(L'an de Jésus Christ 286)
Fêtes le 11 décembre
L'arrivée des saints Fuscien et Victoric remonte au temps où le cruel empereur Maximien, maître de la Gaule, avait donné la charge de préfet à Rictius Varus. Avec eux vint le vénérable évêque Denys, ainsi que Piat, Rufin, Crépin, Crépinien, Valère, Lucien, Marcel, Quentin et Régulus. Sous la conduite du Christ qui dirigeait leurs pas, ces douze vaillants guerriers partirent de Rome, et accoururent sans rien craindre pour servir la cause de Dieu. Arrivés à Paris, ils se partagèrent, sous l'inspiration de l'Esprit saint, les pays où le saint Nom de Dieu n'avait pas encore été prêché, sans que néanmoins cette dispersion nécessaire mit obstacle à l'union de leurs coeurs en la charité divine et en l'ardeur d'une même foi.
En conséquence, les saints Fuscien et Victoric vinrent sans retard à Tarascon pour y annoncer la parole de Dieu, tandis que saint Quentin, guidé par une révélation, évangélisa Amiens. De son côté, saint Lucien s'adonna avec ardeur à la prédication dans le pays de Beauvais. Pour saint Régulus qui était allé à Senlis, ses travaux furent si puissamment secondés par l'influence de la grâce divine, qu'en peu de temps il eut conquis à la foi tout ce peuple idolâtre. Aussi bientôt, par la faveur du ciel, il fut élu évêque, et remplit la charge pastorale dans la ville qu'il avait convertie. Tous ces saints reçurent de Dieu à un si haut degré le don des miracles qu'à leurs prières les aveugles recouvraient la vue, et que, par le signe de la croix, ils rendaient aux membres affaiblis des paralytiques toute leur première vigueur Assidus au jeûne et à l'oraison, sentant la grandeur de leur ministère, ils montraient une grande vigilance dans le service de Dieu, et jour et nuit ils chantaient ses louanges
Vers le même temps s'éleva une horrible persécution, et telle fut dans l'univers entier la rage des impies que, partout où ils rencontraient des chrétiens, ils en laissaient un horrible massacre. Sur ces entrefaites, Rictius Narus ayant, comme nous l'avons dit, reçu de Maximien la charge de préfet, s'en servit plutôt pour persécuter les chrétiens que pour rendre équitablement la justice. Étant venu à une ville située sur la Moselle et nommée Trèves, il ordonna un si grand massacre de chrétiens qu'un ruisseau de sang coulant dans la Moselle teignit les eaux de ce fleuve, dont le sein reçut aussi les corps sans sépulture des saints martyrs qu'il garde fidèlement pour la résurrection future. Par le commandement du préfet barbare, l'ordre fut envoyé partout de tuer tous les chrétiens qu'une soigneuse recherche ferait découvrir, avec défense de les cacher pour les faire échapper et les soustraire au supplice.
Quand donc les saints Fuscien et Victoric furent arrivés dans le pays de Tarascon, ils désiraient beaucoup voir leur compagnon saint Quentin, afin de se réjouir avec lui, dans la liberté d'une sainte affection, de la conversion des idolâtres. Mais ils apprirent que ce bienheureux serviteur de Dieu qu'ils désiraient voir avait déjà quitté cette ville pour aller prêcher ailleurs la divine parole. Or, ainsi que nous le voyons dans les histoires plus anciennes, il y avait un homme vénérable et fort avancé en âge nommé Gentien, qui demeurait près de la ville d'Amiens et n'avait pas encore reçu la grâce du baptême. Ayant appris les grands miracles que Dieu faisait à la prière de ses serviteurs Fuscien et Victoric, il se présenta à eux un jour qu'ils se rendaient à Paris, et leur dit : "Qui cherchez-vous ? Où allez-vous ? Quelle est votre patrie ? car il ne me semble pas vous reconnaître pour habitants de ce pays."
A quoi Fuscien et Victoric répondirent : "Nous sommes des soldats du Christ, venus ici de l'illustre ville de Rome avec le généreux et magnanime Quentin." - "Ah ! reprit le vieillard en pleurant et d'une voix profondément émue, moi aussi depuis trois jours j'ai été éclairé d'une lumière divine; j'ai formé dans mon coeur le dessein de croire comme vous au Seigneur Jésus Christ, de confesser pareillement ma croyance, et, avec le secours de sa grâce, de me convertir à Lui de tout mon coeur. Mais voici déjà quarante-deux jours que Quentin, ce grand serviteur de Dieu que vous cherchez, a été égorgé par ordre du barbare Rictius Varus, à Vermand qui est une petite ville sur la rivière de Somme."
"Sachez, dit-il ensuite aux serviteurs de Dieu, sachez que si vous continuez à vous avouer pour disciples du Christ, et à porter ostensiblement sur votre poitrine le signe de la croix, vous tomberez aux mains des satellites du préfet auxquels il à commandé de vous saisir partout où ils pourraient vous rencontrer Mais venez, je vous en prie, mes seigneurs et mes pères, venez dans la maison de votre serviteur, afin que je puisse vous offrir quelque nourriture, pendant que vous vous reposerez un peu."
Cependant le barbare préfet, qui était alors à Amiens, apprit bientôt par la renommée les grands miracles que Dieu faisait à la prière de ses serviteurs Fuscien et Victoric. Il arriva donc qu'à l'instant même, où ce vénérable vieillard offrait obligeamment aux saints sa maison et ses services, survint Rictiovarus, qui ordonna de saisir sur-le-champ les deux serviteurs de Dieu. Gentien s'indigne : enflammé de zèle pour l'honneur du nom de Jésus Christ, il tire son épée, et se jette sur Rictiovarus pour l'en frapper. - "Quoi ! Gentien, lui cria le préfet, ton audace irait-elle jusqu'à lever la main sur moi ?" - Oui répondit le vénérable vieillard; car moi aussi je désire perdre la vie pour le nom de Jésus Christ, parce que Lui seul commande à la mort. Puisque je me confesse son disciple, je ne dois pas craindre d'exposer mes jours pour la défense de mes hères."
