LES ACTES DE SAINT IGNACE, ÉVÊQUE D'ANTIOCHE

(L'an de Jésus Christ 107)


fêté le 20 décembre

Lorsque Trajan vint a l'empire, saint Ignace, disciple de l'apôtre saint Jean, gouvernait l'Église d'Antioche. Comme un sage pilote, il avait conduit avec beaucoup de précaution son vaisseau au milieu des tempêtes que la fureur de Domitien avait excitée contre les chrétiens. Il avait su opposer aux flots impérieux de la persécution, tantôt l'oraison et le jeûne, tantôt la force de sa parole, et tantôt la pureté de sa doctrine; et il s'était heureusement servi de tous ces moyens, ou pour soutenir le courage ébranlé, ou pour rassurer la foi chancelante de ceux dont il appréhendait, ou la faiblesse, ou la trop grande simplicité. Voyant enfin que cet orage était apaisé, sans qu'il eût eu le pouvoir d'endommager le navire dont il tenait le gouvernail, il rendait grâces à Dieu du calme dont l'Église jouissait alors. Mais il paraissait n'être pas content de lui-même — il se reprochait son peu d'amour pour Jésus Christ, il soupirait après le martyre, et il était persuadé qu'une mort sanglante pouvait seule le rendre digne d'entrer dans la familiarité de Dieu qu'il adorait. Il ne fut pas longtemps sans voir l'accomplissement d'un souhait si noble et si chrétien.
Car l'empereur, enflé de la victoire qu'il venait de remporter sur les Daces et sur les Scythes, crut qu'il manquait quelque chose à sa gloire, s'il ne soumettait à son empire le Dieu des chrétiens, et s'il ne les contraignait eux-mêmes dÕembrasser avec toutes les nations du monde le culte de ses dieux. Ce fut ce projet impie qui donna commencement à la persécution; et elle s'alluma avec tant de furie, que les fidèles se virent réduits en un instant à perdre, ou la foi, ou la vie.
Ignace, appréhendant pour son peuple, se laissa conduire sans résistance devant Trajan, qui, marchant contre les Parthes et se hâtant de les joindre sur les frontières de l'Arménie, se trouvait alors à Antioche. Lorsqu'il fut devant l'empereur, ce prince lui dit : «Qui es-tu, esprit impur, mauvais génie, qui oses entreprendre de violer mes ordres, et d'en inspirer aux autres le mépris ?» Ignace répondit : «Nul autre que toi, prince, n'appela jamais Théophore (c'est ainsi qu'on nommait Ignace) du nom injurieux dont tu viens de l'appeler : bien loin que les serviteurs du vrai Dieu soient de mauvais génies , sache que les mauvais génies tremblent eux-mêmes et prennent la fuite à la voix (les serviteurs du vrai Dieu. Si néanmoins tu crois que je mérite un nom si odieux, pour m'être rendu formidable à tes démons, je ferai gloire de le porter. Car enfin j'ai reçu de Jésus Christ mon maître le pouvoir de renverser tous leurs desseins, et de me sauver de toutes leurs embûches. » «Et quel est ce Théophore ? lui dit l'empereur.» C'est moi, répliqua Ignace, et quiconque porte comme moi Jésus Christ dans son cÏur.» «Te semble-t-il donc, reprit Trajan, que nous n'ayons pas aussi dans le cÏur des dieux qui combattent pour nous !» «Des dieux, repartit Ignace; tu te trompes, ce ne sont que des démons. Il n'y a qu'un Dieu qui a fait le ciel et la terre, et tout ce qu'ils renferment; et il n'y a qu'un Jésus Christ, le Fils unique de Dieu; et c'est ce grand Roi dont les bonnes grâces peuvent seules me rendre heureux.» Qui nommes-tu là ? reprit aussitôt Trajan. Quoi ! ce Jésus que Pilate fit attacher à une croix ?» «Dis plutôt, répliqua lgnace, que ce Jésus attacha Lui-même à cette croix le péché et son auteur, et qu'il donna dès lors, à tous ceux qui le portent dans leur sein, le pouvoir de terrasser l'enfer et sa puissance.» «Tu portes donc le Christ au dedans de toi ? interrompit l'empereur.» «Oui, sans doute, répondit Ignace; car il est écrit : J'habiterai en eux, et j'accompagnerai tous leurs pas.»
