SAINT PARFAIT, PRÊTRE ET MARTYR

(À CORDOUE EN L'ANNÉE 850)
 
fêté le 18 avril
 

Au nom de notre Seigneur. L'an de l'Incarnation 850, l'ère 888, la 29 e année du consulat d'Abdarrahaman, se consomma le martyre que nous allons rapporter. Sous le gouvernement de ce kalife, la puissance arabe s'accrut considérablement en Espagne et s'étendit à la presqu'île ibérique quasi tout entière. La ville de Cordoue, appelée autrefois Patritia, choisie par Abdarrahaman comme résidence, devint capitale; le kalife la porta au faîte de sa prospérité; il la combla d'honneurs et de privilèges, l'entoura d'une auréole de gloire et de célébrité, amoncela les richesses dans son sein, enfin y multiplia au delà de ce qu'on peut imaginer les délices matérielles de tous genres; aussi dépassa-t-il en pompe et en magnificence tous les rois de sa race qui l'avaient précédé.
Tandis que l'Église des orthodoxes, gémissant sous le joug écrasant de ce kalife, était battue, torturée et réduite à l'extrémité, vivait un prêtre de vénérable mémoire, nommé Parfait. Il était né à Cordoue, avait étudié sous les maîtres de la basilique de Saint-Aciscle; il possédait à fond toutes les lois ecclésiastiques, brillait même dans la littérature, et connaissait quelque peu la langue arabe. Presque toute sa jeunesse s'était écoulée dans ce monastère de Saint-Aciscle.
Un jour qu'il s'était mis en route pour une affaire de famille, et que ses intérêts domestiques l'appelaient à Cordoue, il fut interrogé sur la foi catholique par quelques païens qui le mirent en demeure de se prononcer publiquement sur le Christ et sur le prophète Mahomet. Parfait professa la puissance et la divinité du Christ, qu'il proclamait Dieu béni par-dessus tout clans les siècles des siècles. «Je ne crains pas, ajouta-t-il, de vous déclarer ce qu'on pense de votre prophète parmi les chrétiens, car il m'importe peu de vous blesser grièvement par mes paroles. Mais si vous voulez me promettre amicalement de ne point vous irriter contre moi, je vous révélerai quel jugement notre évangile porte sur votre prophète, et de quelle façon il est honoré des chrétiens.» Les musulmans s'empressèrent de le lui promettre et l'engagèrent à exposer sans aucune crainte tout ce que ses coreligionnaires pensaient de Mahomet. Le savant prêtre leur démontra alors en arabe que d'après l'évangile Mahomet était un faux prophète, un menteur qui avait séduit un grand nombre d'hommes.
On y lit, en effet : «Beaucoup de faux prophètes viendront en mon nom; ils séduiront une foule d'hommes; ils feront en même temps de tels miracles et de tels prodiges, qu'ils parviendraient à entraîner dans l'erreur les élus eux-mêmes, si cela était possible.» Il faut mettre au nombre de ces hommes votre prophète, séduit par les prestiges de l'antique ennemi, adonné aux maléfices; il a corrompu par un venin mortel les coeurs d'une multitude innombrable et les a précipités dans les filets de l'éternelle perdition. C'est ainsi que, n'ayant par lui-même aucune science spirituelle, il ne fait que livrer la foi de ses croyants à son prince Satan, en compagnie duquel il aura à endurer les plus horribles tourments dans l'enfer, et vous tous à sa suite tomberez, pour n'en plus sortir, dans les flammes éternelles. Comment donc pourrait-on mettre au nombre des prophètes, comment même pourrait échapper à la malédiction divine celui qui, cédant à une aveugle passion, ravit à son maître Zaïd son épouse Zeinab et se l'unit par un mariage adultère, allant même jusqu'à affirmer qu'il a agi ainsi par l'ordre d'un ange ?» Parfait parla longuement des impuretés, des actions honteuses que prescrit la loi de Mahomet, puis il dit en terminant : «Ainsi donc votre prophète, adonné lui-même à l'impureté et esclave de ses mauvaises passions, vous a tous  
plongés à jamais dans la fange de la luxure.» Il ajouta encore beaucoup d'autres remarques sur l'infâme doctrine de Mahomet qu'il connaissait à fond, toutes plus ou moins désagréables pour ses sectateurs. Toutefois les musulmans n'osèrent point alors sévir contre lui, mais jurèrent de faire mourir le saint.
