé du sceau du serment ses promesses; il a dit : En vérité, je vous le dis, celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père, qui est dans les cieux, et celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père, qui est dans les cieux, et devant les anges. Car le Fils de l'homme viendra sur les nuées du ciel, dans la gloire du Père et dans la gloire de ses saints anges, pour rendre à chacun selon ses œuvres. Faites donc ce qu'on vous a dit de faire, et hâtez-vous, que je ne vous retarde pas un seul moment. Ne nous faites pas l'injure de nous croire capables de violer la foi promise à Dieu, et de déshonorer l'Église, qui nous a jugés dignes d'être ses ministres, et qui nous a dit : Vous êtes la lumière du monde : vous êtes ce sel de la terre : si le sel s'affadit, avec quoi salera-t-on ? Si nous avions la faiblesse d'écouter vos conseils et d'obéir au roi, nous nous perdrions nous-mêmes, et notre troupeau avec nous.»
Alors le chef des mages ordonna d'ôter ses habits au martyr, puis de l'attacher à un pieu, qui lui fut placé au milieu du ventre, et de le battre avec les verges pleines d'épines dont nous avons parlé; on le frappa jusqu'à ce que ses côtes fussent à découvert. Tout le temps de son supplice, Jonas ne dit que cette prière : «Je vous bénis, Dieu d'Abraham, vous qui, le prévenant de votre grâce, l'avez autrefois appelé de ces lieux, et nous avez rendus dignes d'apprendre par lui les mystères de notre foi. Maintenant, Seigneur, je vous prie d'accomplir ce que le saint Esprit annonçait par la bouche du prophète David : Je vous offrirai des holocaustes, je vous immolerai des victimes. Voilà mon seul désir.»
À la fin, élevant la voir, il s'écria : «Je renonce à un roi idolâtre et à tous ses sectateurs; je les déclare ministres du démon; je renie le soleil, la lune, les étoiles, le feu et l'eau; mais je confesse et j'adore le Père, le Fils et le Saint-Esprit.»
Les juges ordonnèrent de le traîner, une corde aux pieds, sur un étang glacé et de l'y laisser toute une nuit, avec des gardes pour l'empêcher d'en sortir. Pour eux ils s'en allèrent se mettre à table, et, après avoir pris un peu de sommeil, ils se hâtèrent le lendemain de poursuivre la cause. Brich-Jésus comparut donc devant les princes des mages, qui lui dirent perfidement : «Votre frère a embrassé notre religion; voulez-vous l'imiter, pour éviter l'ignominie du dernier supplice ? — Si mon Dieu, comme vous me le dites, a été outragé par la honteuse apostasie de mon frère, répondit le martyr, je veux d'autant plus lui rendre gloire. Mais cela n'est pas, et vous voulez m'en imposer; car, à moins d'être aussi aveugle que vous, qui pourrait croire que des corps matériels, destinés au service de l'homme, sont des divinités ? Comment peut-on, sans être fou, rendre des honneurs divins au feu, que le Créateur a fait pour les besoins de l'humanité ? car nous voyons tous les hommes, sans distinction, s'en servir, les pauvres aussi bien que les riches. De quel droit donc nous contraindre à rendre nos hommages à des choses créées pour notre usage, et soumises par Dieu à notre empire; et comment pouvez-vous nous commander de renier le Dieu qui a créé et le ciel, et la terre, et la mer; le Dieu dont la providence s'étend sur tous les êtres, sur les plus petits comme sur les plus grands; qui mérite par conséquent les respects et le culte de ceux mêmes qui ont empire sur les hommes ? Il a tout créé, non qu'il eût besoin de rien, mais pour manifester sa puissance et sa majesté; il a proscrit sévèrement le culte des idoles; écoutez sa parole : Ne faites aucune image, aucune statue pour les adorer. Je suis le premier et le dernier. Je suis, et il n'y a pas d'autre Dieu que moi, et je ne donnerai pas ma gloire à un autre, ni mon culte aux idoles : c'est moi qui donne la mort, et c'est moi qui donne la vie. Personne ne peut se soustraire à mon empire.»
À ces paroles, les mages, étonnés et confondus, se dirent : «Ne permettons plus qu'il défende jamais sa religion; autrement les adorateurs mêmes du soleil abandonneront notre culte et nous traiteront d'impies, comme ses compagnons le faisaient naguère.» Aussi ils ne voulurent plus l'interroger que la nuit. Cependant ils firent rougir au feu des lames de fer, et les appliquèrent sur les deux bras du martyr, en lui disant : «Par la fortune du roi des rois, si tu fais tomber une de ces lames, tu renonces à la foi chrétienne. — Démons, répondit le martyr, ministres d'un roi impie, non, par notre Seigneur Jésus Christ, je ne crains pas votre feu, et pas une de vos lames ne tombera ! Ou plutôt, je vous en conjure, choisissez parmi tous les tourments les plus terribles, et hâtez-vous d'en faire sur moi l'épreuve. Car celui qui combat pour Dieu doit combattre d'une manière héroïque, surtout si Dieu l'a honoré de quelque faveur et l'a élevé à quelque dignité.» Alors les juges lui firent verser dans le nez et dans les yeux du plomb fondu; après quoi on le ramena en prison, où il fut pendu par un pied.