Trajan, se sentant fatigué par les reparties vives et pressantes d'Ignace, prononça contre lui cette sentence de mort : «Nous ordonnons quÕIgnace, qui se glorifie de porter en lui le Crucifié, soit mis aux fers, et conduit sous bonne et sûre garde à la grande Rome, pour y être exposé aux bêtes, et y servir de spectacle au peuple.» Le saint, entendant cet arrêt, s'écria dans un transport de joie : «Je vous rends grâces, Seigneur, de ce que vous m'avez donné un parfait amour pour vous, et de ce que vous m'honorez des mêmes chaînes dont vous honoriâtes autrefois le grand Paul votre apôtre.» En disant cela, il s'enchaîna lui-même; et offrant à Dieu ses prières avec ses larmes, il lui recommanda son Église. Puis se sacrifiant volontairement pour son troupeau, il se livra à toute la cruauté d'une troupe de soldats inhumains, qui devaient le conduire à Rome pour servir de pâture aux lions, et de divertissement au peuple.
Étant donc pressé d'un désir violent de répandre son sang pour Jésus Christ, il sortit d'Antioche avec empressement, pour se rendre à Séleticie, où il devait s'embarquer. Après une longue et périlleuse navigation, il aborda à Smyrne. Dès qu'il fut descendu à terre, il courut chercher saint Polycarpe, qui était évêque de cette ville, et qui avait été, comme lui, disciple de saint Jean. Lorsqu'on l'eut conduit chez ce saint prélat, et qu'ils eurent communiqué ensemble dans l'union d'une charité tout épiscopale, saint Ignace, tout glorieux de ses chaînes, et les montrant à saint Polycarpe, le pria de ne mettre aucun obstacle à sa mort. Il fit la même prière aux villes et aux Églises de l'Asie, qui l'avaient envoyé visiter sur son passage; et s'adressant aux évêques, aux prêtres et aux diacres qu'elles avaient député vers lui, il les conjura de ne pas le retarder dans sa course, et de souffrir qu'il allât à Jésus Christ, en passant promptement par les dents des bêtes qui l'attendaient pour le dévorer. Mais craignant que les chrétiens qui étaient à Rome ne se missent en devoir de s'opposer au désir ardent qu'il avait de mourir pour son cher Maître, il leur écrivit cette lettre.
 
LETTRE D'IGNACE D'ANTIOCHE AUX ROMAINS
 
Ignace, dit aussi Théophore, à l'Église qui a reçu miséricorde par la Magnificence du Père très haut et de Jésus Christ son Fils unique, l'Église bien-aimée et illuminée par la volonté de celui qui a voulu tout ce qui existe, selon la foi et l'amour pour Jésus Christ notre Dieu; l'Église qui préside dans la région des Romains, digne de Dieu, digne d'honneur, digne d'être appelée bienheureuse, digne de louange, digne de succès, digne de pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du Christ, qui porte le nom du Père; je la salue au nom de Jésus Christ, le Fils du Père; aux frères qui, de chair et d'esprit, sont unis à tous ses commandements, remplis inébranlablement de la grâce de Dieu, purifiés de toute coloration étrangère, je leur souhaite en Jésus Christ notre Dieu toute joie irréprochable.
Par mes prières j'ai obtenu de Dieu de voir vos saints visages, car j'avais demandé avec insistance de recevoir cette faveur; car, enchaîné dans le Christ Jésus, j'espère vous saluer, si du moins c'est la Volonté de Dieu que je sois trouvé digne d'aller jusqu'au terme. Car le commencement est facile; si du moins j'obtiens la grâce de recevoir sans empêchement la part qui m'est réservée. Mais je crains que votre charité ne me fasse tort. Car à vous il est facile de faire ce que vous voulez, mais à moi il est difficile d'atteindre Dieu, si vous ne m'épargnez pas.