Parfait termina les affaires qui l'avaient amené à Cordoue, puis il regagna sa cellule, où il vécut en paix durant quelque temps. Peu après, ayant dû se rendre une seconde fois à Cordoue, il se rencontra avec les païens qui l'avaient interpellé la première fois. Dès que ces furieux l'aperçurent, leur rage longtemps comprimée éclata, et ils s'excitèrent mutuellement à la vengeance par ces paroles : «Voilà cet homme qui naguère, poussé par une audacieuse folie, a proféré contre notre prophète (que Dieu l'appelle et le sauve !) tant d'injures et de malédictions, que vos oreilles en étaient assourdies.» (Toutes les fois que les musulmans prononcent le nom de leur prophète, ils s'empressent d'ajouter : «Zala, Allah, Halla, Anabi, V. A. Zallen», ce qui signifie en latin : Psallat Deus super prophetam, et salvet eum.) Aussitôt toute la cohorte d'hommes perdus, semblables à des guêpes en furie, se jeta sur Parfait, le garrotta en un tour de main, et l'entraîna vers le juge avec tant de rapidité que ses pieds effleuraient à peine la terre. Voici l'accusation qu'ils déposèrent contre lui : «Juge, nous avons entraîné cet homme vers ton tribunal parce que nous l'avons entendu maudire notre Prophète et insulter notre religion. Ta prudence sait mieux que nous quelle sentence il est à propos de porter contre lui pour réprimer son audace et calmer sa furie.»
Le juge mit immédiatement aux ceps le futur martyr; il le fit charger d'un poids écrasant de fers, se réservant de l'immoler le jour où ses coreligionnaires célébreraient par des rites profanes les réjouissances de la pâque. Le soldat du Christ demeura vainqueur en cette première rencontre : il se rendit tout débordant de joie au fond de son cachot, entra avec allégresse dans ce réceptacle de voleurs, comme s'il entrait dans une salle de festin. Là, tout rempli de la crainte révérencielle de Dieu, il s'adonna aux veilles, aux oraisons, aux jeûnes, et s'affermit, par la grâce du saint Esprit, dans la résolution de confesser courageusement sa foi. Longtemps avant qu'on le tirât de prison pour l'exécuter sur la place publique, il fit, dit-on, cette prophétie au sujet d'un eunuque nommé Nazar, qui remplissait les fonctions de proconsul claviculaire et dont le pouvoir s'étendait à l'Espagne tout entière : «Cet homme dont la puissance s'étend fastueusement au-dessus de tous les princes d'Ibérie, et que le pouvoir élève jusqu'aux nues, cet homme ne verra pas la joie pascale de l'année qui suivra mon martyre.»
Après quelques mois d'emprisonnement, quand furent terminés les trente jours de jeûne durant lesquels les musulmans se plongent plus que de coutume dans la crapule et la luxure, Parfait vit enfin luire le jour le plus glorieux pour lui, celui que les musulmans vénèrent entre tous et consacrent tout entier à la joie. Pensant faire grand honneur à leur dieu, ils tirèrent de prison et immolèrent le bienheureux, qui voulut une dernière fois confesser la divinité du Christ et dire anathème à l'ennemi de l'Église catholique : «J'ai maudit votre prophète, s'écria-t-il, et je le maudis encore; je l'ai dit, et je le répète, c'est un démoniaque, un magicien, un adultère et un menteur. Tous les rites profanes de votre culte ne sont que des inventions du diable. Je le déclare hautement, vous irez tous endurer des tourments éternels avec votre chef.» La foule des gentils qui s'était répandue dans la plaine de l'autre côté du fleuve pour prier en cette grande solennité s'empressa de revenir pour jouir de la mort du martyr. Apercevant le prêtre gisant déjà devant les portes du prétoire et baigné dans son sang, les païens se firent un bonheur de se tremper les pieds dans ce sang, et retournèrent terminer leurs cérémonies sacrilèges, assurés d'obtenir plus facilement les biens qu'ils sollicitaient dans leurs prières, ayant ainsi les pieds teints du sang d'un ennemi si redoutable.
Mais ne nous écartons pas de notre sujet, et voyons ce que la divine bonté, au témoignage d'un grand nombre de témoins fidèles, opéra ce jour-là même pour la louange du martyr. Tirant une prompte vengeance du meurtre de son vaillant soldat, le Christ précipita dans le fleuve quelques-uns de la foule des musulmans. En retournant au lieu où ils avaient 
commencé leurs prières, les païens montèrent sur des barques et traversèrent rapidement le fleuve; mais durant le trajet un coup de vent fit chavirer une barque qui contenait huit hommes, qui furent précipités dans le fleuve. Six d'entre eux purent avec peine se sauver à la nage, mais les deux autres furent noyés. Ainsi fut accomplie cette parole de la sainte Écriture : «Moi, le Seigneur, je punirai des impies à cause de ta mort, et des riches à cause de ta sépulture.» La cruauté du persécuteur fit monter une âme au ciel, tandis que la violente tempête du fleuve en précipita deux en enfer. Le corps du saint martyr fut enseveli, par les soins de pieux religieux et sous la présidence d'un digne prélat et de plusieurs prêtres, dans la basilique du bienheureux Aciscle, dans le tombeau où reposent encore ses membres bienheureux.
La prophétie que Parfait avait faite dans sa prison concernant l'eunuque claviculaire Nazar s'accomplit à la lettre par la volonté de Dieu; car longtemps avant le retour des joies pascales de l'année suivante il mourut. Ses entrailles, brûlées par une fièvre ardente, ou même empoisonnées selon quelques-uns, lui sortirent du corps, et il expira.