LE MARTYRE DE SAINTE EULALIE

fêtée le 10 décembre

(L'an de Jésus Christ 304)

 

Eulalie, vierge sacrée, noble de race, plus noble encore dans son courageux trépas, favorise de sa protection Mérida, qui lui donna le jour et qui garde son tombeau.

C'est aux régions où le soleil se couche qu'est située la ville qui a produit cette illustre héroïne; cité puissante et habitée par un peuple nombreux, mais plus fière encore du sang de la martyre et du sépulcre de la vierge.

La jeune fille ne comptait que douze années, lorsqu'on la vit effrayer par son courage les bourreaux tremblants, braver la flamme pétillante du bûcher et mettre sa joie dans le supplice.

Déjà on l'avait vue prendre son essor vers la patrie où règne le Père souverain; résolue à l'hymen céleste, elle avait repoussé les joies et les amusements du jeune âge. Les parfums, les roses, les riches parures, n'obtinrent que son mépris; grave dans ses traits, modeste dans sa démarche, dès l'âge le plus tendre on trouvait en elle cette sagesse que la vieillesse seule peut donner.

Tout à coup une fureur impie s'anime contre les serviteurs de Dieu; on ordonne aux chrétiens de brûler un sacrilège encens, avec le foie des victimes, devant des dieux mortels.

L'âme sainte d'Eulalie en frémit; sa noble fierté se prépare à repousser un tel assaut; son coeur intrépide, épris de l'amour d'un Dieu, sollicite la jeune fille à braver le glaive des tyrans.

En vain la tendre sollicitude d'une mère veille à retenir la vierge généreuse dans le secret de la maison, à la campagne et loin de la ville, de peur que l'amour d'un trépas glorieux ne l'entraîne à sacrifier son sang. Elle, dédaignant un repos qui lui semble une lâcheté, fatiguée d'un retard qui la déshonore, force les portes, la nuit, sans témoins; dans sa fuite, elle ouvre les barrières qui la retenaient, et bientôt elle prend sa route par des sentiers détournés. De ses pieds déchirés, elle franchit des lieux couverts de ronces et d'épines; mais un choeur d'anges l'accompagne; la sombre nuit l'environne de son silence; mais une lumière céleste la guide.

Telle l'on vit la troupe courageuse des Hébreux, nos pères, marcher à la suite de la colonne lumineuse qui brisait les ombres de la nuit, et traçant par ses feux une voie éclatante, anéantissait l'obscurité. Ainsi la vierge pieuse, suivant sa voie durant la nuit, obtint du ciel la clarté du jour, et n'eut point à lutter avec les ténèbres, à cette heure où elle fuyait aussi l'Égypte et commençait une route qui devait la conduire bien au delà des astres. D'un pas hardi et prompt elle a su franchir plusieurs milles, avant que l'aurore vienne illuminer le ciel; dès le matin elle est rendue au pied du tribunal, et, dans une sainte fierté, elle vient se placer au milieu des faisceaux.

"Quelle fureur vous anime ? s'écrie-t-elle. Pourquoi perdre vos âmes imprudentes, en les abaissant devant des pierres taillées par le ciseau ? Pourquoi renier le Dieu tout-puissant ? Infortunés, vous poursuivez les chrétiens; moi aussi, je suis ennemie du culte des démons, je foule sous mes pieds les idoles; de mon coeur et de ma bouche, je confesse Dieu. Isis, Apollon, Vénus, ne sont rien. Maxime aussi n'est que néant : vos idoles, parce qu'elles sont faites de la main des hommes; lui, parce qu'il les adore; tout cela est nul et ne doit être compté pour rien. "Que Maxime, ce prince opulent, et pourtant l'humble serviteur de ces pierres, dévoue et sacrifie jusqu'à sa tête à de telles divinités; mais pourquoi persécute-t-il des coeurs généreux ? Cet empereur plein de bonté, ce maître excellent, il lui faut du sang innocent pour se nourrir. Dans sa faim, il déchire les corps des saints, et jusqu'à leurs entrailles accoutumées au jeûne; son bonheur est de torturer jusqu'à leur foi. Allons, bourreau, emploie le fer et le feu; divise ces membres sortis du limon de la terre; il est aisé de détruire une chose si fragile : mais au dedans vit une âme que la douleur n'abattra pas."

Un tel discours fait monter au comble la colère du préteur. "Licteur, s'écrie-t-il, saisis cette furieuse, et dompte-la par les tortures. Fais-lui sentir ce que c'est que les dieux de la patrie, et qu'on ne méprise pas en vain les édits du prince.