Le lendemain, les mages s'étant fait présenter Jonas : «Eh bien ! lui dirent-ils, comment vous portez-vous ? Vous avez peut-être souffert un peu la nuit dernière, sur cet étang glacé ? — Je vous jure, répondit Jonas, par le vrai Dieu que j'espère voir bientôt, que depuis que ma mère m'a mis au monde je n'ai jamais passé une nuit aussi délicieuse. Le souvenir du Christ souffrant était pour moi une consolation ineffable.» Les mages reprirent : «Il faut que tu saches que ton compagnon a renoncé. — Je le sais, répondit Jonas, il a depuis longtemps renoncé au démon et à ses anges. — Jonas, dirent les mages, prends garde de périr misérablement, abandonné de Dieu et des hommes.» — Jonas : «Je m'étonne qu'aveuglés comme vous l'êtes vous parliez encore de votre sagesse; mais dites-moi donc, si vous êtes si sages, lequel vaut mieux, ou de garder son blé dans son grenier, sous prétexte de le préserver de la pluie et de l'orage, ou de le semer à pleines mains, le cœur content et confiant en Dieu, dans l'espérance d'une moisson future, qui rendra au centuple. Il est bien clair que si le blé reste renfermé dans le grenier, non seulement il ne se multiplie pas, mais encore il se détériore peu à peu et finit par se perdre. Il en est du blé comme de la vie. Celui qui la jette au nom du Christ, et en mettant dans le Christ son espérance, la retrouvera un jour, quand le Christ apparaîtra dans sa gloire, transformée en immortalité. Mais les rebelles, les impies, les contempteurs des lois de Dieu seront la proie des feux éternels, selon les paroles des saintes lettres. — Prends garde, lui dirent encore les mages, que tes livres ne t'abusent, comme ils en ont déjà abusé tant d'autres. — Oui, répond le martyr, ils en ont déjà détrompé beaucoup des voluptés du siècle, après leur avoir fait goûter les douleurs du Christ souffrant. Car figurez-vous qu'un prince a invité ses amis à un festin; ceux-ci, en quittant leur demeure, n'ignorent pas qu'ils vont dîner chez un ami; mais à peine assis à sa table, un vin généreux les enivre, et ils ne sauraient plus regagner leur maison, il faut que leurs domestiques les y ramènent. Ainsi le serviteur du Christ, quand il est traîné par vos soldats, n'ignore pas qu'on va le juger; mais à peine, arrivé au tribunal, a-t-il puisé l'amour de la croix du Christ, qu'aussitôt, enivré par ce breuvage, il oublie et le patrimoine que lui ont laissé ses ancêtres, et les richesses qu'il a acquises, et l'argent et l'or, et toutes les choses de la vie mortelle; il oublie et les rois et les princes, et les grands et les puissants, et ne désire plus que la vue du seul Roi véritable, dont le royaume est éternel et la puissance s'étend de génération en génération.»
Les juges, voyant l'inébranlable constance du martyr, lui firent couper, phalange par phalange, les doigts des pieds et des mains, et les semèrent de tous côtés. Puis, s'adressant à lui, ils lui dirent avec ironie : «Vois-tu, nous avons semé tes doigts, et maintenant tu peux espérer qu'à la moisson tu récolteras des mains en grand nombre. — Je ne demande pas plusieurs mains, répondit le martyr; mais le Dieu qui m'a créé saura bien me rendre les membres que vous m'enlevez.» Alors on lui arrache la peau de la tête et on lui coupe la langue, et on le plonge en cet état dans une chaudière remplie de poix bouillant. Mais tout à coup la poix s'enflamme et déborde de la chaudière sans faire aucun mal au martyr. Les juges, voyant cela, l'étendent sur une presse de bois, et écrasent et brisent tous ses membres; puis ils les scient par morceaux et jettent ces lambeaux sanglants dans une citerne desséchée, à laquelle ils mettent des gardes pour empêcher qu'on ne les enlève.
En ayant fini de cette manière avec le frère de Brich-Jésus, ils se firent présenter Brich-Jésus lui-même, et l'exhortèrent à avoir pitié de lui-même et à sauver sa vie. Il répondit : «Ce corps que vous m'engagez à conserver, ce n'est pas moi qui me le suis donné, ce n'est pas moi non plus qui puis le perdre; le Dieu qui l'a créé, si vous le détruisez, saura bien lui rendre sa forme perdue. Mais il vous rendra tous les maux que vous me faites, à vous et à votre roi insensé, qui, sans connaître son Créateur et son Seigneur, s'efforce de faire exécuter contre sa volonté des lois impies.»
Alors Hormisdascirus, le princes des mages, se tournant vers Maharnarsès : «Nos délais, dit-il, sont injurieux au roi; on ne gagne rien avec ceux qui sont entêtés de ces erreurs, ni par les paroles ni par les supplices.» Il ordonna donc de battre le martyr avec des roseaux à la pointe très aiguë, puis de couvrir son corps des éclats de ces roseaux, que l'on ferait entrer dans la chair avec des cordes fortement serrées, et de le rouler par terre en cet état. Quand cela eut été ainsi exécuté, on lui arracha, les uns après les autres, tous ces éclats de roseau, en emportant en même temps la chair et en lui causant d'affreuses douleurs. Après quoi on lui versa dans la bouche de la poix fondue et du soufre enflammé. Le martyr succomba à ce dernier supplice, et alla rejoindre son frère.
Quand on sut la mort de ces deux martyrs, un de leurs anciens amis, Abstuciastas, racheta leurs corps pour cinq cents drachmes et trois vêtements de soie, mais en s'engageant par serment à n'en rien dire.
Ce livre, écrit sur la relation de témoins oculaires, contient les actes des saints Jonas, Brich-Jésus, Zébinas, Lazare, Maruthas, Narsès, Élias, Hadibe, Sabas et Scembétas, martyrs du Christ, qui, après les avoir soutenus par sa force dans le combat, les couronna après la victoire. Puisse avoir part à leurs prières Isaïe, fils d'Abad, d'Arzeroun, cavalier des gardes du roi, qui assista aux interrogatoires des martyrs et se chargea d'écrire leur triomphe !
Les glorieux martyrs recueillirent la palme le vingt-neuvième jour du mois de décembre.