LES ACTES DE SAINTE BARBE, VIERGE ET MARTYRE

(Sous la persécution de Dioclétien)

fêtée le 4 décembre

L'impie empereur Maximien, dans son ardeur pour le culte des idoles, n'avait rien plus à coeur que d'adorer les démons, et de soutenir son impiété de toutes les ressources qu'il avait en sa puissance. Quant à ceux qui honoraient le divin Nom du Christ, ils n'avaient qu'une chose à faire; c'était d'abjurer leur foi, ou sinon, livrés à toute sorte de supplices, ils perdaient à la fois et leurs biens et la vie.

En une certaine ville nommée Héliopolis, vivait un homme païen de religion, mais puissamment riche, et tenant un rang élevé dans le monde. Il s'appelait Dioscore, et il avait une fille unique du nom de Barbe, qu'il aimait autant qu'on peut l'imaginer d'une personne sur laquelle il faisait reposer toutes ses espérances. Comme elle était très belle, et qu'il voulait la préserver de tout danger, désireux de la dérober à la vue des personnes du dehors, il éleva une tour dans laquelle il disposa pour elle un logement avec tant d'adresse, qu'il n'y avait pas moyen d'approcher d'elle ni même de l'apercevoir. Et c'était là une mesure de la Providence, dans la prévision de l'avenir; car, dans cette tour, la grâce du divin Paraclet vint luire secrètement à la jeune vierge, faire briller à ses yeux la science céleste, et lui donner merveilleusement la connaissance du vrai Dieu. Ainsi la tour renfermait cette vierge, édifiée elle-même sur le fondement de la foi, et conservée de la sorte pour être le salut d'un grand nombre.

Cependant elle était déjà nubile, et son père s'inquiétait beaucoup, se de mandant à qui il la donnerait pour épouse; et plusieurs aussi qui ne se distinguaient pas moins par leur naissance que par leurs richesses, s'abouchèrent avec lui pour traiter de ce mariage. La beauté de la jeune fille, bien qu'on ne l'eût pas contemplée, mais par ce qu'on entendait dire, faisait vivement rechercher son alliance. Son père crut donc qu'il devait, autant par convenance que par honneur, la prévenir des projets dont il était si grandement occupé, et qui devaient couronner tous les soins qu'il s'était donnés. Il vient donc la trouver, lui parle de mariage, et lui expose toutes les précautions et toutes les peines qu'il a prises dans ce but. Mais elle, bien loin d'y donner son consentement, ne voulut pas même en entendre un mot; elle repoussait ce dessein comme une chose insensée et odieuse. Elle alla jusqu'à répondre, avec impatience même : "Ne me parle plus jamais de cette affaire, ou je ne t'appellerai plus mon père, et tu me réduiras à attenter à ma vie." Son père, qui trouvait qu'il était plus honnête de la gagner que de la contraindre, crut que sa résistance provenait moins d'un sentiment opiniâtre de désobéissance, que d'un grand attachement pour la chasteté. D'ailleurs il espéra qu'en lui donnant du temps, elle changerait d'avis et se rendrait à ses désirs; sans rien ajouter à ses discours, il descendit donc de la tour et sortit. De là il se rendit à des bains qu'il faisait bâtir, et voulant presser l'achèvement des constructions, il fit venir un grand nombre d'ouvriers, leur commanda de lui livrer au plutôt l'édifice achevé, moyennant un prix convenu qu'il leur paya, et partit aussitôt pour un pays éloigné.