Car je ne veux pas que vous plaisiez aux hommes, mais que vous plaisiez à Dieu, comme, en fait, vous lui plaisez. Pour moi, jamais je n'aurai une telle occasion d'atteindre Dieu, et vous, si vous gardez le silence, vous ne pouvez souscrire à une Ïuvre meilleure. Si vous gardez le silence à mon sujet, je serai à Dieu; mais si vous aimez ma chair, il me faudra de nouveau courir. Ne me procurez rien de plus que d'être offert en libation à Dieu (cf. Ph 2, 17; 2 Tm 4, 6), tandis que l'autel est encore prêt, afin que, réunis en chÏur dans la charité, vous chantiez au Père dans le Christ Jésus, parce que Dieu a daigné faire que l'évêque de Syrie fût trouvé en lui, l'ayant fait venir du levant au couchant. Il est bon de se coucher loin du monde vers Dieu, pour se lever en lui.
Jamais vous n'avez jalousé personne, vous avez enseigné les autres. Je veux, moi, que ce que vous commandez aux autres par vos leçons garde sa force. Ne demandez pour moi que la force intérieure et extérieure, pour que non seulement je parle, mais que je veuille, pour que non seulement on me dise chrétien, mais que je le sois trouvé de fait. Si je le suis de fait, je pourrai me dire tel, et être un vrai croyant, quand je ne serai plus visible au monde. Rien de ce qui est visible n'est bon. Car notre Dieu, Jésus Christ, étant en son Père, Se fait voir davantage. Car ce n'est pas une Ïuvre de persuasion que le christianisme, mais une Ïuvre de puissance, quand il est haï par le monde.
Moi, j'écris à toutes les Églises, et je mande à tous que moi c'est de bon cÏur que je vais mourir pour Dieu, si du moins vous vous ne m'en empêchez pas. Je vous en supplie, n'ayez pas pour moi une bienveillance inopportune. Laissez-moi être la pâture des bêtes, par lesquelles il me sera possible de trouver Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ. Flattez plutôt les bêtes, pour qu'elles soient mon tombeau, et qu'elles ne laissent rien de mon corps, pour que, dans mon dernier sommeil, je ne sois à charge à personne. C'est alors que je serai vraiment disciple de Jésus Christ, quand le monde ne verra même plus mon corps. Implorez le Christ pour moi, pour que, par l'instrument des bêtes, je sois une victime offerte à Dieu. Je ne vous donne pas des ordres comme Pierre et Paul : eux, ils étaient libres, et moi jusqu'à présent un esclave (cf. 1 Co 9, 1). Mais si je souffre, je serai un affranchi de Jésus Christ (cf. 1 Co 7, 22) et je renaîtrai en Lui, libre. Maintenant enchaîné, j'apprends à ne rien désirer.
Depuis la Syrie jusqu'à Rome, je combats contre les bêtes (cf. 1 Co 15, 32), sur terre et sur mer, nuit et jour, enchaîné à dix léopards, c'est-à-dire à un détachement de soldats; quand on leur fait du bien, ils en deviennent pires. Mais, par leurs mauvais traitements, je deviens davantage un disciple, mais «je n'en suis pas pour autant justifié» (1 Co 4,4). Puissé-je jouir des bêtes qui me sont préparées. Je souhaite qu'elles soient promptes pour moi. Et je les flatterai, pour qu'elles me dévorent promptement, non comme certains dont elles ont eu peur, et qu'elles n'ont pas touchés. Et, si par mauvaise volonté elles refusent, moi, je les forcerai. Pardonnez-moi; ce qu'il me faut, je le sais, moi. C'est maintenant que je commence à être un disciple. Que rien, des êtres visibles et invisibles, ne m'empêche par jalousie, de trouver le Christ. Feu et croix, troupeaux de bêtes, lacérations, écartèlements, dislocation des os, mutilation des membres, mouture de tout le corps, que les pires fléaux du diable tombent sur moi, pourvu seulement que je trouve Jésus Christ.
Rien ne me servira des charmes du monde ni des royaumes de ce siècle. Il est bon pour moi de mourir (cf. 1 Co 9, 15) pour m'unir au Christ Jésus, plus que de régner sur les extrémités de la terre. C'est Lui que je cherche, qui est mort pour nous; Lui que je veux, qui est ressuscité pour nous. Mon enfantement approche. Pardonnez-moi, frères; ne m'empêchez pas de vivre, ne veuillez pas que je meure. Celui qui veut être à Dieu, ne le livrez pas au monde, ne le séduisez pas par la matière. Laissez-moi recevoir la pure lumière; quand je serai arrivé là, je serai un homme. Permettez-moi d'être un imitateur de la passion de mon Dieu. Si quelqu'un a Dieu en lui, qu'il comprenne ce que je veux, et qu'il ait compassion de moi, connaissant ce qui m'étreint (cf. Ph 1, 23).
