MARTYRE DE SAINT SIMÉON, BAR-SABOE, ÉVÊQUE DE SÉLEUCIE ET DE CTÉSIPHON, ET DE SES COMPAGNONS ARDHAICLAS ET HANANIAS, PRÊTRES, ET DE CENT AUTRES CHRÉTIENS DE DIVERS ORDRES, AINSI QUE DE L'EUNUQUE GUSCIATAZADE, QUI AVAIT ÉLEVÉ DE ROI; DE PRUSIKIUS, GRAND CHAMBELLAN, ET DE SA FILLE, VIERGE CONSACRÉE À DIEU

fêtés le 21 avril

INTRODUCTION


Je vais raconter quelle fut l'origine de l'asservissement de notre Église, et la cause des malheurs que Dieu nous envoya comme châtiment et comme épreuve. L'orage terrible qui vint tout à coup fondre sur nous ne se peut comparer qu'à l'horrible persécution du temps des Machabées : ces temps-là, en effet, étaient vraiment les jours de la vengeance divine que le prophète avait annoncés par cet oracle : Malheur à qui vivra dans ces jours de la colère de Dieu ! Des légions viendront des régions de l'Occident, et désoleront la terre. Ces paroles désignaient les Grecs, dont les Machabées essuyèrent toute la fureur.
Antiochus, la cent quarante-troisième année de l'empire des Grecs, et la sixième de son règne, ayant pris Jérusalem, pilla la table d'or et tous les instruments du culte divin, souilla le temple, en chassa les prêtres, y érigea des autels et y introduisit des étrangers; et, non content de ces impiétés, il ensanglanta la terre sainte et exposa aux bêtes et aux oiseaux de proie les corps des saints. Vaincus par tant de maux, plusieurs cédèrent au roi, et, abjurant la loi de Dieu, se souillèrent par d'impies sacrifices; d'autres, au contraire, des hommes, des femmes, d'une haute naissance, confessèrent généreusement leur foi, et moururent. Mille en un seul jour périrent pour l'observation du sabbat. Nous mourons, disaient-ils avec le sentiment de leur innocence, nous mourons dans la simplicité de notre cœur; mais nous prenons le ciel et la terre à témoin de notre innocence et de votre injustice. Des femmes furent tuées pour avoir circoncis leurs enfants, et leurs petits enfants furent pendus au cou de leurs mères. D'autres encore subissaient le dernier supplice pour avoir refusé de manger, contrairement aux défenses de la loi, une nourriture immonde. Et il y eut un grand deuil dans Israël, et les princes, les anciens, les jeunes gens et les vierges gémirent, et la beauté des femmes s'obscurcit dans les pleurs, et l'épouse sur la couche nuptiale pleura, et toute la maison de Jacob fut remplie d'affliction et de confusion, et Matathias gémit et s'écria : «Hélas ! hélas ! malheur à nous ! Pourquoi nous a-t-il été donné de voir les maux de votre peuple, et la désolation de la ville sainte et de son temple livré aux mains des étrangers ! Notre gloire et notre force sont perdues : pourquoi vivons-nous encore ?» Toutefois, reprenant courage : «Pensez, disait-il, que ceux qui ont mis en Dieu leur confiance ne seront pas confondus. Que les paroles d'un pécheur ne vous fassent pas trembler; car sa gloire tombera en poudre, et il sera la proie des vers; aujourd'hui il est élevé; demain il aura disparu; il 37 retournera dans la terre, et toutes ses pensées périrent.» Et Matathias, qui parlait ainsi, donna l'exemple du courage. Ayant vu un concitoyen, un Juif, abjurer sa religion et sacrifier publiquement aux idoles, en face de l'outrage fait à Dieu, cet homme si zélé pour la loi, s'animant d'une sainte colère, se précipita sur le coupable, et au milieu de son impie sacrifice, et au pied des autels, il l'immola; il fit couler le sang de celui qui se livrait au culte des faux dieux; il le renversa mort sur le corps de la victime; il souilla, par le contact d'un sang impur, celui qui souillait la sainte loi. Et sur-le-champ, attaquant le ministre du roi lui-même, qui contraignait le peuple à d'impies sacrifices, il le fit aussi tomber sous ses coups. Matathias fut donc le pontife pur qui, par le sang d'une victime impure, apaisa la colère du Ciel, et rendit Dieu propice à son peuple.
Dans ces jours malheureux, dans ces jours d'angoisses et de terreurs, au milieu du bruit des armes, la joie, la sécurité, le repos, disparurent : partout le glaive, la solitude et la mort; le tombeau dilata ses entrailles pour engloutir les victimes, et reçut les justes confondus avec les pécheurs; mais les justes reposèrent doucement dans son sein, et les pécheurs furent engloutis dans les ténébreux abîmes, parce qu'ils avaient fait tomber Jacob dans l'iniquité, et plongé Israël dans l'apostasie.