Comme il prolongeait son absence, sa fille Barbe, cette servante de Dieu,descendit de la tour, afin de voir où en était la construction des bains. Lorsqu'elle y fut arrivée, en examinant l'ouvrage, elle vit que la partie qui regardait le midi ne recevait le jour que par deux fenêtres; sur quoi elle reprit les ouvriers : " Pourquoi, leur dit-elle, n'avez-vous pas pratiqué une troisième fenêtre ? l'édifice en aurait reçu plus de lumière, et aussi plus d'élégance et de beauté." Comme ils lui répondaient que tel avait été l'ordre de son père, Barbe insista pour qu'ils en ouvrissent une troisième. Eux, n'osant faire ce changement, alléguaient la crainte qu'ils avaient de son père, Alors Barbe indiqua du doigt les trois fenêtres en leur disant : "Il faut que vous construisiez ici trois fenêtres. Si mon père le prend mal, c'est moi qui lui en rendrai raison." Les ouvriers cédèrent, et firent ce qui venait de leur être commandé. La décoration des bains étant achevée, la sainte venait souvent les inspecter; et comme la grâce divine régnait dans son coeur, et que sa foi la remplissait de confiance dans le Christ, un jour qu'elle était devant le bassin, tournée vers l'Orient, elle imprima sur les marbres dont il était revêtu le signe de la croix avec son doigt. Afin que la postérité en eût connaissance, et que la vertu du Christ fût publiée, l'impression du signe de la croix, faite avec le doigt de la vierge sur le marbre, est restée visible jusqu'à ce jour, comme si elle avait été gravée avec le fer, excitant moins encore l'admiration des spectateurs qui peuvent la toucher, qu'un redoublement de foi dans leur coeur. Car ces bains existent encore aujourd'hui et sont d'un grand soulagement pour ceux qui aiment le Christ; car ils y trouvent la guérison de toutes leurs infirmités. On peut même comparer ces bains au courant du Jourdain, à la fontaine de Siloé, ou à la piscine Probatique, sans trop s'écarter de la vérité; puisque la vertu du Christ y accomplit sans cesse de nouveaux miracles. En traversant la salle des bains, la généreuse martyre jetant les yeux sur les idoles que son père adorait comme des dieux, éprouva un profond déplaisir, et soupira avec une grande amertume, songeant à l'aveuglement de celui qui les adorait; puis elle leur cracha au visage, en disant : "Puissent vous ressembler ceux qui vous adorent et qui réclament votre secours !" Après quoi elle se retira dans sa tour, où elle s'adonnait aux prières, aux jeûnes, et ne faisait plus fond que sur les biens célestes.

Peu de temps après, son père étant de retour, et parcourant la maison, vint à jeter les yeux sur les bains, et aperçut aussitôt la troisième fenêtre, il demanda comment on avait ainsi outre-passé ses ordres. Les ouvriers lui exposèrent que sa fille était l'auteur de ce changement. Il la fit venir, et lui demanda si cela était vrai. Elle ne nia pas le fait; mais au contraire elle dit qu'il fallait que la chose fût ainsi, et que c'était mieux de cette manière. Là-dessus il s'emporta : "Dis-moi, s'écria-t-il, comment et pourquoi c'est mieux de cette manière. - "Parce que, répondit-elle, il y a une grande différence de deux à trois. Trois fenêtres éclairent tout homme venant en ce monde." Ce qu'elle dit pour signifier la majesté de la sainte Trinité. Le père, étonné d'un tel langage, la prit à part, et l'ayant amené dans l'intérieur des bains : "Comment, lui demanda-t-il, la lumière de trois fenêtres vient-elle éclairer tout homme venant en ce monde ?" Elle répondit : "Fais attention, mon père, et tu comprendras ces paroles." Puis, lui montrant du doigt le signe de la croix: "Voilà, continua-t-elle,ce qui rappelle le Père, le Fils et le saint Esprit. De cette lumière est éclairée en son âme toute créature raisonnable." Ce discours de vérité sonna mal à des oreilles infidèles et habituées au mensonge; aussi le père oublia vite qu'il était père, et se changea promptement en tyran et en assassin. Il tira l'épée qu'il portait au côté, et voulut tuer Barbe de sa propre main. Celle-ci levant les yeux, les mains et l'esprit au ciel, appela à son secours celui qui pouvait la sauver. Il n'y manqua pas cette fois encore. De même que jadis Il avait sauvé Thècle, la protomartyre, de ceux qui la poursuivaient, en ordonnant au rocher, qui se dressait devant elle, de s'ouvrir et de la recevoir dans son sein, il fit un semblable miracle pour sauver la glorieuse vierge dont nous parlons. Ce bourreau (car un père meurtrier de son enfant ne mérite plus le nom de père) s'avançait sur elle l'épée haute; la pierre alors se sépara par la Force de la Puissance divine, et l'arrachant aux mains qui ne voulaient que le meurtre, lui permit de gagner un refuge dans la montagne. Mais le père n'y comprit rien davantage, il voulait sa fille, non parce qu'il était père, mais plutôt parce qu'il était devenu le fils de celui qui fut homicide dès le commencement, comme dit la sainte Écriture, et il n'avait l'intention, après l'avoir trouvée, que de tuer et massacrer.

