LETTRE DE SAINT CYPRIEN, ÉVEQUE DE CARTHAGE, SUR LE MARTYRE DE SAINT MAPPALLICUS

(L'an de Jésus Christ 250)

fêté le 17 avril

Nous prenons dans les oeuvres de saint Cyprien cette admirable lettre, qui a le caractère d'un document historique sur la persécution de Décius, dans l’Église d'Afrique.


Cyprien , aux martyrs et aux confesseurs de Jésus Christ, salut en Dieu le Père.

Vaillants et bienheureux frères, toute mon âme a tressailli de joie quand j'ai reçu la nouvelle de votre constance dans la foi, dont s'honore notre mère la sainte Église. Naguère elle se félicitait de voir ses enfants souffrir l'exil pour prix de leur généreuse confession; mais elle est encore plus fière en ce jour; car, où le combat est plus rude, le
triomphe est plus glorieux. La grandeur du danger n'a fait qu’ajouter à l'éclat de votre victoire; la crainte des tourments, loin de vous effrayer, a redoublé votre courage : forts et inébranlables, vous avez couru au-devant du péril. J’ai appris que quelques-uns d'entre vous ont déjà obtenu la couronne immortelle : quelques autres ne tarderont pas de l'aller recevoir. Je sais que tous, vaillants soldats du Christ, en cette étroite prison où l'on vous a jetés, vous êtes remplis de cette sainte ardeur qui peuple les rangs de la milice céleste. Vous l'ambitionnez, cette radieuse couronne du martyre; et, pour y arriver, vous repoussez les flatteries, vous méprisez les menaces, vous comptez pour rien les tortures. O véritable sagesse ! Car celui qui est en nous est plus grand que le prince du monde, et les puissances de la terre ne sauraient être aussi fortes pour nous soutenir. Nous en avons la preuve dans cette victoire de nos frères, qui, se montrant comme les chefs de leurs compagnons, ont donné l'exemple d'une foi ferme et courageuse, et se sont pris à corps avec l'ennemi jusqu'à ce qu'ils l'aient eu terrassé.
Quelles louanges dignes de vous pourrais-je vous donner, ô très courageux frères ? par quels éloges relever la générosité de votre coeur, la persévérance de notre foi ? Vous avez souffert la torture jusqu'à la consommation de votre triomphe; vous n'avez pas recule devant les supplices, mais vous les avez vaincus. La fin de votre vie s'est présentée à vous moins comme un dernier coup à recevoir que comme une palme à cueillir : le bourreau qui, par ses efforts réitéré, pensait vous arracher une apostasie, n'a réussi qu'à vous mettre plus tôt en possession du bonheur du ciel. La multitude présente a admiré ce combat céleste, ce combat divin, ce combat du Christ. Car c'est le Christ qui, par sa grâce, a combattu Lui-même en ses serviteurs, lorsque, dépourvus d'armes temporelles, mais revêtus du bouclier de la foi, vous le confessiez d'une voix ferme, avec un coeur tranquille et un courage surhumain. Oui, l'on a vu des victimes plus fortes que leurs bourreaux; leurs membres déchirés et broyés ont vaincu les ongles de fer; leur foi insurmontable n'a pu être abattue sous les coups, quoique tout leur corps ne fût plus qu'une plaie, quoique leur sang coulant à flots ait eu la vertu d'éteindre le feu de la persécution et de tempérer les feux allumés par l'enfer. Quel grand, quel sublime spectacle pour Dieu Lui-même, à qui rien n'est plus cher au monde que le serment et la fidélité, de ses soldats, ainsi qu'Il nous l'a dit Lui-même par cette parole, du psaume : «La mort des saints est précieuse aux yeux du Seigneur.» Oui, elle est précieuse cette mort qui achète l'immortalité au prix de tout le sang, et qui doit sa récompense à la perfection du courage !
Quelle joie pour Jésus Christ ! qu'Il a volontiers combattu et triomphé dans ses serviteurs, lui, le protecteur de leur foi, qui donne la force à chacun selon son besoin et selon l'étendue de sa confiance ! Il est intervenu dans ce combat engagé pour sa gloire : il a soutenu, animé, fortifié les défenseurs de son saint Nom. Une fois Il a vaincu pour nous, et toujours maintenant c'est Lui qui triomphe en nous. Il le dit Lui-même : «Quand on vous saisira, ne préméditez pas ce que vous devrez répondre à cette heure; car ce ne sera pas vous qui parlerez alors, mais l'esprit de votre Père qui parlera en vous.»