Mais enfin les trésors des miséricordes du Seigneur étant depuis trop longtemps fermés, quand sa vengeance eut versé assez de colère, quand le glaive eut été rassasié et l'épée enivrée, alors enfin tomba la pluie des grâces, la miséricorde coula à flots; alors parut un brillant soleil qui fondit à ses rayons les glaces de la superstition païenne, tarit la source de l'infidélité, dessécha les eaux de l'idolâtrie, dissipa la fange impure, essuya les pluies fétides, et fit briller de nouveau la pureté et la sainteté dans le temple. Judas Machabée fut cet astre. Judas, comme un jeune lion, rugit 38 contre les bêtes malfaisantes, et son rugissement les dispersa. Judas étendit la gloire de son peuple, il exalta sa nation. Prêtre et guerrier, il se revêtit de l'éphod sacré pour se rendre Dieu propice; il endossa la cuirasse terrible pour donner la mort comme un puissant géant. Sa force l'a égalé au lion : il s'est couché sur les nations immolées, il a dévoré les chairs des princes; dans sa colère, il a recherché les restes des pécheurs; la terreur de son nom a fait trembler les superbes, et les puissants sont tombés de frayeur; sa main a donné le salut, et il a désolé bien des rois. Il a tué des milliers d'ennemis dans les montagnes, et des myriades dans la plaine; ses exploits réjouirent Juda, ses hauts faits firent tressaillir Israël; la terre sauvée par lui se reposa et se délassa de la servitude. Son nom vola aux extrémités du monde; mais lui, il succomba glorieusement en combattant pour son Dieu et pour son peuple : son nom soit béni à jamais !
Cette persécution d'Antiochus est l'image de la nôtre. En effet, le peuple chrétien fut écrasé par d'excessifs impôts, et les prêtres accablés de vexations de toute espèce; et l'on vit les superbes insulter les humbles, les impies fouler aux pieds les saints, la calomnie opprimer l'innocence. La plus dure servitude fut substituée à la sainte liberté donnée par le Christ à son Église, et tous les efforts furent tentés, tous les moyens mis en œuvre pour empêcher l'observance de la loi de Dieu, pour arrêter par la ruse, par la violence, par toutes les voies, ou même pour égarer complètement ceux qui marchaient dans le droit chemin de la vérité.
Ce fut la cent dix-septième année de l'empire des Perses, et la trente et unième année du règne de Sapor, roi des rois, que cette calamité tomba sur notre Église. Alors était évêque de Séleucie et de Ctésiphon Siméon Bar-Saboë (fils du Foulon), nom qu'il justifia parfaitement; car si son père teignait la pourpre qui orne les rois impies, lui-même il rougit de son sang celle qu'il devait porter dans le royaume des saints. Siméon donna volontairement sa vie pour son Dieu et pour son peuple; et, plein d'horreur pour les attentats de l'impiété contre l'Église, il imita Judas Machabée, qui, lui aussi, dans des temps non moins malheureux, n'hésita pas à chercher la mort. O couple illustre de pontifes, Judas, Siméon ! Tous deux reconquirent la liberté de leur peuple, l'un par ses armes, l'autre par son martyre. L'un fut vainqueur et s'illustra par sa victoire; l'autre triompha en succombant. Judas, en versant le sang de l'étranger, éleva son pays au faîte de la puissance et de la gloire; Siméon, en versant son propre sang, brisa le joug de la servitude qui pesait sur son Église. Tous deux étaient décorés du souverain sacerdoce, tous deux portaient l'éphod sacré, tous deux servirent dignement à l'autel et honorèrent leur ministère auguste par leurs vertus; tous deux, pieux et fervent, se purifiaient dans les eaux saintes et présentaient à Dieu le sang de la vigne; tous deux animaient le peuple à la vertu par des paroles brûlantes; tous deux, terribles dans le combat, volèrent au-devant de la mort, provoquèrent les bourreaux, se précipitèrent tête baissée sur le glaive; tous deux enfin lavèrent leur âme dans leur sang. Fidèles au commandement de leur maître, ils l'accomplirent avec amour; ils se dévouèrent à la pratique et à la défense de la loi divine. L'un remplit le précepte du Seigneur comme un juge, rendant la mort pour la mort, mourant lui-même pour le salut des siens; et l'autre, comme un obéissant serviteur, selon la parole évangélique : Si l'on vous frappe sur la joue droite, présentez encore la joue gauche, tendit sa tête au glaive du bourreau. Par les expiations de son sacerdoce, l'un soulageait les âmes captives dans les limbes; l'autre rappelait à la vie ceux qui dormaient de la mort du péché. L'un périt les armes à la main en immolant les ennemis; l'autre accomplit obscurément son sacrifice. Oh ! qu'elle est belle, qu'elle est glorieuse la mort des saints, surtout après la victoire illustre du Sauveur sur le péché ! Judas, fort de la force de Dieu, souverain Seigneur, délivra sa nation des tributs qu'elle payait aux rois grecs et syriens; Siméon, triomphant avec le secours du Fils de Dieu, du Sauveur Jésus, affranchit son peuple accablé par d'intolérables exactions, et gémissant sous le joug des rois de Perse. Véritables pasteurs, ils ont donné leur vie pour préserver de la ruine les brebis qui leur étaient confiées; ils se sont dévoués avec amour, pour écarter leur troupeau des pâturages empoisonnées, des eaux troublées par les pieds des infidèles; ils périrent pour que ces brebis, sauvées par leur mort et ramenées au bercail, goûtassent les fruits de leur victoire.

