H. Leclercq Les martyrs (Tome III) Paris 1904 |
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L'Église de Dieu en Gothie, à l'Église de Dieu en Cappadoce et à tous les membres de l'Église catholique répandus en tout lieux. Que la Miséricorde, la Paix et l'Amour de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus Christ s'accomplissent en vous.
Nous voyons s'accomplir la parole de Pierre : «À quelque nation qu'appartienne celui qui craint Dieu et se conduit suivant la justice, il Lui est agréable.» Sabas, le martyr de Dieu et de notre Seigneur Jésus Christ, nous en a fourni la preuve. Né de race gothique et vivant en Gothie dans un milieu corrompu, il a tellement su ressembler aux saints et il a comme eux honoré le Christ par la pratique de toutes les vertus qu'il a brillé dans le monde comme un astre. Ayant embrassé le christianisme dès l'enfance, il s'imposa un idéal de perfection et voulut le réaliser au moyen de la science du Christ. Comme tout concourt à l'avantage de ceux qui aiment Dieu, il obtint la récompense due à sa vocation sublime par une lutte vaillante contre l'ennemi, sa force contre les traverses de cette vie et la paix qu'il sut conserver avec tout le monde. Il n'est pas permis de le taire, maintenant qu'il est allé se reposer en Dieu, afin d'en garder la mémoire et de réconforter les âmes pieuses; nous devons donc entreprendre le récit de ses hauts faits. Il fut donc orthodoxe dans la foi, empressé à remplir les devoirs de la justice, doux, pieux, plus savant que disert, pacifique à l'égard de tous, véridique, ennemi de l'idolâtrie, modeste et - ce qui convient bien aux humbles - soumis, parlant sans jactance, doux, incliné à tout ce qui était bon; psalmodiant à l'église, dont il prenait grand soin, méprisant la fortune et les biens, dont il n'usait que dans la mesure du nécessaire, sobre, réservé en toute occasion, particulièrement dans le commerce avec les femmes, jeûnant et priant chaque jour, étranger à la vaine gloire, stimulant tout le monde à l'adoption d'une vie pure, pratiquant les vertus de son état, évitant les contradictions, observant enfin une foi sans compromis, celle qui fait ses oeuvres par la charité, et s'entretenant toujours familièrement avec Dieu. Il se montra, non en passant, mais souvent, avant son martyre, le vigoureux défenseur de la piété.
Les princes et les juges de Gothie ayant commencé à poursuivre les chrétiens qu'ils voulaient contraindre à manger les mets offerts aux idoles, quelques païens s'entendirent pour qu'on présentât aux chrétiens qui étaient de leur parenté des viandes qui passeraient pour avoir été immolées aux idoles, quoiqu'il n'en fût rien; ce stratagème sauverait leurs parents et bernerait les persécuteurs. À cette nouvelle, le bienheureux Sabas refusa non seulement de prendre sa part de ces mets défendus, mais il s'avança au milieu de l'assemblée et dit : «Celui qui mange de ces viandes cesse d'être chrétien», et ainsi il mit en garde afin que tous ne tombassent dans le piège du démon; mais ceux qui avaient imaginé la ruse en prirent occasion de le faire expulser de la ville; ils le rappelèrent plus tard. Une nouvelle persécution étant déclarée, plusieurs païens de la ville qui offraient des sacrifices voulurent jurer que leur cité ne contenait aucun chrétien; mais cette fois encore Sabas vint tranquillement au milieu de l'assemblée et dit: «Que personne ne jure en ce qui me concerne, car je suis chrétien.» Lorsque le persécuteur fut sur les lieux, les susdits païens mirent leurs parents à l'abri et jurèrent que la ville ne renfermait qu'un seul chrétien. Le prince impie se le fit amener; c'était Sabas. Quand il fut présent, le prince questionna les assistants sur la fortune de Sabas. «Il n'a, dit-on, que ses habits», ce qui lui valut le mépris du juge : «Celui qui est en pareil équipage, dit-il, ne peut être ni utile ni dangereux», et il le fit relâcher.
Une grande persécution fut ensuite provoquée en Gothie par les méchants, et comme la fête de Pâques était proche, Sabas voulut se rendre dans une autre ville chez le prêtre Gatthica, afin de célébrer ce saint jour. Sur la route, il vit un homme de haute taille et d'un aspect magnifique et vénérable qui lui dit :
- Retourne sur tes pas et rends-toi chez le prêtre Sansala.
- Mais Sansala est absent, dit Sabas.
Il s'était enfui en effet devant la persécution et s'était réfugié sur le territoire romain; cependant la fête de Pâques l'avait mené chez lui, ce que Sabas ignorait et qui explique sa réponse; il continua donc sa route vers la demeure de Gatthica. Comme il ne se conformait pas à l'indication donnée par le grand inconnu, soudain, quoiqu'il fît beau temps alors, il tomba une telle tempête de neige que la route devint impraticable et Sabas ne put continuer. Il comprit à l'instant que Dieu s'opposait à son voyage et le voulait voir retourner auprès du prêtre Sansala. Il rendit grâces et rebroussa chemin. Arrivé chez Sansala, il lui raconta, ainsi qu'à d'autres, son aventure. Ils célébrèrent ensemble la Pâque. Dans le cours de la troisième nuit qui suivait la fête, Atharid, fils de Rothest, conformément à l'édit des méchants, envahit la ville avec une grande troupe de gens sans aveu et, saisissant le prêtre endormi dans sa maison, il le fit garrotter, ainsi que Sabas, qu'on avait arrêté tout nu dans son lit. On mit le prêtre dans un chariot. Quant à Sabas, on le mena parmi les buissons d'épines récemment brûlés, nu comme lorsqu'il sortit du ventre de sa mère; on le lia et le flagella avec des verges et des bâtons, ce qui montre à quel point ils étaient cruels et féroces à l'égard des serviteurs de Dieu.