Il rencontra deux bergers, auprès desquels il s'enquit de ce que sa fille était devenue. L'un deux, qui était d'un naturel doux et compatissant, et qui n'aurait jamais voulu livrer au père sa fille qu'il cherchait, fit semblant de n'en rien savoir, préférant la sauver par un mensonge, au lieu de lui faire tort en disant la vérité. Hérode fit-il mieux en restant fidèle à un serment qu'il n'avait émis que pour favoriser un plaisir coupable ? L'autre, au contraire, sans dire mot, mais par un signe, ce qui est bien plus perfide, indiqua le chemin qui conduisait à la retraite de la jeune vierge. Il ne tarda pas à en être justement puni : la martyre maudit ses brebis, qui dès lors ne furent plus des brebis, mais furent changées en scarabées. En détestation de cette trahison, on voit sans cesse de ces insectes voltiger auprès du tombeau de la sainte martyre. Dioscore, son père, suivant donc les indications de ce misérable berger, trouva bientôt la sainte dans la montagne, et comme il était en fureur, il l'accabla de coups. Il la prit ensuite par les cheveux, et la tirant avec violence, il la renferma dans une étroite demeure, posant des gardes, fermant et scellant la porte. Il courut ensuite prévenir Martien, qui commandait en ces lieux, et lui exposa toute l'affaire; c'était en somme que sa fille refusait d'adorer les dieux, et préférait rendre ses hommages aux objets vénérés par les chrétiens, ce à quoi il ne se fût jamais attendu. Il vint ensuite lui remettre lui-même sa fille, l'ayant fait jurer, lui, son père ! de ne pas l'épargner, et de la réduire par les plus cruels supplices.

Martien, après avoir fait disposer son tribunal et pris place, se fit présenter la sainte. A la vue de tant de beauté et de modestie, oubliant le serment qu'il avait fait au père, il était plus disposé à tomber en admiration devant l'accusée qu'à la châtier. Il lui adressa donc la parole avec douceur: "Par pitié pour toi, ô Barbe, lui dit-il, sacrifie avec nous aux dieux immortels; car je ressens pour toi un vif intérêt, et je ne voudrais pas soumettre tant de beauté à la rigueur des tortures. Si tu refuses d'obéir, tu m'obligeras à te traiter selon mon bon plaisir." La martyre reprit : "J'offre un sacrifice de louanges à mon Dieu, qui a créé le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment. Quant à tes dieux vains, il y a longtemps que cette prophétie a été prononcée sur eux par David inspiré de la Divinité : "Les simulacres des nations, or et argent, ouvrages de la main des hommes;" et encore : "Les dieux des nations sont des démons; mais le Seigneur a fait les cieux ." C'est là ce que je reconnais hautement moi-même, et je déclare vaine l'espérance que l'on peut mettre en eux." Lorsqu'elle eut ainsi parlé, le juge transporté de colère ordonne qu'on la dépouille et qu'on la frappe sans pitié avec des nerfs de boeuf; puis, pour rendre les blessures plus cuisantes, il commande de les frotter avec une étoffe de crin. Pendant cet horrible supplice, les veines s'ouvrirent de tous côtés, et le sang de la vierge commença à ruisseler en abondance. Après les coups, ce fut la prison, afin que le juge eut le temps de réfléchir à quel supplice il la livrerait.

Quand arriva le milieu de la nuit, une lumière vint du ciel envelopper la sainte, et le Christ lui apparut pour lui donner courage, et lui recommander de ne pas craindre les maux que peuvent faire les hommes. "Je suis avec toi, lui dit-Il, et tu seras préservée à l'ombre de mes Ailes." Ces paroles n'étaient pas dites, que déjà s'était opéré en la jeune vierge ce qui a été annoncé par le prophète Isaïe : ses plaies se guérirent tout à coup, et disparurent comme si elles n'eussent jamais existés, prodige qui fut suivi d'une grande joie et d'une grande allégresse : car la joie éternelle était sur sa tête, pour me servir encore des expressions d'lsaïe.