RÉCIT

Ainsi donc, Siméon, le pontife illustre, mettant toute sa confiance en Dieu, fit porter au roi cette réponse : «Le Christ a racheté son Église par sa mort, et acquis la liberté à son peuple au prix de son sang; il a fait tomber de nos têtes le joug de la servitude, et nous a délivrés des lourds fardeaux que nous portions. En outre, en nous promettant de magnifiques récompenses pour la vie future, il a enflammé nos espérances : car son empire est éternel et ne périra jamais. Donc, tant que Jésus sera le Roi des rois, nous l'avons résolu, nous ne courberons pas la tête sous le joug que vous voulez nous imposer : Dieu nous préserve du malheur de renoncer à la liberté dont il nous a fait don, pour devenir les esclaves d'un homme ! Le Seigneur à qui nous avons juré obéissance et fidélité est l'auteur et le modérateur de votre puissance : nous ne souffrirons pas l'injuste domination de ceux qui ne sont, comme nous, que ses serviteurs. Sachez-le encore, notre Dieu est le créateur des choses que vous adorez à sa place, et à nos yeux ce serait un impiété et un crime d'égaler au Dieu suprême les choses qu'il a créées et qui sont semblables à vous. Et puis, vous nous demandez de l'or; mais sachez que nous n'avons ni or ni argent, nous à qui le Seigneur a défendu de n'avoir ni or ni argent dans nos bourses; enfin l'Apôtre nous a dit : Vous avez été achetés un grand prix, ne vous faites pas les esclaves des hommes.» Tel fut le langage de Siméon.
On le porta sur-le-champ au roi; il en conçut une violente indignation, et fit répondre au saint évêque : «Quelle est ta folie, d'exposer par ton audace téméraire ta vie et celle de ton peuple, et d'attirer sur toi et sur lui une mort certaine ? Ton incroyable orgueil te pousse à l'entraîner dans la désobéissance. Eh bien ! je vais sur-le-champ rompre ce pernicieux complot, et vous bannir à jamais de la société et de la mémoire des hommes.» Ainsi parla le roi.
Siméon, nullement ému de ces menaces, répondit : «Jésus s'est offert à la mort la plus cruelle pour racheter le monde, et moi, un néant, je craindrais de donner ma vie pour ce peuple, quand je me suis dévoué volontairement à son salut ! Soyez convaincu, ô roi, que Siméon est fermement résolu à mourir plutôt que de livrer son troupeau comme une proie à vos exacteurs. Je ne tiens pas à la vie si je ne puis vivre sans crime, et, pour la prolonger de quelques jours, je ne laisserai pas accabler des misères de la servitude ceux que mon Dieu a affranchis. Oserais-je rechercher l'oisiveté et les délices ? Dieu me garde de pourvoir à ma sécurité en perdant ceux qu'il a rachetés de son sang, d'acheter les commodités de la vie au prix des âmes que le Christ a aimées, de m'assurer des jouissances par l'affliction de ceux que la mort du Sauveur a délivrés de l'esclavage. Non, je n'ai pas au cœur une telle lâcheté, je n'ai pas aux pieds de telles entraves, que je n'ose suivre les traces de Jésus, que je tremble de marcher dans la voie de sa passion, que je frémisse de m'associer au sacrifice par lequel ce véritable pontife s'est immolé. Je suis donc décidé inébranlablement à tendre ma tête au glaive, à mourir pour mon peuple. Et que mon sacrifice est peu de chose, comparé à celui de mon maître ! Quant à la ruine dont vous menacez les fidèles de mon Église, c'est votre impiété qui en sera la cause, et non mon dévouement pour Dieu et pour son peuple; et par conséquent votre sang et non le mien devra laver ce crime; mon peuple et moi nous en serons innocents.
«Mon peuple est prêt comme moi à sacrifier sa vie au salut de son âme : vous ne tarderez pas à l'apprendre.»
Alors le roi, comme le lion qui, une fois qu'il a flairé le sang humain, ne respire plus que le carnage, se livra aux transports de la plus violente colère, et l'agitation de son âme se manifesta par le trouble de tout son corps. Il grinçait des dents, il frémissait, il menaçait de tout renverser, de tout détruire; il cédait aux mouvements les plus désordonnés de la fureur, impatient de boire le sang innocent et de dévorer les chairs des saints. Enfin il fit entendre un rugissement effroyable, et publia un édit terrible qui ordonnait de poursuivre incessamment les prêtres et les lévites, de renverser de fond en comble les églises, de souiller et de faire servir aux usages profanes les instruments du culte divin. «Siméon, disait le roi plein de rage et de fureur, Siméon, ce chef de magiciens, méprise la majesté royale; il n'obéit qu'à César, n'adore que le Dieu de César, et il insulte et outrage le mien : qu'on me l'amène et qu'on lui fasse son procès devant moi.»
L'occasion était belle pour les Juifs, ces constants ennemis des chrétiens; aussi mirent-ils tout en œuvre pour animer encore la colère du prince, et assurer la perte de Siméon et de son Église; on les retrouve toujours, dans les temps de persécution, fidèles à leur haine implacable, et ne reculant devant aucune accusation calomnieuse. C'est ainsi qu'autrefois leur clameurs forcenées contraignirent Pilate à condamner Jésus-Christ. Voici, dans la circonstance présente, ce qu'ils avaient l'impudence de dire : «Prince, si vous écriviez à César les lettres les plus magnifiques, accompagnées des plus superbes présents, César n'en ferait aucun cas. Que Siméon, au contraire, lui écrive la plus petite lettre, quelques mots seulement, aussitôt César se lève, et il adore cette misérable page, il la prend respectueusement dans ses deux mains, et commande que sur-le-champ on y satisfasse.» Combien ces délateurs de Siméon ressemblent à ces témoins menteurs qui se levèrent contre le Seigneur ! Pauvres Juifs provocateurs de la mort du Sauveur, de quel degré d'honneur et dans quel abîme d'ignominie ils sont tombés ! Les voilà, chargés de leur déicide, exilés, fugitifs, vagabonds par toute la terre ! Quant aux accusateurs de Siméon, l'infamie, le mépris, la malédiction universelle furent leur juste châtiment; et le saint évêque fut assez vengé par ce glaive qui en fit périr soudainement un si grand nombre, lorsque, entraînés par un imposteur, ils accouraient en foule pour rebâtir Jérusalem.
