MARTYRE DE SAINT BADÈME, ABBÉ
(L'an de J.-C. 376)
fêté le 10 avril
Vers le même temps, le roi fit jeter en prison le chef d'un monastère, saint Badème. Il était né à Beth-Lapeta, d'une famille puissante et riche. Élevé dans la pratique des vertus chrétiennes, il commença par distribuer son patrimoine aux pauvres; puis, abandonnant la ville, il se retira dans un monastère qu'il fit bâtir dans la campagne. Son premier dessein était d'y vivre dans une solitude profonde, uniquement occupé à penser à Dieu et à faire en toutes choses sa très sainte volonté; mais dans la suite il se livra aux uvres de la charité, accueillant avec la plus touchante bonté les indigents, les misérables, en quelque temps qu'ils vinssent à lui, et donnant les consolations les plus affectueuses à tous ceux qui avaient des peines et des chagrins. Sa mortification était admirable : souvent, après un jeûne d'une semaine entière, il ne prenait que du pain et de l'eau. A la mortification il joignait les veilles, au delà même de ce qu'il est possible à la nature humaine; car depuis le soir jusqu'au matin, durant la nuit entière, il restait en prière, les mains élevées au ciel. C'est bien un tel homme qui, à cause de la pureté de son cur, habitera dans la maison du Très-Haut et montera sur la montagne sainte du Seigneur; qui a reçu la bénédiction de Dieu; qui a vu la face du Dieu de Jacob; qui a été, comme un pur levain, tiré de la masse impure de l'humanité, et conservé pour guérir la corruption de notre âme. Son sang, placé dans la balance en regard de nos murs lâches et dissolues, les accuse et les condamne. Il est cette pierre choisie, arrachée à la montagne de la foi, taillée dans le roc de la vérité. Il mit en fuite tous les vices : à sa vue, la sensualité, la volupté, la cupidité, la sordide avarice, jetèrent leurs armes et coururent se cacher dans les ténèbres. Le hasard de la naissance avait fait tomber sur lui l'opulence, le luxe et le faste, il les abattit et les foula à ses pieds. Alors, tous les vices s'étant enfuis, la pauvreté chrétienne et l'humilité s'attachèrent à ses pas; la foi, voyant briller en lui la justice, s'éprit de lui; la charité, la paix, la compassion, l'amour, l'honorèrent de leurs embrassements, et, ravis par ses vertus, firent en lui leur demeure, et s'y reposèrent comme sur un arbre dont les fruits et la suave odeur les charmèrent.
Voilà l'homme qu'on fit languir dans un affreux cachot, avec sept de ses moines, pendant quatre mois. Pendant ce temps on les tira trois fois de prison pour les appliquer à la torture : on les frappa avec le bâton, on les tourmenta de la manière la plus cruelle; rien ne put ébranler leur constance, et les martyrs fatiguèrent les bourreaux.
Il y avait dans la même prison un homme d'un rang illustre, Narsès, surnommé Marajas, seigneur de la ville d'Arnunum, dans la province de Beth-Garmé. Ayant refusé d'adorer le soleil, il avait été jeté dans les fers; mais la persévérance ne couronna pas un si beau commencement : sa piété s'affaiblit, son courage se lassa, et le malheureux déserta la foi chrétienne. Séduit par la vaine apparence des choses sensibles, épris de l'amour des biens périssables, il préféra la gloire d'un roi de la terre à la gloire du Roi des cieux. Il céda; il fit même la promesse de se prêter à tout ce qu'on exigerait de lui.
Alors le roi, après un avoir délibéré, ordonna qu'on ôtât ses chaînes au généreux Badème et qu'on l'amenât à Lapeta, au lieu nommé Narfacta, où se trouve un palais royal. Narsès, au contraire, y fut conduit avec ses fers; mais on lui promit la liberté s'il égorgeait de sa main Badème : il osa accepter. Badème, le voyant venir à lui le glaive à la main, lui jeta un regard sévère et lui dit : «Narsès, malheureux, ton grand âge t'a-t-il ôté la raison ? Tu n'as pas horreur de répandre le sang des saints ? Que vas-tu faire, et comment pourras-tu ensuite te présenter au tribunal du juste Juge ? Pour moi, il m'est doux de mourir pour le nom de Jésus Christ; mais j'aurais souhaité être frappé par une autre main que la tienne.» Narsès, pâle et troublé, ne laissa pas cependant de consommer son crime, et il leva le fer sur le martyr; mais sa main tremblante portait des coups mal assurés, et ce ne fut qu'après l'avoir frappé quatre fois qu'il fit tomber sa tête. Cette lenteur augmenta de beaucoup le supplice du martyr. Telle fut la mort glorieuse de saint Badème; mais le lâche parricide devint un objet d'horreur pour les païens eux-mêmes, et il mourut misérablement quelque temps après.
Le généreux soldat de Jésus Christ gagna sa couronne la dixième lune du mois d'avril. Son corps fut recueilli par les chrétiens le soir même de ce jour, et déposé dans un magnifique tombeau.
Les sept moines qui avaient été mis en prison y restèrent quatre ans. Après la mort de Sapor ils furent mis en liberté.