Une femme pieuse et craignant Dieu, nommée Julienne, qui conversait alors avec la martyre, voyant ce qui était arrivé, et comment ses plaies avaient été guéries en un moment, rendit gloire à Dieu, et s'associant comme une soeur à la martyre, se disposa elle-même aux coups et aux plaies. Cependant le juge, voulant procéder à un second interrogatoire, se fit amener la sainte à son tribunal, où tous purent voir l'admirable prodige qui avait eu lieu. Pas une seule blessure, pas la moindre trace des coups de verges n'apparaissaient sur le corps de la martyre; mais Martien, s'aveuglant manifestement devant la vérité, au lieu d'attribuer cet événement à la toute-Puissance de Dieu, et de se repentir de ce qu'il avait fait, ne rougit pas de faire honneur de cette guérison à ses fausses divinités : "Tu vois, ô Barbe, dit-il, comme les dieux te protègent et prennent soin de toi, pour t'avoir ainsi guérie." Mais la martyre du Christ : "Aussi aveugles que toi, répondit-elle, n'étant ce qu'ils sont que par la main de l'homme, comment auraient-ils pu faire quelque chose de pareil ? Si tu veux savoir quel est celui qui m'a guérie, c'est Jésus Christ le Fils du Dieu vivant; mais tu ne saurais le voir, dans les profondes ténèbres qui te privent des yeux de l'esprit."

A ces paroles, le juge, plus furieux que jamais, et ne pouvant plus se contenir, ordonne aux bourreaux de déchirer les flancs de la vierge avec des peignes de fer, et de brûler avec des torches ardentes ces membres déjà déchirés par le fer. Il fait ensuite frapper la tête de la martyre avec un maillet. Tout cela fut promptement exécuté; mais à cette vue, la pieuse et compatissante Julienne regrettant de ne pouvoir venir au secours de son amie, faisait du moins ce qu'elle pouvait, sans s'inquiéter des assistants, ni même du juge, et versait d'abondantes larmes. Martien l'ayant remarquée et reconnue pour être aussi chrétienne, ressentit un nouveau mouvement de fureur, et commanda qu'on l'attachât de même et qu'elle fût déchirée avec les peignes de fer, ainsi que la martyre. Éprouvée de la sorte par ces différents combats, Barbe, dans le temps où elle était le plus cruellement lacérée, leva les yeux au ciel et dit : "Seigneur, qui connais les coeurs, Tu sais que c'est par amour pour Toi et pour ta sainte loi que je me suis ainsi offerte tout entière, et remise entre tes Mains. Ne m'abandonne donc pas, Seigneur; mais reçois-moi avec miséricorde; affermis-nous et fortifie-nous toutes deux, en sorte que nous achevions la course présente." C'est ainsi que la martyre du Christ suppliait le Seigneur, pour qui elle endurait ces tourments, afin qu'Il vînt, par son secours fortifier la faiblesse de sa nature. Elle savait qu'il avait dit la vérité dans ces paroles : a"L'esprit est prompt, mais la chair est faible."

Le tyran, qui s'était posé en adversaire du Seigneur, espérant triompher de la force d'une âme par la multiplicité des tourments, imagina de nouveaux supplices; il commanda que l'on coupât avec un instrument tranchant les mamelles de la vierge. Qui ne frémirait à la seule pensée d'un tel supplice ? D'où venait donc à de simples femmes la force de supporter un traitement semblable, si ce n'est l'amour invincible qu'elles avaient pour le Christ ? Barbe, la servante du Christ, n'ignorait pas quel était le remède à ces atroces douleurs; c'est pourquoi elle implorait de nouveau le secours divin: " Ô Christ, disait-elle, ne détourne pas de nous ta Face, et ne nous retire pas ton Esprit. Rends-nous, Seigneur, la joie de ton Salut, et confirme-nous dans ta crainte par ton Esprit souverain !" Toutes deux, animées d'une même pensée, souffraient avec la même constance. Le président, avec une perfidie pleine de méchanceté, les fit séparer. Il envoya Julienne en prison, et commanda qu'on promenât Barbe toute nue par la ville, en la battant de verges. La martyre se voyant si indignement traitée, employa son recours ordinaire; levant les yeux au ciel elle dit : "Seigneur, qui couvre les cieux de nuages, et étends sur la terre un voile de ténèbres, Toi-même, ô souverain Roi, couvre ma nudité; faites que mon corps ne soit pas vu par les infidèles, et que ceux qui m'entourent ne m'insultent ni ne m'outragent par leurs regards." Le Seigneur descendit aussitôt de son sanctuaire pour S'établir son défenseur. Il lui apparut donc, et lui remplit le coeur de joie. Il la couvrit d'un vêtement qui la rendit invisible; et, la course achevée, elle fut ramenée devant le cruel Martien.