Siméon fut donc chargé de chaînes et conduit au pays des Huzites, avec deux des douze prêtres de son église, lesquels se nommaient Abdhaïcla et Hananias. En traversant Suze sa patrie, une église chrétienne se trouva sur son passage; il pria ses gardes de prendre un autre route, parce que peu de jours auparavant les mages avaient livré cette église aux Juifs, qui en avaient fait une synagogue. «Je crains, disait le saint évêque, que la vue d'une église ruinée n'ébranle mon courage, réservé à des épreuves plus rudes encore.»
Ses gardes firent une grande diligence, et, après avoir fait beaucoup de chemin en peu de jours, Siméon arriva à Lédan. Dès que le grand préfet l'apprit, il se hâta d'annoncer au roi l'arrivée du chef des chrétiens; aussitôt Siméon fut introduit devant le prince; mais il ne se prosterna pas devant lui. Le roi en conçut une grande indignation. «Maintenant, lui dit-il, je vois de mes yeux la vérité de tout ce que l'on m'a dit contre toi. Autrefois, vil esclave, tu ne faisais pas difficulté de te prosterner en ma présence : pourquoi aujourd'hui me refuses-tu cet honneur ? — C'est, répondit Siméon, qu'autrefois je ne paraissais pas devant vous chargé de chaînes, ni pour être forcé, comme aujourd'hui, à renier le vrai Dieu.»
Les mages, qui étaient présents en grand nombre, disaient au roi : «Grand prince, il conspire contre l'empire et contre vous, il refuse de payer les impôts; qui peut douter qu'il mérite la mort ? — Misérables, s'écriait Siméon, n'est-ce point assez pour vous d'avoir abandonné Dieu et perdu ce royaume ! faut-il encore que vous cherchiez à nous entraîner dans le même crime et le même malheur ?»
Le roi, prenant alors un visage moins sévère, lui dit : «Laissez là cette dispute, Siméon. Croyez-moi, je vous veux du bien. Adorez le soleil, et vous vous sauvez, vous et les vôtres.»
Siméon. «Je ne peux pas vous adorer vous-même, ô roi, quoique vous soyez bien plus excellent que le soleil, puisque vous êtes doué d'esprit, et de sagesse, et je serais assez insensé pour adorer un dieu inanimé, privé d'intelligence, qui ne peut nous discerner vous et moi, ni vous récompenser vous qui le servez, et me punir moi qui lui insulte ! Vous disiez qu'en vous écoutant je sauverais mon peuple; mais sachez donc que nous, chrétiens, nous n'avons qu'un seul Sauveur, le Christ, attaché à la croix. Moi donc, le dernier de ses serviteurs, je mourrai pour lui, pour mon peuple, pour moi-même. Loin de moi toute lâche frayeur; je me sens plein d'une force invincible, je saurai éviter la bassesse et le déshonneur, je saurai mériter la gloire. Je ne suis pas un enfant qu'on puisse gagner par des bagatelles; mais, vieillard, je garderai la dignité de mon caractère, et j'achèverai fidèlement, saintement mon œuvre. Au reste, ce n'est pas à moi qu'une lumière supérieure et divine éclaire, à en délibérer avec vous.»
Le roi : «Si au moins tu adorais un Dieu vivant, ta folie aurait une excuse; mais tu disais toi-même que ton Dieu est mort attaché à un infâme gibet. Laisse ces chimères, Siméon, et adore le soleil, par qui tout ce qui est subsiste; si tu y consens, richesses, honneurs, dignités, tout ce que tu voudras, je te promets tout.»
Mais Siméon : «Jésus, dit-il, est le créateur du soleil et du genre humain : quand il expira entre les mains de ses ennemis, le soleil, comme un serviteur qui prend le deuil à la mort de son maître, s'éclipsa; pour lui, il ressuscita des morts après trois jours, et monta au cieux au milieu des concerts des anges. C'est bien en vain que vous espérez me séduire par vos présents, par vos dignités et vos honneurs; j'en attends de bien plus magnifiques, et si grands, que vous n'en avez pas même l'idée; mais moi, ma religion et ma foi m'en donnent l'assurance.»
Alors le roi : «Siméon, tu es bien insensé. Pour un fol attachement à tes idées, à tes rêves, tu vas faire périr tout un peuple. Épargne la vie, Siméon, épargne le sang d'une multitude innombrable que je suis déterminé à punir, à cause de toi, avec la même rigueur.
Si vous versez le sang innocent des chrétiens, répondit Siméon, vous sentirez l'énormité de ce crime n ce jour où vos décrets seront examinés à la face de tout l'univers, en ce jour où vous devrez, grand roi, rendre compte de votre vie. Des chrétiens ne font qu'échanger la jouissance d'une vie qui passe contre un royaume qui est éternel. Quant à moi, rien ne me fera renoncer à la vie qui m'est réservée dans le Christ; pour cette vie fragile et mortelle, je vous l'abandonne; elle est dans vos mains; elle est à vous, prenez-la donc, si vous la voulez; hâtez-vous de la prendre.