Le prince de ce monde veut m'arracher, et corrompre les sentiments que j'ai pour Dieu. Que personne donc, parmi vous qui êtes là, ne lui porte secours; plutôt soyez pour moi, c'est-à-dire pour Dieu. N'allez pas parler de Jésus Christ, et désirer le monde. Que la jalousie n'habite pas en vous. Et si, quand je serai près de vous, je vous implore, ne me croyez pas. Croyez plutôt à ce que je vous écris. C'est bien vivant que je vous écris, désirant de mourir. Mon désir terrestre a été crucifié, et il n'y a plus en moi de feu pour aimer la matière, mais en moi une «eau vive» (cf. Jn 4, 10; 7, 38; Ap 14, 25) qui murmure et qui dit au-dedans de moi : «Viens vers le Père» (cf. Jn 14, 12, etc.). Je ne me plais plus à une nourriture de corruption ni aux plaisirs de cette vie; c'est le pain de Dieu que je veux, qui est la Chair de Jésus Christ, de la race de David (Jn 7, 42; Rm 1, 3), et pour boisson je veux son Sang, qui est l'amour incorruptible.
Je ne veux plus vivre selon les hommes. Cela sera, si vous le voulez. Veuillez-le, pour que vous aussi, vous obteniez le bon vouloir de Dieu. Je vous le demande en peu de mots : croyez-moi, Jésus Christ vous fera voir que je dis vrai, il est la bouche sans mensonge par laquelle le Père a parlé en vérité. Demandez pour moi que je l'obtienne. Ce n'est pas selon la chair que je vous écris, mais selon la pensée de Dieu. Si je souffre, vous m'aurez montré de la bienveillance; si je suis écarté, de la haine.
Souvenez-vous dans votre prière de l'Église de Syrie, qui, en ma place, a Dieu pour pasteur. Seul Jésus Christ sera son évêque, et votre charité. Pour moi, je rougis d'être compté parmi eux, car je n'en suis pas digne, étant le dernier d'entre eux, et un avorton (cf. 1. Co 14, 8, 9). Mais j'ai reçu la miséricorde d'être quelqu'un, si j'obtiens Dieu. Mon esprit vous salue, et la charité des Églises qui m'ont reçu, au nom de Jésus Christ (cf. Mt 18, 40, 41), non comme un simple passant. Et celles-là mêmes qui n'étaient pas sur ma route selon la chair, allaient au-devant de moi de ville en ville.
Je vous écris ceci de Smyrne par l'intermédiaire d'Éphésiens dignes d'être appelés bienheureux. Il y a aussi avec moi, en même temps que beaucoup d'autres, Crocus, dont le nom m'est si cher. Quant à ceux qui m'ont précédé de Syrie jusqu'à Rome pour la gloire de Dieu, je crois que vous les connaissez maintenant : faites-leur savoir que je suis proche. Tous sont dignes de Dieu et de vous, et il convient que vous les soulagiez en toutes choses. Je vous écris ceci le neuf d'avant les calendes de septembre. Portez-vous bien jusqu'à la fin dans l'attente de Jésus Christ.
 
Après que saint Ignace eut écrit cette, lettre aux chrétiens qui étaient à Rome, pour les disposer à être les spectateurs paisibles de sa mort, et pour leur faire perdre toute pensée de s'y opposer, il partit de Smyrne; et, cédant à la cruelle impatience des soldats qui le conduisaient, et qui ne cessaient de le presser d'arriver à Rome avant le jour destiné aux spectacles, il vint mouiller lÕancre à Troade, d'où prenant le chemin de Napoli, et passant par Philippes sans y séjourner, il traversa toute la Macédoine; et ayant trouvé à Épidamne, sur les côtes de l'Épire, un navire prêt à faire voile, il s'embarqua sur la mer Adriatique, qui le porta dans celle de Toscane. Il y vit en passant les îles, et il parcourut les villes dont ces côtes sont bordées. Lorsqu'il fut à la vue de Pouzzoles, il pria qu'on lui permit de descendre à terre, désirant marcher sur les pas de saint Paul, et suivre ses précieuses traces; mais un coup de vent ayant repoussé le vaisseau en pleine mer, il se vit obligé de passer outre, se contentant de donner de grandes louanges à Ia charité des fidèles de cette ville. Enfin le vent s'étant entièrement déclaré pour nous, nous fûmes portés en un jour et une nuit dans lÕembouchure du Tibre, à Porto. Cependant nous étions dans une affliction extrême; nous gémissions en secret, en nous voyant sur le point dÕêtre séparés pour toujours de ce saint homme; mais lui, au contraire, témoignait de la joie, et paraissait être au comble de ses vÏux, se voyant si près de quitter le monde pour s'unir à Dieu, l'unique objet de ses désirs.