Exaspéré de cette réponse, le préfet fit trancher la tête au bienheureux Gentien pour prix de sa confession, sous les yeux mêmes des saints prédicateurs. Bientôt se forme un grand rassemblement du peuple : le tyran monte sur son tribunal entouré de ses licteurs, et d'une voix insolente il commence l'interrogatoire : " Fuscien et Victoric, dit-il, quels dieux adorez-vous ?" Les hommes de Dieu répondirent : "Nous croyons et nous confessons le Seigneur Jésus Christ, coéternel à son Père avant tous les temps, qui, pour la rédemption du genre humain, a voulu naître de la bienheureuse Marie toujours vierge; et qui a fait le ciel, la terre, la mer, et tout ce que renferme le monde entier." Le préfet reprit : "Quittez cette folie et sacrifiez aux dieux : si vous refusez, je vous accablerai de supplices."
Fuscien et Victoric répondirent : "Quand on sert Dieu, on fait peu de cas de tes menaces. Toi-même es aveuglé par la folie; tu es un fils de perdition, un démon, un loup ravisseur, un séducteur, un complice des ruses infernales. Tu ferais mieux de briser ces idoles de pierre et de bois aux-quelles tu rends hommage, et de croire au vrai Dieu qui a fait toutes choses, changeant ainsi ton ancienne erreur pour la seule véritable foi."
Rictiovarus entre alors dans une fureur insensée; il ordonne de charger le fers Fuscien et Victoric, de leur lier les mains derrière le dos, et de les conduire à Amiens dans un affreux cachot.
Or pendant que, par son ordre, les saints étaient emmenés sous bonne garde, ils faisaient paraître une grande joie dans le trajet, parce qu'ils avaient été trouvés dignes de souffrir pour le nom de Jésus Christ. Quand on fut arrivé à un mille, ou peut-être un peu plus, du lieu où ils avaient été saisis, les serviteurs de Dieu, constants dans leur foi, se jetèrent à genoux, et, élevant leurs coeurs vers le ciel, ils firent cette touchante prière : "Seigneur Jésus Christ, vraie lumière, qui es et qui étais avant la création du monde, qui as fait le ciel et la terre de ta Main puissante; Toi qui es assis au-dessus des chérubins, et dont le Regard pénètre les abîmes; qui fais sortir les vents de leur prison; qui faites lever ton soleil sur les bons et sur les méchants, qui répands la rosée du ciel sur les justes et sur les pécheurs; nous te supplions, Dieu saint en qui nous croyons et que nous confessons en toute vérité, désirant de tout notre coeur et de toutes nos forces jouir de ta Présence: reçois notre âme et ne nous abandonne pas pour l'éternité, Toi qui règne avec le Père et le saint Esprit dans tous les siècles des siècles."
Leur prière finie, ils dirent au préfet d'une voix terme : "Malheureux démon, en qui réside toute la malice du siècle, hâte-toi d'exercer sur nous ta vengeance, et ne nous laisse pas languir plus longtemps." A ce coup, Rictiovarus, transporté d'une indicible rage, leur fait passer dans les oreilles et dans les narines des broches de fer. Par son ordre, on leur enfonce dans la tête des clous rougis au feu et on leur arrache les yeux; ensuite, comme inspiré par la rage des démons, il ordonne qu'on perce à coups de lance les corps des saints martyrs, et leur fait enfin trancher la tète.
Après cette barbare exécution, le préfet rentre dans Amiens, fier comme s'il eut remporté une victoire. Mais bientôt, frappé par la vengeance divine et livré à un affreux délire, il erre dans les rues de la ville en s'écriant : "Ah ! que ferai-je ? que ferai-je ? je souffre d'incroyables douleurs en punition de tout le mal que j'ai fait aux serviteurs de Dieu Fuscien et Victoric."
Or, le même jour où ces bienheureux Furent ainsi cruellement mis à mort, un si grand éclat de lumière environna leurs corps, que ceux qui étaient présents virent, par un prodige inouï, se doubler la clarté du jour. Voici en outre un autre miracle que Dieu a fait par ces saints, et que je ne dois pas passer sous silence. Je ne vais donc point contre la vérité en rapportant que les corps mutilés des saints martyrs laissés étendus au lieu de leur supplice, se levèrent par une force divine, et portant leurs têtes dans leurs mains, se rendirent jusqu'à la maison du bienheureux martyr Gentien, voulant, semble-t-il, reposer à côté de celui qu'ils avaient converti par leurs paroles; comme s'il n'eût pas été convenable que leurs corps fussent séparés sur la terre, tandis que leurs âmes étaient réunies dans le ciel. Voilà certes un grand miracle; mais qui pourrait en douter ? Ne peut-il pas rendre le mouvement à des corps inanimés, celui qui a ordonné à son disciple de marcher sur les flots d'une mer irritée ? Enfin, lorsqu'à la chute du jour les ténèbres eurent enveloppé la terre, de pieux chrétiens se rendirent en secret au lieu où gisaient les corps des saints martyrs, et dans le silence de la nuit, ils les cachèrent au fond d'une crypte dans un tombeau inconnu.
Ce fut le trois des ides de décembre que ces saints martyrs reçurent la couronne de gloire des mains de notre Seigneur Jésus Christ, qui règne avec le Père et le saint Esprit, dans tous les siècles des siècles. Amen.