«Peut-on, dit le roi, afficher tant d'audace ? Il va jusqu'à faire mépris de sa vie. Mais moi j'aurai pitié de tes sectateurs, et j'espère, par la sévérité de ton châtiment, les guérir d'une pareille folie.»
«Essayez, répondit Siméon, et vous verrez si les chrétiens sacrifieront la vie qui les attend dans le sein de Dieu, pour celle qu'ils partageraient avec vous ici-bas. Allumez la flamme de vos supplices, et jetez-y cet or, et vous reconnaîtrez que la fermeté des chrétiens est invincible, et que vos cruautés n'en triompheront jamais. Nous avons tous de la vérité de notre foi une persuasion intime et profonde, et à cause de cela nous souffrirons tous les tourments plutôt que de la trahir. Je ne veux vous dire que ce seul mot, ô roi : notre nom de chrétien, ce nom auguste et immortel qui nous vient du Christ notre Sauveur, nous ne consentirions jamais à l'échanger contre votre grand nom lui-même.»
«Eh bien, dit le roi, si tue ne me rends en présence de ma cour les honneurs accoutumés, ou si tu refuses de m'adorer avec le soleil, divinité de tout l'Orient, dès demain, tes traits si beaux, je les défigure; tout ton corps, d'un aspect si vénérable et si auguste, je le mets en sang.»
«Vous dites que le soleil est Dieu, répondit Siméon, et vous l'égalez à vous, qui êtes un homme; car vous réclamiez tout à l'heure le même culte que lui. En réalité, cependant, vous êtes plus grand que lui. Ensuite vous me faites des menaces, vous voulez défigurer je ne sais quelle beauté de mon corps. Que m'importe ? Ce corps a un réparateur qui le ressuscitera un jour, et lui rendra avec usure cet éclat de beauté d'ailleurs bien méprisable : c'est lui qui l'a créé de rien, c'est lui aussi qui l'a orné.»
À la fin, le roi ordonna de mettre des fers à Siméon, et de le tenir dans une étroite prison jusqu'au lendemain, persuadé que la réflexion le changerait.
Il y avait à la porte du palais par où devait passer Siméon un vieil eunuque qui avait élevé le roi, et qui exerçait la charge d'Arzabade, ou de grand chambellan : c'était un homme très considéré dans le royaume; il s'appelait Guhsciatazade. Par crainte de la persécution, il avait abjuré la foi chrétienne, et adoré publiquement le soleil. Quand Siméon passa devant lui, il s'agenouilla et le salua. Mais le saint évêque, pour ne pas voir l'apostat, détourna les yeux avec horreur. Ce reproche tacite toucha vivement l'eunuque, il se rappela son apostasie; ce souvenir lui tira des gémissements, et, les larmes aux yeux, il se disait à lui-même : «Si un homme qui a été mon ami, Siméon, a conçu une telle indignation contre moi, que fera Dieu, que j'ai trahi !» Plein de ces pensées, il court à sa maison, quitte ses habits somptueux, en prend de noirs, et avec ces marques de deuil il revient s'asseoir dans le palais à la même place.
Cette action étonna tout le monde; le roi lui-même en eut connaissance, et il envoya demander à l'eunuque le motif d'une conduite si singulière. «Pour quelle raison, quand le roi est en bonne santé, et porte encore la couronne sur la tête, t'es-tu imaginé de prendre des habits de deuil et de paraître ainsi en public ? As-tu perdu ton fils ? ton épouse est-elle gisante dans ta maison, attendant la sépulture ? S'il n'en peut être ainsi, pourquoi avoir pris le deuil, comme si tu avais essuyé ces malheurs ?» Voilà ce que le roi fit dire à l'eunuque.
L'eunuque lui fit répondre : «Je suis coupable, je l'avoue; punissez-moi du dernier supplice, je le mérite.»
Le roi, ne comprenant rien à cette réponse, se le fit amener, afin de lui demander à lui-même la raison de cette étrange conduite. Et quand on le lui eut amené il lui dit : «Il faut que quelque malin esprit te possède, pour menacer mon règne de ce funeste présage.
«Non, répondit Guhsciatazade, aucun malin esprit ne me possède; je suis tout à fait maître de moi, et ce que je sens, ce que je pense, convient parfaitement à un vieillard.»
«Pourquoi donc alors, dit le roi, as-tu paru tout à coup avec ces habits de deuil, comme un furieux ? Pourquoi as-tu répondu à mon envoyé que tu étais indigne de vivre ?»
«J'ai pris le deuil, répondit Guhsciatazade, à cause de ma double perfidie envers mon Dieu et envers vous-même : envers mon Dieu, car j'ai violé la foi que je lui avais jurée, j'ai préféré à sa vérité votre faveur; envers vous-même, car, contraint d'adorer le soleil, je l'ai fait avec feinte et hypocrisie; mon cœur intérieurement protestait contre ma conduite.»
«Est-ce là, vieil insensé, la cause de ta douleur ? s'écria le roi furieux. Je t'aurai bientôt guéri si tu persistes dans ce délire impie.»
«J'atteste le Dieu du ciel et de la terre, s'écria le confesseur, que désormais jamais je n'obéirai à vos ordres, et qu'on ne me verra plus faire ce que je gémis d'avoir fait. Je suis chrétien, et je ne sacrifierai plus le vrai Dieu à un homme perfide.»
