ACTES DE CENT VINGT MARTYRS, PARMI LESQUELS NEUF VIERGES CONSACRÉES À DIEU, LES AUTRES PRÊTRES, DIACRES ET CLERCS
(L'an 344 de J.-C.)
fêtés le 6 avril
La persécution durait déjà depuis cinq ans. Sapor, qui faisait sa résidence à Séleucie, fit arrêter cent vingt chrétiens parmi lesquels se trouvaient neuf vierges consacrées à Dieu, les autres étaient prêtres, diacres et clercs de différents ordres. On les jeta dans des cachots obscurs et infects, où ils restèrent jusqu'à la fin de l'hiver, c'est-à-dire pendant six mois entiers dans une situation plus dure que la mort. Cependant, dans leur dénuement et leur détresse, une noble dame de la ville d'Arbelle, nommée Jazdondocte, ou fille de Dieu, vint à leur secours. Cette dame, qui était très riche, nourrit les saints martyrs pendant tout le temps qu'ils furent en prison, et elle le fit avec tant de générosité et de zèle, que non seulement elle ne les laissa manquer de rien, mais encore ne voulut partager avec personne ce pieux devoir.
Pendant la durée de leur captivité, les martyrs furent souvent mis à la question par les mages, et torturés de toutes les manières. Leur visage rayonnait au milieu des supplices, et quand on les menaçait de les faire expirer dans les tourments s'ils n'adoraient le soleil, ils s'écriaient tous ensemble : «Serviteurs du vrai Dieu, du souverain créateur et maître de toutes choses, nous adorerions le soleil, une uvre de ses mains, jamais ! Hâtez-vous de nous faire mourir, ce sera le comble de notre joie. La mort nous délivrera de vos insultes et de vos tortures, et nous conduira au port de l'éternel repos.»
Le jour fixé pour leur supplice approchait. Jazdondocte, en ayant eu avis secrètement, se rendit la veille à la prison, lava les pieds des saints martyrs, leur fit quitter leurs habits en lambeaux, et leur donna à chacun une robe blanche, comme pour un jour de noces. Puis elle leur offrit un grand festin, et les servit elle-même à table; et, pendant le repas, elle les animait au martyre. «Allons, courage, leur disait-elle; que la confiance en Dieu vous soutienne; que ses magnifiques promesses, consacrées dans chaque page des saints Évangiles, vous animent; que les exemples du Sauveur vous encouragent. Le Christ, quand il était sur la terre, a voulu souffrir les plus durs tourments; c'est lui qui a ouvert les portes du martyre; regardez son divin visage, mettez son image dans votre cur, et vous ne craindrez pas les menaces de mort des ennemis de son saint nom. Pendant toute cette nuit, ne pensez qu'à cette grande affaire; veillez, priez, chantez des cantiques. Ainsi vous obtiendrez de mourir glorieusement pour Jésus-Christ, votre seul amour; vous mériterez de cueillir la palme du martyre.» Elle disait cela sans avoir cependant l'intention de leur déclarer qu'ils seraient mis à mort le lendemain. Mais eux, que son arrivée subite et ses soins tout particuliers avaient surpris, voulurent en savoir la cause. «Pourquoi, lui dirent-ils, nous avez-vous fait servir aujourd'hui un si beau repas, et mettez-vous tant d'insistance à nous rappeler notre devoir ?» La dame dissimula. «Laissez, dit-elle, je n'ai fait que remplir à votre égard un devoir bien doux.» Après cette réponse évasive, elle se retira. Le lendemain, au point du jour, elle était à la prison, et leur disait sans plus chercher de détours : «Vous n'avez plus maintenant qu'une seule chose à faire, c'est de lever au ciel vos mains suppliantes et d'implorer de tout votre cur la grâce de Dieu. 86 Voilà le jour heureux qui doit vous donner la couronne et vous faire entrer dans le ciel. Mais il vous faut auparavant livrer un rude combat sur la terre, et remporter sur l'ennemi un magnifique triomphe. Et puisque vous allez bientôt paraître devant Dieu, préparez-vous à subir pour lui une mort glorieuse, et à lui donner jusqu'à la dernière goutte de votre sang. Quant à moi, je ne vous demande qu'une chose, mais je vous la demande aussi ardemment qu'on peut le demander, c'est que vous m'obteniez d'aller vous retrouver un jour auprès de Dieu; car, si vous, qui n'avez aimé que lui sur la terre, et qui allez mourir aujourd'hui pour son amour, vous lui demandez qu'il me soit permis à la fin des temps d'habiter avec vous près de lui, vous m'aurez témoigné la plus grande reconnaissance qu'il soit possible. J'ai beaucoup péché, ma conscience me le dit assez; mais si vous voulez être mes intercesseurs auprès de Dieu, j'ai la ferme confiance qu'il me fera miséricorde.»
Les prêtres lui répondirent : «Oui, nous espérons de la clémence et de la bonté de notre Dieu qu'il exaucera les prières que nous lui adresserons pour vous, et qu'il vous réservera une magnifique récompense en retour de tous les bons soins que vous avez pris de nous, pour son amour; oui, il vous les rendra avec usure, et comblera vos saintes espérances.»
Le roi ordonna de procéder de très bonne heure à l'exécution des martyrs. Quand ils sortirent de la prison, Jazdondocte, qui était à la porte, se prosterna à leurs pieds et leur baisa respectueusement les mains. Ils traversèrent rapidement la ville. Arrivés au lieu du supplice, l'officier qui présidait à l'exécution leur promit leur grâce, s'ils consentaient enfin à adorer le soleil.
Les martyrs répondirent tous ensemble d'une voix haute et ferme : «Vous êtes doublement aveugle si vous ne voyez pas ceci : les coupables qu'on mène au supplice pâlissent et tremblent, et se revêtent d'habits lugubres; mais nous, nous 87 sourions à la mort, comme la fleur au matin, et nous prenons, non des habits de deuil, mais des habits de fête. Ainsi donc, bourreaux, faites-nous souffrir tout ce que vous voudrez, et aussi longtemps que vous voudrez, nous confesserons toujours le nom auguste du Créateur; nous n'adorerons jamais le soleil, divinité vaine. La crainte ne peut rien sur nous; nous ne reconnaissons pas les ordres de votre maître, puisque nous serions criminels en les suivant. La mort est l'objet de nos vux; par elle nous arriverons à une vie immortelle, et que vous ne nous ravirez jamais.» Alors les bourreaux reçurent l'ordre de les frapper; les martyrs présentèrent gaiement leur tête au glaive, et reçurent tous la couronne.
À l'entrée de la nuit, Jazdondocte eut soin de faire recueillir leurs corps, et, pour éviter la colère des mages, elle les fit transporter à une assez grande distance de la ville, et enterrer cinq par cinq dans des fosses profondes.
Ils furent mis à mort le sixième jour de la lune d'avril.