MARTYRE DE SAINT APPIEN, À CÉSARÉE

(Sous Maximin, l'an 306)

fêté le 2 avril


À peine monté sur le trône, le farouche Maximin, comme s'il eût voulu déclarer la guerre à Dieu lui-même, rendit des édits plus sanglants qu'aucun de ses prédécesseurs, et telle fut la rigueur de la persécution, qu'un grand nombre de chrétiens, pour se dérober aux supplices, fuyaient et se cachaient dans les déserts.
Tandis que tout tremblait devant le tyran farouche, un jeune homme distingué par sa naissance (qui pourra dire quelle dut être l'ardeur de son amour ? ), un jeune homme à peine âgé de vingt ans, renonçant à tous les biens du siècle et à tous les charmes de la vie, alla se livrer comme une proie aux persécuteurs.
Né en Lycie d'une famille puissante et riche, Appien avait été envoyé à Béryte pour faire ses études; il y fit en peu de temps des progrès incroyables dans les sciences profanes. Mais à quoi bon lui donner cet éloge ? La gloire de son martyre va tout éclipser. Toutefois disons à sa louange qu'il traversa le temps difficile de la jeunesse, cet âge de l'inexpérience et des erreurs, sans porter la moindre atteinte à la pureté de son âme, et que dans une ville corrompue, au milieu d'une jeunesse immonde, il évita jusqu'à l'apparence du mal; à la maturité de son jugement et à la gravité de ses mœurs, on eût dit un vieillard. Ainsi jeta-t-il dans son âme les fondements d'une vertu solide et à l'épreuve de toutes les attaques.
Après avoir achevé le cours de ses études, il revint dans son pays natal. Il trouva dans sa famille des mœurs bien différentes des siennes, et résolut de la quitter. Il s'enfuit donc de la maison paternelle secrètement et sans ressources, mettant en Dieu sa confiance, et il arriva ainsi à Césarée, Dieu le conduisant, pour ainsi dire, par la main; c'est là que l'attendait la glorieuse couronne du martyre. Nous eûmes le bonheur de vivre avec lui, et d'être témoins de ses constants efforts pour s'avancer de plus en plus dans la divine sagesse, et pour imiter les vertus du saint martyr Pamphile, son maître. C'est ainsi qu'il se préparait à ce martyre héroïque qui frappa de stupeur tous ceux qui en furent témoins, et dont on ne pourra entendre le récit sans admirer la constance sublime de ce jeune homme, sa sagesse étonnante dans ses réponses au juge, et par-dessus tout l'ardeur de sa foi et la force de son amour.
La persécution sévissait déjà depuis trois ans, quand arrivèrent à Césarée des lettres de l'impie Maximin, enjoignant aux magistrats d'amener tous les habitants aux autels des dieux pour sacrifier. Aussitôt les crieurs publics proclamèrent par toute la ville les ordres de l'empereur; des chiliarques et des centurions allèrent par les rues et par les maisons, ordonnant à chacun nommément de se présenter aux temples. L'effroi fut universel parmi les chrétiens. Alors Appien, glorieux martyr de la vérité, sans communiquer ses desseins à personne, pas même à nous qui habitions sous le même toit, s'en va trouver le préfet Urbain, au milieu même d'un sacrifice. Il traverse courageusement les rangs des soldats qui formaient sa garde, pénètre jusqu'à lui, et, le prenant par la main, l'entraîne et lui fait interrompre son honteux sacrifice. Alors, avec le calme et la dignité qui convenaient à un vengeur de la gloire divine, il lui parle de l'absurdité de ses croyances, et lui démontre combien il est indigne d'un homme raisonnable de refuser son culte au Dieu unique et véritable, et de sacrifier à de vaines idoles, à des démons.
Telle fut l'action courageuse que la grâce puissance de Jésus Christ notre Sauveur inspira à Appien, afin de confondre l'impiété d'un persécuteur par l'héroïsme d'un jeune homme, et de faire connaître au monde entier que les disciples de Jésus, loin de craindre les supplices et la mort même, ont le cœur assez haut et l'âme assez grande pour oser, à la face même des tyrans, confondre l'erreur et proclamer la divinité de Jésus-Christ, sauveur des hommes.