«J'ai pitié de ta vieillesse, ajouta le roi; il m'en coûte de te voir perdre le prix de tes longs services envers mon père et envers moi-même. Ainsi donc, je t'en conjure, abandonne les rêveries de ces imposteurs, si tu ne veux périr misérablement avec eux.»
«Sachez, ô roi, reprit Guhsciatazade, que ni vous, ni tous les grands de votre empire, vous ne me persuaderez jamais de préférer la créature au Créateur, et d'outrager le Dieu suprême en adorant les œuvres de ses mains.»
«Misérable, reprit le roi, est-ce donc que j'adore des créatures ?»
Guhsciatazade: «Si au moins vous adoriez des créatures vivantes et animées ! Mais, et vous devriez en avoir honte, vous rendez vos hommages à des êtres privés de vie et de raison, à une matière destinée au service de l'homme.»
La fureur du roi fut à son comble, et sur-le-champ il condamna à mort Guhsciatazade. Les officiers insistaient pour qu'on exécutât immédiatement la sentence. «Accordez-moi seulement une heure, leur dit Guhsciatazade, j'ai encore quelques mots à faire dire au roi.» Il appela un eunuque, et le pria de porter au roi ces paroles : «Vous avez vous-même tout à l'heure rendu témoignage à mon zèle et à mon dévouement; vous savez combien fidèlement je vous ai servis, vous et votre père. Maintenant, pour récompense, je ne vous demande qu'une grâce, c'est de faire annoncer par la voix du crieur public que Guhsciatazade est conduit au supplice, non pour avoir trahi les secrets du roi, non pour avoir trempé dans quelque complot, mais parce qu'il est chrétien, et qu'il a refusé de renier son Dieu.» Mon apostasie, se disait le généreux martyr, a été connue de toute la ville, et peut-être ma lâcheté en a-t-elle ébranlé plusieurs. Si l'on apprend maintenant mon supplice, et qu'on en ignore la cause, il ne sera d'aucun exemple aux fidèles. Je les fortifierai, au contraire, si je leur fais savoir ma pénitence, et s'ils me voient mourir pour Jésus-Christ. Mon martyre sera pour les chrétiens un éternel exemple de courage, qui raffermira leurs âmes et rallumera leur ardeur. Il avait bien raison, ce sage vieillard. La voix du crieur public, qui fit connaître à tous son sacrifice, fut comme une trompette guerrière qui donna aux athlètes de la justice le signal du combat, et les avertit de préparer leurs armes.
Le roi accéda au désir de Guhsciatazade, et fit proclamer par un crieur tout ce qu'il avait souhaité. Il crut que cet exemple effrayerait la multitude et lui ferait abandonner la foi chrétienne, et il ne comprit pas, l'insensé tyran, que ce courageux repentir serait l'aiguillon qui pousserait au trépas les fidèles, et que les brebis accourent où les cris de leurs compagnes mourantes les appellent.
Le saint vieillard mourut pour Jésus-Christ le treizième jour de la lune d'avril, la cinquième férie de la semaine des azymes (le jeudi saint). O Siméon, tu me rappelles Simon Pierre le pêcheur ! car c'est toi qui fis subitement cette pêche miraculeuse.
Le saint évêque apprit dans sa prison ce merveilleux et heureux événement, et il en fut comblé de joie. Et, dans son ravissement, il s'écriait : «Qu'elle est grande votre charité, ô Christ ! qu'elle est ineffable votre bonté, ô notre Dieu ! qu'elle est forte votre grâce, ô Jésus ! qu'elle est puissante votre droite, ô notre Sauveur ! Vous rappelez les morts du tombeau, vous relevez ceux qui sont tombés; vous convertissez les pécheurs, vous rendez l'espérance aux désespérés. 51 Celui qui, dans ma pensée, était le dernier, le voilà, selon mon désir, le premier. Celui qui marchait dans des voies opposées aux miennes, le voilà devenu le compagnon de mon sacrifice. Celui qui s'était éloigné de la vérité, le voilà revenu à ma foi. Celui qui était tombé dans les ténèbres, le voilà maintenant convive du festin céleste. Son apostasie l'avait éloigné de moi, sa confession généreuse me le ramène; je le précédais, et il me précède; je voulais passer devant lui, et il me devance. Il a franchi le seuil redoutable de la mort, il m'a montré le chemin de la vie, il m'a rempli de joie et de courage. Il s'est fait mon guide dans la voie étroite, il dirige mes pas dans le sentier de la tribulation. Et moi, que tardé-je à le suivre ? qui peut m'arrêter encore ? son exemple me crie : Allons, hâte-toi; sa voix m'appelle et me presse. Je le vois tourner vers moi sa face rayonnante; je l'entends qui me crie : «Siméon, tu ne me feras plus de reproches maintenant; ta vue ne me causera plus de honte ni de remords. A ton tour, Siméon, viens dans la demeure que tu m'as montrée, dans le repos que tu m'as fait trouver. Là nous goûterons ensemble une félicité éternelle et immuable, au lieu du bonheur fragile et passager que nous partagions ici-bas. C'est donc ma faute si quelque chose encore m'empêche de le suivre, si ce bonheur se fait attendre plus longtemps, si je ne romps pas aussitôt tous les retards. O l'heureux jour que celui de mon supplice ! ce jour me délivrera de tous les maux que