"Jeune fille égarée, plutôt que de t'envoyer à la mort, je voudrais, s'il est possible, t'arracher à tes erreurs perverses. Ta famille dans les larmes te recherche en ce moment; cette famille d'une si illustre noblesse se désole de te voir périr à la fleur de tes ans, à la veille des pompes nuptiales. La splendeur d'un hyménée opulent n'est-elle donc rien pour toi ? Dans ta présomption, veux-tu donc ébranler la piété filiale ? Eh bien ! considère ces instruments d'un cruel trépas. Ou ta tête tombera sous le glaive, ou tes membres vont être déchirés par la dent des bêtes féroces, ou les torches embrasées vont les consumer à petit feu; partout c'est la mort et le tombeau qui t'attendent; ce sont les pleurs et les cris de tes parents autour du bûcher. Et quel si grand effort as-tu à faire pour éviter un sort si affreux ? Daigne seulement, jeune fille, toucher du bout de tes doigts un peu de sel et quelques grains d'encens, et ces supplices terribles ne te regardent plus."

La martyre garde le silence; mais elle frémit à un tel discours; dans son indignation, elle crache aux yeux du tyran, renverse d'un coup de pied les idoles, les gâteaux sacrés et l'encens.

Aussitôt deux bourreaux déchirent la chair délicate de la vierge; ses flancs sont sillonnés jusqu'aux os par les ongles de fer. Eulalie compte ses glorieuses blessures.

"C'est ton Nom, Seigneur, que l'on trace sur mon corps. Que j'aime à lire ces caractères qui racontent tes victoires, ô Christ ! La pourpre de mon sang sert à écrire ton Nom sacré."

C'est ainsi qu'elle chantait dans sa joie, la vierge intrépide; pas une larme, pas un soupir; de si cruelles souffrances sont pour elle comme si elles n'étaient pas; et cependant ses membres sont arrosés à chaque instant par un nouveau jet de son sang qui jaillit tiède sous les ongles de fer.

Mais ce n'est pas la dernière de ses tortures; il ne leur suffit pas d'avoir labouré tout son corps de sillons cruels; c'est maintenant le tour de la flamme; des torches ardentes parcourent avec fureur ses flancs et sa poitrine. La chevelure embaumée d'Eulalie s'était détachée; flottant sur les épaules, elle était venue descendre comme un voile appelé à protéger la pudeur de la vierge. Mais la flamme pétillante des torches est montée jusqu'à la tête; en un instant elle prend à sa chevelure, et bientôt s'élève au-dessus du visage. La vierge avide de mourir ouvre ses lèvres, et aspire ce feu qui la consume.

On vit soudain une colombe plus blanche que la neige s'élancer de la bouche de la martyre, et monter vers les cieux; c'était l'âme d'Eulalie, toute pure, toute vive, tout innocente.

 

La tête s'incline au moment où l'âme s'est enfuie; le feu des torches s'éteint tout à coup; les membres endoloris ont cessé de souffrir; le souffle qui animait la vierge monte joyeux à travers les airs, et se dirige, semblable à l'innocent oiseau vers les temples du ciel.

Le bourreau l'a vu s'élancer de la bouche de la jeune fille; saisi de terreur, il s'est enfui loin du théâtre de sa barbarie; le licteur lui-même a disparu tremblant.

Tout à coup une neige inattendue se forme dans l'air glacial et descend sur le Forum; comme un blanc linceul, elle vient couvrir le corps d'Eulalie, qui demeurait exposé aux injures de la saison. Les larmes humaines accompagnent les funérailles d'un être chéri; ici ces témoignages de regret sont dépassés; les éléments eux-mêmes, ô vierge, ont reçu de Dieu I ordre d'accomplir envers toi les devoirs suprêmes.

Aujourd'hui Mérida, ville célèbre de la Vettonie, s'honore de posséder son sépulcre; cité florissante que traverse le fleuve Ana, qui, dans son cours rapide et ombragé d'arbres toujours verts, vient baigner son élégante enceinte.

C'est là que, dans un sanctuaire où la lumière est réfléchie par l'éclat des marbres étrangers et indigènes, un tombeau digne de tout respect garde les cendres sacrées d'Eulalie. Au-dessus étincelle un lambris tout resplendissant d'or; le pavé du temple, formé de pierres délicatement taillées, semble un jardin émaillé de fleurs et des roses les plus vermeilles. Cueillez la violette pourprée, moissonnez des fleurs éclatantes, l'hiver, malgré sa rigueur ! en produit encore; le sol glacé qu'échauffe le soleil en fournira de quoi remplir vos corbeilles.

Jeunes filles, jeunes hommes, en présentant cette offrande, n'oubliez pas de l'entourer d'un épais feuillage; ma guirlande à moi sera ces vers dactilyques que j'offre pour les choeurs; ils sont humbles, ils se ressentent de ma vieillesse, cependant ils conviennent à la fête.

C'est ainsi que nous offrirons nos hommages aux restes sacrés de la martyre et à l'autel qui couvre son tombeau: du ciel où elle repose aux pieds de Dieu, elle agrée l'offrande, et rendue propice par nos chants, elle répand sa protection sur un peuple qui est le sien.