Mais la patience et la foi du juste triomphèrent de la brutalité de ses ennemis. À l'aube, il rendit grâces à Dieu et dit à ses bourreaux : «Ne m'avez-vous pas conduit nu et sans chaussures dans des terrains difficiles et semés de ronces ? Regardez si mes pieds sont blessés et si mon corps porte la trace des coups que vous m'avez donnés.» Ils ne virent en effet aucune ecchymose; alors enlevant l'essieu du chariot, ils le lui mirent sur les épaules et attachèrent ses mains aux extrémités; ils attachèrent de même ses pieds à un autre essieu et, le jetant par-dessus les essieux, ils l'étendirent sur le dos; enfin ils ne le laissèrent pas avant que la plus grande partie de la nuit ne fût écoulée. Mais pendant que les surveillants dormaient, une femme qui s'était levée de nuit afin de préparer à manger aux ouvriers, coupa ses liens. Une fois délivré, il demeura sur place sans inquiétude, avec cette femme, et il l'aidait de son mieux. Quand le jour parut, le cruel Atharid, mis au courant de ce qui s'était passé, lui fit lier les mains et suspendre à la poutre de la maison.
Peu de temps après arrivèrent des envoyés d'Atharid, apportant des mets offerts aux idoles, qui dirent à Sabas et au prêtre :
- L'illustre Atharid vous envoie ceci afin que vous mangiez et vous sauviez de la mort.
- Nous n'en mangerons pas, dit le prêtre. Cela nous est défendu. Engagez Atharid à nous faire plutôt crucifier ou tuer de toute autre façon.
- Qui envoie cela ? dit Sabas .
- Le seigneur Atharid.
- Il n'y a qu'un seul Seigneur, c'est Dieu, qui est dans le ciel. Ces mets de perdition sont impurs et profanes, comme Atharid lui-même qui les a envoyés.
Un des serviteurs, mis en colère par cette réponse, tordit sur le saint la pointe de son javelot avec tant de fureur que tous les assistants crurent qu'il allait mourir sur le coup. Mais Sabas, dominant la douleur par la sainteté, lui dit : «Croiras-tu maintenant que j'ai soutenu ton choc ? Mais sache que tu ne m'as pas plus endolori que si tu m'avais jeté un peloton de laine.» Ce qui confirma ses paroles fut son attitude, car il ne cria pas, ni même, ainsi qu'on fait lorsqu'on souffre, il ne gémit pas et on ne vit nulle trace de violence sur son corps.
Sur le rapport qui fut fait de tout cela à Atharid, il donna l'ordre de mettre à mort Sabas. Les bourreaux, ayant renvoyé le prêtre Sansala, amenèrent Sabas sur la berge du Mussovo, afin de l'y noyer. Le bienheureux, se rappelant l'ordre du Seigneur et n'aimant pas son prochain moins que lui-même demanda :
- Pourquoi ne pas tuer le prêtre avec moi, quel péché a-t-il donc commis ?
- Cela ne te regarde pas, lui répondit-on. Alors Sabas s'écria dans la joie de l'Esprit saint : «Tu es béni, Seigneur, et le Nom de ton Fils soit loué pendant les siècles. Amen. Atharid s'est condamné et livré lui-même à la mort éternelle, mais il m'a envoyé à la vie qui n'a pas de fin. Telle est ta Volonté dans tes serviteurs, Seigneur Dieu. »
Tandis qu'on le conduisait mourir, il ne cessa de louer Dieu, ne jugeant pas comparables les misères de cette vie avec la gloire future qui est révélée aux saints. En arrivant sur la rive, les bourreaux se dirent entre eux :
- Pourquoi ne renvoyons-nous pas cet innocent ? Atharid en saura-t-il jamais rien ?
Sabas leur dit :
- Vous badinez; faites ce qui vous est commandé. Je vois ce qui vous est caché. Voici que m'attendent ceux qui doivent m'introduire dans la gloire.
Alors on le mena jusqu'au fleuve. Lui louait Dieu et rendait grâces (ce qu'il ne cessa de faire jusqu'à la fin). On lui attacha une pierre au cou et on le précipita. Sa mort par l'eau et le bois fut ainsi un symbole exact du salut. Sabas avait trente-huit ans. Il mourut le cinquième jour de la semaine pascale, c'est-à-dire la veille des ides d'avril, sous le règne de Valens et Valentinien et sous le consulat de Modeste et Arintheus. Les bourreaux retirèrent de l'eau son cadavre et le laissèrent sans sépulcre. Mais ni les bêtes féroces, ni les oiseaux de proie n'y touchèrent. Des fidèles le gardèrent, et le glorieux gouverneur de la Scythie, Junius Soranus, adorateur du vrai Dieu, ayant envoyé des gens sûrs, le fit transporter en terre romaine et, voulant faire bénéficier sa patrie de ce trésor, de ce fruit illustre par sa foi, l'envoya en Cappadoce, conformément au désir des prêtres et à la Volonté de Dieu, qui donne sa Grâce à ceux qui Le craignent. C'est pour cela que, le jour où le martyr fut couronné, offrez le sacrifice et rappelez tout ceci aux frères, afin que, se réjouissant dans toute l'Église catholique et apostolique, ils louent le Seigneur, qui Se choisit ses serviteurs.
Saluez tous les saints . Tous ceux qui souffrent persécution avec nous vous saluent. Gloire, honneur, puissance, majesté à Celui qui peut nous conduire tous par sa Bonté dans son royaume céleste, à Lui, à son Fils unique et au saint Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.