j'endure ! ce jour dissipera tous les ennuis qui m'accablent !» Puis le saint évêque offrait à Dieu cette prière : «Cette couronne, l'objet de tous mes vœux, cette couronne, après laquelle, vous le savez, depuis si longtemps je soupire, daignez me l'accorder, ô mon Dieu ! et si pendant tout le cours de ma vie je vous ai aimé, Seigneur, et vous savez que je vous ai aimé de toute mon âme, je ne vous demande qu'une seule grâce maintenant : c'est de vous voir, c'est de jouir de vous, c'est de me reposer dans votre sein; c'est de ne pas être retenu plus longtemps sur cette terre, pour être témoin des calamités de mon peuple, de la ruine de vos églises, du renversement de vos autels, de la profanation de votre sainte loi. Prenez-moi, pour que je ne voie pas la chute des faibles, l'apostasie des lâches, la crainte d'un tyran dispersant mon troupeau, et ces faux amis qui cachent sous un visage riant une haine mortelle, ces faux amis qui s'enfuient et nous délaissent au jour du malheur; épargnez-moi le spectacle du triomphe insultant des ennemis du nom chrétien, et de leurs cruautés contre l'Église. Je suis prêt, Seigneur, à remplir toute l'étendue de mes devoirs, à achever généreusement mon sacrifice, à donner à tout l'Orient l'exemple du courage; assis le premier à la table sacrée, je tomberai le premier sous le glaive, pour m'en aller, de là, dans la société des bienheureux, qui ne connaissent ni les ennuis, ni les angoisses, ni les douleurs; où nul ne persécute, nul n'est persécuté; nul ne tyrannise, nul n'est tyrannisé : rien ne chagrine, rien ne fait peine. Là on ne redoute plus les menaces des rois ou le visage irrité des ministres; personne ne vous repousse ou ne vous frappe, personne n'inquiète ou ne fait trembler. Là, ô Christ, vous délasserez nos pieds meurtris par l'aspérité du chemin; vous ranimerez, onction céleste, nos membres fatigués par les labeurs; vous noierez, coupe de vie, toutes nos douleurs; vous essuierez, source de joie, de nos yeux toute larme.»
Il tenait, en faisant cette prière, ses deux mains élevées vers le ciel, le bienheureux Siméon. Les deux vieillards pris et emprisonnés avec lui, comme nous l'avons raconté, contemplaient avec admiration son visage toute illuminé d'une joie céleste : on eût dit une rose épanouie, une fleur toute fraîche et toute belle.
C'était la nuit qui précède le jour de la mort du Sauveur : Siméon, résistant au besoin du sommeil, et chassant toute pensée vaine, priait ainsi : «Tout indigne que j'en suis, Seigneur, exaucez ma prière : faites que ce soit au jour même, à l'heure même de votre mort que je boive aussi le calice. Que les siècles à venir publient que j'ai été mis à mort le même jour que mon Sauveur; que les pères répètent à leurs enfants : Siméon a écouté l'appel de son Dieu, et comme son maître, le quatorzième jour, la sixième férie, il a été martyr.»
Et en effet, le jour même du vendredi saint, à la troisième heure, le roi fit prendre par ses gardes et amener devant le tribunal Siméon, qui, cette fois encore, ne se prosterna pas devant le roi. «Eh bien, lui dit le prince, homme opiniâtre, as-tu réfléchi pendant la nuit ? Vas-tu profiter de ma bienveillance, qui t'offre la vie ? ou veux-tu persister dans ta rébellion contre moi, et mourir ?
«Oui, répondit Siméon, oui, je persévère, et toute cette nuit la pensée de mon salut a éloigné de moi le sommeil, et j'ai compris combien votre inimitié est plus précieuse pour moi que votre bienveillance.»
Le roi : «Adore le soleil une fois, rien qu'une fois, et je me déclare ton protecteur contre tous tes ennemis.»
Siméon : «À Dieu ne plaise que je donne à ceux qui me poursuivent d'une haine injuste ce sujet de triomphe, et que mes ennemis puissent dire jamais : Siméon est un lâche, qui, par peur de la mort, a sacrifié son Dieu à une vaine idole.»
Le roi : «Le souvenir de notre ancienne amitié m'avait porté à user des voies de douceur, à t'aider de mes conseils, à chercher à te sauver; mais, puisque tous mes efforts ont été inutiles, les suites te regardent.»
Siméon : «Toutes ces insinuations sont superflues. Que tardez-vous à m'immoler ! L'heure de ma délivrance a sonné : hâtez-vous donc, un céleste repas m'attend, la table est prête, et on me demande pourquoi je tarde encore.»
Cependant le roi, en présence même de Siméon, s'adressant aux satrapes et aux officiers qui l'entouraient : «Voyez-vous, leur dit-il en leur montrant le confesseur, quel beau visage, quel port majestueux ? J'ai parcouru des pays lointains et tout mon royaume, et nulle part je n'ai vu tant de grâce unie à tant de dignité. Concevez maintenant la folie de cet homme que se sacrifie à des chimères !
«Il ne serait pas sage, ô roi, répondirent unanimement les satrapes, de vous arrêter à la beauté d'un seul homme, et de fermer les yeux au grand nombre des victimes qu'il a séduites et entraînées dans l'erreur.»
Siméon fut donc condamné à mort, et immédiatement conduit au supplice.