C'est ce que l'on a vu tout à l'heure : c'est la voix même de l'Esprit saint qui a parlé par la bouche du martyr, quand, au milieu des tortures, le bienheureux Mappalicus a dit au proconsul : «Demain, tu verras un combat.» Et le Seigneur a accompli ce qu'avait annoncé son serviteur dans l'enthousiasme de sa foi et de son courage. On l'a vu, ce combat céleste, et le serviteur de Dieu y a été vainqueur. C'est bien de ce combat que parlait le prophète Isaïe, quand il disait : «Un violent combat s'engage avec les hommes; car Dieu Lui-même y prend part.» Et pour mieux s'expliquer, il ajoute : «Voici qu'une vierge concevra et enfantera un fils, auquel sera donné le nom d'Emmanuel.» C'est là le combat de notre foi : nous attaquons, nous sommes vainqueurs, nous recevons la couronne. C'est là le combat que nous montre, l'apôtre Paul, combat dans lequel il faut courir pour obtenir la palme. «Ne savez-vous pas,dit-il, que parmi ceux qui courent dans le stade, il n'y en a qu'un seul qui remporte le prix ? Couvez de manière à vous en rendre maîtres. Or, que fait un athlète ? Il garde une abstinence rigoureuse. Et pourtant, elle est fragile la couronne qu'il convoite ainsi : la vôtre au contraire sera immortelle.» Enfin, parlant de son propre combat, et prédisant que le temps de son immolation approche : «Déjà, dit-il, je suis comme une victime toute préparée : l’heure est proche où le sacrifice se consommera. J'ai lutté avec courage; j'ai rempli ma carrière : jusqu'à la fin j'ai conservé la foi. Il me reste à attendre cette couronne des justes que le Seigneur me rendra an grand jour; et non seulement à moi, mais à tous ceux qui désirent ardemment sa venue.»
Ce combat donc, annoncé par les prophètes, engagé par notre Seigneur, soutenu par les apôtres, Mappalicus, en son propre nom et en celui de ses frères, a promis au proconsul de lui en donner le spectacle. Or, il n'a point manqué à sa parole : il a soutenu la lutte ainsi qu’il l'avait promis, et il a reçu la couronne qu'il a si glorieusement méritée. Je ne puis maintenant que vous exhorter à imiter le combat de ce saint martyr et de ses vaillants compagnons. Comme eux, soyez fermes dans la foi, patients dans les souffrances, inébranlables dans les tortures; afin qu'après avoir partagé leurs chaînes et la gloire de leur confession, vous partagiez aussi leur couronne dans le ciel. Ainsi vous sécherez les larmes de l'Église votre mère, qui déplore la ruine et la perte de plusieurs; ainsi, par la force de votre exemple, vous affermirez la résolution de ceux qui ne sont pas encore tombés. Si le combat vous appelle, si l'heure de l’attaque sonne pour vous, combattez avec ardeur, résistez avec force; sachez que Dieu vous regarde, et que la participation à sa propre Gloire sera le prix de votre confession. Or, Il ne se borne pas à regarder combattre ses serviteurs : Il les soutient, descend avec eux dans l'arène, et glorifiant leur constance, Se glorifie Lui-même en eux.
Mais si , avant ce jour, la paix survient par la Miséricorde de Dieu, votre résolution resté intacte, et votre intention toute seule a les mêmes droits a la récompense. Qu'aucun de vous ne se contriste donc par crainte d'être inférieur à ceux qui, avant vous, ont foulé aux pieds le siècle et sont arrivés à Dieu par la glorieuse voie du martyre; car le Seigneur, qui sonde les coeurs et les reins, voit les intentions cachées et les pensées les plus secrètes. Pour mériter la récompense éternelle, le seul témoignage de Celui qui doit nous juger suffit.
Ce sont donc, ô mes frères, deux voies sublimes et illustrés vers le bonheur du ciel : l'une plus sûre, qui arrive à Dieu par une victoire consommée; l'autre plus douce, où, mourant après une glorieuse confession, on a eu le bonheur de voir le retour de la paix. O bienheureuse notre Église, ainsi honorée des splendeurs de la lumière divine, et illustrée en nos jours par de si généreux combats ! Jusqu'ici les pacifiques vertus de ses enfants lui avaient fait une blanche parure ; elle est maintenant revêtue de pourpre par le sang de ses martyrs : ni les roses ni les lis ne manquent à sa couronne.
Que chacun donc travaille désormais à s'acquérir l’une ou l'autre de ces gloires ; car, sous l'étendard du divin Roi, la paix et la guerre ont leurs fleurs variées. Le Christ sait ainsi récompenser les mérites divers de ses fidèles soldats. Adieu, très vaillants et très heureux frères, : souvenez-vous de nous devant le Seigneur. Adieu.