Les ministres du démon qui entouraient le préfet, transportés d'une fureur extrême, se jettent sur le saint martyr, frappent au visage le saint jeune homme, le renversent et le foulent indignement aux pieds. Après cela, ils le font conduire en prison, où on lui tint les pieds douloureusement écartés dans des entraves; le lendemain il fut cité devant le juge, et on essaya sur lui neuf tourments terribles.
Et d'abord, le tyran ordonna de lui déchirer les côtes jusqu'à lui découvrir les os et les entrailles; puis il le fit frapper de verges à la tête et sur le visage, d'une façon si cruelle, que ses amis mêmes auraient eu de la peine à le reconnaître.
Appien, soutenu par la grâce divine, supportait ces tortures avec tant de courage qu'on eût dit qu'il avait un cœur d'airain; il triompha également des autres supplices qu'inventa la rage du tyran; au milieu des tourments, il n'avait que ces deux mots à la bouche : «Je suis chrétien !» À toutes les questions qu'on lui faisait, il ne répondait que ces deux mots : «Je suis chrétien !» Le juge en frémissait de rage; à la fin il ordonna aux bourreaux de lui envelopper les pieds d'un linge trempé d'huile, et d'y mettre le feu. Les bourreaux les saisissent et le relèvent : quel spectacle ! Sa poitrine, déchirée par les ongles de fer, et ses côtes par les fouets garnis de plomb, laissaient voir l'intérieur de son corps. Cependant ses pieds brûlaient et fondaient comme de la cire; enfin, les chairs étant consumées, la flamme pénétra jusqu'aux os et le dévora comme une paille sèche. Ce supplice affreux ne put triompher du martyr : Dieu, qui habitait dans son cœur, soutenait son courage, et il ne cessait de glorifier Dieu et de rendre témoignage au Christ; le Christ aussi rendait témoignage au martyr en lui inspirant cette constance héroïque et cette force invincible qui remplissaient d'admiration les témoins de son glorieux combat.
Les bourreaux, se voyant vaincus par cette héroïque constance, grinçaient des dents et frémissaient; ils lui demandaient son nom, sa patrie, son emploi; ils le pressaient de sacrifier aux idoles. Le martyr ne daignait pas leur répondre; il les regardait d'un œil calme et dédaigneux, qui semblait leur dire : «Vous êtes vaincus !» et il ne répétait que ces deux mots : «J'adore le Christ, seul Dieu avec son Père !» Enfin, fatigués et vaincus, les bourreaux reconduisirent à la prison le soldat de Jésus Christ.
Le lendemain il comparut de nouveau devant le juge, et comme il persistait à confesser Jésus Christ, il fut jeté à la mer.
L'événement miraculeux qui suivit immédiatement la mort du saint martyr paraîtra incroyable à ceux qui ne veulent croire que ce qu'ils voient de leurs yeux; cependant puisque la ville de Césarée tout entière en a été témoin, et l'atteste, je le raconterai avec confiance à la postérité. A peine le corps du jeune martyr eut-il été jeté à la mer, que tout à coup un bruit terrible se fit entendre, un mouvement tumultueux souleva les eaux, une secousse violente ébranla la terre, et tous les habitants, consternés, levèrent les mains au ciel, croyant que leur ville allait les engloutir sous ses ruines. Et voilà qu'au milieu de cette confusion des trois éléments, on vit les flots soutenir le corps du martyr, et, comme s'il leur eût été impossible de le garder, le déposer doucement aux portes de la cité. À la nouvelle de cet événement, les hommes, les femmes, les enfants, les vieillards, accourent en foule pour être témoins du prodige, et tous rendaient gloire au Dieu des chrétiens, et confessaient le nom de Jésus Christ. Telle fut la fin glorieuse de l'héroïque Appien, dont on célèbre la mémoire le second jour du mois d'avril.