Il y avait aussi dans les prisons cent autres chrétiens, dont plusieurs étaient évêques d'autres Églises, ou prêtres, et les autres diacres ou engagés dans le clergé. Ils furent tous tirés de prison en même temps, et menés à la mort. Quand le grand juge leur lut l'édit du roi, conçu en ces termes : «Que celui qui veut sauver sa vie adore le soleil,» ils répondirent d'une voix unanime : «Nous croyons au seul Dieu véritable, et notre foi se rit de vos supplices; nous aimons le Christ, et notre amour se fait un jeu de la mort; vos glaives ne sont encore pas assez tranchants pour enlever de nos cœurs l'espérance de notre résurrection future. Nous l'avons tous juré, nous n'adorerons pas le soleil, nous ne suivrons pas vos conseils impies. Bourreau, exécutez sans délai les ordres de votre maître.»
Le roi avait commandé de frapper cette troupe de saints sous les yeux mêmes de Siméon : il espérait que l'horreur de leur supplice ébranlerait sa constance. Mais pendant que ces glorieux martyrs tombaient sous le glaive, Siméon, debout devant eux, leur criait : «Courage, mes frères, et confiance en Dieu. Votre résurrection descendra avec vous dans la tombe, et quand la trompette de l'ange réveillera les morts, vous l'entendrez, et vous vous lèverez. Le Christ aussi a été immolé, et il est vivant : votre mort vous fera trouver la vie en lui. Souvenez-vous de ces paroles : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l'âme. Quiconque perd sa vie pour moi la retrouvera dans la vie éternelle. La marque du vrai amour, c'est de mourir pour celui qu'on aime. Et puisque vous mourez par amour, vous recevrez la récompense des amis. Écoutez l'Apôtre qui vous crie : Rappelez-vous que Jésus-Christ est ressuscité des morts. Par conséquent, si nous mourons avec lui, nous vivrons aussi avec lui. Et si nous partageons sa passion, nous partagerons aussi sa gloire. Et si nous donnons notre vie pour Jésus, la vie de Jésus se manifestera aussi un jour dans notre corps mortel. Il semble maintenant que la mort est en nous, et la vie en vous : mais sachez, très chers frères, qu'à notre mort succédera une vie éternelle, et à votre vie une éternelle mort; car celui qui nie Dieu n'aura pas la vie. Et si maintenant nous souffrons un peu, une gloire immense, un éternel bonheur seront le prix de ces souffrances. Au dehors, notre corps tombe en poussière; mais au dedans, notre âme se renouvelle; car celui qui a rappelé notre Seigneur Jésus-Christ des morts, nous ressuscitera aussi pour régner avec lui. Si, pendant notre séjour ici-bas, nous sommes morts pour le Seigneur, en quittant cette terre nous irons avec le Seigneur dans la gloire. A nous d'aimer, à lui de nous sauver; à nous d'être fidèles, à lui d'être généreux; à nous de travailler, à lui de nous récompenser; à nous de souffrir, à lui de nous ressusciter; à nous de verser notre sang, à lui de nous donner la couronne, le repos, la joie, les délices, et de nous dire : Venez, bons serviteurs, entrez dans la joie de votre maître; vous avez fait fructifier les talents que je vous avais confiés.»
Quand ces généreux martyrs eurent été décapités, et couronnés de leurs cent couronnes, une triple palme fut encore offerte à la très sainte Trinité par Siméon et les deux vieillards ses compagnons, qui furent immolés les derniers.
Au moment du supplice, un des compagnons de Siméon, pendant qu'il ôtait ses habits et que les bourreaux l'attachaient, fut tout à coup saisi d'une crainte involontaire, et se mit à trembler de tout son corps; son cœur toutefois demeurait inébranlable. A cette vue, Phusikius, personnage considérable, nommé tout récemment intendant des travaux publics, encouragea le tremblant vieillard. «Courage, Hananias, lui cria-t-il, fermez un instant les yeux, et vous les ouvrirez à la lumière du Christ.» Il fut conduit sur-le-champ au roi pour rendre compte de cette parole. Le roi lui dit : «Ingrat, voilà donc le cas que tu fais de mes bienfaits ! Élevé par moi à une dignité éminente, tu en négliges les devoirs pour aller voir mourir des misérables !
«Cette négligence, répondit Phusikius, était mon devoir, et je voudrais échanger ma vie pour leur mort. La dignité dont vous m'avez décoré est pleine de troubles et de peines, et j'en fais volontiers le sacrifice; mais leur mort est à mes yeux le comble du bonheur, je la désire et la demande.»
«Tu as la folie, dit le roi, de préférer leur supplice à ton emploi, et de vouloir partager leur sort !»
«Oui, répondit Phusikius, oui. Je suis chrétien, et mon espérance au Dieu des chrétiens est si ferme et si sûre, que j'attache infiniment plus de prix au supplice des martyrs qu'à tous vos honneurs.»
Le roi, furieux, se tourne vers les bourreaux : «Pour celui-ci, dit-il, il ne faut pas un supplice ordinaire. Puisqu'il a eu l'audace de fouler aux pieds les dignités dont je l'avais honoré, puisqu'il a insulté ma majesté royale, percez-lui le cou et arrachez-lui sa langue insolente; que l'atrocité de son supplice épouvante tous ceux qui en seront témoins.» Les bourreaux exécutèrent cet ordre avec une cruauté barbare, et Phusikius expira dans cette horrible torture.
Il avait un fille, qui avait consacré à Dieu sa virginité. Accusée aussi d'être chrétienne, elle mourut pour Jésus Christ, son espérance et son Sauveur.

Tous les actes relatifs à cette grande persécution de quarante ans ont été écrits par saint Maruthas, évêque de Martyropolis en Mésopotamie.