À peine eut-on touché terre, qu'on fit prendre au saint le chemin de Rome; le bruit de son arrivée le devançait partout où il passait. Cependant l'inquiétude et la crainte avaient saisi le cÏur des frères qui étaient venus au-devant de lui; quoiqu'ils ressentissent en même temps quelques mouvements de joie, lorsqu'ils considéraient au milieu d'eux ce grand homme, et songeaient qu'ils avaient été choisis pour l'accompagner. Quelques-uns, même des plus fermes et des plus vivement touchés du sort d'Ignace, commençaient déjà à dire entre eux qu'il fallait apaiser le peuple, et tâcher d'éteindre cette soif ardente qu'il avait de son sang. Mais l'esprit de Dieu ayant fait connaître au saint évêque le projet qui se formait contre lui, il s'arrêta : puis ayant salué ceux qui l'environnaient avec un air doux et majestueux, et leur ayant demandé et donné la paix, il leur parla avec tant de force, pour leur persuader de ne point être cause que son bonheur fût différé, qu'ils se rendirent aux choses qu'il leur dit, et qu'il ajoutait à celles qu'il leur avait écrites. Ayant donc ainsi modéré la trop grande activité d'un amour trop humain et trop peu épuré, ils mirent tous les genoux en terre, et le saint élevant la voix, il demanda à Jésus Christ qu'il lui plût de faire cesser la persécution, de rendre la paix à son Église, et d'entretenir dans le cÏur des fidèles un amour mutuel, tendre et capable de résister à toutes les attaques de la chair et du monde. Cette prière achevée, il fut enlevé par ses gardes avec précipitation, et conduit dans l'amphithéâtre, comme les spectacles allaient finir.
C'était un de ces jours solennels que la superstition romaine avait consacrés sous le nom de fêtes Sigillaires; toute Rome était accourue à l'amphithéâtre, et elle but avec avidité le sang du martyr, qui ayant été donné à deux lions, fut en un instant dévoré par ces cruels animaux. Ils ne laissèrent de son corps que les plus gros ossements, qui furent recueillis avec respect par les fidèles, portés à Antioche , et déposés dans l'église comme un trésor inestimable. Sa mort arriva le treize de calendes de janvier, vingtième jour de mars, sous le consulat de Sura et de Sénécion.
Pour nous, après en avoir été les spectateurs, nous nous retirâmes à notre logis, où, donnant un libre cours à nos larmes, nous passâmes la nuit prosternés devant le Seigneur, Lui demandant par de continuelles et ferventes prières qu'il lui plût de nous faire connaître quel avait été le succès d'un combat si sanglant, et s'il avait été glorieux pour notre saint évêque. Alors un léger sommeil nous surprit, et nous fit voir Ignace sous diverses formes et en différentes situations. Il se présenta debout à quelques-uns; il se fit voir aux autres les bras ouverts, et venant à eux pour les embrasser; il parut à ceux-là tout couvert de sueur, et comme sortant d'un pénible travail; à ceux-ci comme priant; enfin il y en eut qui l'aperçurent à côté du Seigneur, tout éclatant de lumière. Nous étant communiqué nos songes, nous rendîmes de très humbles actions de grâces à l'auteur de tous les biens, et notre bienheureux père fut hautement proclamé saint dans l'assemblée. Nous résolûmes en même temps de vous envoyer un récit fidèle de tout ce qui s'était passé à son martyre, et de vous en marquer le lieu, le jour et les circonstances, afin que vous vous unissiez à nous pour chanter les victoires de Jésus Christ qui a combattu le démon, et qui a triomphé de lui par son illustre et généreux athlète.