Convaincu dès lors que ni promesses ni menaces ne produiraient aucun effet sur la sainte, non plus que sur Julienne, et ne voulant pas ajouter à la honte de sa défaite en tentant l'impossible, il ordonna qu'on leur tranchât la tête. Le père, ce bourreau de sa fille, était présent au moment où fut prononcée la sentence. Il ne trouva pas que ce fut assez de la voir périr sous les coups des licteurs. Si lui-même ne portait le premier coup, ce serait de sa part, à ce qu'il pensait, lâcheté et faiblesse insigne; ce serait une honte pour lui, s'il ne montrait pas une cruauté sans bornes. Ainsi donc, la sentence rendue, il prend la jeune fille et l'emmène sur la montagne voisine, suivie de Julienne. Barbe aussitôt, fléchissant le genou, recourut à la prière, qui toujours lui avait été chère : "Dieu, dit-elle, qui ne connais pas de commencement, qui as étendu le ciel comme une voûte et affermi la terre sur les eaux; Toi qui ordonne aux nuées de pleuvoir, et fais paraître le soleil pour distribuer la lumière à tous, justes et pécheurs, bons et méchants, à cette heure où je Te prie, ô Roi suprême ! exauce ma demande. Celui donc qui se souviendra de votre Non et de mon combat, que jamais la peste n'entre dans sa demeure, ni rien qui puisse apporter dommage ou tourment aux personnes; car Tu sais, Seigneur, que nous sommes, chair et sang, l'ouvrage de tes Mains sacrées, ayant l'honneur d'être formés à ton Image et à ta Ressemblance." Elle dit, et du ciel une voix se fit entendre, qui l'appelait, elle et Julienne sa compagne, et l'assurait en même temps que sa demande était accordée. Barbe ayant entendu cette voix pleine de douceur, se releva et fut conduite au lieu de son trépas.

Lorsqu'elle y fut arrivée, elle inclina la tête, et de la main de son père, du glaive de son père, elle reçut la consommation de son martyre, bon fruit d'un mauvais-arbre, comme on en peut juger. Julienne fut également immolée au même lieu par quelqu'un des soldats qui se trouvaient là. Mais en ce lieu même la Justice de Dieu atteignit le père, sans que sa bonté lui donnât le moindre répit, à cause de l'énormité du crime, ou encore parce qu'il n'y avait aucun espoir de conversion. En effet, comme il s'en retournait de la montagne, il fut frappé de la foudre, et perdit ainsi non seulement cette vie passagère, mais encore celle qui dure toujours, homme vraiment misérable, et indigne de l'une et de l'autre. Le président Martien eut aussitôt connaissance de la descente de ce feu venu divinement du ciel, feu qui ne faisait que commencer, mais annonçait cet autre feu qui devait le punir éternellement.

Cependant Valentien, homme bon et religieux, enleva les corps sacrés, et après les avoir honorés, ainsi qu'il convenait, par des chants pieux, il les déposa avec respect et honneur au lieu dit Gélassus, situé à deux milles d'Euchaïte, où ils sont le remède à tous les maux, la joie des âmes, et l'objet d'un tendre amour chez les fidèles, à la gloire du Christ, notre vrai Dieu, à qui appartiennent honneur, puissance, majesté et grandeur, maintenant et toujours dans les siècles des siècles. Amen.